Discours de la ministre Freeland sur les priorités du Canada en matière de politique étrangère

Discours

Le 6 juin 2017 – Ottawa, Canada

Sous réserve de modifications. Ce discours a été traduit en conformité avec la Politique sur les langues officielles du gouvernement du Canada et révisé aux fins d’affichage et de distribution conformément à sa politique sur les communications.

Monsieur le Président,

J’ai une question pour vous : le Canada est-il un pays essentiel à ce moment dans la vie de notre planète?

La plupart d’entre nous ici conviennent que c’est le cas. Cependant, si nous affirmons que le Canada est essentiel pour la planète, nous devons être en mesure d’expliquer pourquoi il en est ainsi. Par conséquent, nous devons déterminer clairement ce que nous devons faire.

Des relations internationales qui semblaient immuables depuis les 70 dernières années sont maintenant remises en question. De l’Europe à l’Asie jusqu’à notre propre demeure en Amérique du Nord, des pactes de longue durée qui ont constitué la pierre angulaire de notre sécurité et de notre prospérité depuis des générations sont mis à l’épreuve.

Par ailleurs, les humains sont confrontés à de nouvelles réalités partagées, notamment la lutte contre les changements climatiques, qui exigent une détermination renouvelée et exceptionnelle.

L’abandon de nos responsabilités n’est pas une option. Nous devons plutôt réfléchir soigneusement et longuement sur ce qui se passe et tracer la voie à suivre.

Il va sans dire que la voie que nous choisissons doit servir les intérêts de tous les Canadiens et respecter nos valeurs nationales. Elle devra préserver et favoriser la prospérité et la sécurité canadiennes. Enfin, la voie choisie devra contribuer à notre objectif collectif, soit de vivre dans un monde meilleur, plus sécuritaire, plus juste, plus prospère et durable. Un monde que nous pourrons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants en sachant que nous avons fait ce qu’il convenait de faire.

Ce n’est pas une mince affaire, Monsieur le Président. C’est ce dont je tiens à parler aujourd’hui.

Même avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en commençant avec la conférence internationale de Bretton Woods en 1944, le Canada a joué un rôle actif dans la mise en place d’un ordre mondial fondé sur des règles.

Il s’agissait de principes et de normes qui étaient appliqués, la plupart du temps par la très grande majorité des états démocratiques, bien que dans quelques cas, certains pays ne les ont pas appliqués parfaitement.

Le système reposait sur des principes fondamentaux comme l’intégrité territoriale, les droits de la personne, la démocratie, le respect de la primauté du droit et le désir d’avoir des relations commerciales libres et amicales.

La volonté commune de maintenir cet ordre mondial découlait de la détermination ardente de ne pas répéter les erreurs du passé immédiat.

Monsieur le Président, l’humanité a appris, de par son expérience directe de l’horreur et des épreuves, que de chercher uniquement à satisfaire les intérêts nationaux et de suivre la loi de la jungle ne menait à rien d’autre qu’au carnage et à la pauvreté.

Deux conflits mondiaux de même que la Grande Crise, qui se sont produits dans moins d’un demi siècle, ont appris à nos parents et à nos grands parents que les frontières nationales devaient rester inviolées, que les relations internationales commerciales ont engendré non seulement de la prospérité, mais aussi de la paix, et qu’une vraie communauté mondiale, fondée sur des normes et des aspirations communes n’était pas seulement souhaitable, mais aussi indispensable pour notre survie même.

Ce profond désir d’établir une paix durable a entraîné la création d’institutions internationales qui existent encore aujourd’hui, et au cœur desquelles se trouvent les pays de l’Europe de l’Ouest, de même que leurs alliés transatlantiques, les États-Unis et le Canada.

Dans chacune de ces évolutions dans la façon dont nous, les humains, nous organisons, les Canadiens ont joué un rôle central.

Il y a eu la conférence de Bretton Woods, où la délégation canadienne a été essentielle à la rédaction des dispositions du nouveau Fonds monétaire international et de la nouvelle Banque internationale pour la reconstruction et le développement.

Quelques années plus tard, en 1947, un Canadien, Dana Wilgress, a joué un rôle déterminant aux rencontres de Genève qui ont entraîné la création de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, le précurseur de l’Organisation mondiale du commerce.

C’est un Canadien, John Humphrey qui aurait été l’auteur principal de la Déclaration universelle des droits de l’homme, un texte adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948. Il s’agissait de la première déclaration qui serait suivie d’une série d’autres déclarations qui ont permis d’établir des normes internationales dans ce domaine crucial.

Enfin, il ne faudrait surtout pas oublier le grand Canadien qui est sans doute le plus reconnu en matière de promotion de l’internationalisme humanitaire : Lester B. Pearson. Il a reçu le prix Nobel pour son leadership pendant la crise du canal de Suez en 1956 et pour la création du principe moderne du maintien de la paix.

Ces institutions peuvent sembler banales aujourd’hui, Monsieur le Président. Il est possible que nous les tenions pour acquis, mais il ne le faudrait pas. Il y a 70 ans, ces institutions étaient révolutionnaires, et elles ont jeté les bases de la plus longue période de paix et de prospérité de notre histoire.

C’était justement cette valorisation des intérêts communs de la grande famille humaine, ce désir de protéger notre maison à tous, qui nous a donné le traité sur les pluies acides de l’ère Mulroney. C’est ce qui nous a permis de conclure le Protocole de Montréal en 1987 afin d’éliminer les CFC et préserver la couche d’ozone. C’est ce qui nous a menés à Paris, Monsieur le Président, avec 194 pays signataires de notre côté. C’est ça, la coopération internationale.

Et il importe de souligner que lorsque des sacrifices ont été nécessaires pour appuyer et renforcer l’ordre mondial, la puissance militaire qui défend nos principes et nos alliances, le Canada était de la partie. À Suez, en Corée, au Congo, à Chypre, pendant la première guerre du Golfe Persique, dans les Balkans, et en Afghanistan, jusqu’à aujourd’hui en Iraq, et dans bien d’autres endroits, le Canada était présent.

Comme le premier ministre l’a souvent dit, c’est ce que les Canadiens font : nous répondons présents.

Aujourd’hui, il est important de nous rappeler pourquoi nous répondons présents, pourquoi nous consacrons du temps et des ressources à la politique étrangère, à la défense et au développement, pourquoi nous avons envoyé des Canadiens, que ce soit des soldats, des marins, des aviateurs, des diplomates, des travailleurs humanitaires, des agents du renseignement, des médecins, des infirmières, des techniciens médicaux, des ingénieurs, des policiers ou des agents correctionnels dans des situations dangereuses, des zones de sinistre et des endroits chaotiques à l’étranger, même lorsque le territoire du Canada n’était pas directement menacé.

Pourquoi dépensons nous des milliards de dollars dans la défense nationale si nous ne sommes pas directement menacés?

Pour certains pays – je pense notamment à Israël et à la Lettonie –, la réponse est évidente. Les pays dont l’existence même est menacée de façon claire et immédiate savent qu’ils doivent dépenser des fonds pour les forces armées et la politique étrangère. Et ils savent pourquoi ils doivent le faire.

Pour quelques pays chanceux, comme le Canada et les États-Unis, qui se sentent protégés par leur géographie et par leurs bons voisins, la réponse est moins évidente. En effet, il est facile d’imaginer une opinion canadienne selon laquelle nous sommes en sécurité sur notre continent et nous avons des choses à faire chez nous, donc tournons le dos au monde. Mettons le Canada en premier.

Voici pourquoi il s’agirait d’une mauvaise approche :

D’abord, même si aucun adversaire étranger ne s’apprête à nous envahir, nous sommes tout de même confrontés à des défis clairs. Le changement climatique est une menace commune qui touche chaque personne sur cette planète. Les guerres civiles, la pauvreté, la sécheresse et les catastrophes naturelles qui se produisent partout dans le monde constituent aussi une menace pour nous, et pas seulement parce que ces catastrophes causent des migrations de masse déstabilisatrices à l’échelle mondiale. La dictature en Corée du Nord, les crimes contre l’humanité en Syrie, les extrémistes monstrueux de Daech ainsi que l’aventurisme militaire et l’expansionnisme de la Russie présentent toutes des menaces stratégiques claires pour le monde libéral démocratique, y compris le Canada.

Notre capacité de lutter seuls contre ces menaces est limitée. Cette lutte nécessite la coopération de pays aux vues similaires.

Sur le plan militaire, la géographie du Canada nous a permis de compter sur le propre intérêt des États Unis à nous fournir un bouclier protecteur derrière lequel nous avons trouvé un refuge indirect.

Certaines personnes pensent, et certaines personnes vont jusqu’à dire que nous devrions donc profiter gratuitement de la puissance militaire américaine. Pourquoi investir des milliards pour maintenir des forces armées canadiennes qualifiées, professionnelles, bien financées et bien équipées?

La réponse est évidente : se fier uniquement au bouclier protecteur des États-Unis ferait de nous un État client. Même si nous avons une excellente relation avec nos amis et voisins américains, une telle dépendance ne serait pas dans l'intérêt du Canada.

C’est pourquoi il est si clairement nécessaire de faire notre juste part. C’est pourquoi nos engagements envers le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et envers notre relation stratégique avec les États Unis sont si essentiels. C’est en faisant notre part dans ce partenariat et dans tous nos partenariats internationaux que nous avons du poids.

En termes simples, la diplomatie et le développement canadiens nécessitent parfois l’appui de la puissance dure. Bien entendu, nous n’utilisons la force qu’en dernier ressort. Toutefois, l’utilisation de la force fondée sur des principes, de concert avec nos alliés et en fonction des lois internationales, fait partie de notre histoire et doit faire partie de notre avenir.

Cette capacité nécessite un investissement considérable, que le présent gouvernement est déterminé à faire. Le ministre de la Défense nationale expliquera le tout en détail demain. Je sais qu’il rendra les Canadiens fiers, et à juste titre.

Quelle que soit leur opinion politique, les Canadiens comprennent qu’à titre de puissance moyenne voisine de la seule superpuissance du monde, le Canada est extrêmement intéressé par un ordre international fondé sur des règles. Un ordre où la force ne triomphe pas par défaut. Un ordre où les pays les plus puissants sont limités dans leur façon de traiter les pays plus petits, au moyen de normes respectées, appliquées et imposées à l’échelle internationale.

Le pilier le plus important de cet ordre, qui a émergé du carnage de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, est l’inviolabilité des frontières. Aujourd’hui, ce principe est assiégé.

C’est pourquoi le monde démocratique s’est unifié pour protéger l’Ukraine. La saisie illégale du territoire ukrainien par la Russie constitue la première fois, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qu’une puissance européenne annexe le territoire d’un autre pays par la force. Nous ne pouvons accepter ou ignorer cet acte.

Les atrocités de Daech constituent un défi direct à l’inviolabilité des frontières et à l’ordre international libéral en soi. Elles sèment le chaos; non seulement en raison du carnage commis sur des victimes innocentes, mais aussi en raison des crises humanitaires et des explosions migratoires qui en résultent. C’est pourquoi le monde s’est unifié contre ce fléau. L’extrémisme violent menace notre façon de vivre. Nous nous y opposerons toujours.

Pour le Canada, le libre-échange constitue un autre avantage important d’un système international fondé sur des règles. Dans ce domaine aussi, les puissances moyennes subissent rapidement et de façon intense les effets négatifs des politiques du « chacun pour soi ». Il s’agit de la leçon incontournable apprise durant la Grande Crise des années 1930. L’augmentation des obstacles au commerce est dommageable pour les citoyens des pays que ces mesures sont censées aider. Ils freinent la croissance, étouffent l’innovation et entraînent des pertes d’emploi. L’histoire nous a appris cette leçon. Nous ne devrions pas être obligés de la réapprendre en vivant de nouveau cette pénible expérience.

Cet ordre international mis en place par la génération précédente est confronté à deux grands défis, tous deux sans précédent.

Le premier défi est l’émergence rapide de l’ensemble du Sud et de l’Asie, plus particulièrement de la Chine, et le besoin d’intégrer ces pays au régime économique et politique mondial d’une façon additive, qui préserve le meilleur de l’ordre qui régnait avant leur croissance et qui tient compte de la menace existentielle des changements climatiques. Il s’agit d’un problème que les nations ne peuvent pas régler en travaillant seules. Nous devons travailler ensemble.

Je me suis concentrée jusqu’à présent sur le développement de l'ordre international d'après-guerre, un processus mené principalement par les puissances de l'Atlantique : l’Amérique du Nord et l’Europe de l'Ouest.

Mais nous reconnaissons que l'équilibre global du pouvoir a considérablement changé depuis, et continuera à évoluer au fur et à mesure que de nouvelles nations prospéreront.

Le G-20, dans la création de laquelle le Canada a joué un rôle déterminant, a été une reconnaissance précoce de cette réalité émergente. Les pays d'Amérique latine et des Caraïbes, d'Afrique et d'Asie sont en plein essor, offrant des niveaux de vie toujours croissants à des populations qui connaissent une croissance rapide et qui font preuve d'innovation, de créativité et d’un esprit d’entreprise.

Ce n'est pas une tendance que les gens devraient craindre. Nous devrions plutôt en être fiers. Reconnaissons que la paix et la prospérité que nous avons connues dans l'Occident ces 70 dernières années sont souhaitées par tous, et sont de plus en plus à la portée de tous. Et, en tant que Canadiens, soyons les agents de ce changement.

Saisissons cette opportunité d'aider les gens des pays les plus dynamiques du monde à rejoindre la classe moyenne mondiale, et le système multilatéral qui l'appuie. La paix et la prospérité constituent un droit pour tous, acquis dès la naissance. Le deuxième grand défi est lié au fait que de nombreux travailleurs de la classe moyenne en Occident ne croient plus que la mondialisation du système peut les aider à améliorer leur vie. C’est une énorme crise de confiance qui pourrait, si nous n’agissons pas, nuire à la prospérité mondiale.

Cette inquiétude qu’on retrouve partout dans le monde est liée au sentiment généralisé que trop de gens ont été oubliés ou trahis, car on leur avait promis un système qui devait améliorer leur sort, mais qui ne l’a pas fait.

Voici l’explication : il est vrai que le système a des failles, mais ce n’est pas au commerce international qu’il faut s’en prendre, Monsieur le Président. Le vrai coupable est la politique nationale qui ne reconnaît pas que la croissance et la stabilité politique dépendent des mesures nationales afin de permettre le partage de la richesse.

Il faut admettre qu’il s’agit d’une problématique complexe. Si des solutions simples existaient, tout le monde les mettrait en pratique.

Mais une chose est claire à ce sujet : il est tout à fait erroné d’attribuer les difficultés économiques de notre classe moyenne aux manœuvres diaboliques d’étrangers.

La vérité, c’est que la nature du travail a changé, en raison d’une innovation économique mondiale profonde et généralement bénigne. Cette transformation, reposant principalement sur l’automatisation et sur la révolution numérique, est généralement positive.

Si elle est gérée de façon équitable, elle peut favoriser la prospérité pour tous et non uniquement pour le un pour cent de la population mondiale. Il est ainsi possible d’aider les familles et les retraités, de soutenir l’éducation et la formation d’appoint, comme l’a fait le ministre des Finances dans son récent budget.

En soutenant mieux la classe moyenne et les gens qui travaillent fort pour en faire partie, le Canada établit une approche de la mondialisation qui peut servir de modèle. Par ailleurs, nous appuyons fermement les objectifs mondiaux en matière de développement durable à l’horizon 2030, Monsieur le Président. Le monde à l’étranger et le monde ici ne sont pas deux solitudes. Ils sont interreliés.

De même, en favorisant le multiculturalisme et la diversité, les Canadiens incarnent un mode de vie qui fonctionne. Nous pouvons l’affirmer en toute humilité et aussi sans fausse modestie : les Canadiens savent cohabiter en harmonie et en paix avec des personnes d’origines et de croyances diverses, dont les ancêtres viennent des quatre coins du monde. Nous le faisons bien. Regardez de quelle façon nous le faisons.

Nous faisons cette affirmation en sachant très bien que nous avons nos propres problèmes à régler, dont les plus flagrants sont les injustices dont ont souffert les peuples autochtones au Canada. Nous ne devons jamais nous dérober de notre devoir de reconnaître ce grave échec, alors même que nous faisons le difficile travail de réparations et de réconciliation.

Maintenant, Monsieur le Président, de toute évidence ce n’est pas notre rôle d’imposer nos valeurs à l’échelle internationale. Personne ne nous a donné le mandat de faire la police dans le monde. C’est toutefois notre rôle de défendre clairement ces droits au Canada et à l’étranger.

C’est notre rôle d’offrir, dans la mesure du possible, un refuge aux personnes persécutées et opprimées, comme nous l’avons si fièrement fait pour plus de 40 000 réfugiés syriens.

C’est notre rôle d’établir une norme sur la façon dont les états devraient traiter les femmes, les homosexuels et les lesbiennes, les transgenres, les minorités raciales, ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses ainsi que les Autochtones.

Nous pouvons et devons jouer un rôle actif dans la préservation et l’amélioration de l’ordre mondial dont nous avons si grandement profité. Jouer ce rôle servira nos intérêts parce que notre propre société ouverte est davantage en sécurité dans un monde de sociétés ouvertes, et elle est menacée dans un monde où les sociétés ouvertes sont menacées.

En bref, le libéralisme canadien est une idée précieuse. Il ne survivrait pas longtemps dans un monde dominé par l’affrontement de grandes puissances et de leurs tributaires, qui lutterait pour la suprématie ou, au mieux, pour une détente précaire.

Le Canada peut travailler à rendre le monde meilleur, Monsieur le Président. Nous devons le faire.

Je fais maintenant une pause pour m’adresser directement aux États Unis. Comme le premier ministre l’a indiqué la semaine dernière, le Canada est extrêmement déçu de la décision du gouvernement fédéral des États Unis de se retirer de l’Accord de Paris sur les changements climatiques.

Cela dit, nous continuerons de chercher des occasions, où qu’elles soient, de réaliser des progrès constructifs en matière d’environnement, en collaboration avec nos homologues de Washington et de partout ailleurs aux États Unis, à tous les ordres de gouvernement et avec les partenaires d’affaires, du milieu du travail et de la société civile.

Comme je l’ai déjà mentionné, nous, les Canadiens, pouvons être fiers du rôle que nous avons joué dans l’établissement de l’ordre d’après-guerre, ainsi que de la paix et de la prospérité sans précédent qui ont suivi.

Mais tandis que nous nous félicitons de notre rôle dans ce projet, nous devons reconnaître la contribution beaucoup plus considérable des États-Unis. L’Amérique a payé la part du lion, en sang, en trésor, en vision stratégique et en leadership.

Les États Unis ont vraiment été une nation indispensable, Monsieur le Président. Pour leur contribution unique à notre paix et à notre prospérité communes depuis sept décennies, j’aimerais, au nom de tous les Canadiens, remercier profondément nos amis américains.

Comme je l’ai affirmé, le Canada croit fermement que l’ordre international actuel, qui est stable et prévisible, est dans son plus grand intérêt national. Nous croyons que cet ordre a aussi favorisé la paix et la prospérité chez nos voisins du Sud.

Ce serait toutefois naïf ou hypocrite de prétendre devant cette Chambre que tous les Américains sont présentement d’accord. En fait, de nombreux électeurs, dans le cadre des élections présidentielles de l’an dernier, ont voté en étant en partie animés par le désir de se libérer du fardeau de chef de file mondial. Je ne dis pas cela pour soulever la controverse : c’est un fait.

Le Canada est reconnaissant et sera toujours reconnaissant envers son voisin pour le rôle exceptionnel qu’il joue dans le monde. Et nous cherchons et devons continuer à persuader nos amis qu’il est dans leur intérêt national, ainsi que dans celui du reste du monde libre, de continuer d’exercer un leadership international.

Toutefois, nous reconnaissons également que la décision ne nous revient pas. C’est un choix que les Américains doivent faire pour eux-mêmes.

Le fait que notre ami et allié met en doute la valeur de son leadership mondial fait ressortir plus nettement le besoin pour le reste d’entre nous d’établir clairement notre propre orientation souverainiste. Pour le Canada, cette stratégie doit consister à renouveler, en fait à renforcer, l’ordre multilatéral de l’après-guerre.

Nous suivrons cette voie en ouvrant nos bras et nos cœurs à nos amis américains, pour servir une cause commune comme nous l’avons si souvent fait dans le passé. Nous poursuivrons notre partenariat sur de nombreux fronts, comme la sécurité frontalière, la défense de l’Amérique du Nord, par le biais de NORAD, la lutte contre Daech, nos efforts au sein de l’OTAN, en plus d’entretenir et d’améliorer notre relation commerciale, qui est la plus solide du monde.

Parallèlement, nous collaborerons avec des gens et des pays aux vues similaires qui partagent les mêmes objectifs.

Monsieur le Président, pour que ce soit très clair, voici en quoi consistent ces objectifs :

Tout d’abord, nous soutiendrons fermement l’ordre international fondé sur des règles et toutes ses institutions, et nous trouverons des moyens de les renforcer et de les améliorer.

Nous appuierons fortement les forums multilatéraux où de telles discussions ont lieu, comme le G7, le G20, l’OEA, l’APEC, l’OMC, l'OMS, le Commonwealth et la Francophonie, le Conseil de l’Arctique et, bien entendu, l’OTAN et l’ONU.

Un élément central de notre programme multilatéral est notre engagement inébranlable à l’égard de l’Alliance transatlantique. L’une des concrétisations de cet engagement est l’AECG, notre accord commercial historique avec l’Union européenne, auquel nous croyons et que nous appuyons chaudement. Un autre exemple est notre déploiement militaire cet été en Lettonie.

Il ne peut pas y avoir de signe plus clair que l’OTAN et l’article 5 sont au cœur de la politique de sécurité nationale du Canada.

Nous chercherons à jouer un rôle de chef de file dans chacune de ces tribunes multilatérales. C’est un honneur pour nous d’accueillir le sommet du G7 l’an prochain et nous briguons activement un mandat de deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU. Nous cherchons à obtenir ce siège à l’ONU parce que nous souhaitons être entendus. Parce que nous sommes plus en sécurité et plus prospères, Monsieur le Président, lorsqu’une plus grande partie du monde partage les valeurs canadiennes.

Ces valeurs comprennent le féminisme, ainsi que la promotion des droits des femmes et des filles.

Le fait que notre premier ministre et notre gouvernement soient fiers de se proclamer féministes est une avancée importante et historique. Les droits des femmes sont des droits de la personne. Ils incluent les droits sexuels et ceux liés à la santé reproductive, ainsi que le droit à des avortements sécuritaires et accessibles. Ces droits sont au cœur de notre politique étrangère.

À cette fin, ma collègue, la ministre du Développement international et de la Francophonie, dévoilera au cours des prochains jours la première politique féministe d’aide internationale du Canada qui mettra l’accent sur les droits des femmes et des filles ainsi que l’égalité entre les sexes. Nous placerons le Canada à l’avant-plan des efforts mondiaux dans ce domaine.

C’est une question de justice de base et aussi d’économie de base. Nous savons qu’en favorisant le renforcement socioéconomique des femmes, autant ici qu’à l’étranger, les familles et les pays deviennent plus prospères. Les valeurs canadiennes sont fondées sur la dualité linguistique de notre pays où coexistent historiquement le français et l’anglais, sur notre fédéralisme coopératif, sur notre citoyenneté multiculturelle, multiethnique et multilingue, ainsi que sur la position géographique de notre pays qui fait le pont entre l’Atlantique, le Pacifique et l’Arctique. Nos valeurs sont guidées par les traditions et les aspirations des peuples autochtones au Canada. Et nos valeurs comprennent un engagement indéfectible envers le pluralisme, les droits de la personne et la règle de droit.

Qui plus est, nous allons faire les investissements nécessaires dans notre armée, non seulement pour rattraper les années de négligence et de sous-financement, mais aussi pour permettre aux Forces armées canadiennes de repartir sur une nouvelle base, avec le matériel, la formation, les ressources et le financement constant et prévisible dont elles ont besoin pour accomplir leur travail difficile, dangereux et important.

Nous le devons à nos femmes et à nos hommes en uniforme. Nous ne les laisserons pas tomber, Monsieur le Président.

Pour le Canada, il y a une raison très claire d’investir dans une armée efficace, professionnelle et solide : si les puissances moyennes ne participent pas pour faire progresser la paix et la stabilité dans le monde, elles laissent aux grandes puissances le pouvoir de prendre les décisions entre elles, ce qui ne serait pas dans l’intérêt du Canada.

D’autre part, nous sommes une nation commerçante. Loin de voir le commerce comme un jeu à somme nulle, nous croyons aux relations commerciales qui sont avantageuses pour toutes les parties. Nous nous réjouissons à la perspective de travailler avec nos partenaires du continent pour moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain et pour améliorer encore davantage notre formidable partenariat commercial. Nous allons intensifier nos efforts pour diversifier le commerce canadien dans le monde. Nous chercherons activement à conclure de nouveaux accords commerciaux qui seront favorables aux intérêts économiques du Canada, et qui reflètent nos valeurs – en prenant comme modèle l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne.

Nous sommes fiers du rôle que le Canada a joué dans la création d’un ordre commercial international fondé sur des règles. Nous croyons en l’OMC et nous poursuivrons notre travail en vue de le renforcer et de nous assurer qu’il réponde mieux aux besoins des gens ordinaires au Canada et ailleurs dans le monde.

Nous croyons en un commerce progressif qui est au service des travailleurs. C’est pourquoi nous sommes très fiers du fait que le Canada ratifiera ce mois-ci la dernière des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du Travail.

En résumé, nous travaillerons sans relâche à la promotion de notre intérêt national, à la défense de nos valeurs canadiennes progressives et à la création d’un ordre international fondé sur des règles pour le 21e siècle. Il y a de cela 70 ans, le Canada a joué un rôle de premier plan dans la mise en place d’un ordre mondial d’après-guerre. Et maintenant, notre expérience, expertise, géographie et diversité ainsi que nos valeurs font en sorte que nous sommes appelés à jouer de nouveau un rôle semblable dans ce siècle nouveau.

Monsieur le Président, ce sont là des objectifs ambitieux. Nous n’avons aucune garantie de réussite.

Nous avons fixé ces objectifs non pas en présumant que le succès viendra facilement, mais avec la certitude que le chemin sera semé d’embûches. Nous nous engagerons dans des causes nobles et justes. Nous prendrons des risques. Nous remporterons des victoires et nous subirons des défaites. Mais nous continuerons à travailler à bâtir un monde meilleur, Monsieur le Président, car c’est ce que font les Canadiens.

Permettez-moi de terminer sur une note personnelle.

Une critique que l’on entend souvent ces jours-ci à propos du discours que je vous livre ici est que les idéaux de ce genre sont abstraits, qu’ils intéressent peut-être la soi-disant élite laurentienne, ou les médias ou les gens qui travaillent dans « la bulle d’Ottawa », mais qu’ils n’ont aucune pertinence pour les « vrais » Canadiens.

Ce raisonnement est élitiste et hautement condescendant. En fait, c’est un raisonnement absurde. Pour le démontrer, je veux donner l’exemple de mon grand-père, John Wilbur Freeland.

Il est né à Peace River en Alberta – le fils d’une famille de pionniers. Wilbur avait 24 ans en 1940. Il gagnait alors un peu d’argent comme cowboy et comme boxeur. On le surnommait « Pretty Boy » Freeland.

Mon grand-père était tout l’opposé de l’élite du Haut-Canada. Mais, alors que la Deuxième Guerre mondiale s’intensifiait, Wilbur s’est enrôlé. Deux de ses frères, Carleton et Warren, l’ont imité. Wilbur et Carleton sont revenus au pays. Warren, lui, non.

Mon grand-père m’a raconté que ses frères et lui s’étaient enrôlés en partie parce que cela semblait excitant. Même en temps de guerre, l’Europe était une destination exotique pour les jeunes de la région de Peace Country.

Mais il faut voir dans ce geste plus que la soif d’aventure d’un jeune homme. Mon grand père faisait partie d’une génération de Canadiens qui comprenaient intuitivement le lien entre leur vie et celle des personnes qu’ils n’avaient jamais rencontrées, dont ils ne comprenaient pas la langue, et qui habitaient sur un continent si loin que cela consistait, à l’époque, un autre monde.

Cette génération de Canadiens – que nous appelons la plus grande génération pour une bonne raison – avait survécu à la Grande Crise. Nés au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces gens étaient profondément conscients qu’un monde sans frontières ou sans règles fixes pour l’économie mondiale était un monde de désordre et de pauvreté. Ils ont cherché à faire en sorte qu’une telle situation ne se reproduise jamais.

C’est pourquoi ils ont risqué et donné leurs vies pour se battre dans la guerre en Europe. C’est pourquoi, lorsqu’ils sont revenus à la maison, ils ont contribué avec enthousiasme au grand projet de rebâtir l’Europe et de créer un ordre mondial d’après-guerre. Et c’est pourquoi ils s’estimaient heureux de pouvoir participer à cet effort.

Ils étaient nos parents, nos grands-parents et nos arrière-grands-parents. Le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est de taille, sans l’ombre d’un doute. Mais il fait pâle figure comparativement au défi auquel cette génération faisait face et qu’elle a relevé.

Notre travail aujourd’hui consiste à préserver leurs réalisations et construire sur cette base. Nous devons miser sur les structures multilatérales qu’ils ont créées et mettre en place les institutions et accords internationaux adaptés aux nouvelles réalités du présent siècle.

Cette génération a su relever l’immense défi auquel elle a été confronté, et nous y parviendrons nous aussi.

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