Faits saillants de l’histoire de la fonction publique

Par James Ross Hurley

À propos de l’auteur : James Ross Hurley a été professeur de sciences politiques à l’Université d’Ottawa (1967‑1975), directeur fondateur du programme de stage parlementaire à la Chambre des communes (1969) et conseiller constitutionnel pour le Bureau des relations fédérales‑provinciales/Bureau du Conseil privé (1975‑2001). Il est l’auteur de La modification de la Constitution du Canada (1996) et de La responsabilité, la reddition de comptes et le rôle des sous‑ministres dans le gouvernement du Canada (étude rédigée pour la Commission Gomery, 2006).


Cette année, nous célébrons les 150 ans de la fonction publique canadienne, et c’est l’occasion rêvée de s’attarder aux faits saillants qui ont marqué son évolution depuis le début de la Confédération.

Employés en face de l'Édifice du Centre
Employés du ministère de la Poste en 1905

En 1867, le gouvernement du Canada a hérité des fonctionnaires travaillant dans des domaines de compétence fédérale des anciennes colonies, qui se sont unifiées pour créer la fédération. Tous ces fonctionnaires étaient des délégués politiques : l’attribution des postes par favoritisme politique était une des plus importantes fonctions du gouvernement de l’époque, et cela incluait les nominations à la fonction publique ainsi que l’attribution de contrats. Le rôle du gouvernement était toutefois limité : les plus importants ministères étaient celui de l’Agriculture, le Bureau des Postes ainsi que Douane et Accise. Il n’y avait aucune garantie d’emploi pour les fonctionnaires (bien que les hauts fonctionnaires à Ottawa demeuraient généralement en poste même après des changements de gouvernement) ni pension de retraite.

Portrait de Laurier
Le gouvernement de Sir Wilfrid Laurier a créé la Commission de la fonction publique.

Pendant les 50 premières années de la Confédération, des scandales ont fait surface et le public a commencé à exiger une fonction publique (alors appelée « service public ») plus qualifiée, plus efficace et capable d’assurer une meilleure continuité. Au total, six enquêtes sur la fonction publique ont été menées de 1968 à 1913, bien qu’elles aient donné lieu à peu de changements d’importance. En 1907, Sir Wilfrid Laurier a éliminé les listes établies par favoritisme pour l’attribution des marchés publics. De plus, la Loi de 1908 modifiant la Loi du service civil a permis la création de la Commission du service civil en vue de superviser le processus de concours (ce que l’on appelle le système du mérite) visant les nominations et les promotions des fonctionnaires travaillant dans la région d’Ottawa. Pourtant, ces 50 ans ont constitué une période de grand changement pour le Canada : le pays s’est vastement étendu grâce à l’achat de la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1870, des fonds et des concessions de terre ont été utilisés pour assurer la construction d’un chemin de fer transcontinental, le nombre de provinces est passé de quatre à neuf, l’établissement dans les prairies a été encouragé, la population du pays a plus que doublé, et le Canada a joué un rôle de premier plan dans la Première Guerre mondiale, ce qui a mené à l’accroissement substantiel de la bureaucratie pour gérer l’effort de guerre. Cette guerre a eu pour effet d’accroître l’industrialisation et l’urbanisation, et de créer un sentiment d’identité nationale après la bataille de la crête de Vimy en 1917, mais elle a également occasionné un grand nombre de décès et de blessures permanentes pour des anciens combattants. Une division sociale a par ailleurs été mise sur pied à la suite de la crise de la conscription.

Portrait de Borden
Le gouvernement du premier ministre Robert Borden adopte la Loi sur le service civil de 1918.

Dans les trois ans qui ont suivi la défaite de Sir Wilfrid Laurier aux mains du premier ministre Borden en 1911, quelque 11 000 fonctionnaires ont démissionné ou ont été démis de leurs fonctions, et ce principalement pour cause de partisanerie politique. La Loi sur le service civil de 1918 (modifiée en 1919) a représenté un changement important et a remplacé le système de favoritisme politique dans l’ensemble du Canada par des concours reposant en grande partie sur la capacité des candidats de travailler de façon efficace en anglais au sein d’une fonction publique non partisane. Le principe du mérite était cependant défini : les anciens combattants bénéficiaient d’un traitement préférentiel et la nomination, l’avancement et le maintien en poste des femmes étaient limités. En 1924, la Loi sur la pension du service civil a établi un régime de pension de retraite pour la fonction publique, qui était conçu pour décourager les fonctionnaires efficaces de partir, pour attirer de meilleurs candidats ainsi que pour encourager et protéger une carrière dans la fonction publique. Au cours des 20 années suivantes, le Canada s’est effectivement doté d’une fonction publique compétente, professionnelle et très respectée.

En 1931, aux prises avec la Grande Dépression, le premier ministre Bennett a centralisé le gouvernement en créant le Fonds du revenu consolidé, aujourd’hui appelé le Trésor, et le Bureau du Contrôleur du Trésor pour veiller à ce que le gouvernement ne dépense que les sommes autorisées par le Parlement, et ce, uniquement aux fins pour lesquelles elles ont été attribuées dans le cadre d’un processus d’exigences d’approbation rigoureux. Bien que prudent, ce système ne facilitait pas une prise de décision rapide. En 1932, le gouvernement a transféré au Conseil du Trésor bon nombre des responsabilités en matière de dotation de la Commission du service civil.

Avant 1940, la fonction publique n’avait pas de dirigeant officiel et, malgré le principe de responsabilité ministérielle collective, le processus de décision du Cabinet était entièrement dominé par le premier ministre. Il n’y avait pas d’ordre du jour dans les réunions du Cabinet ni de secrétariat, ni de fonctionnaire officiellement présent lors de ces réunions pour noter ce qui s’y passait, ni de procès‑verbal des décisions prises, ni de système en place pour communiquer ces décisions aux ministères chargés de les mettre en œuvre. À la suite de l’avènement de la Deuxième Guerre mondiale ainsi que de l’expansion et de la diversification attendues des rôles et des responsabilités du gouvernement, cette façon de faire ne pouvait persister. En 1940, le premier ministre Mackenzie King a nommé M. Arnold Heeney au poste de greffier du Conseil privé et lui a également donné le titre de secrétaire du Cabinet. Pour appuyer le Comité de guerre du Cabinet, M. Heeney a mis sur pied un secrétariat doté de procédures professionnelles, qui ont été appliquées par la suite à toutes les réunions du Cabinet. Se faisant, le secrétaire du Cabinet fournissait des conseils organisationnels au premier ministre, et il est devenu dans les faits le chef de la fonction publique, un rôle qui serait confirmé par une mesure législative en 1992.

Des femmes en service dans l’armée canadienne en 1944.
Des femmes en service dans l’armée canadienne en 1944.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, la fonction publique a rapidement pris de l’expansion et a joué un rôle de premier plan dans la gestion de l’économie en temps de guerre; les femmes ont acquis un accès accru à l’emploi au sein du gouvernement; et le secteur manufacturier a connu une période d’essor et a contribué à établir la position du Canada en tant que puissance moyenne. À la fin de la Guerre, les membres du ministère des Affaires extérieures ont étroitement collaboré à la création de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Les fonctionnaires ont aidé à lancer la première initiative publique d’après‑guerre visant à établir un filet de sécurité sociale – le régime de pension de vieillesse –, et le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre deux grands projets d’infrastructure : l’autoroute transcanadienne et la Voie maritime du Saint‑Laurent.

La Loi sur la gestion des finances publiques de 1951 a conféré au Conseil du Trésor son autorité sur une vaste gamme de questions liées aux finances et aux ressources humaines, y compris l’attribution des marchés publics. Cependant, compte tenu de la portée et la taille du gouvernement de l’époque, les ministres siégeant au Conseil du Trésor ne pouvaient pas s’occuper personnellement de toutes les questions, de sorte qu’une grande partie de cette responsabilité a été déléguée aux fonctionnaires, qui, sous le principe du gouvernement responsable, étaient tenus de souscrire à des principes de neutralité politique, d’anonymat, de confidentialité et de comportement éthique, ainsi que de rendre des comptes aux ministres.

Dans les années 1950, des valeurs et attitudes nouvelles ont commencé à émerger au Canada. La Loi sur le service civil de 1961 prévoyait des négociations salariales entre les associations du personnel et le Conseil du Trésor, et elle exigeait du Conseil du Trésor et de la Commission du service civil qu’ils consultent ces associations quant aux autres conditions d’emploi des fonctionnaires. Le rapport de la Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement de 1962 a recommandé que la fonction publique soit gérée davantage comme une entreprise, soit en mettant l’accent sur l’efficacité, l’économie et le service, et que soient éliminées bon nombre des contraintes mises en place pour réduire le favoritisme politique et les conflits d’intérêts de façon à ce que les gestionnaires puissent s’acquitter efficacement de leurs tâches de gestion. Parallèlement, les auteurs du rapport concluaient qu’il fallait accroître la représentativité et la capacité d’adaptation de la fonction publique : la confiance de la population dans la fonction publique dépendrait fortement de la mesure dans laquelle celle‑ci refléterait la population qu’elle dessert. En 1967, en vertu de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, la Commission du service civil est devenue la Commission de la fonction publique chargée de tous les éléments liés à la dotation ainsi que de la supervision du principe du mérite et de la mise en œuvre de programmes de formation et de perfectionnement (qui ont été réunis pour créer l’École de la fonction publique du Canada en 2004); la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a instauré un régime de convention collective; et des modifications apportées à la Loi sur la gestion des finances publiques ont confirmé le rôle du Conseil du Trésor à titre d’employeur et de gestionnaire du personnel de la fonction publique.

Autour d'une table, le Premier ministre Pirre-Elliott Trudeau, le ministre responsable de la Condition féminine et 5 femmes signent des documents
La Commission royale sur le statut de la femme mènent à la création du poste de ministre responsable de la Condition féminine en 1971.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le nombre de femmes dans la fonction publique a explosé, mais on s’attendait d’elles qu’elles quittent leur poste à la fin de la Guerre pour faire place aux anciens combattants ou qu’elles démissionnent lorsqu’elles se marieraient. Les contraintes à l’emploi des femmes dans le secteur public ont été éliminées en 1955, mais cela ne leur a pas pour autant permis de faire avancer leur carrière, surtout à des postes de direction. La Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a recommandé, en 1970, que des mesures soient prises par le gouvernement fédéral pour veiller à l’égalité des chances pour les femmes.

En 1918, la maîtrise du français ne figurait pas au nombre des compétences aux fins d’une nomination ou d’une promotion au sein du service public de l’époque. La Loi sur le service civil a été modifiée en 1938 de manière à exiger des représentants qu’ils parlent la langue de la majorité des personnes qu’ils allaient servir, mais beaucoup en ont fait fi. En 1946, les francophones, qui représentaient pourtant près de 30 p. 100 de la population, n’occupaient que 1p. 100 des postes au sein de la fonction publique. Les préoccupations grandissantes quant à l’avenir de la langue et de la culture françaises au Canada ont mené à la création, en 1963, de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. En 1966, le bilinguisme est devenu un critère de mérite dans la région de la capitale nationale et, en 1969, la Loi sur les langues officielles a été adoptée. Cette dernière comportait d’importantes dispositions sur la prestation des services au public ainsi que sur la langue de travail dans la fonction publique. C’est en 1982 que le français et l’anglais sont devenus les langues officielles du Canada, par le truchement de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le changement dans les tendances en immigration qui s’est amorcé pendant la deuxième moitié du XXe siècle s’est traduit par une augmentation de la proportion de la population faisant partie d’un groupe de minorités visibles. Les percées technologiques et médicales ont favorisé l’atteinte d’un important objectif : l’inclusion des personnes handicapées dans les milieux de travail. Les discussions entourant le rapatriement de la Constitution en 1982 ont mis en lumière des enjeux en suspens au sujet des peuples autochtones du Canada. Dans un effort visant à accroître la représentativité des peuples autochtones ainsi qu’à prendre des mesures d’adaptation, comme le recommandait le rapport Glassco, et dans le but de respecter la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, laquelle interdisait toute forme de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques, le Parlement a adopté, en 1986, la Loi sur l’équité en matière d’emploi pour favoriser le recrutement et l’avancement des femmes, des Autochtones, des personnes handicapées et des membres de groupes de minorités visibles.

Les activités au sein de la fonction publique sont également assujetties à la Loi sur l’accès à l’information de 1983, à la Loi sur la protection des renseignements personnels de 1983 ainsi qu’à un arrêt de la Cour suprême du Canada datant de 1991 sur les droits politiques des fonctionnaires. Cependant, la Loi sur la modernisation de la fonction publique de 2003 a instauré une nouvelle pratique plus souple concernant le processus de nomination des fonctionnaires : la Commission de la fonction publique reste redevable envers le Parlement pour ce qui est de l’intégrité du système global de nomination et de la neutralité politique, mais elle peut déléguer ce pouvoir aux administrateurs généraux qui, à leur tour, peuvent le déléguer aux gestionnaires. Par ailleurs, la définition du mérite permet aux gestionnaires de sélectionner des candidats non seulement à la lumière des qualifications essentielles du poste, mais également des qualifications qui constituent un atout, des besoins organisationnels ainsi que des exigences opérationnelles du poste en question, que ces éléments soient pertinents pour l’heure ou pour l’avenir.

Le comportement éthique dans la fonction publique est, depuis des années, soumis à un ensemble de règles et de codes de conduite ou encore de déclarations des valeurs qui englobent notamment les activités d’après-mandat, dont le premier Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique, entrée en vigueur en 2003 et révisée en 2012. En 2004, la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, présidée par le juge John Gomery, a formulé d’importantes préoccupations au sujet du comportement éthique. Toutefois, en 2006, il a été conclu que seul un nombre très peu élevé de fonctionnaires avaient dénié les valeurs fondamentales dans le cadre du programme de commandites et que la « très grande majorité des fonctionnaires essayent de faire leur travail correctement et efficacement, de bonne foi […] »

Les années 1960 ont été marquées par la prospérité, l’optimisme, la hausse des salaires et des attentes ainsi que par de nouvelles activités (dont d’importants paiements aux provinces et territoires à l’appui de l’éducation au niveau postsecondaire, des assurances médicales, de l’aide sociale et de l’égalisation). Cette période a par ailleurs été marquée par les déficits et l’inflation en hausse, ce qui a fait naître la nécessité d’indexer les prestations de retraite au coût de la vie. Le gouvernement en est donc venu à tenter de reprendre le contrôle du déficit en freinant les dépenses. L’un des moyens d’y parvenir a été de réduire la taille de la fonction publique – ce fut le cas dans les années 1970, puis dans les années 1980 et encore une fois dans les années 1990. Il a par ailleurs mis en œuvre un gel prolongé des salaires dans les années 1990. Ces mesures ont entraîné des pertes d’emplois, des réaffectations, des pressions à l’endroit des fonctionnaires ainsi que des départs volontaires. En réaction à cela, la greffière du Conseil privé de l’époque a mis en place le programme La Relève en 1996. En collaboration avec la Commission de la fonction publique et le Secrétariat du Conseil du Trésor, ce programme avait pour but de favoriser l’élaboration de programmes pour maintenir en poste et motiver les personnes talentueuses et en attirer de nouvelles pour l’avenir.

Objectif 2020
Objectif 2020 est lancé en 2013

Au cours des quelque 50 dernières années, différents exercices de renouvellement de la fonction publique ont été effectués en réaction à des problèmes en particulier – et ces exercices se sont pour la plupart soldés par la présentation d’un rapport définitif et par la prise de mesures. Objectif 2020 : Bâtir ensemble la fonction publique de demain, une initiative d’une portée sans précédent lancée par le greffier du Conseil privé en 2013, visait à donner suite à la mondialisation accrue, à l’interrelation entre des enjeux complexes, à l’accélération des changements technologiques, aux changements démographiques, à la demande croissante à l’égard d’une fonction publique ouverte, transparente et responsable, et à l’évolution des attentes des effectifs. De manière à réaliser la vision – « Une fonction publique de niveau mondial outillée pour servir le Canada et les Canadiens maintenant et dans l’avenir » –, l’exercice mené à l’échelle nationale faisait la promotion du dialogue à tous les échelons dans les ministères et organismes, entre les différentes organisations ainsi qu’avec les partenaires externes. Le recours aux médias sociaux a permis de recueillir une grande quantité de commentaires auprès de fonctionnaires à tous les niveaux et de veiller à ce que l’exercice en soit un ascendant.

Le renouvellement de la fonction publique, notamment grâce à des efforts comme ceux déployés dans le cadre d’Objectif 2020, est un processus continuel. Ainsi que le premier ministre l’a affirmé en 2016 pour souligner la Semaine nationale de la fonction publique : « Nos fonctionnaires comprennent que si nous souhaitons rester axés sur les gens que nous servons, nous devons agir de façon concertée afin de faire de notre ouverture et de notre transparence des valeurs essentielles de nos institutions. Ils comprennent la nécessité de se renouveler et de se moderniser pour que nous puissions – de façon efficace et efficiente – répondre aux besoins des Canadiens aujourd’hui et au cours des années qui viendront. »

Détails de la page

Date de modification :