Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 4
8.4.0 Arrêt de travail
La notion de l’arrêt de travail est d’une importance primordiale. Un arrêt de travail doit avoir lieu pour que les dispositions concernant les conflits collectifs s'appliquent (section 8.1.3 du Guide).
Il est important de savoir que l’application des dispositions visant les conflits collectifs dépend, à peu près au jour le jour, de l’évolution de l’arrêt de travail et du fait qu’il y a ou non arrêt de travail au cours d’une ou de plusieurs journées données. La notion de l’arrêt de travail a trait à une réalité quotidienne, particulièrement en cas d’arrêts de travail irréguliers tels qu’il s’en produit lors de grèves sporadiques, de débrayages sur une base rotative ou de grèves tournantes.
Il s’agit de se demander si une entreprise ou un lieu de travail donné poursuivent leurs activités courantes normales malgré l’existence d’un conflit collectif. Cela peut être difficile à déterminer, par exemple, lorsqu’il y a une grève du zèle, un ralentissement partiel de travail ou lorsque les services essentiels sont bien maintenus.
En fait, tout dépend de ce que l’on entend par arrêt de travail. Il se peut qu’un arrêt de travail se produise dès que le travail que l’employeur est en mesure d’offrir et désire voir exécuter pas accompli ou achevé à cause de l’interruption de travail d’un certain nombre de ses employés. Mais il est beaucoup moins évident qu’il y a un arrêt de travail, lorsque seulement un ou plusieurs employés d’un grand groupe de travailleurs interrompent leur travail.
8.4.1 Définition d’arrêt de travail
La Loi ne définit pas l’« arrêt de travail » (RAE 53); il y a donc lieu de s’en tenir à la signification que l’usage prête à ce terme. Il ne faut pas le confondre avec le terme « conflit collectif » dont il n’est qu’un résultat (section 8.2.1 du Guide et section 8.2.2 du Guide).
Un arrêt de travail dans le contexte d’un conflit collectif ne saurait être défini en fonction du travail accompli par chaque travailleur. On doit plutôt se reporter de manière générale à ce qui constitue l'activité normale d'une entreprise(section 8.4.2 du Guide). À cette fin, il ne faut pas se limiter aux activités de production. Il faut également prendre en considération le travail de bureau, les services d’entretien, etc.
Un arrêt de travail, c’est une rupture de l’activité normale d’une entreprise, une modification de la prestation habituelle de services attribuable à la réduction des activités et à une diminution du nombre d’employés. Le fait que les activités se poursuivent ailleurs n’a aucune importance, puisque ce sont les activités propres au lieu de travail même du prestataire qui sont pertinentes (CUB 15424).
Un arrêt de travail n’a pas trait uniquement à une grève ou à un lock-out (CUB 80535). Ce terme peut également désigner un ralentissement de la production, le refus concerté de travailler, un absentéisme généralisé, des débrayages, des suspensions, des renvois et des fermetures.
Même les mises à pied provoquées par un conflit peuvent causer à elles seules un arrêt de travail ou faire progresser un arrêt de travail partiel. D’autres exemples incluent la suspension de l’équipe de nuit ou le refus de travailler les heures supplémentaires habituelles.
Le fait de ne pas reprendre le travail après une période de mise à pied générale ou au début de la saison d’activités pourrait aussi être un signe d’arrêt de travail, dans la mesure où il est établi que les activités auraient normalement repris à un moment donné. Le retard à reprendre les activités normales à un moment donné peut être vu comme étant un arrêt de l’activité normale (LAE 36; section 8.4.3 du Guide et section 8.5.2 du Guide).
Somme toute, l’existence d’un arrêt de travail dépend de l’incidence du conflit collectif sur l’activité normale de l'entreprise (section 8.11.1 du Guide). On conclura qu’il y a un arrêt de travail si le conflit a un effet marqué sur cette activité. Il n’est pas nécessaire que l’arrêt de travail soit généralisé à toute l'entreprise (CUB 21211). Cet arrêt peut même être limité à un certain nombre d’employés ou à une seule activité, dans la mesure où il a une certaine incidence donnant lieu à un ralentissement ou à la modification des activités normalement accomplies par ce groupe plus restreint de travailleurs (section 8.4.2 du Guide).
Il est entendu qu’un débrayage qui n’a que des effets négligeables sur les activités d’un groupe de travailleurs ne constitue pas un arrêt de travail. Cependant, il serait très difficile pour un prestataire qui participe volontairement à une telle grève partielle, de prouver qu’il est incapable d’obtenir un emploi convenable. Ce genre de cas peut se présenter pendant la période qui précède un arrêt de travail généralisé.
8.4.2 Portée de l'arrêt de travail
L’existence d’un conflit collectif n’implique pas nécessairement la rupture soudaine de toutes les activités d’une entreprise sans qu’il y ait de signes précurseurs. Il peut survenir plusieurs mesures et événements liés aux négociations et à la volonté des parties d’en arriver à une entente concrète.
À nulle part dans la Loi, il n’est fait mention d’une norme permettant d’évaluer un arrêt de travail ou sa portée afin de déterminer s’il répond à la définition. L’usage a plutôt consacré une approche basée sur une réduction appréciable de l’activité normale d’une entreprise avant qu’on puisse conclure à l’existence d’un arrêt de travail suivant les dispositions concernant les conflits collectifs.
Bien qu’on se soit souvent fondé sur l’ensemble de l’entreprise pour évaluer cette réduction d'activité, on a aussi, en d’autres occasions, axé cette évaluation sur les seuls employés en grève ou sur une seule division ou un seul service d’une entreprise ou, sur les employés d’une seule unité de négociation (CAF A-340-79, CUB 12992A). Un conflit qui oppose l’employeur à un groupe déterminé de travailleurs peut venir perturber les activités de ce groupe, sans pour autant nuire de façon sensible aux activités de l’entreprise dans son ensemble. Ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas d’arrêt de travail. On considère plutôt qu’un arrêt de travail complet ou une réduction marquée du travail, dans n’importe quel service important d’une entreprise, constitue un arrêt de travail, et ce, qu’il s’agisse de la production ou d’un service de soutien tel que l’administration ou l’entretien. Il peut en être ainsi même si une seule activité d’un service est interrompue, ou si les autres activités de l’entreprise se poursuivent à peu près normalement en dépit de cet arrêt de travail.
Selon que le conflit collectif et l’arrêt de travail ont ou non des répercussions sur l’ensemble de l’entreprise ou seulement sur des activités spécifiques, la réduction des activités provoquée par le conflit peut être mesurée en fonction de l’entreprise tout entière ou des seules activités touchées par le conflit collectif.
Parmi les multiples indicateurs qui, individuellement, peuvent témoigner du niveau des activités d’une entreprise, il en existe deux principaux qui ont été consacrés par l’usage et qui ont historiquement servi à déterminer s’il y avait arrêt de travail. Le premier se rattache à la production de biens et de services, autant du point de vue de la qualité que de la quantité. Même si, sur le plan quantitatif, la production se maintient à un niveau proche de la normale, il y a tout de même un arrêt de travail s’il y a une baisse appréciable de la qualité (CUB 69099C).
Le nombre d’employés demeurés au travail est le deuxième élément déterminant. Même si ce nombre ne représente pas le critère unique et absolu, il correspond généralement au niveau de production. Par ailleurs, le niveau de revenus de l’entreprise n’est pas un élément dont il faut tenir compte.
Il y a clairement une réduction importante de l’activité normale lorsque la production de biens ou de services a cessé complètement ou lors qu’il n’y a plus d’employés au travail. Comment juger d’une situation où la présence d’un conflit influe sur la baisse de la production ou sur le nombre d’employés au travail, mais sans pour autant l’interrompre totalement? Ce qui doit alors être déterminé, c’est le moment exact où survient une réduction des activités normales correspondant à un arrêt de travail.
De même, il faut par la suite établir si l’arrêt de travail a pris fin. Ce qu’il faut considérer, dans les deux cas, c’est le nombre d’employés au travail et le niveau de production de biens ou de services d’une entreprise ou d’un groupe de travailleurs et non, ce qu’aurait été leur niveau normal s’il n’y avait pas eu un conflit collectif et un arrêt de travail.
La règlementation, qui définit ce que constitue les circonstances qui marquent la fin de l’arrêt de travail, doit être utilisée pour résoudre la question à savoir quand survient et se poursuit l’arrêt de travail. L’arrêt de travail prend fin, selon la réglementation, lorsque le nombre d’employés au travail et les activités reliées à la production de biens ou de services représentent au moins 85 % de leur niveau normal (section 8.11.1 du Guide). Si ce minimum de 85 % n’est pas atteint dans l’un ou l’autre cas, l’arrêt de travail continue d’exister.
Pour ce qui est de la détermination du début de l’arrêt de travail, l’inverse de la règle de 85 % (soit une réduction supérieure à 15 % du nombre d’employés ou des activités), est un facteur qui peut être utilisé. Cependant, il ne faut pas l’appliquer systématiquement. On doit faire preuve de flexibilité à cet égard en s’appuyant sur le fait qu’il y a, dans une situation donnée, des indices révélateurs d’un arrêt de travail appréciable tels qu’une réduction importante des activités de production de biens ou de services ou du nombre d’employés au travail par rapport à la situation normale.
Il peut arriver par ailleurs, que ce soit grâce à des mesures exceptionnelles ou temporaires, que l’employeur, en dépit du conflit, maintienne ou reprenne un niveau normal en ce qui concerne le nombre d’employés au travail ou les activités reliées à la production de biens ou de services. On déterminera alors quelle aurait été la situation en l’absence de ces mesures exceptionnelles ou temporaires. On peut conclure à l’existence d’un arrêt de travail lorsqu’il y aurait eu, sans ces mesures, une réduction importante du nombre d’employés ou des activités de production de biens ou de services par rapport à la situation normale.
8.4.3 Relation de cause à effet entre conflit collectif et arrêt de travail
Le mot « dû » placé entre les termes « arrêt de travail » et « conflit collectif » (LAE 36(1)) dans la Loi a été ajouté pour établir une relation de cause à effet entre un conflit collectif et un arrêt de travail. Les dispositions relatives aux conflits collectifs prévoient expressément qu’un arrêt de travail est la conséquence directe d’un conflit collectif.
Outre le fait que l’arrêt de travail ne peut exister sans sa cause (CAF A-354-79, CUB 5193B; CAF A-512-88, CUB 12992A), cette relation doit également exister au lieu de travail même du prestataire. Un arrêt de travail attribuable à un conflit qui a éclaté dans un autre lieu de travail ne remplit pas cette condition, à moins que ce conflit ait également entraîné un conflit au lieu de travail du prestataire (CUB 20493 et CUB 16592).
Lorsqu’un conflit de travail généralisé survient à plusieurs lieux de travail, par exemple, dans le secteur du transport en commun ou de l’industrie de la construction, l’arrêt de travail doit être établi distinctement pour chacun des lieux de travail. Les arrêts de travail peuvent survenir à des dates différentes selon la situation propre à chacun de ces lieux. Le fait qu’il s’agisse d’un seul et même conflit n’y change rien.
Lorsqu’un arrêt de travail survient au cours d’un conflit collectif, il est logique d’en déduire un rapport de cause à effet entre eux, à moins qu'on puisse prouver une autre explication. La déclaration d’un employeur à l’effet qu’il fermera temporairement les portes de son entreprise si une relation de cause à effet est établie, conforte de toute évidence l’hypothèse que l’arrêt de travail était le résultat direct d’un conflit collectif.
Cette relation est d’autant plus évidente lorsque l’arrêt de travail prend la forme d’une grève ou d’un lock-out; de par sa nature même, ce type d’événements est directement relié à l’existence d’un conflit collectif. Le fait qu’un lock-out ait été déclaré le jour précédant celui où l’employeur ferme les portes de son entreprise et, qu’il rouvre deux jours plus tard avec un personnel réduit, ne change pas cette relation. D’autres formes d’arrêt de travail sont également dues à un conflit collectif lorsque l’arrêt est le résultat de négociations antérieures; l’absence de négociations n’est toutefois pas un élément décisif.
Le lien entre l’arrêt de travail et le conflit n’a pas besoin d’être direct, pour autant qu’on puisse dire que l’arrêt de travail est un événement qui se rattache au conflit ou que, n’eût été du conflit, l’arrêt de travail n’aurait pas eu lieu. Cet énoncé est exact même lorsque l’arrêt de travail est provoqué par d’autres personnes que les travailleurs ou l’employeur.
Sans nier formellement l’existence d’un conflit collectif, certaines personnes ont relié des arrêts de travail à des causes étrangères au conflit, soit la situation économique, le déménagement prochain de l’entreprise, la surproduction, les fluctuations saisonnières du marché, les conditions atmosphériques, voire même des catastrophes naturelles. Comme c’est toujours le cas, il faut analyser les faits pertinents pour rendre une décision en cette matière; il n’y a pas de litige avec les demandes lorsqu'il est établi que, sans l’existence du conflit, l’entreprise aurait de toute façon fermé ses portes (section 8.11.3 du Guide et section 8.11.4 du Guide). Mais il est important de garder en tête que dans maints conflits, ce n’est pas tout le monde qui respecte les règles du jeu. Avec action et réaction, revendication et résistance, menaces et contre-menaces, il y a toujours lieu de se demander où débute la réalité et sur quels faits objectifs et incontestables les conclusions peuvent être fondées (CUB 21211). Le seul fait que l’employeur profite de l’arrêt de travail pour préparer un éventuel déménagement ou pour faire des rénovations n’est pas concluant.
Certains peuvent affirmer que l’arrêt de travail était causé par des mises à pied faisant suite à une pénurie de travail. Il importe de distinguer, bien au-delà des simples événements, si la pénurie de travail découle du conflit collectif ou si les mises à pied auraient de toute façon eu lieu. Lorsque des rumeurs de grève entraînent une réduction des commandes et provoquent de nombreuses mises à pied, l’arrêt de travail qui en résulte est réputé attribuable au conflit.
L’absentéisme généralisé sous prétexte de maladie est une stratégie parfois utilisée au cours d’un conflit collectif. De même, l’affirmation selon laquelle l’arrêt de travail a été provoqué par des actes de vandalisme n’a aucune valeur lorsque le sabotage est attribuable au conflit.
Lorsque deux causes sont à l’origine de l’arrêt de travail, le litige est alors de déterminer si le conflit est la cause principale. En règle générale, un événement ultérieur ne modifiera pas la relation de cause à effet entre le conflit et la cause initiale de l’arrêt de travail, à moins que le conflit soit relégué au second plan. Cet événement subséquent devient désormais la cause principale de l’arrêt de travail; les situations majeures d’incendie ou de désastre peuvent être citées comme exemple. Même s’il est établi que la cause initiale de l’arrêt de travail est étrangère au conflit, le fait que, par la suite, il y ait retard, du fait d'un conflit, à reprendre le travail après une période de mise à pied ou le début de la saison d'activités, constitue un arrêt de travail dû au conflit (section 8.4.1 du Guide et section 8.5.2 du Guide; CUB 80780).
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