Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 11

8.11.0 Fin de l'arrêt de travail

La fin de l’arrêt de travail n’est pas un événement isolé qui survient de façon soudaine et fortuite. Elle est plutôt résolue de manière collective et met un terme à l’arrêt de travail (sections 8.4.0 à 8.4.3 du Guide).

Certains règlements prévoient les conditions à satisfaire pour qu’un arrêt de travail soit jugé terminé. Le paragraphe 53(1) du Règlement sur l’AE stipule ce qui suit :

« ... l’arrêt de travail à une usine, à un atelier ou en tout autre local prend fin lorsque :

  1. d’une part, le nombre d’employés présents au travail représente au moins 85 pour cent du niveau normal;
  2. d’autre part, les activités qui y sont exercées pour la production de biens ou de services représentent au moins 85 pour cent du niveau normal. »

La fin de l’arrêt de travail s’est produite lorsque deux indicateurs ont été satisfaits, soit le nombre d’employés au travail et le retour du niveau des activités reliées à la production de biens ou de services à 85 % du niveau normal.

Ce minimum de 85 % constitue un repère strict entre la continuation de l’arrêt de travail et la fin de l’arrêt survenant au moment où ce minimum est atteint. Le minimum de 85 % doit être obtenu pour chacun des deux indicateurs en cause, sans quoi on ne saurait conclure que l’arrêt de travail a pris fin. Par exemple, si le nombre d’employés au travail atteint ou dépasse 85 % de son niveau normal mais que cela n’est pas le cas pour le niveau des activités reliées à la production de biens ou de services, l'arrêt de travail n’a pas cessé (section 8.4.2 du Guide). En ce qui concerne la production de biens ou de services, il faut respecter le minimum de 85 % tant du point de vue de la quantité que de celui de la qualité.

La détermination selon laquelle l’arrêt de travail a pris fin est l’un des deux facteurs qui permettent de terminer l'inadmissibilité (LAE 36(1)). La question est de savoir si l’arrêt de travail est terminé pour l’ensemble de l’entreprise ou, si le conflit n’a eu qu’une incidence limitée sur les activités ou le groupe des travailleurs touchés par le conflit (section 8.4.1 du Guide).

La fin d’un arrêt de travail ne signifie pour autant que le conflit collectif est terminé, pas plus que le règlement du conflit ne marque la fin immédiate de l’arrêt de travail. Il serait fort inusité que ces deux événements se produisent en même temps (section 8.11.2 du Guide).

Bien qu’un seul et même conflit puisse faire cesser les activités de plusieurs lieux de travail, il convient de déterminer la fin de l’arrêt de travail séparément eu égard à chacun de ces lieux. La fin de l’arrêt de travail peut donc survenir à des dates différentes selon la situation qui existe à chacun des emplacements.

Il faut se rappeler finalement que le minimum de 85 % doit être calculé par rapport au nombre normal d’employés au travail et au niveau normal des activités reliées à la production de biens ou de services. Il n’est pas facile dans plusieurs cas de déterminer le niveau qui correspond à la situation normale pour chacun de ces deux indicateurs.

8.11.1 Situation normale

Le Règlement prévoit que l’arrêt de travail prend fin lorsque le nombre d’employés au travail et les activités reliées à la production de biens ou de services représentent au moins 85 % de leur niveau normal (RAE 53).

Ce qui constitue la situation normale pour ces deux indicateurs correspond à la situation qui aurait normalement existé s’il n’y avait pas eu d’arrêt de travail. En général, le nombre d’employés et le niveau d'activités observés avant l’arrêt de travail sont un bon indicateur de ce qu’aurait été la situation normale. Le niveau de production atteint en fonction d’un régime établi d’heures supplémentaires peut aussi être qualifié de normal. Toutefois, la situation normale n’est pas celle dans laquelle le nombre d’employés et le niveau d’activités ont été atteints du fait de mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur pour remédier à la situation de conflit collectif. La situation normale doit être déterminée en faisant abstraction de ces mesures (section 8.11.6 du Guide).

La situation normale évolue d’un moment à l’autre et peut découler d’un nombre d’employés et d’un niveau d’activités différents durant cette période. Il faut tenir compte des fluctuations de production, si celles-ci surviennent normalement au cours de l'année. Les contrats que l’entreprise aurait normalement obtenus ou exécutés, sans l’arrêt de travail et le conflit, sont également des facteurs à considérer.

La situation qui existait avant l’arrêt de travail peut être attribuable à des facteurs reliés au conflit collectif et à l’arrêt de travail potentiel. La situation serait jugée normale si la fluctuation à la hausse ou à la baisse du nombre d’employés ou du niveau d’activités peut s’expliquer par des facteurs étrangers au conflit. Ces facteurs peuvent comprendre la conjoncture économique, la concurrence réduite ou accrue de compétiteurs ou les fermetures saisonnières ou autres.

Toutefois, lorsque ces facteurs sont reliés au conflit et à l’arrêt de travail pressenti et qu’ils sont à l’origine d’une réduction ou d’une augmentation du nombre d’employés ou du niveau d’activités, on n’en tient pas compte pour déterminer la situation normale. La situation normale à retenir correspond à celle qui aurait normalement existé en l’absence de ces facteurs.

Des circonstances peuvent par ailleurs se produire au cours d’un arrêt de travail ou à la reprise des activités et avoir une incidence sur la situation normale (sections 8.11.2 à 8.11.5 du Guide). Certaines d’entre elles peuvent être liées au conflit et à l’arrêt de travail et d’autres ne le sont peut-être pas; certaines peuvent modifier la situation normale de façon permanente et d’autres ne sont que passagères.

8.11.2 Règlement du conflit, reprise des activités

Il n’y a pas de règle absolue qui indique que le règlement du conflit est une condition à la reprise des activités. Les parties peuvent s’entendre pour reprendre les activités, même s’il ne semble n’y avoir aucune solution immédiate au conflit, ou elles pourraient être empêchées de reprendre les activités alors qu’aucun règlement n’a eu lieu. Cela ne signifie pas que le nombre d’employés au travail et les activités de production de biens ou de services atteindront instantanément des niveaux équivalant à la situation normale (section 8.11.1 du Guide).

Dans la grande majorité des cas, la reprise des activités ne va se faire que graduellement, d’après les modalités d’un protocole de retour au travail et en fonction des besoins de l’entreprise. Il est fort possible que ne soient rappelés dans un premier temps que les seuls employés jugés utiles à l’exécution des tâches préliminaires en vue de la reprise éventuelle des activités normales de l'entreprise, par exemple, pour la remise en marche des machines ou pour la réparation de pièces d’équipement. Cette situation peut aussi s’appliquer à un petit groupe d’employés qui peuvent être rappelés une ou plusieurs semaines avant la majorité des employés touchés par le conflit. Quoi qu’il en soit, cela n’entraîne pas pour autant la terminaison de l’inadmissibilité des employés rappelés, à moins qu’en reprenant le travail, le prestataire ait effectivement réintégré le même poste qu’il occupait avant que survienne l'arrêt de travail (section 8.12.0 du Guide).

Le règlement du conflit en tant que tel n’a guère d’incidence sur l’inadmissibilité. C’est plutôt la fin de l’arrêt de travail qui est le facteur décisif et qui permet la terminaison de l'inadmissibilité (RAE 53;CAF A-1063-87;CUB 69099C). Il ne s’agit pas de savoir si le prestataire est encore impliqué dans le conflit, mais bien de vérifier s’il continue à subir un arrêt de travail dû à ce conflit.

Même lorsque réglé, le conflit laisse probablement des traces qui se répercutent encore pendant un certain temps sur le cours normal des activités d’une entreprise, quelle que soit l’incidence des autres facteurs étrangers au conflit qui peuvent, eux aussi, retarder la reprise des activités. Le rapport de causalité entre un conflit qui a fait l’objet d’un règlement et l’arrêt de travail qui se poursuit ne doit pas s’appuyer sur des hypothèses. Il faut que la période de temps entre le règlement du conflit et la fin de l’arrêt de travail soit une conséquence naturelle du conflit; si ce n’est pas le cas, il faudra obtenir des faits précis avant de conclure qu’il y a un rapport de cause à effet entre le conflit qui n’existe plus et l’arrêt de travail qui se prolonge.

Il peut également arriver qu’une fois le conflit terminé, une autre cause qui ne lui est pas reliée, lui succède et prolonge à elle seule la durée de l’arrêt de travail. Il faut alors déterminer à quel moment l’arrêt de travail a cessé d’être directement dû au conflit et à quel moment une autre étape commence, qui est le fait d’une autre cause.

On comprend bien que, dans ce contexte, prestataires et syndicats puissent avoir intérêt à minimiser l’incidence du conflit pour expliquer le retard à reprendre le cours normal des activités ou à introduire d’autres motifs qui ne sont que peu ou pas reliés au conflit (section 8.4.3 du Guide). Il faut laisser à chacun des intervenants la possibilité de se faire entendre et faire preuve d’objectivité pour évaluer à leur juste mesure les allégations des parties, dans le but de déterminer si la reprise a été retardée ou empêchée d’une façon ou d’une autre en raison du conflit.

Après le règlement du conflit, il est souvent difficile, selon le secteur d’activité, de reprendre le cours normal des activités comme si rien ne s’était passé, d’obtenir de nouvelles commandes ou de récupérer d’anciens clients. De telles considérations peuvent suffire à démontrer une relative continuité du rapport entre le conflit et l’arrêt de travail.

L’arrêt de travail est, de toute évidence, dû au conflit s’il se poursuit à cause de dommages résultant du conflit ou de la fermeture des locaux, à moins que l'employeur ne fasse pas immédiatement le nécessaire pour remettre les machines en état de fonctionnement. Le retard à reprendre les activités n’est pas dû au conflit s’il résulte d’une décision de l’employeur de restructurer ses effectifs ou de procéder à des rénovations.

D’autres circonstances peuvent aussi faire en sorte que le minimum de 85 % ne puisse être atteint. Une disposition du Règlement prévoit à quel moment prend fin l’arrêt de travail dans ces circonstances (RAE 53(2); et section 8.11.3 du Guide).

8.11.3 Circonstances empêchant d’atteindre 85 %

Une entreprise, où un arrêt de travail en raison d’un conflit de travail est survenu, peut subir plusieurs répercussions une fois le conflit résolu. Ces répercussions sont pour la plupart liées au conflit et à l’arrêt de travail. D’autres circonstances propres à l’entreprise ou à un secteur de l'économie,qui ne sont pas liées au conflit et à l’arrêt de travail, peuvent aussi se produire et avoir une incidence sur l’effectif et les activités de l’entreprise.

Les effets de telles circonstances sur le nombre d’employés au travail et le niveau des activités peuvent être minimes ou importantes, temporaires ou de longue durée et, dans ce dernier cas, se faire sentir bien au-delà du règlement du conflit et de la reprise ultérieure des activités (section 8.11.2 du Guide).

Quoiqu’il en soit, en règle générale, le fait que ces circonstances se présentent au cours d’un arrêt de travail et aient une incidence sur la situation normale d’une entreprise ne modifie pas le rapport de cause à effet rattachant l’arrêt de travail initial au conflit (CAF A-181-83, CUB 7842); et CAF A-270-91, CUB 19037).

Parmi ces circonstances, il y en a dont on tient toujours compte aux termes des dispositions du Règlement qui portent sur la fin de l’arrêt de travail. Voici un extrait du paragraphe 53(2) du Règlement sur l’AE :

« Lorsque, par suite d’un arrêt de travail, il survient des circonstances qui font en sorte que le nombre d’employés présents au travail et les activités liées à la production de biens ou de services à une usine, à un atelier ou en tout autre local ne représentent pas au moins 85 pour cent du niveau normal, l’arrêt de travail prend fin :

  1. dans le cas d’une cessation des affaires ou d’une restructuration permanente des activités ou dans un cas de force majeure, au moment où ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances;
  2. dans le cas où les conditions économiques ou du marché changent ou dans le cas où surviennent des changements technologiques, au moment où :
    1. d’une part, il y a une reprise des activités à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local,
    2. d’autre part, ce nombre et ces activités représentent au moins 85 pour cent du niveau normal rajusté en fonction des nouvelles circonstances. »

Ces circonstances prévues ont en commun le fait qu’elles surviennent au cours de l’arrêt de travail et empêchent que le minimum de 85 % du niveau normal soit atteint. Il faut voir aussi que ces circonstances sont de nature à modifier, du moins pour une période indéfinie, la situation normale de l’entreprise ou de l’activité touchée par l’arrêt de travail. Il est donc logique qu’on rajuste ce qui constituerait la situation normale pour les deux indicateurs et que ce soit par rapport à ces niveaux rajustés qu’on détermine si le minimum de 85 % est atteint.

Ces circonstances n’ont nul besoin d’avoir une grande incidence sur les deux indicateurs. Il suffit en fait qu’elles empêchent que le minimum de 85 % soit atteint. Par exemple, si une circonstance entraîne une baisse de 10 % du nombre d’employés ou des activités et qu’il s’agit justement de ce qui manque pour atteindre au moins 85 % de la situation normale, la circonstance est pertinente.

Il faut se rappeler finalement qu’on ne doit pas tenir compte des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur pendant l’arrêt de travail dans le but d’en atténuer les effets (RAE 53(2); et section 8.11.6 du Guide).

8.11.4 Cessation des affaires, restructuration permanente, cas de force majeure

Un arrêt de travail qui s’éternise peut constituer dans bien des cas un élément déclencheur qui incite un employeur à prendre ou à devancer certaines décisions concernant l’avenir de son entreprise ou d’une activité particulière touchée par cet arrêt. Quels qu’en soient les motifs, il se peut qu’en cours d’arrêt de travail, un employeur déclare faillite, procède à la vente de son entreprise, transfère ailleurs ses activités ou les réorganise.

En outre, une entreprise n'est pas à l’abri des cas de force majeure comme un incendie, une explosion ou une catastrophe naturelle telle qu’un tremblement de terre, un glissement de terrain, une tornade ou une inondation, qui peuvent modifier irrémédiablement ce qui aurait représenté la situation normale de l’entreprise sans l’arrêt de travail.

Le Règlement accorde un traitement particulier aux cas de cessation des affaires, de restructuration permanente ou de force majeure dans la mesure où de telles circonstances empêchent d’atteindre 85 % des niveaux normaux des deux indicateurs (RAE 53(2)). Ces circonstances ne sauraient être retenues si elles n’ont manifestement aucune incidence sur ces deux indicateurs ou si elles n’ont d’effet que sur des activités qui ne sont pas touchées par l’arrêt de travail. Sauf en ce qui concerne la cessation des affaires, c’est à la reprise des activités que ces circonstances s’appliquent. Il importe que ces circonstances se matérialisent et, à long terme, modifient la situation normale (section 8.11.1 du Guide) de l’entreprise ou de l’activité touchée par l’arrêt de travail. Elles ne doivent pas être de simples prévisions ou probabilités ou faire partie de déclarations d’intention ou de stratégies visant à forcer les négociations.

Il importe d’analyser les faits pertinents bien au-delà des simples intentions ou déclarations ou de toute action de l’employeur à cet effet (CUB 46110 et CUB 24335, CAF A-38-96, CUB 31276). Il faudra examiner, par exemple, s’il y a rupture des négociations, fin des pourparlers, transfert réel des activités, liquidation d’actifs, avis pertinents de fermeture au ministère du Travail, versement des sommes dues lors d’une fermeture définitive, etc. De telles actions peuvent indiquer s’il s’agit ou non d’une manœuvre d’intimidation ou d’une façon de contrer un syndicat intransigeant.

Il peut arriver que les travailleurs reçoivent une lettre les informant que leur emploi prendra fin à telle date s’ils ne reprennent pas le travail (CAF A-814-91; CUB 20138) ou que l’entreprise fermera ses portes si les offres sont rejetées. De tels avis ne signifient pas nécessairement qu’un employeur a fermé son entreprise et ce même, lorsqu’il a payé les congés accumulés et remboursé les cotisations au régime de pension. Il peut s'agir d'une tactique pour inciter les salariés à reprendre le travail.

La vente ou la fermeture de secteurs d’une entreprise ne met pas nécessairement fin à un conflit ou à un arrêt de travail (CUB 21211). Le conflit et l’arrêt de travail pourraient se poursuivre même s’il y a un nouvel acquéreur. De façon générale, ce dernier doit reconnaître le syndicat en place et respecter les ententes et contrats de travail signés précédemment. Toutefois, la vente d’une partie ou de la totalité de l’entreprise peut donner lieu à une restructuration permanente des activités.

Un employeur peut procéder à une restructuration temporaire des activités pour maintenir certains services essentiels, le temps que soit trouvée une solution au conflit. Ce n’est évidemment pas là ce qu’on appelle une restructuration permanente. Il ne faut pas inclure de telles mesures exceptionnelles ou temporaires lorsqu’on examine le rajustement de la situation en fonction de ce que devrait être le niveau normal (section 8.11.6 du Guide). Elles ne doivent pas non plus servir aux fins du calcul du minimum de 85 % (RAE 53(3)).

Il doit s’agir d’une restructuration véritable et durable du groupe de travailleurs ou des activités touchées par l'arrêt de travail (CAF A-38-96,CUB 31276) et non d’un quelconque déplacement de fonctions ou d’un petit changement de fonctions. Cela n’a aussi rien à voir avec une restructuration ordinaire qui résulte du passage de la saison d’activité à la saison morte (section 8.11.5 du Guide).

Pour tenir compte des effets d’une restructuration permanente des activités qui pourraient découler du fait que les conditions économiques ou du marché ont changé ou de changements technologiques, il faut qu’il y ait eu reprise des activités, du moins à un certain niveau (RAE 53(2)).

Pour conclure, disons que lorsque l'une circonstance prévue empêche que soit atteint le minimum de 85 % par rapport à la situation normale, on fera un nouveau calcul. Le but est de voir si le nombre d’employés au travail et les activités de production atteignent le minimum de 85 % , mais cette fois-ci par rapport à la situation normale ajustée en fonction de ces nouvelles circonstances. En d’autres termes, toute baisse du nombre d’employés et des activités qui est attribuable à ces circonstances serait soustraite de la situation normale.

8.11.5 Changements des conditions économiques ou du marché ou changements technologiques

Lorsque les activités reprennent et que des changements aux conditions économiques ou du marché ou des changements technologiques surviennent, ceux-ci peuvent empêcher que soit atteint le minimum de 85 % des niveaux normaux des deux indicateurs dont il est précédemment fait mention (RAE 53(2)b) et section 8.11.3 du Guide). Il est prévu dans ce cas de faire un nouveau calcul pour déterminer si le minimum de 85 % est atteint, mais par rapport cette fois aux niveaux normaux rajustés en fonction de ces changements. Cet élément est essentiel puisqu’il détermine le moment auquel l’arrêt de travail prend fin (section 8.11.1 du Guide).

Dans de nombreux cas, ces changements technologiques ou économiques ne se produisent pas uniquement à l’entreprise où a lieu l’arrêt de travail, mais ils ont néanmoins une incidence sur la détermination de la situation qui aurait été normale. La plupart du temps, leur incidence se fait sentir sur tout un secteur d’activité dont fait partie l’entreprise ou même sur l’ensemble de l’économie dans un contexte par exemple, d’informatisation, d’automatisation, de libre-échange, de réduction de quotas, de hausse des taux d’intérêt, de fluctuation du cours du dollar, de diminution de la demande de produits ou de services sur le marché, etc.

De tels changements peuvent survenir dans un cycle de transformations, de progrès technologiques, de rationalisation des activités, d’internationalisation des échanges, de croissance ou de récession économique, ou d’évolution des marchés. Ils ont une incidence déterminante sur les activités d’un ensemble d’entreprises et transforment leur situation normale pour une période indéterminée ou même de façon permanente.

C’est seulement au moment de la reprise des activités touchées par l’arrêt de travail qu’on doit déterminer si ces changements empêchent que soit atteint le minimum de 85 % des niveaux normaux de chaque indicateur (RAE 53(2)b)(i)).

Les conditions économiques ou du marché qui sont à l’origine de la saison morte ordinaire dans un secteur d’activité dont fait partie l’entreprise ne modifient pas à proprement parler sa situation normale. Ces changements de conditions se produisent ponctuellement d’année en année et les niveaux qui reflètent la situation normale, à ce moment-là, tiennent déjà compte des conditions économiques ou du marché propres à la saison morte. Il n’y a donc pas lieu de rajuster ces niveaux si jamais les parties en viennent à une entente au sujet du conflit de travail au cours de la saison morte (section 8.11.8 du Guide).

Les changements aux conditions économiques ou du marché et les changements technologiques qui ont pour conséquence la restructuration permanente des activités d’une entreprise ne sont pas pertinents, à moins qu’il y ait eu reprise quelconque des activités (RAE 53(2)a)) et section 8.11.4 du Guide). À ce stade, ces circonstances pourraient avoir une incidence véritable sur le moment où prend fin l’arrêt de travail.

Supposons qu’à la reprise des activités, des changements aux conditions économiques ou du marché ou des changements technologiques entraînent une réduction de 10 % des employés au travail et des activités de l'entreprise,au point que le minimum de 85 % des 100 employés normalement au travail et des 1 000 unités normalement produites chaque jour ne peut être atteint. Le Règlement (RAE 53(2)) prévoit que le minimum de 85 % déterminant le moment où l’arrêt de travail prend fin doit être calculé à nouveau, mais cette fois, par rapport à 90 employés et à 900 unités de production qui constituent les niveaux normaux rajustés en fonction de l’incidence des changements sur l’entreprise.

8.11.6 Mesures exceptionnelles ou temporaires

Tel que nous l’avons vu, ce qui constitue la situation normale d’une entreprise correspond aux niveaux normaux des employés au travail et des activités qui existeraient en l’absence du conflit collectif et de l’arrêt de travail (section 8.11.1 du Guide). Ces niveaux n’ont rien à voir avec ceux qui ont pu être obtenus grâce à des mesures exceptionnelles ou temporaires prises par l’employeur pour augmenter les activités. Par exemple, l’employeur peut augmenter la capacité de production ou la quantité de produits entreposés, ou retarder l’exécution de certains contrats, en prévision d’un arrêt de travail ou pour atténuer les effets de cet arrêt.

Un employeur peut accorder temporairement la priorité à certaines tâches, quitte à en délaisser d’autres jugées moins utiles, ou conjuguer les efforts d’autres employés pour maintenir des services essentiels ou même retenir les services de briseurs de grève.

Le fait que l’employeur ait pris certaines dispositions pour maintenir à son niveau normal la production de l’entreprise ou celle d’un groupe plus petit de travailleurs ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail. En règle générale, on peut dire qu’il y a arrêt de travail lorsque l’employeur maintient son niveau d’activités grâce à des mesures exceptionnelles ou temporaires, quel que soit le succès que remportent ces mesures (CAF A-340-79, CUB 5266B, CAF A-143-80, CUB 5869 et CAF A-556-91, CUB 19727).

Il arrive souvent que ces mesures aient un effet négatif sur le travail, qui doit être exécuté ailleurs, de sorte que l’activité de l’entreprise dans son ensemble s’en trouve perturbée. L’abandon temporaire du travail de bureau et d’entretien au seul profit de la production constitue un arrêt de travail dans des secteurs autres que la production (CUB 21211); quel que soit le niveau de production, on doit conclure qu’il y a arrêt de travail si l’interruption des activités dans les autres secteurs est relativement importante.

Il faut savoir si les moyens auxquels l’employeur a recours vont devenir permanents, si les grévistes vont retourner au travail une fois le conflit réglé et si, de fait, ils ont repris leur poste.

Pour décider du caractère permanent ou provisoire des mesures prises par l’employeur, il faut examiner :

  • le volume des activités touchées;
  • le nombre d’employés en grève;
  • le nombre et le type de travailleurs qui les remplacent et si le remplacement est permanent ou provisoire (section 8.11.7 du Guide);
  • si les heures de travail effectuées sont normales, si les activités sont réalisées aux dépens de d’autres activités telles que l’entretien ou les réparations;
  • si les activités qui sont négligées sont importantes;
  • si le lien entre l’employeur et les employés est définitivement rompu (section 8.13.0 du Guide).

Ce serait aller à l’encontre de l’objet même des dispositions de la Loi touchant les conflits collectifs et créer une injustice grave que d’autoriser le paiement de prestations de l’assurance-emploi à des grévistes au seul motif que l’employeur a réussi à reprendre ou à maintenir ses activités normales grâce à des mesures exceptionnelles.

Cela est particulièrement vrai lorsque le conflit ne met en cause qu’un petit nombre de travailleurs et que les mesures prises par l’employeur empêchent l’arrêt de travail de se produire. On peut difficilement prétendre qu’un arrêt de travail s’est produit lorsqu’une grève de quelques travailleurs n’a aucun effet important sur les activités courantes.

Il se peut également que ce soit à la reprise des activités que l’employeur prenne des mesures exceptionnelles ou temporaires dans le but d’atténuer les effets de l’arrêt de travail. De telles mesures ne doivent pas entrer en ligne de compte aux fins du calcul du minimum de 85 % (RAE 53(3) et sections 8.11.3 à 8.11.5 du Guide).

8.11.7 Embauche de nouveaux travailleurs permanents

Il faut se rappeler que le fait qu’un employeur ait réussi, en prévision ou à la suite d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, à reprendre ou à maintenir pour une grande part les activités par des mesures exceptionnelles ou temporaires ne suffit pas pour conclure qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail ou que cet arrêt a pris fin.

Un arrêt de travail peut toutefois prendre fin s’il y a retour à la normale des activités grâce au recours à des moyens réguliers et permanents, ce qui n’exclut pas la possibilité que des moyens jugés temporaires puissent devenir permanents après un certain temps (CAF A-143-80, CUB 5869 et CAF A-556-91, CUB 19727).

La fin de l’arrêt de travail ne signifie pas nécessairement que les employés habituels sont de retour à leur poste; l’employeur peut, par exemple, les avoir remplacés par de nouveaux venus, ce qui a amené une reprise des activités (CAF A-38-96,CUB 31276). On s’interrogera alors sur le caractère permanent ou provisoire des mesures prises par l’employeur.

Des positions radicales peuvent parfois être prises à l’occasion de conflits particulièrement virulents. C’est ainsi que l’employeur peut renvoyer définitivement des employés en grève et embaucher du personnel de remplacement qu’il qualifie de permanent. Il faut normalement considérer qu’une telle action s’inscrit dans le cadre d’une stratégie réactive globale visant l’usure, le dénigrement et l’intimidation pour forcer une solution favorable du conflit et éliminer des éléments radicaux. On ne devrait, de façon générale, y voir là qu’une mesure exceptionnelle ou temporaire dont il ne faut pas tenir compte aux fins du calcul du minimum de 85 % (RAE 53(3)) et section 8.11.6 du Guide).

8.11.8 Fermeture pendant la saison morte

On ne parle pas ici de la cessation d’emploi saisonnière d’une seule personne (sections 8.13.0 à 8.13.5 du Guide), mais plutôt de celle de l’ensemble des travailleurs d’une entreprise ou d’un secteur particulier d’activités occasionnée par l’arrêt d’exploitation au cours de la saison morte. On peut penser, par exemple, au transport maritime sur les voies navigables au cours de l’hiver, à l’agriculture ou à certains types de loisirs ou d’activités propres à certaines saisons.

La saison morte est définie comme étant l’époque de l’année où l’activité est réduite dans un secteur de l’économie. On s'attend souvent à ce qu’elle s’étende sur une période relativement longue, une saison sinon plus. Elle survient à nouveau, année après année, à une période relativement fixe ce qui exclut, à toutes fins pratiques, tout ralentissement des activités qui ne serait qu’occasionnel ou de courte durée.

Il faut alors se demander si tous les travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif, avant le début de la saison morte, vont demeurer inadmissibles au bénéfice des prestations pendant toute la saison morte. Cette question est particulièrement importante lorsque la saison morte couvre une période de trois à six mois (selon le type d’entreprise et d’activités).

À une certaine époque, il a été jugé que l’inadmissibilité pouvait être terminée à la date où le prestataire pouvait prouver que, même en l’absence du conflit collectif, il n’aurait pas été en mesure travailler, ce qui est le cas lors d’une fermeture saisonnière. Cette ligne de pensée paraît contraire à la disposition de la Loi qui prévoit que l’inadmissibilité ne peut prendre fin que dans l’une ou l’autre des éventualités prévues (LAE 36(1)a) et b)). Il n’est pas possible d’interpréter l’un ou l’autre de ces deux alinéas comme signifiant que l’inadmissibilité prend fin lorsque le conflit collectif cesse d’être la cause réelle du chômage (CAF A-181-83, CUB 7842).

La décision finale repose sur les raisons de la perte d’emploi du prestataire au moment précis où il est devenu chômeur plutôt que sur les motifs qui surviennent pendant l’arrêt de travail, qu’il s’agisse d’une fermeture saisonnière ou d’une période de congé telle que celle de Noël ou des vacances estivales (CAF A-559-89, CUB 6831). On abordera la question de façon différente si, dans un cas donné, il y a rupture complète et définitive de la relation employeur-employé (section 8.13.0 du Guide), ou lorsque les conditions de non-application énoncées dans la Loi sont remplies.

Le domaine de l’enseignement est un bon exemple. Pour déterminer si des prestations doivent être versées à un enseignant durant la période hors enseignement, il faut examiner si le prestataire bénéficie de la continuité de l’emploi. Dans l’affirmative, la relation employeur-employé n’a pas pris fin, et l’enseignant n’a généralement pas droit aux prestations durant la période hors enseignement. En cas d’arrêt de travail dû à un conflit collectif, l’inadmissibilité appropriée sera également imposée. Si le conflit collectif se poursuit au cours de la période d’enseignement, l’inadmissibilité pourrait demeurer au dossier, car l’enseignant est encore impliqué dans le conflit collectif en raison de son intérêt direct à l’égard de son issue.

Si son contrat a pris fin, prouvant ainsi que la continuité de l’emploi a cessé, l’inadmissibilité ne s’applique pas après la date de fin du contrat, pour autant que le prestataire ne participe pas au conflit collectif, ne le finance pas ou n’ait aucun intérêt direct à son égard (CUB 26330).

Enfin, on peut considérer que l’arrêt de travail a pris fin lorsque le règlement du conflit survient au cours de la saison morte, même si en fait la reprise des activités a lieu plusieurs mois plus tard (RAE 53(1) et section 8.11.5 du Guide). Le minimum de 85 % calculé en fonction d’une situation normale représentant un niveau très réduit, sinon nul, d’employés et d’activités peut facilement être atteint.

[Avril 2019]

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