Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 7
8.7.0 Financement
Une des trois conditions de non-application prévues par les dispositions de la Loi relatives aux conflits collectifs, est le prestataire ne doit pas financer un conflit collectif qui a cours au lieu où il exerce un emploi (LAE 36(4) et section 8.1.4 du Guide). Le fait que d’autres travailleurs du même groupe ou de la même catégorie financent le conflit n’a pas d’incidence sur l’admissibilité du prestataire aux prestations.
8.7.1 Qu'entend-on par « financement d'un conflit »
Historiquement, cette expression désignait le fait général d’apporter un appui financier à l’une des parties en cause, soit les employés, aux fins de les soutenir dans la mise en œuvre et le maintien d’un arrêt de travail découlant d’un conflit collectif et ayant entraîné la perte de leur emploi. Cela faisait de celui qui contribuait sous une forme monétaire quelconque à cet appui financier, volontairement ou pas, directement ou indirectement, une personne qui « finançait un conflit » aux termes des dispositions concernant les conflits collectifs.
Depuis lors, un jugement majoritaire de la Cour suprême a donné lieu a une interprétation plus restrictive du mot « finance ». Cette décision sert mieux l’objet de la Loi dans son ensemble et évite de priver du bénéfice des prestations des victimes innocentes d’un conflit collectif. On a fait valoir qu’il convient d’interpréter la Loi de manière compatible avec les valeurs consacrées dans la Charte canadienne des droits et libertés en ce qui a trait à la liberté d’association (CAF A-021-77, CUB 4454 et décision 19094 de la Cour Suprême, CAF A-175-84, CUB 8764). Le jugement maintenait l’idée que le mot « finance » employé dans les dispositions législatives touchant aux conflits collectifs sous-entendait un lien actif entre le financement et le conflit ainsi qu’une action directe de la part du prestataire dans le but de soutenir financièrement les travailleurs impliqués dans un conflit. De plus, selon la Cour, le mot « finance » exigerait une participation active et une contribution voulue et délibérée du prestataire à cette même cause.
La Cour a trouvé que de tels éléments n’apparaissaient pas lorsque le soutien financier apporté aux employés en conflit provenait d’un fonds constitué et géré par le syndicat international; dans cette situation, le prestataire n’avait d’autre choix que de payer ses cotisations syndicales dont une partie allait à ce fonds et n'avait aucun mot à dire dans la décision du syndicat international de financer le conflit.
La Cour a souligné certains principes importants concernant la relation syndicat-employé qui existe aujourd’hui au Canada. Il a été établi qu’un syndicat n’est ni le mandataire ni l’agent de l’employé; suivant cette interprétation, un prestataire qui paie des cotisations syndicales obligatoires ne saurait de ce fait être considéré comme finançant une grève.
En résumé, le mot « financement » suppose l’existence d’un lien actif, d’une action directe entre la contribution et le conflit collectif et sous-entend une participation libre et volontaire de la part du prestataire pour soutenir financièrement un conflit. Ces deux caractéristiques sont essentielles.
8.7.2 Qui finance un conflit
Lorsque la Cour suprême s’est prononcée en majorité dans le sens déjà évoqué, elle a répondu à l’appel qui lui était adressé et a défini l’approche qui doit être suivie pour toutes les formes de financement qui viennent soutenir des employés mis en cause dans un conflit collectif (décision 19094 de la Cour Suprême, CAF A-175-84, CUB 8764)).
L'identification des personnes qui « financent un conflit » ne peut donc plus reposer sur le seul fait de soutenir financièrement la cause des employés impliqués dans un conflit. Bien que cette contribution soit essentielle, il sera prématuré de conclure que quiconque y souscrit « finance un conflit ».
L’appellation donnée à cet appui financier n’a guère d’importance, que ce soit une indemnité de grève, une paye de piquetage, un salaire de lock-out, une allocation de secours ou un prêt d'argent. Ce qui est primordial toutefois est qu’un tel appui se rende jusqu’aux travailleurs qui sont partie à un conflit.
Il serait difficile de déterminer qui a contribué et de quelle manière sans devoir remonter le cours du financement jusqu’à sa source. Il s’agit donc d’appliquer la définition restreinte et les principes énoncés par la Cour suprême pour déterminer qui « finance un conflit ».
8.7.3 Fonds de grève
Le financement des activités d’un syndicat se fait principalement par le biais de cotisations syndicales prélevées auprès des effectifs composant le ou les unités de négociation qu’il représente. C’est ainsi que peut être constitué un fonds général pouvant servir à diverses fins ou un fonds précis destiné à soutenir financièrement ses membres en cas, par exemple, de conflits collectifs. De tels fonds peuvent être constitués et gérés strictement par la section locale du syndicat ou encore, et c’est ce qui est le plus fréquent, par une centrale syndicale d’envergure provinciale, nationale ou internationale qui représente leurs intérêts communs. Les sections locales du syndicat sont affiliées avec la centrale syndicale et versent un certain pourcentage des cotisations perçues auprès de leurs membres respectifs afin de s’assurer divers services dont la défense professionnelle et une protection relative de leurs revenus en cas de conflits.
La poursuite des objectifs syndicaux ne saurait se faire sans ces rentrées de fonds et sans assurer leur pérennité à travers la sécurité syndicale en exigeant certaines mesures telles qu’entre autres, le paiement obligatoire des cotisations syndicales. Un employé est généralement tenu de payer des cotisations au syndicat accrédité; il peut selon le cas être obligé d’adhérer au syndicat, être libre de ne pas le faire ou, un certain délai peut survenir avant qu’il ne puisse devenir membre.
Cela signifie que le cas précis où les employés sont tenus de verser une cotisation syndicale dans un fonds sur lequel ils n'ont aucun contrôle ou pouvoir de décision est aligné avec la conclusion de la Cour suprême . Il a été décidé qu’une telle situation ne contenait pas les deux éléments essentiels caractérisant celui qui « finance un conflit » (section 8.7.1 du Guide et section 8.7.2 du Guide).
Ce contexte n’est par ailleurs pas exceptionnel puisque la plupart des fonds de grève sont ainsi constitués à même les cotisations syndicales obligatoires. Par conséquent, dans la grande majorité des cas, ces personnes n’auront aucune difficulté à prouver qu’elles ne financent pas le conflit au sens de la clause de non-application.
Cela s’applique sans égard au palier syndical où est constitué et géré le fonds qui ultimement va appuyer des employés en conflit. Ceci est également indépendant du fait que l’employé cotisant soit lui-même membre de l’unité de négociation qui est partie au conflit ou, qu’il soit l’un de ceux à qui les indemnités de grève provenant de ce fonds sont versées.
La situation peut être quelque peu différente de celle étudiée par la Cour, soit parce que l’employé a contribué volontairement à un fonds de grève, soit parce qu’il a eu un droit de décision dans l’utilisation de ce fonds pour appuyer des travailleurs en conflit. Une situation de ce genre serait celle où un employé contribue volontairement, que ce soit par le biais de cotisations régulières ou à l’occasion d’une campagne spéciale de financement, à un fonds constitué et géré à un palier syndical quelconque et ayant pour objectif précis de venir en aide à des travailleurs impliqués dans un conflit.
Une seconde situation de cette nature peut être celle où la décision de fournir un appui financier à ces travailleurs est prise en assemblée générale ou spéciale des membres syndiqués composant l’unité de négociation dont fait partie un employé. La décision de la majorité des membres d’accorder un tel appui va engager autant cet employé, qu’il partage ou pas cette position, et ce même s’il n’a d’autre choix que de cotiser au fonds qui sert à ce financement. On peut dire de façon générale qu’une personne doit accepter tout autant les inconvénients que les avantages qui peuvent découler de son association avec d’autres.
Il y a dans l’une et l’autre situation un lien actif et direct entre la contribution et le conflit, et une participation libre et volontaire de la part de l’employé, soit les deux éléments essentiels qui caractérisent une personne qui « finance un conflit ».
La décision d’appuyer financièrement les travailleurs en conflit à même un fonds constitué de cotisations obligatoires peut avoir été prise unilatéralement par le comité exécutif du syndicat; une telle décision n’engage pas le simple employé. Cela est vrai même si théoriquement il a un droit de regard sur cette décision ou peut présenter une motion de blâme à l’encontre de cette décision. Il ne peut être dit, dans cette décision du comité exécutif, que le simple employé qui s’est vu contraint de contribuer au fonds de financement et qui n’avait pas un droit significatif de décision en faveur ou contre cet appui, « finance un conflit ».
Même si une majorité des membres votent en faveur d’un soutien financier à des travailleurs en conflit, une personne peut se déclarer officiellement en désaccord avec cette position ou faire valoir que n’étant pas syndiquée ou qu’étant en période d’essai, elle n’avait pas le droit démocratique de se prononcer sur la question. De tels arguments pourraient amener à conclure que cette personne « ne finance pas un conflit ».
8.7.4 Autres formes de financement
Les cotisations syndicales versées à un fonds consolidé créé spécialement pour la défense de ses membres constituent certes la principale source de financement permettant le versement d’indemnités de grève. Toutefois, ces fonds sont rarement assez bien garnis pour répondre à tous les besoins, surtout si l’arrêt de travail se prolonge. On peut alors voir certains syndicats avoir recours à d’autres moyens, faire appel à certaines ressources du milieu ou invoquer la solidarité syndicale pour obtenir un soutien financier pour le bénéfice des travailleurs en conflit.
Une autre organisation syndicale ou une section locale composée de gens travaillant sur les mêmes lieux, mais n’étant pas impliquée dans le conflit, peut accorder une aide financière continue ou une somme forfaitaire en guise de solidarité à l’endroit des travailleurs en conflit. Il s’agira alors de voir si les deux caractéristiques jugées essentielles par la Cour suprême sont présentes dans cette situation (décision 19094 de la Cour Suprême, CAF A-175-84, CUB 8764); section 8.7.1 du Guide et section 8.7.2 du Guide). C’est le cas lorsque, suite à la décision majoritaire des membres de la section locale en cause, ce soutien financier est accordé (section 8.7.3 du Guide).
Il se peut qu’une section locale utilise ses propres fonds pour soutenir un conflit, en finançant certaines activités ou opérations au profit des grévistes par exemple, en louant des locaux à leur usage, en faisant imprimer des affiches pour les piqueteurs ou en achetant de la publicité dans les médias. De telles dépenses, qui ne consistent pas un versement de fonds direct aux travailleurs engagés dans le conflit et qui sont habituellement autorisées par le comité exécutif du syndicat, ne doivent pas être considérées comme étant un financement imputable à chacun des membres.
Dans le contexte des services essentiels, des employés obligés de continuer à travailler en dépit du conflit peuvent s’entendre pour verser une certaine fraction de leur salaire comme contribution à la cause défendue par les grévistes. On peut dire, sans aucun doute, que par une telle contribution directe et volontaire, ces employés « financent un conflit ».
Certains membres d’une section locale peuvent aussi « financer un conflit » à titre personnel. Lorsqu’une personne apporte de son plein gré une contribution financière à un groupe qui est partie au conflit, elle « finance un conflit ».
8.7.5 Durée du financement
Les statuts des syndicats prévoient de façon générale une période de carence au début d’un arrêt de travail au cours de laquelle aucune indemnité n’est payable aux grévistes. Ce n’est qu’après cette période et si l’arrêt de travail dure toujours, que des indemnités provenant du fonds de grève peuvent être versées. L’échelle de ces indemnités varie habituellement en fonction de l’état civil de la personne et du degré de participation aux activités de grève et de piquetage.
Le financement va débuter le jour à partir duquel les indemnités de grève deviennent payables et non pas nécessairement le jour où le premier versement est effectué (CUB 52514 et CUB 51828); ce financement se poursuivra ainsi, tant que les travailleurs prenant part au conflit vont continuer à recevoir de l’aide. Toutefois, le fait que des indemnités de grève deviennent payables ne signifie pas nécessairement qu'il y a quelqu'un qui « finance un conflit » (section 8.7.1 du Guide, section 8.7.3 du Guide et section 8.7.4 du Guide).
Dans un cas donné où l’aide financière accordée consistait en prêts effectués par la section locale du syndicat, la période de financement a été déterminée comme étant l’intervalle de temps débutant avec le premier prêt et se terminant avec le dernier prêt.
Lorsque le financement consiste en un versement forfaitaire plutôt que d’indemnités hebdomadaires, on considère qu’il débute le jour où le versement est effectué et qu’il est réputé se poursuivre jusqu’à la fin de l’arrêt de travail.
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