Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 1

8.1.0 Fondement législatif

Les prestations d’assurance-emploi (AE) sont versées à même les fonds publics constitués des cotisations versées par les employeurs et les travailleurs, qui sont les deux parties traditionnellement impliquées dans les conflits collectifs, et dont les intérêts sont manifestement divergents. Les dispositions législatives touchant les conflits collectifs prévoient la neutralité dans l’administration de ces fonds (CAF A-879-82 , CUB 79649; CAF A-521-86, CUB 12543).

Conformément au LAE 36(1), le prestataire qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif à son lieu de travail n’est pas admissible au bénéfice des prestations jusqu’à ce que l’un des évènements suivants survienne :

  1. soit la fin de l’arrêt de travail;
  2. soit le jour où il a commencé à exercer ailleurs d’une façon régulière un emploi assurable.

RAE 52 prévoit que le nombre de jours d’inadmissibilité dans une semaine peut être inférieur à cinq pour un prestataire qui perd ou ne peut reprendre un emploi à temps partiel pour la raison susmentionnée. L’intention de cette disposition est de rendre le prestataire inadmissible que dans la mesure de l’emploi à temps partiel qu’il a perdu ou qu’il ne peut reprendre à cause de l’arrêt de travail.

En outre, l’inadmissibilité peut être suspendue, sous certaines conditions, lorsque le prestataire prouve qu’il a autrement droit à certains genres de prestations (LAE 36(3)).

Les dispositions relatives à l’inadmissibilité ne seront pas applicables si le prestataire prouve qu’il ne participe pas au conflit collectif qui a causé l’arrêt de travail, qu’il ne le finance pas et qu’il n’y est pas directement intéressé (LAE 36(4))

8.1.1 Objet

Le compte d’assurance-emploi, qui sert à verser les prestations, est constitué des sommes prélevées à titre de cotisations sur le revenu des salariés (LAE 67) et des cotisations payées par les employeurs (LAE 68). Généralement, les intérêts de ces deux groupes de cotisants divergent lors d’un conflit de travail. Pour éviter que la Loi influe de quelque façon que ce soit sur les relations de travail, le Parlement a édicté des règles strictes qui interdisent que les fonds de l’AE soient utilisés à l’appui de l’une ou l’autre des parties dans un conflit de travail (CAF A-521-86, CUB 12543; et CAF A-226-88, CUB 14715).

Il n’a d’ailleurs jamais été prévu que le régime de l’assurance-emploi assure la perte d’emploi de travailleurs participant à de tels conflits, peu importe quelle partie a raison ou tort (CUB 76451). Il ne s’agit nullement là d’une question d'équité; la détermination de l’admissibilité en de telles circonstances ne repose pas sur le principe de la faute ou du bien-fondé. La Commission doit faire preuve en ce sens d’une impartialité de tous les instants à chacune des étapes du processus décisionnel et éviter de porter tout jugement sur le conflit ou de s’y ingérer.

Même si le refus des prestations aux prestataires peut sembler aider un employeur à mettre fin à un conflit à son avantage, cette approche ne contrevient pas à la volonté de neutralité exprimée par le Parlement (CAF A-521-86, CUB 12543; CAF A-1036-92, CUB 21237); CAF A-226-88, CUB 14715).

Il faut plutôt voir le fait que verser des prestations à des employés en grève, causerait un déséquilibre dans un contexte de négociations qui sont rendues dans une impasse (CUB 21842; CUB 16202).

8.1.2 Champ d'application

Les dispositions de la Loi relatives aux conflits collectifs ne sont pas discriminatoires et n’enfreignent aucunement les principes énoncés dans la Loi canadienne des droits de la personne (CAF A-226-88, CUB 14715). Elles s’appliquent avec le même effet à tous les prestataires sans exception, incluant ceux qui exercent un emploi dans le cadre d’un projet de création d’emplois (LAE 25) ou en vertu d’un accord de travail partagé (LAE 24). Toutefois, des règles particulières s’appliquent pour tenir compte du caractère particulier de l’industrie de la pêche (chapitre 15 du Guide). En matière d’admissibilité, ces dispositions ne l’emportent pas sur celles d’autres articles de la Loi (LAE 36). Toutes les dispositions relatives à l’admissibilité aux prestations (LAE 6(1)) coexistent, de sorte qu’une personne qui répond aux exigences d’un article précis de la Loi, pourrait ne pas recevoir de prestations si elle ne satisfait pas aux exigences d’un autre article pendant cette même période.

Une personne qui est déclarée inadmissible en vertu des dispositions concernant les conflits collectifs pourrait néanmoins avoir droit à des prestations spéciales ou à des prestations versées pendant qu’elle suit un cours de formation ou participe à une activité d’emploi autorisé par une autorité désignée. Cependant, les conditions qui permettent de suspendre l'inadmissibilité doivent être rencontrées (LAE 36(3)). Les prestations spéciales comprennent les prestations de maternité, de parentales, de maladie, de compassion et les prestations pour proches aidants.

La protection qu’offre la Loi concernant le droit d’association syndicale ne s’applique pas lorsque la perte d’emploi est occasionnée par un arrêt de travail dû à un conflit collectif (LAE 35). Les dispositions sur les conflits collectifs n’ont aucune incidence sur le droit des employés de faire la grève. De plus, le fait que l’inadmissibilité se prolonge au-delà du règlement du conflit ne va pas à l’encontre de la liberté d’association telle qu’édictée par la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) (CAF A-226-88, CUB 14715; décision 1909488 de la Cour suprême, CUB 8764). Le droit d’un syndicat de recourir à la grève n’est pas protégé par la liberté d’association de ses membres, et les conséquences de l’exercice de ce droit ne constituent pas une atteinte à cette liberté. Il en va de même pour les conséquences lorsqu’un employeur exerce le droit légitime de recourir au lock-out.

La règle décrite dans les dispositions touchant les conflits collectifs n’est pas fondamentalement injuste ou déraisonnable et ne contrevient aucunement à la Charte. En outre, selon l’esprit de la Loi, un prestataire a le droit d’interjeter appel devant le Tribunal de la sécurité sociale s’il estime que la décision prise à l’égard de sa demande contrevient à la Loi.

8.1.3 Conditions préalables

Les dispositions de la Loi touchant les conflits collectifs visent expressément le prestataire (LAE 36) :

  1. qui a perdu un emploi ou qui ne peut reprendre un emploi
  2. en raison d’un arrêt de travail
  3. dû à un conflit collectif
  4. à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où il exerçait un emploi.

Ces quatre éléments constituent une condition préalable à l'application des dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi. Le premier élément d'importance est l’existence d’un conflit collectif (LAE 2(1)), qui doit se situer au lieu où le prestataire exerce son emploi (LAE 36(5)). Il faut qu’il existe une relation de cause à effet entre le fait de perdre un emploi ou de ne pas pouvoir reprendre un emploi, l’arrêt de travail et le conflit collectif. Il est donc primordial que le prestataire ait perdu un emploi ou ne puisse reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail causé par le conflit.

En l’absence de l’un de ces quatre éléments, les dispositions concernant les conflits collectifs ne s’appliquent pas. Dans de tels cas, les conditions de non-application n’entrent pas en ligne de compte (LAE 36(4); et section 8.1.4 du Guide).

8.1.4 Conditions de non-application

Même si, dans une situation donnée, les quatre éléments associés à l’inadmissibilité se trouvent réunis, le prestataire peut tout de même éviter une inadmissibilité sous ces dispositions, s’il prouve qu’il :

  1. ne participe pas au conflit collectif,
  2. ne le finance pas et
  3. n’y est pas directement intéressé (LAE 36(4); CUB 77462).

Ces conditions doivent être remplies pendant toute la durée de l’arrêt de travail. Si l’une ou l’autre n’est pas remplie à n’importe quel moment durant l’arrêt de travail, le prestataire peut être déclaré inadmissible en vertu des dispositions relatives aux conflits de travail.

8.1.5 Début de la période d'inadmissibilité

Dépendamment de la situation particulière du prestataire, la période d’inadmissibilité aux prestations débute à la date la plus tardive des dates ci-après. Cette interprétation repose sur l’article 36 de la Loi dans son ensemble, dont les éléments et les termes précis sont expliqués par la suite :

  1. le jour où le prestataire a perdu un emploi ou ne peut reprendre un emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif;
  2. dans le cas où le prestataire a présenté une demande à la suite du conflit collectif, le dimanche à partir duquel la demande de prestations a pris effet (LAE 10);
  3. dans des cas exceptionnels, le premier jour à compter duquel le prestataire ne remplit plus l’une des conditions de non-application (section 8.6.9 du Guide; section 8.7.5 du Guide; et section 8.8.11 du Guide).

8.1.6 Inadmissibilité quelques jours par semaine

Une fois que la période d’inadmissibilité est établie, elle se poursuit pendant chaque jour ouvrable d’une semaine de chômage jusqu’à ce que les conditions permettant de la suspendre soient remplies (LAE 36(3); section 8.1.7 du Guide; sections 8.10.0 à 8.10.4 du Guide) ou qu’une des deux éventualités prévues dans la Loi pour y mettre fin survienne (LAE 36(1); section 8.1.8 du Guide).

Le nombre de jours d’inadmissibilité par semaine peut toutefois être inférieur à cinq dans le cas d’un prestataire qui a perdu un emploi à temps partiel ou qui ne peut reprendre cet emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif (LAE 36(2); RAE 52). Nous aborderons ce genre de cas dans d’autres sections (sections 8.9.0 à 8.9.4 du Guide).

8.1.7 Suspension de la période d'inadmissibilité

Une inadmissibilité qui se poursuit pendant un ou plusieurs jours par semaine réduit d’autant les prestations payables au prestataire pour une semaine de chômage.

Le fait de remplir les exigences pour qu’une inadmissibilité prenne fin n’est pas la seule condition permettant à un prestataire de redevenir admissible à une semaine entière de prestations. L’inadmissibilité peut être suspendue en cas de congé de maternité, de soins à donner à un enfant nouveau-né ou placé en vue de son adoption, de maladie, de blessure ou de mise en quarantaine, ou pour prodiguer des soins ou du soutien à un membre de la famille gravement malade ou blessé, ou lorsque le prestataire suit un cours de formation dirigé par une autorité désignée par la Commission (LAE 36(3)).

Ces questions seront traitées à fond dans d’autres sections (sections 8.10.0 à 8.10.4 du Guide).

8.1.8 Fin de la période d'inadmissibilité

Une inadmissibilité ne peut être terminée que lorsque l’arrêt de travail dû au conflit collectif a pris fin ou lorsqu’un prestataire commence à exercer un autre emploi assurable de façon régulière (LAE 36(1); section 8.11.0 du Guide; section 8.12.0 du Guide).

L’inadmissibilité sera supprimée lorsque le prestataire réussit à faire la preuve qu’il remplit l’une de ces conditions de non-application (CAF A-942-85, CUB 11403); sections 8.13.0 à 8.13.5 du Guide; section 8.6.9 du Guide; section 8.7.5 du Guide; section 8.8.11 du Guide; CUB 77469).

D’autres facteurs peuvent également mettre un terme à la période d’inadmissibilité (sections 8.12.0 à 8.12.2 du Guide).

8.1.9 Preuve

La principale préoccupation de la Commission est d’assurer la saine gestion du programme d’assurance-emploi et de rendre une décision sur l’admissibilité du prestataire aux prestations. Pour ce faire, la Commission doit demeurer neutre et objective envers ceux qui paient des cotisations.

C’est à la Commission qu’incombe le fardeau de la preuve en ce qui a trait à la présence des quatre éléments énoncés dans les dispositions touchant les conflits collectifs, à savoir qu’il y a eu perte d’emploi en raison d’un arrêt de travail dû à un conflit collectif au lieu de travail du prestataire (LAE 36(1), CUB 39840).

Une fois cela établi, le fardeau de la preuve passe au prestataire. En général, c’est au prestataire qu’il revient de faire la preuve de son admissibilité aux prestations, y compris dans le contexte de conflits collectifs. C’est à lui qu’il appartient de démontrer que les dispositions législatives touchant les conflits collectifs ne devraient pas s’appliquer à sa situation. Ceci comprend la preuve de l’admissibilité initiale aux prestations pendant un arrêt de travail, ainsi que la satisfaction des conditions spécifiques permettant que l’inadmissibilité soit suspendue (LAE 36(3 et 4)).

Dans ce contexte, la Commission a la responsabilité de recueillir tous les renseignements pertinents en la matière, que ceux-ci soient à l’avantage ou à l’encontre de l’une ou l’autre des parties en cause. Ce sont les faits véritables qui doivent être examinés, et non l'interprétation qu'enfont les parties intéressées.

La Commission doit ensuite apprécier la preuve pour décider de l’admissibilité du prestataire aux prestations. À cet égard, elle doit vérifier non seulement la présence des quatre éléments entraînant l’inadmissibilité aux prestations, mais également les conditions de non-application de ces dispositions. La même règle s’applique lorsqu’on envisage la suspension ou la fin de l’inadmissibilité.

8.1.10 Articles de journaux et communiqués de presse

Les articles de journaux ne sont, à proprement parler, qu’une simple forme manuscrite de ouï-dire. L’information ainsi publiée peut en principe être prise en considération mais, comme dans le cas de tout autre mode de communication d’information, il faut en évaluer la crédibilité au moment de la prise de décision (CAF A-1873-83, CUB 8750).

Cette évaluation est particulièrement importante dans le cas de conflits collectifs ; de par leur nature même, de tels différends impliquent des revendications contradictoires de la part des parties en cause. En ce qui a trait aux articles de journaux, il faut garder à l’esprit que les journalistes ont accès à des renseignements qui parviennent des deux parties au conflit; on ne devrait accorder de l’importance aux sources médiatiques que si l’on est en mesure d’en vérifier le bien-fondé et la véracité auprès des deux parties en cause, l’employeur et le syndicat.

Les articles de journaux et les communiqués de presse doivent être considérés comme étant des indices précieux de la nature d’un conflit parce qu’ils portent sur des particularités telles que la position des parties impliquées, les événements sensationnels de violence, la fin de l’arrêt de travail, etc.

Une fois que ces indices sont disponibles, la prochaine étape, en gardant en tête le principe fondamental de justice naturelle, est de donner l’occasion à chacune des parties en cause d’apporter des précisions et des commentaires sur la situation.

Il ne faut pas perdre de vue qu’il appartient au prestataire de prouver son admissibilité aux prestations. Par exemple, en ce qui concerne les conditions de non-application, le prestataire ou son représentant est tenu de réfuter tout fait défavorable signalé dans un reportage ou un communiqué (CAF A-468-00, CUB 37455C).

[Avril 2019]

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