Guide de la détermination de l'admissibilité Chapitre 8 - Section 3

8.3.0 Lieu de travail

S’il est une notion dont la compréhension et les principes d’application sont demeurés sensiblement les mêmes depuis des années et un domaine où l’on peut dire que la jurisprudence récente les a appuyés, c’est bien celle du lieu de travail que la Loi situe expressément à l’usine, à l’atelier ou en tout autre local où le prestataire exerçait un emploi.

La notion de lieu de travail a une connotation nettement restrictive dans le cadre des conflits collectifs. Elle renvoie à une limite géographique bien précise à l’intérieur de laquelle doivent être réunies toutes les caractéristiques nécessaires à l’application des dispositions de la Loi visant les conflits collectifs.

Cette restriction est plus marquée lorsqu’il existe des branches d’activité distinctes à l’intérieur d’un même établissement; on dira de chacune d’elles qu’elle constitue un lieu de travail distinct (LAE 36(5)).

La reconnaissance du caractère propre d’un lieu de travail peut certes prêter à litige; il est en conséquence essentiel de distinguer les cas suivants :

  1. emplacement géographique distinct;
  2. activités ou services au même emplacement;
  3. industrie de la construction;
  4. exploitation forestière;
  5. véhicules commerciaux;
  6. entreprises d’envergure nationale;
  7. marine marchande.

8.3.1 Emplacement géographique distinct

Puisqu’il n’y a pas de définition claire des mots « usine » « atelier » et « local » dans les dispositions touchant les conflits collectifs, ces derniers doivent être interprétés dans leur sens ordinaire en tenant compte de la situation géographique de chaque lieu de travail. Ils désignent habituellement un emplacement géographique bien précis (CUB 20493).

En conséquence, la contiguïté ou l’éloignement relatif des lieux physiques où sont assurés les services ou les activités est un facteur important. Deux usines situées à des endroits différents constituent à n’en pas douter deux lieux de travail distincts et ce, même si ces établissements relèvent de la même direction ou qu’ils sont situés dans la même ville. Il en va de même d’un siège social situé à quelques kilomètres de l’usine; chacun de ces emplacements représente un lieu de travail distinct.

8.3.2 Activités ou services au même emplacement

Le mot « local » utilisé dans la Loi ne désigne pas nécessairement une construction délimitée par quatre murs (CUB 20493). Il peut comprendre un bâtiment et des dépendances ou un ensemble de bâtiments situés sur une même propriété.

Une étude minutieuse de la situation s'impose pour déterminer s’il s’agit d’un même local (LAE 36(1)) ou si l’on a plutôt affaire à des entreprises distinctes qui doivent être considérées comme formant chacune un lieu de travail distinct. La même question se pose s’il semble exister des services différents à l’intérieur d’un même local; il importe alors de se demander si chaque service constitue un établissement séparé et distinct (LAE 36(5)).

Les éléments suivants doivent être pris en considération:

  1. la nature des activités dans les établissements ou les services;
  2. le genre de travail effectué dans chaque établissement ou service;
  3. la nature des produits finis ou des services fournis;
  4. le degré d’intégration et d’interdépendance des tâches;
  5. le degré d’interdépendance de la gestion;
  6. la proximité géographique des lieux de travail.

Il ne suffit pas que différents types d’activités soient effectuées comme par exemple le travail des employés de bureau comparativement à celui des employés d’usine. Il en va de même du travail de bureau, des services d’entretien, d’expédition, de livraison et d’achat, activités qui ne constituent généralement que des divisions d’une même entreprise.

En fait, l’exercice est de déterminer si les différentes branches d’activité constituent une ou plusieurs entreprises distinctes. Lorsqu’une entreprise offre deux genres de services qui constituent des entreprises distinctes, par exemple l’exploitation de machines distributrices et l’administration d’une cafétéria, il est jugé que chaque groupe de travailleurs a son propre lieu de travail, même lorsque les services offerts par chaque division le sont dans la même usine.

Lorsque plusieurs bâtiments partagent un espace commun, ils sont généralement considérés comme étant un seul lieu de travail. Ces constructions ne sont à toutes fins pratiques que des divisions d’une même entreprise, à condition cependant que les diverses branches d’activité en cause constituent les éléments d’une seule et même entreprise.

Des services qui, normalement, ne se rattachent pas à une même entreprise peuvent être considérés comme des entreprises séparées et distinctes. Il y a donc lieu de déterminer si ces services constituent une seule et même entreprise ou s’ils doivent être vus comme des entreprises distinctes.

Il existe de nombreux exemples de cas où divers services partageant un espace géographique commun ont été considérés comme autant d’entreprises distinctes. Quelques exemples sont : une centrale électrique qui a été jugée nécessaire à l’exploitation d’une scierie, une pâtisserie connexe à une boulangerie, une scierie attenante à une fabrique de contre-plaqué ou à une cartonnerie, une raffinerie et sa division des ventes. Par contre, une usine de métallurgie et ses filiales, l’une dans le domaine ferroviaire et l’autre dans la construction, peuvent être jugées comme formant une seule grande entreprise, même si chacune d’elles peut constituer une personne morale distincte.

Lorsque plusieurs services, considérés comme des entreprises distinctes, tels qu’une scierie, un garage, un port, un chantier d’abattage et une cartonnerie, sont tous gérés par le bureau situé à la cartonnerie même, les employés de bureau et de la cartonnerie sont réputés travailler au même lieu de travail. Une exception peut être faite pour les employés de bureau dont les fonctions se rattachent exclusivement à l’exploitation forestière.

Dans un autre contexte, un hangar situé dans le même immeuble que l’administration centrale, mais se rattachant à l’exploitation d’une usine distante de quelques kilomètres, était considéré comme un lieu de travail distinct. Ainsi, le conflit dans lequel les employés de l’usine et du hangar s’étaient engagés était inexistant à l’administration centrale.

En certaines occasions, il n’est pas possible de conclure que l’exécution de projets saisonniers de réparation constitue une activité distincte des opérations usuelles de l’usine, alors qu’en d’autres occasions, on peut dire que les travailleurs employés par des entrepreneurs de l’extérieur, soit pour l’installation de machines, soit pour des travaux de construction, travaillent en des lieux distincts de ceux des employés de l’usine.

8.3.3 Industrie de la construction

Cette grande industrie emploie des milliers de travailleurs groupés en plusieurs dizaines de corps de métiers à la grandeur du pays. Les conditions de travail sont régies, selon le cas, par une convention collective propre à chaque groupe ou par la législation applicable aux travailleurs d’une province donnée.

Il n’est donc pas surprenant que des conflits d’envergure aient interrompu les activités de ce secteur névralgique de l’économie et de ceux qui y sont directement reliés. Aux fins de l’application des dispositions de la Loi visant les conflits collectifs, il ne suffit pas de déterminer qu’un conflit collectif existe à la grandeur d’une province entre les employeurs et les salariés de la construction. Il faut aussi vérifier si le conflit collectif a bel et bien cours sur le chantier où le prestataire exerce son emploi, ce qui nécessite la réalisation d’autant d’enquêtes qu’il y a de chantiers de construction.

On désigne généralement un chantier de construction comme étant l’ensemble des travaux de construction exécutés en un lieu géographique donné. Chaque chantier de construction constitue un lieu de travail distinct sur lequel divers entrepreneurs ou sous-traitants interviennent aux différentes étapes de la construction. Par conséquent, même lorsqu’un entrepreneur particulier ne vit aucune situation de conflit de travail avec ses salariés, il peut quand même y avoir un conflit collectif à leur lieu de travail.

Même lorsqu’un conflit est généralisé à l’ensemble de l’industrie, les divers chantiers de construction ne peuvent pas être traités comme s’il s’agissait d’un seul lieu de travail. Il y a de fait autant de lieux de travail qu’il y a de chantiers de construction. Ce sont les événements qui se sont produits sur l’ensemble du chantier qui doivent être considérés pour établir l’existence d’un conflit collectif et non la situation particulière chez un employeur. Le lieu de travail de chaque travailleur de la construction est le chantier où s’exécutent les travaux, chantier qu’il est nécessaire de bien identifier et de délimiter.

Si les travaux de construction sont exécutés sur un chantier où sont situées d’autres entreprises évoluant dans un domaine différent, il faut considérer que ces entreprises forment des lieux distincts de travail. Un exemple serait lorsque des travaux de construction sont effectués à une usine, à moins qu’ils ne le soient par une division d’une seule grande entreprise. Tout conflit collectif qui pourrait se produire à l’une de ces entreprises ou sur le chantier de construction se limiterait alors au lieu spécifique où il est survenu, à moins que les événements démontrent qu’il s’est propagé ailleurs parce que d’autres employés et employeurs, travaillant dans cette même enceinte, sont activement impliqués dans le conflit.

Le lieu de travail du prestataire ne peut pas être reconnu comme étant le bureau d’affaires de l’employeur, à partir duquel l’entreprise est gérée, seulement parce qu’il était employé au chantier de construction même.

On ne peut considérer qu’un salarié de la construction, mis à pied à la fin des travaux exécutés sur un chantier en particulier, a perdu son emploi à cause d’un arrêt de travail lié à un conflit collectif s’il n’est pas en mesure d’obtenir du travail sur un autre chantier à cause de l’existence d’un tel arrêt de travail. En fait, cet événement ne s’est pas produit sur le chantier où il y a effectivement travaillé au moment où il a travaillé. Sa perte d’emploi est plutôt attribuable à un manque de travail.

8.3.4 Exploitation forestière

Ce type d’exploitation se caractérise par la dispersion de ses activités sur un vaste territoire qui loge plusieurs divisions, telles que l’abattage, le flottage, la scierie et le camionnage. Les divisions de l’abattage, de l’estacade et de la scierie constituent des lieux de travail distincts. Le camionnage fait habituellement partie intégrante de la division de l’abattage. Chacun des camps ou chantiers de coupe intégrés au sein de cette dernière division peut être considéré comme un lieu de travail distinct, à la condition que tous soient raisonnablement éloignés les uns des autres et exploités de façon indépendante.

Dans le cas d’un employé affecté au déchargement des billots, son lieu de travail était la division de l’abattage à laquelle se rattachait cette activité et non la scierie située à proximité. De même, des employés de bureau dont les fonctions étaient exclusivement liées aux opérations de la coupe forestière et des collègues, dont les tâches étaient orientées vers d’autres divisions, ont été considérés comme travaillant dans des lieux distincts.

Il a été dit, à une autre occasion, que le conflit collectif qui avait provoqué l’arrêt de travail du prestataire avait bien eu lieu à l’endroit où celui-ci travaillait; comme le conflit était devenu un problème se rapportant aux conditions de travail du prestataire, la seule conclusion possible était, que le conflit existait là où il exerçait son emploi (CAF A-1198-82, CUB 16592).

L’argument selon lequel le bureau d’affaires de son employeur constituait le lieu de travail d’un camionneur, plutôt que l’endroit où étaient déchargés, sur une base régulière, les billots qu’il transportait et où sévissait un conflit de travail, n’a pas été accepté. De fait, bien que le prestataire n’ait pas été au service de l’employeur impliqué dans le conflit, il exécutait à tout le moins une partie de son travail à l’endroit qui était touché par le conflit.

8.3.5 Véhicules commerciaux

Plusieurs professions ou métiers nécessitent pour leur exercice, l’utilisation fréquente de véhicules commerciaux; il en est ainsi par exemple d’un représentant de commerce, d’un chauffeur de taxi ou d’autobus, d’un livreur, d’un camionneur ou des travailleurs qui les aident. Bien que de telles personnes passent la majeure partie de leur temps au volant d’un véhicule, on désigne généralement leur lieu de travail comme étant l’endroit où elles se présentent pour recevoir des directives et leurs marchandises et non pas le véhicule. Il s’ensuit qu’un conflit collectif se déroulant à l’un des points de leur itinéraire n’en est pas un à leur lieu de travail, alors qu’un tel conflit existant à leur port d’attache a bien cours à leur lieu de travail.

8.3.6 Entreprises d'envergure nationale

Plusieurs sociétés possèdent un réseau de places d’affaires et de succursales réparties dans le Canada tout entier ou, à tout le moins, dans une partie importante du pays. Cela est particulièrement vrai dans le cas des entreprises dont les activités relèvent des autorités fédérales, telles que les chemins de fer, le transport routier, le transport aérien, la radiodiffusion et la télédiffusion, les banques ou les postes. Les sociétés commerciales telles que les grands magasins et les compagnies d’assurance suivent aussi ce modèle.

Il est d’usage dans ce type d’entreprises que les négociations concernant le renouvellement d’une convention collective se déroulent à une table nationale, et que le conflit pouvant survenir suite à l’achoppement des négociations ait une dimension proportionnelle à la taille de l’entreprise.

Même si le conflit se propage à l’ensemble des activités d’une même société, cela ne signifie pas que tous les lieux de travail sont impliqués. Chacun des bureaux, places d’affaires, centres d’activités, succursales constitue un lieu de travail distinct qui doit faire l’objet d’une étude particulière (LAE 36).

8.3.7 Marine marchande

La marine marchande englobe l’ensemble des activités liées aux navires commerciaux et de pêche (chapitre 15 du Guide). Les conflits collectifs qui perturbent les activités de ce secteur de l’économie mettent généralement en présence une association d’armateurs et un syndicat de travailleurs des voies navigables telles que celles du Saint-Laurent, des Grands Lacs ou des côtes du Pacifique et de l’Atlantique.

Il ne faut pas envisager la situation comme s’il n’y avait qu’un seul lieu de travail. Même lorsque plusieurs navires appartiennent au même armateur, chacun doit être considéré comme un lieu de travail distinct. Il est donc important d’établir quelles conséquences le conflit collectif, s’appliquant à l’ensemble de l’industrie, a sur le navire même où le prestataire exerçait ses fonctions et de déterminer s’il est possible de conclure à l’existence d’un conflit à bord de ce navire. De même, les personnes qui travaillent à terre ont leur propre lieu de travail.

[Avril 2019]

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