Examen de la communication du public CAN 2016-1

De : Emploi et Développement social Canada

Rapport publié conformément à l’accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie

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Examen de la communication du public CAN 2016-1
Rapport publié conformément à l’accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie
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Résumé

Contexte

Le présent rapport donne suite à la communication du public CAN 2016-1 (Colombie) présentée au Bureau administratif national (BAN) du Canada par le Congrès du travail du Canada et cinq organisations syndicales colombiennes en vertu de l’article 10 et de l’annexe 2 de l’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie (ACTCCO). Le BAN du Canada a accepté la communication du public CAN 2016-1 aux fins d’examen le 15 juillet 2016 après avoir déterminé qu’elle respectait toutes les exigences établies dans les Lignes directrices concernant les communications du public du Canada. Conformément aux lignes directrices, le BAN du Canada a réalisé un examen et rédigé le présent rapport public dans un délai de 180 jours suivant l’acceptation de la communication du public.

Dans la communication du public, on allègue que le gouvernement de la Colombie ne s’est pas conformé à ses obligations en vertu de l’ACTCCO en ne fournissant pas de protection adéquate en ce qui a trait aux principes et aux droits dans le domaine du travail reconnus à l’échelle internationale. Plus particulièrement, dans la communication du public, on relève des manquements en ce qui a trait à : a) la liberté d’association et le droit de négociation collective, y compris la protection du droit d’organisation et du droit de grève; b) l’application du droit du travail; c) la dérogation au droit du travail afin de favoriser le commerce et les investissements étrangers; d) l’accès en temps opportun à la justice en matière de travail.

À l’appui de ces allégations, la communication du public comprend de l’information sur deux cas : 1) Pacific Rubiales, une entreprise du secteur extractif, dont les événements signalés ont eu lieu au cours de la période de 2011 à 2013 aux champs pétrolifères Campo Rubiales et concernaient le syndicat Unión Sindical Obrera (USO); 2) Ingenio La Cabaña, une entreprise de production et de transformation du sucre, dont les événements signalés ont eu lieu au cours de la période de 2012 à 2015 à la plantation de canne à sucre et raffinerie de sucre La Cabaña et concernaient le syndicat Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria Agropecuaria (SINTRAINAGRO). Dans ces deux cas, les auteurs de la plainte allèguent que le mauvais usage de la sous-traitance, les pratiques antisyndicales systématiques et le climat de violence qui règne toujours dans le pays ont eu une incidence néfaste sur les droits des travailleurs en général, et plus particulièrement sur l’exercice de leurs droits à la liberté d’association et à la négociation collective. Les problèmes sont attribuables à la protection juridique inadéquate en ce qui touche ces droits fondamentaux et à l’incapacité d’appliquer efficacement le droit du travail en vigueur.

Au cours du processus d’examen, les représentants du BAN du Canada se sont rendus en Colombie à deux reprises pour évaluer la mesure dans laquelle les allégations soulevées par les auteurs font état du non-respect des obligations prévues par l’ACTCCO. Le processus d’examen comprenait la collecte de renseignements auprès d’un grand nombre de sources diverses, notamment au moyen de consultations auprès du BAN de la Colombie. En réponse aux allégations, le BAN de la Colombie a présenté au BAN du Canada, le 1er novembre 2016, un rapport exhaustif qui renfermait des explications au sujet du cadre du droit du travail de la Colombie et faisait part des mesures prises par les autorités compétentes dans le domaine du travail dans les deux cas allégués. Dans le cadre de son processus d’examen, le Canada a également consulté les auteurs de la communication du public, les représentants de Pacific Rubiales et d’Ingenio La Cabaña, les syndicats en place au sein de ces deux entreprises, les représentants des principaux syndicats et du secteur des affaires du pays, les représentants du ministère du Travail, de même que d’autres représentants gouvernementaux et de la société civile.

Constats et analyse

Les deux cas examinés reflètent des réalités distinctes et sont survenus dans des secteurs économiques différents. Toutefois, ils font tous deux ressortir certaines difficultés communes dans le domaine des relations de travail.

Le cadre juridique de la Colombie confère aux travailleurs et aux employeurs le droit à la liberté d’association et le droit à la négociation collective. Le cadre juridique autorise l’enregistrement et la constitution d’un syndicat dans un milieu de travail donné, de même que l’existence de multiples syndicats au sein d’un même milieu de travail, et permet aux travailleurs de devenir membres d’un ou de plusieurs syndicats actifs au sein de leur milieu de travail. En règle générale, les syndicats jouissent d’autonomie et des avantages de la négociation collective. Néanmoins, les éléments de preuve recueillis tout au long du processus d’examen révèlent l’existence de difficultés notables.

Sous-traitance

Ni Pacific Rubiales ni Ingenio La Cabaña ne semblaient s’opposer à la présence de syndicats au sein de leurs entreprises. En fait, trois syndicats mènent leurs activités en toute liberté au sein de l’entreprise La Cabaña; de même, le syndicat Unión de Trabajadores de la Industria Energética Nacional (UTEN) a signé une entente avec Pacific Rubiales. Les auteurs allèguent que les travailleurs affiliés aux syndicats USO et SINTRAINAGRO (Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria Agropecuaria) respectent le seuil établi par la loi, c’est-à-dire 25 travailleurs ou plus, pour former un syndicat dans les deux entreprises et, par extension, entamer des négociations avec ces entreprises. Cependant, ces travailleurs ont été embauchés par des sous-traitants. Ils n’étaient pas directement employés par Pacific Rubiales ou Ingenio La Cabaña. Dans ce contexte, l’employeur pouvait légalement rejeter la demande des syndicats USO et SINTRAINAGRO visant à engager des négociations collectives avec des travailleurs qui n’étaient pas, du moins du point de vue contractuel, leurs employés.

Il s’agit là de l’une des principales préoccupations liées à la reconnaissance des syndicats par le « véritable » employeur, plus particulièrement dans des contextes où des travailleurs sont embauchés par un tiers pour l’exécution de travaux ou la prestation de services. Dans les deux cas, le mauvais usage de la sous-traitance peut avoir créé des situations où il était difficile pour les travailleurs d’exercer efficacement leurs droits à la liberté d’association et à la négociation collective en raison de la nature ambiguë des relations de travail. Bien que les travailleurs dans les deux cas aient été embauchés dans le cadre d’ententes avec des tiers, la direction, la surveillance et le contrôle des activités de travail relevaient toujours de Pacific Rubiales et d’Ingenio La Cabaña. La relation entre les entreprises et les sous-traitants n’était donc pas libre de tout lien de dépendance. Le contrôle effectif des activités de travail des travailleurs sous-traités indique que Pacific Rubiales et Ingenio La Cabaña avaient l’intention de dissimuler leurs relations de travail de fait avec les travailleurs et d’éviter ainsi leurs responsabilités prévues par la loi.

La sous-traitance d’une partie du processus de production est une pratique courante et peut se produire pour des motifs économiques légitimes. Cependant, lorsque la sous-traitance devient un mécanisme pour éviter les obligations relatives au droit du travail, il s’agit là d’une situation problématique. L’ingérence importante des principaux employeurs dans les activités liées à la gestion du travail de leurs sous-traitants semble fortement indiquer que les relations de sous-traitance étaient effectivement utilisées à cette fin.

Dans le cas concernant Ingenio La Cabaña, par exemple, les auteurs ont indiqué que le recours à une Sociedad por Acciones Simplificada (société par actions simplifiée, SAS) comme sous-traitant a permis à l’entreprise d’embaucher des travailleurs en sous-traitance pour l’exécution de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes en vertu de contrats à court terme en violation de la loi colombienne. Selon le syndicat SINTRAINAGRO, le sous-traitant SAS de La Cabaña a été créé en premier lieu en tant que coopérative de travail associée; toutefois, afin de se conformer aux modifications législatives qui interdisaient l’utilisation de coopératives pour la sous-traitance de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes, la coopérative s’est transformée en SAS en vue de continuer à fournir ses services et de réaliser des travaux pour La Cabaña. De façon générale, si aucune relation de travail n’est reconnue entre l’employeur et ses travailleurs, il est presque impossible pour les syndicats de négocier efficacement les conditions de travail.

La situation a été aggravée par le fait que dans les deux cas, les travailleurs étaient « employés » par les sous-traitants en vertu de contrats temporaires et qu’ils étaient donc encore moins disposés à exercer leurs droits associatifs, étant donné la nature précaire de leur emploi. Ils craignaient d’être visés par des représailles s’ils participaient à activités syndicales ou devenaient membres d’un syndicat ne bénéficiant pas de l’appui des entreprises. Les travailleurs affiliés au syndicat USO craignaient d’être mis sur une liste noire, étaient inquiets à la perspective de perdre leur emploi en raison de la possibilité imminente que leur contrat ne soit pas renouvelé et avaient le sentiment que l’on exerçait des pressions excessives sur eux pour qu’ils deviennent membres du syndicat UTEN, le syndicat qui avait conclu une convention collective avec Pacific Rubiales, plutôt que du syndicat USO. Les travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO ont exprimé qu’ils ont été intimidés, menacés et harcelés par l’entreprise et les sous-traitants, faisant ainsi obstacle à leurs tentatives d’exercer leurs droits. Le mauvais usage d’entrepreneurs tiers a donné lieu à un climat dans lequel les travailleurs sous-traités sont réticents à se syndiquer, car ils ne bénéficient pas de protections juridiques contre le congédiement injuste ou les pratiques discriminatoires de leur employeur de fait.

Au cours des dernières années, le gouvernement colombien a émis des règlements visant à régler la question du mauvais usage de la sous-traitance. Ces règlements définissent ce que sont des « fonctions opérationnelles essentielles et permanentes » et interdissent toute forme de sous-traitance de telles fonctions. Toutefois, l’absence de critères réglementaires visant à faciliter la détermination de ce qui constitue toute « autre forme de sous-traitance » a donné lieu à l’utilisation accrue de contrats de droit civil (p. ex. SAS, coopératives de travail associées, contrats syndicaux) pour donner en sous-traitance des fonctions opérationnelles essentielles et permanentes. Dans ce contexte, le décret 583 a été adopté en 2016 en vue de mettre fin au mauvais usage de la sous-traitance. Malheureusement, le décret était difficile à comprendre et a entraîné un affaiblissement des mesures légales importantes destinées à protéger les travailleurs contre les abus résultants du mauvais usage de la sous-traitance. Le décret énumérait d’ailleurs divers éléments révélateurs de la sous-traitance illégale, même si certains de ces mêmes éléments avaient déjà été identifiés par les tribunaux comme étant des infractions punissables. Ce qui est encore plus problématique est le fait que le décret a été interprété comme « légalisant » la sous-traitance de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes dans certaines circonstances, même si la loi avait auparavant été interprétée comme interdisant ce type de sous-traitance dans toutes les situations. Dans l’ensemble, le mauvais usage de la sous-traitance continue de miner sérieusement les droits collectifs des travailleurs.

Contrats syndicaux

Un contrat syndical est un contrat entre un syndicat et un employeur en vertu duquel le syndicat fournit à l’employeur la main-d’œuvre nécessaire à l’exécution d’une tâche précise. Bien que, techniquement, le syndicat et ses membres soient partenaires dans le cadre du contrat syndical, dans les faits, le syndicat est le principal bénéficiaire financier du contrat et sert d’intermédiaire entre ses membres (les travailleurs) et son client, le propriétaire de l’entreprise. Les travailleurs doivent demeurer membres du syndicat pour bénéficier du contrat syndical et reçoivent leur salaire directement du syndicat. Il faut établir une distinction entre le contrat syndical et la convention d’atelier fermé. Dans le cas de la convention d’atelier fermé, l’employé est à l’emploi direct du propriétaire de l’entreprise, tandis que dans le cas d’un contrat syndical, l’employé est en fait un employé du syndicat affecté à la prestation de services pour le propriétaire de l’entreprise. De plus, dans le cas d’une convention d’atelier fermé, les travailleurs peuvent en tout temps décider de changer le syndicat qui les représente, sans incidence sur leur emploi, tandis que dans le cas d’un contrat syndical, les employés perdent, en réalité, leur liberté de choisir collectivement leur syndicat, puisqu’un changement de syndicat signifie la fin du contrat et la perte de l’emploi de tous les membres visés par celui-ci. À l’instar d’autres formes de sous-traitance, le recours aux contrats syndicaux mine les droits collectifs des travailleurs en empêchant ces derniers de faire valoir leurs droits en vertu de la loi auprès de leur employeur de fait, soit le propriétaire de l’entreprise.

De même, les contrats syndicaux présentent des risques supplémentaires pour la liberté d’association et l’indépendance des syndicats participants. La loi n’interdit pas aux syndicats de conclure un contrat syndical et une convention collective distincte avec le même employeur; un syndicat peut donc participer à des négociations collectives pour représenter les intérêts d’un groupe de travailleurs tout en sachant que l’employeur pourrait refuser de prolonger ou de renouveler le contrat syndical en vigueur dont le syndicat même dépend financièrement. Les modalités du contrat syndical entre le syndicat UTEN et Pacific Rubiales illustrent bien ce type de situation. Les ententes de cette nature menacent sérieusement l’indépendance des syndicats et dénaturent la fonction essentielle du syndicat, qui consiste à protéger et à défendre les intérêts et les droits de ses membres.

Pactes collectifs

Les pactes collectifs sont des conventions collectives conclues entre les employeurs et les travailleurs non syndiqués. Le droit du travail de la Colombie permet aux employeurs de négocier des pactes collectifs avec les travailleurs non syndiqués si les organisations syndicales représentent moins du tiers des employés d’un employeur donné. Même si les employeurs ne peuvent offrir de meilleures conditions que celles figurant dans les conventions collectives négociées avec les syndicats au sein du même milieu de travail, la réalité est que les pactes collectifs ont été adoptés par les employeurs comme moyen de restreindre les activités syndicales.

La question des pactes collectifs a été soulevée au cours du processus d’examen et a une incidence considérable sur le droit à la négociation collective, ce qui a été soulevé par les auteurs de la plainte et est au cœur du présent rapport. À l’instar des contrats syndicaux, le recours aux pactes collectifs est généralement reconnu par des observateurs nationaux et internationaux comme un obstacle à la capacité des syndicats de se former et de défendre efficacement les intérêts collectifs de leurs membres.

Service d’inspection du travail

Les auteurs ont aussi exprimé de grandes préoccupations au sujet de la nature inadéquate des inspections du travail et de l’absence de sanctions dans les cas de non-conformité. Bien que le gouvernement colombien ait déployé des efforts pour améliorer le système d’inspection du travail, des difficultés demeurent. En premier lieu, en dépit de l’augmentation du nombre d’amendes, il se peut que les mesures en place ne produisent pas les résultats souhaités à moins que le processus de perception des amendes ne soit efficace. Deuxièmement, afin de s’acquitter de leurs fonctions, les inspecteurs du travail doivent posséder une formation adéquate et disposer de ressources suffisantes, y compris une orientation claire et uniforme relativement à l’application de la loi, ce qui est particulièrement important lorsque les cas présentent un haut niveau de complexité.

Violence à l’endroit des syndicalistes

En outre, les deux cas illustrent le climat actuel d’hostilité, d’intimidation et de menaces à l’endroit des dirigeants et des militants syndicaux en Colombie. Le rôle joué par les institutions gouvernementales pour ce qui est d’enquêter adéquatement sur les cas de violence à l’endroit des syndiqués et d’intenter des poursuites contre les personnes qui en sont responsables est essentiel à la lutte contre la violence et l’impunité. Le renforcement de l’Unité nationale de protection (UNP) au cours des dernières années s’est révélé essentiel dans la lutte contre la violence à l’endroit des syndicalistes. Toutefois, ces efforts et les progrès réalisés pourraient être compromis si l’institution ne dispose pas de ressources financières appropriées et nécessaires pour répondre efficacement aux besoins urgents des travailleurs qui mettent en péril leur propre sécurité pour défendre leurs droits légitimes.

Le travail du Bureau du procureur général est également essentiel. Aucun cas de procès et de condamnation en vertu de l’article 200 du Code criminel, qui criminalise les violations de la liberté d’association, n’a été signalé par le gouvernement colombien. Les retards indus dans l’administration de la justice peuvent se traduire par la possibilité d'abandon des poursuites, souvent en raison de l’expiration des délais, aggravant ainsi au bout du compte le climat d’impunité et le manque de confiance dans le système judiciaire chez les travailleurs colombiens. Des réformes considérables pourraient s’imposer relativement au Code criminel ou encore aux pratiques d’enquête en raison du nombre élevé de dossiers se trouvant à la phase d’enquête préliminaire.

De même, il existe de graves préoccupations à l’échelle nationale et internationale en ce qui a trait à l’usage abusif de la force par l’escadron mobile antiémeute (Escuadrón Móvil Antidisturbios, ESMAD), une unité de la police nationale colombienne chargée de contrôler la violence lors de manifestations, d’émeutes ou de grèves. Plusieurs rapports précisent la façon dont l’ESMAD a, à maintes reprises, grièvement blessé des travailleurs.

Selon les éléments de preuve recueillis dans le cadre du processus d’examen, le BAN du Canada a de sérieuses préoccupations quant à la question de savoir si le droit du travail et le cadre stratégique actuels, y compris les processus d’application de la loi, sont suffisants pour empêcher les abus et les pratiques discriminatoires et pour protéger le plein exercice des droits à la liberté d’association et à la négociation collective.

Recommandations

Le BAN du Canada offre au gouvernement de la Colombie, dans l’esprit de discussions fondées sur la collaboration, les recommandations ci-dessous visant à régler les questions et les préoccupations cernées au cours du processus d’examen:

  1. Afin de protéger les droits fondamentaux des travailleurs à la liberté d’association et à la négociation collective, neutraliser les moyens juridiques utilisés pour miner ces droits en apportant les changements suivants :
    • éliminer les contrats syndicaux. Ces contrats sont devenus une plateforme pour des pratiques de travail abusives et de négociation de mauvaise foi. L’utilisation de ces contrats a également eu une incidence néfaste importante sur l’indépendance des syndicats et leur capacité de remplir leur fonction principale;
    • éliminer les pactes collectifs. Ces pactes minent la capacité des syndicats indépendants de s’organiser et de négocier des conventions collectives authentiques, perturbant ainsi indûment la balance des pouvoirs dans les relations de travail;
    • éliminer la mauvaise utilisation des contrats à court terme. Les contrats à court terme renouvelés à plusieurs reprises sont utilisés pour dissimuler les relations d’emploi permanentes, privant ainsi les travailleurs des protections garanties par la loi. La grande insécurité d’emploi qui découle de cette pratique entrave considérablement la capacité des syndicats de s’organiser et de jouer leur rôle;
    • mettre en œuvre des mesures visant à réduire les pratiques largement répandues et systématiques de l’intermédiation et de la sous-traitance illégales dans le domaine du travail, y compris :
      • abroger le décret 583 (qui a, dans la pratique, rendu possible la sous-traitance des fonctions opérationnelles essentielles et permanentes) et le remplacer par un instrument juridique qui habilite clairement les inspecteurs du travail à combattre la mauvaise utilisation de l’intermédiation et de la sous-traitance;
      • veiller à ce que les inspecteurs du travail soient habilités à cerner et à régler les situations où l’intermédiation ou la sous-traitance est utilisée pour dissimuler une relation d’emploi directe, peu importe les formalités associées à la relation;
      • élaborer des lignes directrices pour permettre aux inspecteurs du travail de déterminer les fonctions opérationnelles essentielles et permanentes dans des secteurs économiques spécifiques;
      • affecter les ressources d’application de la loi de façon à s'assurer à ce que les contrats de droit civil (p. ex. les SAS, les coopératives de travail associées) ne soient pas utilisés pour priver les travailleurs des protections sociales et en matière de travail prévues par la loi;
    • envisager la création d’un organisme de réglementation quasi judiciaire spécialisé chargé de prendre les décisions sur l’enregistrement et la dissolution des syndicats, ainsi que d’entendre les plaintes des syndicats et des employeurs en matière de discrimination et relativement à des pratiques de travail déloyales. Cet organisme serait indépendant du gouvernement; il s’agirait d’un organisme tripartite composé de représentants des employeurs et des syndicats ainsi que d’intermédiaires neutres possédant une connaissance spécialisée des lois et des normes du travail.
  2. Renforcer le respect et l’application des lois du travail par l’intermédiaire d’un service d’inspection du travail qui met l’accent sur des mesures préventives, fournit des conseils judicieux, et établit et perçoit les pénalités appropriées de manière efficace en :
    • veillant à ce que les travailleurs aient accès en temps opportun à la justice de manière à pouvoir réclamer des droits du travail, tels que la réintégration ou l’indemnité de congédiement, dans le processus judiciaire ordinaire;
    • rationalisant le processus administratif pour améliorer l’efficacité en ce qui a trait à l’imposition d’amendes, notamment en envisageant l’harmonisation des sanctions existantes dans le code du travail et les autres lois du travail;
    • veillant à ce que le percepteur public de fonds de la Colombie (CISA) perçoive efficacement les amendes et communique les résultats obtenus à court et à moyen terme, en produisant notamment une analyse visant à déterminer si les amendes imposées ont un effet dissuasif suffisant;
    • fournissant aux inspecteurs du travail la formation et les ressources nécessaires pour s’acquitter efficacement de leurs fonctions, y compris les inspections préventives et proactives du travail;
    • enquêtant sur plusieurs plaintes déposées contre un employeur donné dans le cadre d’un processus unique;
    • accroissant la surveillance et le contrôle des accords de normalisation du travail négociées avec des employeurs qui ont obtenu la réduction ou la remise d’une amende pour intermédiation ou sous-traitance illégale du travail, afin de garantir que ces entreprises offrent des contrats à durée indéterminée plutôt que des contrats à durée déterminée aux travailleurs au moment de la mise en œuvre de ces ententes.
  3. Renforcer la lutte contre l’impunité et la violence, et voir à ce que les responsables fassent face à la justice en :
    • évaluant l’efficacité de l’étape de conciliation obligatoire (une condition préalable à l’amorce de l’enquête) comme l’exigent les procédures pénales pour l’article 200 du Code criminel, et en veillant à ce que les procédures existantes ne nuisent pas à la rapidité et à l’efficacité de l’administration de la justice;
    • examinant les dossiers actifs pour violations en vertu de l’article 200 du Code criminel, notamment ceux qui pourraient faire l’objet d’abandon de poursuites en raison des échéanciers et pour lesquelles des mesures immédiates seraient donc nécessaires;
    • fournissant à l’Unité nationale de protection les ressources financières permanentes dont elle a besoin pour mener efficacement ses activités;
    • veillant à ce que des mécanismes de coordination interinstitutionnelle (entre le ministère du Travail et le Bureau du procureur général) soient en place pour l’échange de renseignements et la mise en commun des éléments probants pertinents;
    • examinant de façon critique et indépendante le rôle de l’escadron ESMAD, dont les actions et les interventions ont été vivement critiquées par les intervenants colombiens et internationaux pour l’usage excessif de la force;
    • faisant progresser efficacement l’enquête sur les violations en vertu de l’article 347 du Code criminel, qui criminalise les menaces à l’endroit des syndicalistes, notamment en veillant à ce que les coupables soient traduits en justice lorsque la situation le justifie;
    • veillant à ce que les dossiers soient réaffectés en conformité avec les pratiques d’enquête appropriées afin d’éviter des délais déraisonnables.
  4. Évaluer et rendre compte des efforts accomplis pour promouvoir la liberté d’association et la libre négociation collective.

En conclusion, et en vertu de l’article 12 de l’ACTCCO, qui prévoit qu’une partie peut demander par écrit des consultations avec l’autre partie au niveau ministériel concernant ses obligations aux termes de l’Accord, le BAN du Canada recommande à la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail de demander des consultations avec la ministre du Travail de la Colombie au sujet des recommandations susmentionnées.

Liste des acronymes

ACTCCO
Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie
BAN
Bureau administratif national
CAJAR
Colectivo de abogados José Alvear Restrepo
CGT
Confederación General del Trabajo
CISA
Central de Inversiones SA
COLJUSTICIA
Corporación Colombiana Para la Justicia y el Trabajo
CTC
Confederación de Trabajadores de Colombia
CUT
Central Unitaria de Trabajadores
ENS
Escuela Nacional Sindical
ESMAD
Escuadrón Móvil Antidisturbios
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
SAS
Sociedad por Acciones Simplificada
SENA
Servicio Nacional de Aprendizaje
SINTRACAÑAZUCOL
Sindicato Nacional de Trabajadores de la Agroindustria de la Caña de Azúcar de la Azúcar y Afines Similares
SINTRAINAGRO
Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria Agropecuaria
SINTRAINCABAÑA
Sindicato de Trabajadores del Ingenio La Cabaña
SINTRAZUCAR
Sindicato de Trabajadores del Azúcar
UNP
Unité nationale de protection
USO
Unión Sindical Obrera
UTEN
Unión de Trabajadores de la Industria Energética Nacional

Introduction

L’Accord

L’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie (ACTCCO), un accord parallèle à l’Accord de libre-échange entre les deux pays, a été signé le 12 novembre 2008 et est entré en vigueur le 15 août 2011Note de bas de page 1. L’ACTCCO prévoit un processus de communication du public grâce auquel les membres du public peuvent faire valoir leurs préoccupations auprès d’une partie à l’ACTCCO relativement à des questions qui sont liées au droit du travail, qui surviennent sur le territoire de l’autre partie à l’Accord et qui se rapportent à toute question liée à au présent accordNote de bas de page 2. Chaque pays a également établi un point de contact ou un bureau administratif national (BAN), qui peut accepter et examiner de telles communications du public conformément aux procédures nationales applicablesNote de bas de page 3 . Les Lignes directrices concernant les communications du public du Canada décrivent les procédures et les critères que le BAN du Canada doit respecter pour assurer la présentation, l’acceptation et l’examen des communications du public.Note de bas de page 4 Le rôle du BAN du Canada en ce qui a trait à l’examen des communications du public consiste à recueillir des renseignements et à formuler des recommandations à l’intention du ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail du Canada à savoir si des consultations ministérielles en vertu de la partie III de l’ACTCCO doivent être entreprises concernant les questions portant sur la conformité avec les obligations prévues par l’Accord qui n’ont pu être résolues lors de l’examen.

La communication du public

Le 20 mai 2016, une communication du public a été reçue par le BAN du Canada, la première dans le cadre de l’ACTCCO. Elle a été présentée par le Congrès du travail du Canada et cinq organisations syndicales colombiennes : Central Unitaria de Trabajadores (CUT), Confederación de Trabajadores de Colombia (CTC), Corporación Colombiana para la Justicia y el Trabajo (COLJUSTICIA), Sindicato Nacional de Trabajadores de la Industria Agropecuaria (SINTRAINAGRO) et Unión Sindical Obrera (USO). Le BAN du Canada a déterminé que la communication du public satisfaisait à toutes les exigences d’admissibilité et techniques énoncées dans les Lignes directrices concernant les communications du public du Canada. Elle a par conséquent été acceptée aux fins d’examen le 15 juillet 2016, et le numéro de référence CAN-2016-1 lui a été assigné.

Dans cette communication du public, on allègue que le gouvernement de la Colombie a enfreint les obligations de l’ACTCCO et on y trouve des renseignements sur deux cas pour appuyer les allégations : (1) Pacific Rubiales, une société extractive, pour laquelle les événements rapportés se sont produits entre 2011 et 2103 aux champs de pétrole Campo Rubiales, et impliquaient l’organisation syndicale USO; et (2) Ingenio La Cabaña, une société de production et de transformation du sucre, pour laquelle les événements rapportés se sont produits entre 2012 et 2015 à la plantation et raffinerie de sucre La Cabaña et impliquaient l’organisation syndicale SINTRAINAGRO.

Selon les auteurs de la communication, le gouvernement de la Colombie a enfreint les dispositions des articles suivants de l’ACTCCO :

  • l’article 1, qui indique que « chacune des Parties fait en sorte que ses lois et règlements, de même que les pratiques établies sous son régime, incorporent et protègent […] la liberté d’association et le droit de négociation collective (y compris la protection du droit d’organisation et du droit de grève) », conformément à ce qui a été énoncé dans la déclaration de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 1998Note de bas de page 5;
  • l’article 2, qui prévoit que « chacune des Parties assure qu’[il] ne renonce pas ou ne déroge pas, ni n’offre de renoncer ou de déroger, à son droit du travail d’une façon qui affaiblisse ou qui diminue l’adhésion aux principes et aux droits du travail internationalement reconnus énoncés à l’article 1, dans le but de stimuler le commerce entre les Parties, ou d’inciter la mise en place, l’acquisition, l’accroissement ou le maintien d’un investissement sur son territoire »Note de bas de page 6;
  • l’article 3, qui prévoit que « chacune des Parties […] promeut le respect de son droit du travail et assure son application effective au moyen de mesures gouvernementales appropriées »Note de bas de page 7;
  • l’article 4, qui prévoit que « chacune des Parties garantit que toute personne ayant dans une affaire un intérêt reconnu par sa législation puisse, de façon opportune, saisir un tribunal habilité à faire exécuter son droit du travail, à donner effet aux droits en matière du travail de cette personne et à prononcer des mesures correctives »Note de bas de page 8;
  • l’article 5, qui prévoit que « [c]hacune des Parties garantit que ses procédures visées aux sous-paragraphes 1 b) et 1 e) de l’article 3 et à l’article 4 […] n’entraînent pas de frais ni de délais déraisonnables et que les délais impartis n’entravent pas l’exercice des droits »Note de bas de page 9.

Aux termes de l’article 26 de l’ACTCCO, le droit du travail s’entend de « l’ensemble des lois, des règlements et de la jurisprudence […] qui mettent en œuvre et protègent les principes et droits du travail énumérés à l’article 1 ». L’article 1 de l’ACTCCO comprend les principes et les droits suivants : a) la liberté d’association et le droit à la négociation (y compris la protection du droit d’organisation et du droit de grève); b) la suppression de toutes les formes de travail forcé ou obligatoire; c) l’abolition effective du travail des enfants (y compris les mesures de protection des enfants et des jeunes gens); d) la suppression de la discrimination en matière d'emploi et d'activités professionnelles; e) des conditions de travail acceptables en ce qui touche au salaire minimum, aux heures de travail et à la santé et sécurité au travail; f) la reconnaissance aux travailleurs migrants des mêmes protections juridiques que celles dont jouissent les ressortissants de la Partie concernée en matière de conditions de travail.

Processus d’examen

La communication du public a été examinée par le BAN du Canada en vue d’évaluer dans quelle mesure les allégations formulées par les auteurs démontrent, le cas échéant, une non-conformité avec l’ACTCCO. Dans le cadre du processus d’examen, des renseignements ont été recueillis auprès d’un large éventail de sources; on a notamment mené des consultations avec le BAN de la Colombie en vertu de l’article 11 de l’ACTCCONote de bas de page 10.

Activités menées dans le cadre du processus d’examen :

  • le BAN du Canada a rencontré des représentants de l’organisation COLJUSTICIA le 15 août 2016 en marge d’une présentation à Affaires mondiales Canada, à Ottawa, pour entendre leurs points de vue à propos de la communication du public et discuter des prochaines étapes du processus d’examen;
  • une liste de questions portant sur les allégations a été transmise au BAN de la Colombie par courrier électronique le 15 août 2016. Une première réponse a été reçue le 28 août 2016, et une deuxième, le 30 septembre 2016;
  • du 29 août au 2 septembre 2016, des représentants du BAN du Canada ont effectué une visite en Colombie et ont rencontré, à Bogotá, des représentants du gouvernement de la Colombie, notamment du ministère du Travail, du Bureau de l’inspecteur général et de l’Unité nationale de protection. Ils ont également rencontré des représentants des organisations CUT, CGT et CTC, de même que de l’Association nationale des entreprises, de Pacific Rubiales, de la société pétrolière d’État Ecopetrol et du département du Travail des États-Unis. En outre, les représentants canadiens ont visité les champs de pétrole Rubiales à Puerto Gaitán (département du Meta) ainsi que les installations d’Ingenio La Cabaña à Puerto Tejada (département du Cauca), où ils ont rencontré des travailleurs et des représentants des entreprises concernées. Lors de leur passage dans le département du Cauca, les représentants canadiens ont rencontré des représentants de l’Association des producteurs de canne à sucre, à Cali;
  • des représentants du BAN du Canada ont séjourné à Bogotá du 26 au 30 septembre 2016 pour examiner des aspects clés du droit du travail de la Colombie avec des représentants du ministère du Travail de ce pays. Les représentants du BAN du Canada ont aussi rencontré des représentants du Bureau du procureur général;
  • après la visite du BAN du Canada à la fin septembre, le BAN de la Colombie lui a transmis l’ébauche du procès-verbal des réunions conjointes qui avaient eu lieu, en plus de lui demander, le 6 octobre 2016, d’émettre des commentaires, ce que celui-ci a fait le 13 octobre 2016. Le BAN de la Colombie a demandé d’autres commentaires le 30 novembre 2016; le BAN du Canada a répondu à cette demande le 1er décembre 2016;
  • en réponse aux allégations formulées par les auteurs de la communication, le BAN de la Colombie a transmis, le 1er novembre 2016, un rapportNote de bas de page 11 dans lequel il a présenté des explications concernant le cadre législatif de la Colombie en matière de travail ainsi que les mesures prises par les autorités compétentes en matière de travail concernant les deux cas présumés.

Bien que son processus d’examen soit demeuré indépendant, le BAN du Canada a tout de même fourni des mises à jour aux acteurs suivants et échangé des points de vue avec ces derniers tout au long du processus : a) le BAN de la Colombie; b) les auteurs de la communication; c) le département du Travail des États-Unis, qui a d’ailleurs reçu une communication du public quasi identique à celle dont il est question en vertu de l’Accord de promotion du commerce entre la Colombie et les États-Unis (Colombia-United States Trade Promotion Agreement).

Notamment, l’ACTCCO crée des obligations que les gouvernements du Canada et de la Colombie sont tenus de respecter; par conséquent, le processus d’examen était axé sur le respect de ces obligations par la Colombie, plutôt que sur les agissements de certains employeurs et travailleurs. Il n’était pas toujours possible de concilier les versions parfois contradictoires pour les événements particuliers rapportés dans la communication du public. De plus, certaines allégations de non-respect étaient de nature générale et n’étaient pas liées directement aux événements qui ont eu lieu aux installations de production en cause et qui ont été rapportés. Toutes les allégations ont été soigneusement examinées dans le cadre de la constatation des faits.

Le présent rapport

Dans le contexte du processus d’examen mentionné ci-dessus, le présent rapport vise à examiner les questions de nature systémique qui sont à l’origine des problèmes soulevés dans la communication du public et à proposer des résolutions.

Le rapport comporte quatre sections. La première section porte sur les aspects du droit du travail de la Colombie liés aux questions soulevées dans la communication du public et commence par un bref aperçu de la situation actuelle au chapitre du travail dans le pays. Des observations du BAN du Canada y sont également présentées. Dans la deuxième section, on fait part d’éléments clés des allégations, y compris la réponse de la Colombie et certaines observations du BAN du Canada. Dans la troisième section, on présente un résumé des constats dégagés, en plus d’une analyse dans laquelle les plus importants éléments relevés dans le cadre de l’examen des allégations sont examinés et débattus à la lumière des observations du BAN concernant la situation sur le plan du travail et le cadre juridique de la Colombie. Enfin, dans la quatrième section, on présente des recommandations en vue de renforcer le respect de l’ACTCCO et de ses principes sous-jacents.

Droit du travail en Colombie

La présente section vise à décrire le cadre juridique se rapportant aux problèmes soulevés dans la communication du public. Plus particulièrement, dans cette section, on présente des renseignements de base sur le droit de la Colombie encadrant les droits à la liberté d’association et à la négociation collective, y compris les droits d’organisation et de grève et leur application.

A. Aperçu de la situation au chapitre du travail en Colombie

La Colombie est confrontée à des défis structuraux profonds dans le domaine du travail, en dépit de certaines tendances positivesNote de bas de page 12. L’informalité du travail est répandue, le taux de chômage est élevé et de nombreux employés ont des contrats à durée limitée. Afin de réduire leurs dépenses d’exploitation, un grand nombre d’employeurs ont eu recours au fil des années à différentes formes de sous-traitance, tout particulièrement pour éviter de se conformer aux obligations prévues par le droit du travail. Les sanctions et les pénalités imposées par les autorités responsables du travail de la Colombie dans ce domaine n’ont pas eu un effet dissuasif suffisant. De même, les activités antisyndicales continuent de nuire au plein exercice des droits d’association et de négociation collective. En outre, le travail des enfants est toujours un problème dans les secteurs informels et illicitesNote de bas de page 13.

Le conflit armé qui a fait rage pendant des décennies en Colombie a fait plus de six millions de déplacés; de même, le pays vient au deuxième rang mondial pour ce qui est des victimes de mines terrestresNote de bas de page 14. Le climat de violence a porté atteinte au mouvement syndical colombien et à ses dirigeants.Note de bas de page 15 Plusieurs dirigeants et membres de syndicats ont l’impression d’être perçus comme des partisans de la guérilla et sont persécutés pour la revendication de leurs droits, ce qui reflète le sentiment antisyndical que l’on observe généralement dans le paysNote de bas de page 16. Les organisations syndicales sont souvent perçues non seulement comme des opposants, mais aussi comme des éléments subversifs ou des ennemis de l’ordre institutionnelNote de bas de page 17. Cette perception s’est manifestée dans la stigmatisation des organisations syndicales et s’est répandue dans la société colombienne, y compris au sein des élites économiques et politiquesNote de bas de page 18. La culture antisyndicale a posé des difficultés importantes pour l’avancement du syndicalisme. De 1986 à 2014, plus de 3 000 militants syndicaux ont été assassinés, 230 ont été portés disparus et plusieurs milliers d’autres ont été menacés de mort et d’enlèvement ou ont été victimes d’autres types de violenceNote de bas de page 19. En 2015, il y a eu 18 meurtres liés à des activités syndicalesNote de bas de page 20. Bien que le nombre de syndicalistes assassinés ait diminué au cours des dernières annéesNote de bas de page 21 et en dépit des progrès accomplis à ce jour, la Colombie continue d’être touchée, dans une grande mesure, par la violence contre les syndicalistes et d’autres types d’activités antisyndicales.

B. Droit régissant les relations de travail

La protection des droits à la liberté d’association et à la négociation collective, y compris le droit d’organisation et le droit de grève, est garantie par la Constitution de la Colombie, le Code du travail, le Code de procédure du travail et de la sécurité sociale ainsi que le Code de procédure administrative. La Colombie a également ratifié diverses conventions de l’Organisation internationale du Travail visant à protéger l’exercice de la liberté d’association et le droit à la négociation collective, notamment la Convention n° 87 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention n° 98 concernant le droit d’organisation et de négociation collective; ces conventions sont intégrées à la législation du travail de la ColombieNote de bas de page 22.

Liberté d’association

La Constitution de la Colombie garantit la liberté d’association et le droit de s’organiser des syndicats sans l’intervention des autorités gouvernementales. Les syndicats sont juridiquement reconnus au moyen de l’enregistrement de leurs documents constitutifs auprès du ministère du TravailNote de bas de page 23. La structure interne et le fonctionnement des syndicats sont soumis à l’ordre juridique et à des principes démocratiquesNote de bas de page 24. Les syndicalistes sont aussi protégés par la constitution en vertu d’un privilège appelé fuero sindicalNote de bas de page 25; il s’agit d’une protection spéciale dont bénéficient certains membres de syndicats dans l’exercice de fonctions syndicalesNote de bas de page 26. En outre, la personnalité juridique d’un syndicat ne peut être annulée ou suspendue que par une décision d’un juge d’un tribunal du travailNote de bas de page 27.

Le Code du travail reconnaît le droit à la liberté d’association des travailleurs et des employeurs ainsi que le droit de former un syndicat, d’appartenir à un syndicat ou de s’abstenir de se joindre à un syndicatNote de bas de page 28. Les travailleurs ont droit de changer de représentants syndicaux et sont protégés de toute ingérence concernant ce choix. Toute personne agissant contre le droit d’association peut se voir imposer des sanctions pécuniairesNote de bas de page 29.

Enregistrement des syndicats

De façon générale, le droit du travail de la Colombie décrit les organisations syndicales comme des associations sans but lucratif de travailleurs dont la mission principale consiste à défendre et à promouvoir leurs propres intérêtsNote de bas de page 30.

Sauf pour ce qui est des forces de police et des forces arméesNote de bas de page 31, tout employé de plus de quatorze ans peut former une organisation syndicale ou se joindre à une telle organisationNote de bas de page 32; en outre, seul un minimum de 25 employés est requis pour former ou maintenir une organisation syndicale sans autorisation préalable des autorités compétentes en matière de travailNote de bas de page 33.

L’organisation syndicale peut recevoir un statut officiel en soumettant certains documents au ministère du Travail, dont des documents constitutifs (constitution et règlements administratifs), ainsi qu’une liste des fondateurs et des membres initiaux du syndicatNote de bas de page 34. Le ministère du Travail dispose ensuite de quinze jours pour accepter ou refuser l’enregistrement, ou encore pour demander des changements.Note de bas de page 35 Si l’autorité compétente ne rend pas de décision, le syndicat est automatiquement enregistréNote de bas de page 36. L’enregistrement peut être refusé si certains des règlements administratifs sont contraires à la constitution et à la loi, ou si le syndicat comprend un nombre de membres inférieur au seuil exigé par la loiNote de bas de page 37.

Dans l’exercice de leurs fonctions, il est interdit aux organisations syndicales de pratiquer certaines activités; elles ne peuvent notamment porter atteinte au droit de travailler et de choisir son syndicatNote de bas de page 38, promouvoir des arrêts de travail ou mener des activités pouvant perturber l’ordre publicNote de bas de page 39. Par ailleurs, les syndicats peuvent former des fédérations et des confédérations qui jouissent des mêmes droits que ceux dont ils bénéficient, à l’exception du droit de grèveNote de bas de page 40.

Syndicats multiples

Le droit du travail de la Colombie permet maintenant l’existence de plusieurs organisations syndicales au sein d’une même entreprise; de même, les travailleurs ont le droit de se joindre à l’une ou à plusieurs de ces organisations. Les limites qui étaient imposées pour empêcher la coexistence de plusieurs syndicats au sein d’une même entreprise et pour empêcher les travailleurs de se joindre à plus d’un syndicat ont été déclarées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle en 2000 et 2008.Note de bas de page 41 Avant ces décisions de la cour, l’agent négociateur était l’organisation syndicale rassemblant le plus de travailleurs; en outre, les travailleurs ne pouvaient faire partie de plus d’une organisation syndicale à la fois.

Afin de fournir des mécanismes clairs aux organisations syndicales et aux employeurs concernant les négociations collectives et pour combler certaines lacunes créées par les décisions de la Cour constitutionnelle mentionnées précédemment, le gouvernement de la Colombie a pris le décret 089 en 2014, plus particulièrement afin de permettre aux organisations syndicales d’unir leurs forces et de présenter une liste unique de demandes à l’employeur. Si les syndicats n’arrivent pas à présenter une seule liste de demandes, plusieurs listes de ce type peuvent tout de même être prises en compte à la même table de négociation.

Dispositions particulières du Code criminel concernant les syndicalistes

Le Code criminel protège également le droit à la liberté d’association et le droit de s’organiser. Aux termes de l’article 83, le meurtre d’un syndicaliste est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 30 ans; de même, l’article 200 prévoit l’imposition de sanctions pénales pour les actions qui empêchent ou perturbent l’exercice des droits protégés par le droit du travail de la Colombie. En outre, l’article 347 du code prévoit des amendes et des sanctions en cas de menaces, y compris des menaces à l’endroit de syndicalistes. Le Bureau du procureur général est responsable des enquêtes et des poursuites concernant les infractions criminelles dont il est question aux articles 200 et 347, le tout conformément aux procédures établies dans le Code de procédure pénaleNote de bas de page 42.

Négociation collective

Conventions collectives

La Constitution colombienne protège le droit de négociation collective. Le Code du travail de la Colombie établit pour le secteur privé un régime de négociation collective entre les employeurs et les organisations syndicales qui préparent le terrain pour les discussions sur une liste de demandes ou un Pliego de peticiones Note de bas de page 43. Lorsque des syndicats présentent une demande en vue de négocier leur liste de demandes, l’employeur doit généralement entamer les premières discussions avec les syndicats concernés dans les 24 heures qui suivent. Dans des cas exceptionnels, l’employeur a droit à 5 jours avant d’entamer des négociationsNote de bas de page 44. L’employeur qui n’entame pas de négociations s’expose à des sanctions pécuniairesNote de bas de page 45. Si les parties arrivent à s’entendre avant la fin de la période de négociation, une copie de la convention collective signée est remise aux autorités compétentes en matière de travailNote de bas de page 46. La convention collective s’applique à tous les travailleurs, y compris aux travailleurs non syndiqués, si le syndicat représente plus d’un tiers des employés de l’entrepriseNote de bas de page 47. Autrement, la convention collective ne s’applique qu’aux membres du syndicat qui a négocié celle-ciNote de bas de page 48. Lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre, les travailleurs peuvent choisir de déclencher une grève ou de soumettre le conflit à un tribunal arbitral.Note de bas de page 49 La décision du tribunal arbitral met fin au conflit et a le statut de convention collectiveNote de bas de page 50.

Pactes collectifs

Le Code du travail de la Colombie accorde aussi aux travailleurs et aux employeurs le droit d’entamer une négociation collective au moyen de pactes collectifs, qui sont des ententes négociées entre un employeur et des travailleurs non syndiqués. Selon les règlements de la Colombie en matière de travail, les employeurs peuvent conclure des pactes collectifs lorsque les organisations syndicales d’une entreprise représentent moins du tiers des employés de cette dernièreNote de bas de page 51. Les employeurs ne peuvent cependant offrir de meilleures conditions que celles figurant dans les conventions collectives négociées avec les syndicats de l’entreprise .Note de bas de page 52

Droit à la grève

Comme mentionné précédemment, les travailleurs colombiens peuvent décider de déclencher une grève si le processus de négociation collective échoue. À l’exception des services publics essentiels, les travailleurs du secteur privé peuvent exercer leur droit de grève comme il est reconnu et garanti par la Constitution et le Code du travailNote de bas de page 53. Une grève est définie comme étant une suspension collective de travail temporaire et pacifiqueNote de bas de page 54 et considérée comme légitime à condition que les travailleurs aient une relation de travail avec l’employeur. Une décision de déclencher ou non une grève doit être prise dans les 10 jours ouvrables suivant la fin des négociations directes. Une grève ne peut durer plus de 60 joursNote de bas de page 55. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre après cette période, une séance d’un tribunal arbitral peut être convoquéeNote de bas de page 56.

En vertu de la loi colombienne, une grève doit être organisée et menée de manière pacifiqueNote de bas de page 57 et les autorités policières ont la responsabilité de s’assurer que la grève est menée pacifiquementNote de bas de page 58. L’escadron mobile antiémeute (Escuadrón Móvil Antidisturbios, ESMAD), une unité de la police nationale colombienne, est chargé de surveiller les manifestations et de contrôler les émeutes, y compris dans le contexte des grèves. Plusieurs rapports indiquent que l’ESMAD a eu recours à la force excessive à de nombreuses occasions lors de ses interventionsNote de bas de page 59. À titre d’exemple, cinq travailleurs furent blessés dont deux grièvement suite à l’intervention de l’escadron ESMAD pendant une grève des coupeurs de canne en mars 2015 Note de bas de page 60.

Contrats de travail temporaires

Les droits à la négociation collective et de grève garantis en vertu du droit du travail de la Colombie sont en principe protégés uniquement lorsque les travailleurs ont signé un contrat qui les lie directement à un employeur. Le Code du travail permet toutefois aux employeurs d’utiliser différents types de contrats de travail temporairesNote de bas de page 61, notamment :

  • des contrats pour un travail particulier : contrats qui visent l’accomplissement d’une tâche précise et qui peuvent être renouvelés indéfiniment pour de nouveaux travaux;
  • contrats à durée déterminée : contrats d’une durée de moins d’un an ou d’une durée d’un à trois ans qui sont automatiquement renouvelés à moins qu’un préavis de non-renouvellement de 30 jours ne soit fourniNote de bas de page 62.

Par conséquent, même si les droits dans le domaine du travail des employés sont protégés, ils sont incapables de les faire valoir en raison du renouvellement constant de leur contrat de travail temporaireNote de bas de page 63. Dans de telles circonstances, les employeurs contournent les obligations prévues par le droit du travail de la Colombie qui s’appliquerait aux employés permanents, y compris les droits procéduraux et fondamentaux liés à une cessation d’emploi.

Intermédiation sur le marché du travail et sous-traitance

Le gouvernement de la Colombie a entrepris d’importantes réformes au début des années 1990 qui ont eu des répercussions sur le régime du droit du travail, y compris l’introduction de dispositions pour réglementer le travail temporaire. Dans ce contexte, la loi 50 a été promulguée en vue d’éliminer des rigidités sur le marché du travail. Cette loi permet notamment l’existence d’agences de placement temporaire Note de bas de page 64. Ces agences servent d’intermédiaires entre les employeurs et les travailleurs en fournissant du personnel à une entreprise lorsque celle-ci doit composer avec des augmentations à court terme de la charge de travail. Cette pratique est aussi connue comme intermédiation sur le marché du travail. La réglementation stricte encadrant les agences de placement temporaire a amené les employeurs à chercher des approches plus souples pour l’embauche de personnel. Les employeurs ont commencé à utiliser d’autres formes de contrats, ayant recours entre autres à des coopératives de travailleurs (Cooperativas de Trabajo Asociado)Note de bas de page 65, afin d’éviter une relation de travail directe entre employé et employeur. Il a été reconnu que ces autres formes de contrats limitent la capacité des travailleurs à exercer leurs droits fondamentaux, y compris le droit à la liberté d’association et à la négociation collectiveNote de bas de page 66.

Compte tenu du recours abusif aux coopératives de travailleurs, le gouvernement de la Colombie a publié un certain nombre de règlementsNote de bas de page 67, à compter de 2010, afin de remédier à la mauvaise utilisation des accords de sous-traitance. Ces règlements : i) interdisent expressément le recours à des coopératives de travailleurs et ii) interdisent la sous-traitance, sous quelque forme que ce soit, de fonctions ou d’activités principales permanentes d’une entreprise.

En pratique, l’interdiction de recourir à des coopératives de travailleurs et l’absence de directives claires concernant les formes de sous-traitance interdites ont entraîné la poursuite de la sous-traitance des fonctions opérationnelles essentielles et permanentes, mais au moyen d’instruments juridiques différents comme les contrats syndicaux Note de bas de page 68. De plus, en vue d’aider les inspecteurs du travail à repérer des formes de sous-traitance illégales, le gouvernement de la Colombie a pris le décret 583 en 2016. Selon le décret 583, il est question de sous-traitance illégale uniquement lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : i) des fonctions essentielles et permanentes sont confiées à des sous-traitants et ii) on a porté atteinte aux droits constitutionnels, légaux et à d’autres droits des travailleurs en vertu du droit du travail de la Colombie. Le décret 583 énumère de nombreux éléments indicatifs décrivant des situations potentielles de sous-traitance illégale afin d’orienter les inspecteurs du travail relativement à l’imposition de sanctions. Selon le décret 583, ces situations ne sont pas des infractions punissables malgré le fait que des tribunaux aient déjà statué que ces certaines de ces situations sont punissables.

La loi 1429 de 2010 a aussi été promulguée afin d’encourager les employeurs à régulariser la situation de leurs employés en vue de favoriser la création d’emploi formels. La loi encourage les employeurs ayant eu recours à la sous-traitance illégale à embaucher directement des employés en offrant aux employeurs des incitatifs financiers, y compris une réduction ou une remise des amendes imposéesNote de bas de page 69. Bien que de nombreux travailleurs aient officialisé leur emploi depuis l’adoption de la loi 1429, l’efficacité de la loi a été critiquée par des intervenants de la société civile parce que les contrats que les travailleurs ont signés ne sont pas systématiquement surveillés. Il semble que les contrats, qui devraient garantir la stabilité des emplois conformément à la loi 1429, sont des contrats à durée déterminée n’excédant généralement pas un an. De plus, les employeurs qui ont régularisé la situation de leurs travailleurs de manière volontaire et ceux qui l’ont fait après avoir été mis à l’amende ont droit aux mêmes incitatifs financiers. À ce titre, il pourrait y avoir un intérêt à se livrer à de telles pratiques illégales le plus longtemps possible. Dans l’ensemble, la loi 1429 et autres règlements connexes semblent n’avoir été que partiellement efficaces pour décourager le recours à la sous-traitance illégaleNote de bas de page 70.

En même temps que des lois ont été adoptées afin de décourager le recours à la sous-traitance illégale et d’encourager des relations de travail directes entre les entreprises et leurs travailleurs, le recours aux contrats syndicaux comme instruments encadrant les relations industrielles est revenu en forceNote de bas de page 71. Le recours aux contrats syndicaux remonte aux années 1930, une époque où il y a eu d’importants conflits de travail et où il n’y avait ni réglementation des relations de travail ni conventions collectives. Ces contrats ont été intégrés au Code du travail, mais inutilisés avant l’adoption de règlements, à partir de 2010, interdisant le recours aux coopératives de travailleursNote de bas de page 72.

Un contrat syndical est un contrat entre un syndicat et un employeur en vertu duquel le syndicat fournit à l’employeur la main-d’œuvre nécessaire à l’exécution d’une tâche préciseNote de bas de page 73. Le syndicat qui conclut un contrat syndical est responsable de ses obligations directes en vertu du contrat et du respect des obligations établies dans le contrat concernant les membres du syndicatNote de bas de page 74. Même si le syndicat et ses membres sont techniquement des partenaires dans le contrat syndical, dans la pratique, le syndicat est le premier récipiendaire financier et agit comme intermédiaire entre ses membres travailleurs et son client, le propriétaire de l’entreprise. La réglementation du travail adoptée en 2010 fait la promotion des contrats syndicaux comme modèle de rechange dans le cadre des relations industrielles en accordant à ces contrats la même valeur que les pactes collectifs et les conventions collectivesNote de bas de page 75. Les règlements adoptés plus récemment établissent les formalités pour la signature des contrats syndicaux et en ce qui a trait aux obligations, aux responsabilités et aux processus de résolution des conflits connexesNote de bas de page 76.

Dans le cadre d’un contrat syndical, le travailleur doit rester membre du syndicat pour pouvoir bénéficier du contrat et est rémunéré directement par le syndicat pour ses services. Il faut toutefois distinguer le contrat syndical d’une convention d’atelier fermé dans le cadre de laquelle le syndicat est la source de recrutement de main-d’œuvre de l’employeur. Dans le cas de la convention d’atelier fermé, l’employé est au service direct du propriétaire de l’entreprise, tandis que dans le cas d’un contrat syndical, l’employé est en fait un employé du syndicat affecté à la prestation de services pour le propriétaire de l’entreprise. En vertu d’un contrat syndical, le syndicat doit fournir non seulement la main-d’œuvre requise pour la mise en œuvre du contrat, mais aussi les outils et les matériaux nécessaires à l’accomplissement des tâches. De plus, la réglementation prévoit qu’un contrat syndical est une forme de contrat collectif, c’est à dire un instrument juridique de nature collective permettant aux organisations syndicales de participer à la gestion d’une entreprise, à la promotion du travail collectif et à la création d’emploisNote de bas de page 77.

C. Application du droit du travail

La Colombie applique ses lois du travail au moyen de processus administratifs, coercitifs et judiciaires. Cinq instruments législatifs sont en place pour appliquer et faire respecter le droit du travail : le Code du travail, le Code de procédure du travail et de la sécurité sociale, le Code de procédure administrative et le Processus de perception en vertu de la loi de l’impôt et du décret réglementaire 1072 de 2015.

Application administrative

En ce qui concerne le processus d’application administrative, le ministère du Travail a la responsabilité de surveiller, de faire respecter et d’appliquer le Code du travail et d’autres dispositions juridiquesNote de bas de page 78. Le ministère du Travail utilise son pouvoir administratif pour faire respecter le droit du travail en imposant des sanctions au moyen d’une procédure de sanctions administratives mise en œuvre par l’inspectorat du travail. Les inspectorats du travail sont divisés en 35 directions territoriales et 154 services municipaux d’inspection du travailNote de bas de page 79. Selon le ministère du Travail, 819 postes d’inspecteur sur un total de 904 postes ont été pourvus à ce jourNote de bas de page 80 . Les inspecteurs du travail sont généralement embauchés pour un mandat provisoire et leur nomination en tant que fonctionnaires permanents est assujettie aux contraintes budgétairesNote de bas de page 81. Ils sont investis du pouvoir de surveiller, de contrôler et d’appliquer le droit du travail au moyen de mesures préventives (conseils et persuasion)Note de bas de page 82 et de mesures coercitives (enquêtes et imposition de sanctions en cas de non-conformité). Conformément à la loi 1610 de 2013, le processus d’inspection peut être amorcé à la suite d’une demande d’une partie intéressée ou de manière proactive par les autorités compétentes en matière de travail. Même si les inspecteurs sont investis du pouvoir d’imposer des sanctions, le pouvoir de trancher les différends découlant de la responsabilité individuelle et collective relève des autorités judiciairesNote de bas de page 83.

Le processus administratif d’imposition de sanctions suit des étapes et des échéanciers structurés, et ce, en conformité avec l’application régulière des principes enchâssés dans la Constitution colombienne et la loiNote de bas de page 84. Lorsqu’une plainte est reçue, les inspecteurs du travail doivent ouvrir un dossier et, s’il y a plus d’une plainte et qu’elles sont liées aux mêmes faits, les inspecteurs doivent traiter les plaintes comme un seul dossier afin d’éviter la prise de décisions contradictoiresNote de bas de page 85.

Le processus d’imposition de sanctions prévoit une enquête préliminaire obligatoire effectuée sur une période de 10 jours ouvrables. Si les circonstances le justifient, les inspecteurs du travail peuvent entreprendre une enquête officielle ou fermer l’enquête préliminaire en rendant une décision définitive qui peut faire l’objet d’un appelNote de bas de page 86. Lorsqu’une enquête est amorcée, un avis de mise en accusation est remis à la personne faisant l’objet de l’enquête. Au cours des 28 jours ouvrables suivants, la partie qui fait l’objet de l’enquête a la possibilité de présenter ou de demander des éléments de preuve aux fins d’examen dans le cadre du processus dans le but de préparer une défense. Au cours de cette période, les inspecteurs du travail peuvent également recueillir des éléments de preuve supplémentaires qui appuieraient la décision définitiveNote de bas de page 87. Une fois cette période terminée, les inspecteurs du travail disposent de 30 jours civils pour rendre une décisionNote de bas de page 88. Bien qu’une décision puisse faire l’objet d’appels, le processus de perception des amendes est lancé une fois que la décision a été priseNote de bas de page 89.

Perception des amendes

Les amendes imposées par les inspecteurs du travail sont perçues par le Service national de formation colombien (Servicio Nacional de Aprendizaje, SENA)Note de bas de page 90, un établissement d’enseignement rattaché au ministère du Travail. L’enquête sur l’actif réel, la localisation des débiteurs, les mesures persuasives et coercitives, l’échange d’information entre les entités gouvernementales et d’autres fonctions qui font partie du processus de perception des amendes sont mis en œuvre par CISA (Central de Inversiones S.A.), une entreprise appartenant en partie à l’État responsable de la gestion des biens et des biens immobiliers du gouvernement et rattachée au ministère des Finances. Afin de renforcer la capacité du service SENA à percevoir les amendesNote de bas de page 91, un accord entre CISA et le service SENA a été signé en 2016.

Lorsqu’une décision comprend l’imposition d’amendes, elle est transmise au service SENA en vue de permettre à l’établissement de déterminer, dans un délai de cinq jours, si la décision satisfait aux exigences pour le lancement du processus de coercition pour la perception des amendesNote de bas de page 92. Si les exigences ne sont pas satisfaites, la décision est renvoyée au ministère du Travail en vue d’apporter les corrections nécessaires. Selon les représentants du gouvernement de la Colombie, la durée du processus de perception des amendes a été réduite récemment de 484 à 417 jours ouvrablesNote de bas de page 93. Compte tenu de l’expertise de CISA et des moyens technologiques disponibles, on s’attend à une réduction substantielle du délai de perception des amendes dans l’avenir. CISA doit donc relever le défi d’exécuter son mandat en redéfinissant, dans une certaine mesure, le processus de perception des amendes. Néanmoins, l’application du droit du travail demeure un défi, surtout compte tenu de l’incapacité à respecter les délais établis pour les processus de sanction. Par exemple, en se fondant sur un examen détaillé des dossiers effectué dans le cadre du processus d’examenNote de bas de page 94, il semble que les délais n’étaient parfois pas respectés.

Dans le contexte du plan national de développement 2014-2018, le gouvernement de la Colombie a fixé l’objectif de rendre des décisions dans les délais prescrits dans au moins 70 % des cas en vertu du processus de sanctions administrativesNote de bas de page 95. En 2013, le gouvernement a également adopté la loi 1610 en vue d’augmenter le montant des amendes imposées. Par exemple, entre 2011 et 2015 le montant des amendes a augmenté de 30% annuellement, passant ainsi de six à quatorze millions de dollars canadien approximativementNote de bas de page 96. Bien que ces deux initiatives constituent des mesures positives, l’incapacité de respecter les délais des processus de sanctions administratives et coercitives pourrait miner l’effet dissuasif des pénalités plus sévères, en particulier dans le cas où des sanctions expirent après cinq ans lorsque les amendes imposées ne sont pas perçuesNote de bas de page 97.

Application judiciaire

En Colombie, les travailleurs peuvent aussi recourir au système judiciaire ordinaire pour soumettre leurs conflits de travail par l’intermédiaire du système judiciaire. En règle générale, le système judiciaire du travail peut instruire les conflits concernant des contrats de travail individuels, des questions relatives à l’immunité des organisations syndicales et des questions liées à la suspension et à l’annulation de l’enregistrement d’un syndicat ou à la dissolution d’un syndicat, entre autres, comme le prévoit le Code de procédure du travail et de la sécurité socialeNote de bas de page 98.

Les conflits de travail peuvent être soumis à des tribunaux inférieurs ou de première instance, soit à un tribunal du travail (Juzgado Laboral del Circuito) ou à un tribunal civil s’il n’y a pas de tribunal du travail dans la régionNote de bas de page 99. Les tribunaux du travail des cours supérieures de district (Salas Laborales de los Tribunales Superiores de Dístrito Judicial) peuvent instruire des appels de décisions rendues par les tribunaux du travail de première instance, y compris les tribunaux civils, liées au Code de procédure du travail et de la sécurité sociale. La Chambre du travail (Sala de Casación Laboral) de la Cour suprême peut renverser ou annuler des décisions rendues par des tribunaux inférieurs, y compris celles des tribunaux du travail des cours supérieures de district. Par exemple, cette chambre peut renverser des décisions d’un tribunal arbitral concernant des conflits collectifs de nature économique, instruire des appels qui ne sont pas du ressort des cours supérieures de district ou examiner des décisions qui privent les parties du droit de demander une annulation ou un renversement de la décision d’un tribunal inférieur, entre autres.

De plus, en matière de violation des droits fondamentaux protégés par la constitution, les citoyens colombiens peuvent demander réparation par l’action de la tutelleNote de bas de page 100. Il s’agit d’un mécanisme permettant à un citoyen qui ne dispose pas d’autres moyens de protection judiciaire de présenter une demande à un juge, à tout moment et en tout lieu, en vue d’obtenir une protection immédiate de ses droits constitutionnels fondamentaux lorsque ceux-ci sont violés ou menacés par l’action ou l’omission d’une autorité publique. La décision du juge devrait être rendue dans les 10 jours suivant la demande de protection et doit être mise en œuvre immédiatement. Les droits à la liberté d’association, à la négociation collective et de grève peuvent être protégés par le mécanisme d’action de la tutelle.

2. Allégations particulières

La communication du public comprend, à l’appui des allégations, des renseignements sur les événements qui se sont produits, lesquels concernent deux employeursNote de bas de page 101 :

  • Pacific Rubiales : Les auteurs de la communication soutiennent que les travailleurs de Pacific Rubiales n’ont pas pu se syndiquer et négocier une entente collective, ce qui constituait une violation de certains droits et principes fondamentaux relatifs au travail, notamment les droits à la liberté d’association et à la négociation collective. Les auteurs fournissent des exemples d’intermédiation illégale sur le marché du travail, de discrimination à l’égard des syndicats, d’entraves au droit de grève, de recours excessif à la force par les services de police et de processus d’inspection et d’enquête inefficaces au chapitre du travail; certains de ces exemples remontent à 2011.
  • Ingenio La Cabaña : Dans ce cas, les auteurs de la communication présentent également des allégations de violation des droits à la liberté d’association et à la négociation collective. Les exemples qu’ils fournissent, dont certains remontent à 2012, comprennent des cas d’intermédiation illégale sur le marché du travail, de pratiques systématiques de congédiement, d’intimidation des dirigeants et des membres des syndicats de même que de processus d’inspection et d’enquête inefficaces au chapitre du travail.

Le BAN de la Colombie a répondu à ces allégations en fournissant des explications concernant le cadre du droit du travail et les mesures prises par les autorités dans les deux cas. Le BAN soutient que la Colombie a mis en place le cadre et les procédures juridiques nécessaires afin de protéger les droits à la liberté d’association et à la négociation collective, y compris des mesures de protection contre la discrimination et la violence à l’endroit des syndicats. En ce qui touche les cas dont il est question, le BAN affirme que les autorités colombiennes ont pris les mesures nécessaires pour garantir la protection des travailleurs.

Dans la présente section, on décrit les principales allégations ainsi que la réponse de la Colombie en ce qui a trait aux deux situations, en plus de faire part des observations du BAN du Canada.

A. Pacific Rubiales et le syndicat USO

Les auteurs de la communication soutiennent que Pacific Rubiales et ses intermédiaires ont tenté d’entraver le droit des travailleurs à la liberté d’association en faisant ce qui suit :

  • congédiements massifs de membres du syndicat;
  • établissement d’une liste noire pour empêcher les travailleurs affiliés au syndicat USO de retourner au travail;
  • refus de renouveler des contrats de travail à moins que le travailleur ne quitte le syndicat USO et se joigne au syndicat UTENNote de bas de page 102.

Les auteurs de la communication indiquent que le syndicat USO a déposé une plainte auprès du ministère du Travail le 25 juillet 2011 concernant diverses violations commises par Pacific Rubiales, notamment l’intermédiation sur le marché du travail et le refus de négocierNote de bas de page 103. Les auteurs ajoutent que le 2 février 2012, le syndicat USO a déposé une nouvelle plainte auprès du ministère du Travail à l’endroit de Pacific Rubiales et de ses intermédiaires concernant des congédiements massifs de membres du syndicat même, des pressions exercées sur les travailleurs pour les inciter à quitter le syndicat USO et à se joindre au syndicat UTEN, ainsi que des mesures visant à empêcher les dirigeants syndicaux de pénétrer sur le lieu de travail.

Le gouvernement indique que la plainte déposée en février 2012 a été rejetée pour les motifs suivants : 1) il n’y avait pas de lien d’emploi direct entre Pacific Rubiales et les travailleurs affiliés au syndicat USO; ii) Pacific Rubiales n’avait pas violé le droit à la liberté d’association; iii) les contrats des travailleurs ont été résiliés en raison de la cessation de l’objet du contrat commercial conclu entre Pacific Rubiales et ses intermédiairesNote de bas de page 104. Les congédiements, selon le gouvernement, étaient justifiés par le fait que les relations commerciales entre Pacific Rubiales et ses intermédiaires avaient pris finNote de bas de page 105.

Lors de leur première mission en Colombie, les représentants du BAN du Canada ont rencontré les représentants de Pacific Rubiales, qui ont indiqué que leurs fonctions opérationnelles essentielles et permanentes étaient l’exploration et la production de pétrole, et que l’entreprise comptait divers employés permanents qu’elle avait embauchés directement. Toutefois, dans le cadre du processus d’expansion d’un champ de pétrole, l’entreprise fait appel à la sous-traitance pour s’adapter à l’augmentation temporaire de la charge de travail. Bien que la sous-traitance soit une pratique courante dans le secteur pétrolierNote de bas de page 106, particulièrement l’octroi de contrats de travail à court terme lors de la phase de développement d’un nouveau champ de pétrole, les commentaires de divers intervenants laissent croire que Pacific Rubiales s’est immiscé dans les opérations internes de ses sous-traitants, ce qui a engendré de la confusion parmi les travailleurs quant à l’identité de leur employeur.

De plus, les auteurs de la communication soutiennent que les dirigeants du syndicat USO n’ont pu pénétrer sur le lieu de travail et parler avec les travailleurs dans le cadre de l’exercice de leurs activités syndicales légitimesNote de bas de page 107. Ces allégations ont été présentées au Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du Travail qui, à son tour, a formulé diverses recommandations à l’intention du gouvernement colombienNote de bas de page 108. Les auteurs de la communication soutiennent que le gouvernement colombien n’a pas mis en œuvre les recommandations du Comité à ce jourNote de bas de page 109. Le gouvernement de la Colombie affirme que les recommandations du Comité ont été transmises à diverses entreprises, y compris Pacific Rubiales et ses sous-traitants, pour que celles-ci puissent prendre les mesures nécessairesNote de bas de page 110. Bien que les entreprises aient le droit d’assurer la sécurité de leurs installations, le BAN du Canada fait remarquer que les employeurs sont tenus de mettre en œuvre des règles internes, en vertu des lois colombiennes sur le travail, qui comprennent des procédures liées à l’exercice des activités syndicales dans le milieu de travailNote de bas de page 111. Bien que le ministère du Travail de la Colombie ne soit pas tenu de superviser ces règlements internesNote de bas de page 112 , le service d’inspection du travail a le pouvoir de s’assurer que les règlements sur les milieux de travail ne sont pas contraires à la loi sur le travail et qu’ils servent à promouvoir le respect des droits des travailleursNote de bas de page 113.

De plus, les auteurs de la communication soutiennent que Pacific Rubiales et ses sous-traitants ont refusé à plusieurs reprises de prendre part à une négociation collective avec le syndicat USO et que les autorités du travail ont été avisées de ce refus et ont reçu des éléments de preuve à cet égardNote de bas de page 114. Le gouvernement indique qu’il a facilité les discussions entre Pacific Rubiales et le syndicat USO; il a fait savoir, plus particulièrement, qu’il avait notamment organisé des tables rondes afin d’encourager les discussions entre le syndicat USO, Pacific Rubiales et ses intermédiaires, et la collectivité dans laquelle le champ de pétrole est situé, soit Puerto Gaitán.

Les auteurs de la communication soutiennent que le ministère du Travail a convoqué une réunion le 20 septembre 2011 entre Pacific Rubiales et l’USO et que les travailleurs ont convenu de suspendre toute autre manifestation; Pacific Rubiales a convenu de prendre part à une négociation collective et de s’abstenir d’exercer des représailles contre les travailleurs ayant participé aux arrêts de travail. Les auteurs de la communication ajoutent que les négociations de suivi devaient avoir lieu du 6 au 25 octobre 2011Note de bas de page 115. Le gouvernement affirme que du 21 septembre au 6 octobre, le ministère du Travail s’est acquitté de ses responsabilités à titre de promoteur et de facilitateur du règlement du conflit en collaboration avec la collectivité et Pacific Rubiales, ce qui a abouti à la signature d’une entente le 1er décembre 2011; cette entente mettait un terme au différend qui opposait la collectivité et Pacific Rubiales. Le gouvernement ajoute que malgré la signature de l’accord, des activités de suivi ont été organisées par le ministère du TravailNote de bas de page 116.

Les auteurs de la communication soutiennent également que les négociations de suivi prévues pour le 6 octobre 2011 n’ont pas eu lieu, puisque Pacific Rubiales a refusé d’y prendre part étant donné qu’une entente avait été conclue avec le syndicat UTEN. Les auteurs soutiennent également que l’accord de normalisation du travail (Labour Normalization Agreement), signé par Pacific Rubiales et le syndicat UTEN le 6 octobre 2011, était un contrat commercial lié à la prestation de services plutôt qu’une convention collectiveNote de bas de page 117 et que Pacific Rubiales avait signé deux contrats syndicaux avec le syndicat UTENNote de bas de page 118.

Dans le contexte de la première mission du BAN du Canada en Colombie, les représentants de Pacific Rubiales ont indiqué qu’ils étaient en faveur de la présence de syndicats multiples, mais que le syndicat USO ne leur avait pas envoyé la liste des travailleurs de Pacific Rubiales affiliés au syndicat. Ils ont toutefois reçu la liste du syndicat UTEN, ce qui a donné lieu à la signature d’une entente en octobre 2011Note de bas de page 119. Les dirigeants du syndicat USO, quant à eux, ont reconnu que c’était une erreur de leur part de ne pas avoir désigné, au départ, des travailleurs inscrits de Pacific Rubiales pour prendre part aux négociations avec l’entreprise en 2011Note de bas de page 120. Le syndicat USO a tiré des leçons de cette expérience et compte dans ses rangs des travailleurs inscrits de Pacific Rubiales depuis 2014; cela lui a permis de prendre part aux négociations collectives avec Pacific Rubiales. Dans une communication récente, le BAN de la Colombie a informé le BAN du Canada que le différend avait été porté à l’attention d’un tribunal arbitral en vue d’une décision finale, puisqu’aucune entente n’avait été conclueNote de bas de page 121.

Dans le cadre des discussions menées par le BAN du Canada, les représentants du syndicat UTEN ont indiqué que les travailleurs de Pacific Rubiales préféraient être affiliés à leur syndicat, puisque ce dernier représente une façon moderne et différente de s’organiser et que contrairement à bon nombre d’autres syndicats, il condamne la violenceNote de bas de page 122. Ils ont également indiqué avoir signé deux contrats syndicaux et une convention collective avec Pacific Rubiales. Le BAN du Canada a fait remarquer qu’il s’agit clairement d’une situation dans laquelle un syndicat, soit le syndicat UTEN, a signé des contrats syndicaux pour assumer un rôle d’employeur auprès des travailleurs (c.-à-d. qu’il est chargé de veiller à ce qu’il y ait de bonnes relations de travail et un environnement de travail sain) et pour agir à titre d’intermédiaire entre ces travailleurs et Pacific Rubiales. Le gouvernement affirme que, même si les actions de Pacific Rubiales pouvaient être remises en question, l’entente signée entre Pacific Rubiales et le syndicat UTEN avait tout de même une valeur importante pour les travailleurs de Pacific RubialesNote de bas de page 123.

Par ailleurs, les auteurs de la communication soutiennent que le gouvernement a omis de mener des enquêtes du travail appropriées et qu’il n’a pas su rendre des décisions en temps opportun concernant les plaintes déposées par le syndicat USO auprès des autorités du travail en 2012, en 2013 et en 2015. Par exemple, les auteurs de la communication soutiennent ce qui suit :

  • la plainte déposée en vertu de l’article 200 du Code criminel en mai 2013 a été réacheminée au moins trois foisNote de bas de page 124;
  • aucune déclaration de culpabilité n’a été consignée à l’échelle du pays, et ce, même si 1 146 plaintes ont été déposéesNote de bas de page 125;
  • l’unité créée pour réduire l’impunité n’a pas assez d’employés, accuse un retard dans le traitement des dossiers et intente rarement des poursuitesNote de bas de page 126;
  • il n’y a eu aucune enquête significative après que les dirigeants du syndicat USO et leurs familles eurent reçu des menaces de mort pour avoir témoigné contre Pacific RubialesNote de bas de page 127.

Le gouvernement indique que le ministère du Travail a établi un plan pour enquêter sur Pacific Rubiales et ses intermédiaires afin de recueillir les faits liés aux violations signalées par le syndicat USO. Les inspecteurs du travail avaient effectué 146 visites en date du 29 juillet 2011 afin de déterminer la relation qui unit Pacific Rubiales et ses intermédiaires; en date du 10 août 2011, ils avaient mené 162 enquêtes pour évaluer la conformité de Pacific Rubiales avec les normes du travailNote de bas de page 128. Toutefois, le BAN canadien fait remarquer que l’incidence de ces visites et inspections pour répondre efficacement aux allégations ne fait pas partie de la réponse du gouvernementNote de bas de page 129. Une étude récente a révélé que les violations des droits du travail et la sous-traitance illégale sont des pratiques courantes au sein de Pacific RubialesNote de bas de page 130.

Le gouvernement affirme que le Bureau du procureur général a reçu 1 769 avis (ou dénonciations) faisant état de violations de la liberté d’association en vertu de l’article 200 entre 2011 et septembre 2016Note de bas de page 131. Le gouvernement indique également que de mai 2012 à avril 2016, des membres du syndicat USO ont été identifiés en tant que victimes d’actes criminels dans le cadre de 53 enquêtesNote de bas de page 132. Le gouvernement ajoute que le Bureau du procureur général a accordé la priorité à la plainteNote de bas de page 133 déposée par le syndicat USO en mai 2013Note de bas de page 134. Le gouvernement indique que parmi les 1 769 plaintes déposées en vertu de l’article 200, 1 149 dossiers ont été clos, y compris 249 dossiers dans lesquels la plainte a été retirée par la personne concernée et 84 dossiers dans lesquels les parties sont parvenues à concilier leurs différends. Les autres dossiers n’ont pas été traités, surtout en raison de l’expiration des délais prescrits dans le Code de procédure pénale.

De plus, il y a actuellement 628 dossiers actifs concernant des violations à l’article 200, mais un seul de ces dossiers fait l’objet d’une enquête à l’heure actuelleNote de bas de page 135. Le BAN du Canada fait remarquer que les violations au droit à la liberté d’association en vertu de l’article 200 du Code criminel sont delitos querellables, c.-à-d. qu’elles requièrent de la personne concernée qu’elle dépose une plainte officielle pour s’assurer qu’une enquête est amorcée. Cela a des conséquences pour la procédure applicable, qui comprend ce qui suit : i) la présentation obligatoire de la plainte par la personne concernée; ii) la possibilité, pour la personne concernée, de retirer sa plainte; iii) un processus de conciliation entre les parties concernées [une condition préalable à l’amorce de l’enquête]Note de bas de page 136; iv) l’archivage obligatoire dans un délai de cinq ans à partir de la date à laquelle l’avis concernant la violation alléguée est porté à l’attention des autorités compétentes s’il n’y a eu aucune mise en accusationNote de bas de page 137. Le BAN du Canada fait remarquer que 69 % des 628 dossiers (soit 432 dossiers) en sont à la phase d’enquête préliminaire, c.-à-d. que le processus de conciliation doit être mené à bien. Une attention particulière est portée aux cas qui datent de 2011 à 2013. En effet, le délai prescrit de deux ans pour la phase d’enquête préliminaire a été dépasséNote de bas de page 138. De même, décembre 2016 marque la fin de la période de cinq ans faisant en sorte qu’il n’y aurait pas d’accusation pour ces cas précis.

Le BAN du Canada fait remarquer que l’on n’a signalé au gouvernement aucun cas en instruction et aucune déclaration de culpabilité subséquente en vertu de l’article 200. De plus, le BAN du Canada indique que bien que la conciliation soit un mécanisme servant à faciliter le dialogue entre les parties, sa nature obligatoire peut causer des délais déraisonnables et accroître le risque que la plupart des avis concernant des actes criminels allégués ne soient pas traités en raison des échéanciers, ce qui renforcerait, ultimement, le sentiment d’impunité et le manque de confiance des travailleurs dans le système judiciaire. En outre, le BAN du Canada fait remarquer que le nombre élevé de dossiers qui en sont à la phase d’enquête préliminaire laisse croire qu’il faut modifier le Code criminel ou encore les pratiques et techniques d’enquête appliquées.

Le gouvernement indique également que l’UNP a effectué 2 745 évaluations du risqueNote de bas de page 139 pour les dirigeants syndicaux et les membres, a fourni des mesures de protection spéciales à 2 480 dirigeants syndicaux entre 2012 et 2015 et fournit actuellement des mesures de protection à 597 syndicalistes, y compris des dirigeants et des activistes du syndicat USONote de bas de page 140. Bien que le BAN du Canada reconnaisse les efforts du gouvernement pour prévenir et réduire la violence à l’endroit des syndicalistes en Colombie, il fait remarquer que le budget fluctuant de l’UNP peut compromettre sa capacité d’obtenir des résultats à long termeNote de bas de page 141.

Les auteurs de la communication soutiennent que le gouvernement de la Colombie n’a pas su maintenir la paix dans le cadre des différends au chapitre des relations industrielles. Les auteurs indiquent qu’on a empêché les représentants du syndicat USO de pénétrer sur les lieux de travail pour parler aux travailleurs afin de réaliser un vote de grève et qu’on a empêché les travailleurs d’effectuer des arrêts de travail au moyen d’une intervention violente de la part des forces de sécurité colombiennesNote de bas de page 142. Certains travailleurs ont été grièvement blessés par les mesures prises par l’escadron ESMAD, qui a fait un usage excessif de la forceNote de bas de page 143. Les auteurs de la communication ajoutent que le syndicat USO a demandé à ce que des renseignements soient obtenus concernant l’usage excessif de la force par les autorités policières, mais que leurs demandes à cet égard n’ont pas donné lieu à des enquêtes.

Le gouvernement indique que la Constitution colombienne garantit aux travailleurs le droit de grève en vertu de l’article 56, à l’exception des fonctionnaires qui offrent des services essentiels. Le gouvernement indique également que la Chambre du travail de la Cour suprême a déclaré en avril 2013 que les arrêts de travail déclenchés par le syndicat USO en mars, en avril et en mai 2012 étaient illégauxNote de bas de page 144. Le gouvernement ajoute que les événements de 2011 étaient considérés comme des arrêts de travail et des protestations sociales plutôt que comme une grève, puisqu’aucun processus de négociation collective n’était engagé à ce moment entre le syndicat USO et Pacific Rubiales. Le gouvernement indique également que l’usage de la force par les autorités policières est légitime lorsque toutes les mesures pacifiques (p. ex. le dialogue, la persuasion, les avertissements) n’ont pas permis de mettre fin au conflit et lorsqu’il existe un risque que des biens soient endommagés.

Bien que le droit de grève soit protégé en vertu des lois colombiennes, le BAN du Canada fait remarquer que l’usage systémique de contrats à court terme place les travailleurs dans des relations d’emploi précaires et que cela les empêche d’exercer efficacement leur droit de grève. Le BAN du Canada indique que cette situation de travail précaire peut mener le gouvernement à empêcher les travailleurs, sans motif valable, de prendre des mesures légitimes au chapitre du travail. Le BAN du Canada fait également remarquer que la réponse du gouvernement ne permet pas de comprendre dans cette dernière si des mesures concernant les signalements d’usage excessif de la force par la police ont été prises, tout particulièrement en ce qui a trait aux interventions de l’escadron ESMAD.

B. Ingenio La Cabaña et SINTRAINAGRO

Les auteurs de la communication soutiennent qu’Ingenio La Cabaña adopte systématiquement des pratiques visiblement antisyndicales, notamment des menaces, y compris des menaces de non-renouvellement des contrats des travailleurs, ainsi que de l’intimidationNote de bas de page 145. Les auteurs soulignent le congédiement des travailleurs par le sous-traitant de La Cabaña, la SAS CAÑACORT D&B, en raison de leur adhésion au syndicat SINTRAINAGRONote de bas de page 146. La SAS CAÑACORT était l’intermédiaire, ou le sous-traitant, qui fournissait des coupeurs de canne à Ingenio La Cabaña. Les auteurs de la communication soutiennent également que le directeur des ressources humaines de La Cabaña a eu recours à des menaces de violence pour empêcher les travailleurs de se joindre au syndicat SINTRAINAGRONote de bas de page 147.

Le gouvernement affirme qu’à la suite des enquêtes menées par le service d’inspection du travail du ministère du Travail, il a été déterminé qu’aucune violation du droit à la liberté d’association n’avait eu lieuNote de bas de page 148. L’enquête du ministère du Travail sur la discrimination antisyndicale a débuté le 22 janvier 2013 et a pris fin le 12 novembre 2013. La décision n° 157 peut être portée en appel. Le service d’inspection du travail appuie cette décision et considèreNote de bas de page 149 : i) que le syndicat SINTRAINAGRO a été formé conformément au droit à la liberté d’association, lequel est protégé en vertu des règlements colombiens et des traités internationaux; ii) que le syndicat SINTRAINAGRO a enfreint ses propres règlements, puisque des irrégularités ayant porté atteinte à la légitimité de l’affiliation des travailleurs ont été révélées au cours de l’enquête; iii) que le syndicat SINTRAINAGRO n’a pas suivi le mécanisme juridique pour percevoir les cotisations syndicales. Le service d’inspection du travail a ajouté que les témoignages recueillis révèlent que les travailleurs se sont joints au syndicat SINTRAINAGRO sous la fausse promesse qu’ils garderaient leur emploiNote de bas de page 150. Pour ce qui touche l’ingérence du directeur des ressources humaines dans les activités du syndicat SINTRAINAGRO, le service d’inspection du travail a refusé de tenir compte de l’enregistrement audio présenté en preuve, puisque cet enregistrement n’avait pas été autorisé et qu’il violait les droits constitutionnels en matière de protection de la vie privéeNote de bas de page 151. Quant aux allégations selon lesquelles les travailleurs avaient été congédiés en raison de leur affiliation au syndicat SINTRAINAGRO, le service d’inspection du travail a affirmé qu’aucune preuve démontrant qu’il y avait eu congédiement n’avait été présentée; les contrats d’emploi temporaires des travailleurs avaient atteint leur fin naturelleNote de bas de page 152. Le service d’inspection du travail a mis l’accent sur le fait que le syndicat SINTRAINAGRO n’avait pas démontré que les travailleurs concernés par les pratiques antisyndicales alléguées étaient en fait des membres du syndicat même, conformément aux exigences établies dans la législation de ce dernier. Le service d’inspection du travail a donc conclu qu’il n’y avait eu aucune violation du droit à la liberté d’association par Ingenio La Cabaña et son sous-traitant CAÑACORT.

Les auteurs de la communication soutiennent également qu’Ingenio La Cabaña a refusé de prendre part à des négociations collectives de bonne foi. Le BAN du Canada fait remarquer que le ministère du Travail a entamé une enquête le 21 janvier 2013, laquelle s’est conclue par la décision n° 136, rendue le 17 septembre 2013; cette décision n’a pas été modifiée malgré les appels. Le service d’inspection du travail a expliqué qu’il y avait des incohérences dans le processus d’adhésion des travailleurs au syndicat SINTRAINAGRO et que l’autorité du syndicat de défendre les intérêts des travailleurs était compromiseNote de bas de page 153. Le service d’inspection du travail a également indiqué que les travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO n’avaient pas le droit de soumettre leur liste de demandes à Ingenio La Cabaña, puisqu’il n’y avait pas de relation d’emploi entre eux. En outre, bien que le syndicat SINTRAINAGRO ait également présenté une liste de demandes à CAÑACORT, CAÑACORT a indiqué qu’il n’était pas en mesure de négocier avec les travailleurs. Plus particulièrement, son contrat avec Ingenio La Cabaña avait pris fin et les contrats de travail des travailleurs membres du syndicat SINTRAINAGRO avaient également pris fin, et ce, automatiquement.

Les auteurs de la communication soutiennent que les pratiques courantes et illégales d’intermédiation sur le marché du travail et de sous-traitance nuisent aux droits des travailleurs de s’associer et de négocier collectivement, particulièrement dans l’industrie du sucre, comme le démontre le cas de La Cabaña et du syndicat SINTRAINAGRONote de bas de page 154. Les auteurs de la communication affirment que l’embauche de coupeurs de canne par des intermédiaires pour effectuer des fonctions opérationnelles essentielles et permanentes comme la coupe de cannes est illégale et qu’elle a des répercussions sur les droits fondamentaux des travailleursNote de bas de page 155. Dans un document fourni à l’inspecteur du travail à Quilichao, Ingenio La Cabaña a indiqué que 209 coupeurs de cannes sont embauchés directement par l’entreprise pour travailler sur leur propre moulin à sucre et que 1 200 coupeurs de cannes sont embauchés par des intermédiaires (p. ex. CAÑACORT, la SAS AGROPECUARIA GARCÍA Y MARTINEZ, la SAS CORTEAGRO)Note de bas de page 156 pour travailler dans des champs de cannes à sucre qui ne lui appartiennent pasNote de bas de page 157 . Bien que certains segments de la chaîne de production puissent être confiés en sous-traitance avec l’aide d’intermédiaires, plus particulièrement dans les cas où des travailleurs sont embauchés pour travailler dans des champs de cannes à sucre qui n’appartiennent pas à La Cabaña, ces intermédiaires sont ultimement chargés de s’assurer, en tant qu’employeurs, qu’ils respectent les droits du travail de leurs travailleurs et qu’ils leur fournissent les mesures de protection sociale prévues par la loiNote de bas de page 158. Le BAN du Canada fait toutefois remarquer qu’en pratique, Ingenio La Cabaña surveille et contrôle les activités de ses sous-traitants et de ses travailleurs, même ceux qui travaillent dans des champs qui ne lui appartiennent pas. De telles mesures ne sont pas compatibles avec les modalités des contrats de sous-traitance. Le BAN du Canada fait également remarquer que le niveau élevé de contrôle qu’exerce Ingenio La Cabaña à l’égard des activités de ses sous-traitants peut laisser croire aux travailleurs en sous-traitance que l’entreprise est leur employeur réelNote de bas de page 159.

Les auteurs de la communication affirment que l’entreprise fait une utilisation abusive des contrats à court termeNote de bas de page 160. Comme il a été mentionné plus tôt, l’insécurité qui découle de l’utilisation abusive de ces contrats a des répercussions sur la capacité des travailleurs d’exercer leur droit de s’associer et de demander des conditions de travail appropriées. En outre, le fait que ces contrats sont souvent utilisés pour embaucher des travailleurs avec l’aide d’intermédiaires ou de sous-traitants nuit à la capacité des travailleurs d’exercer leurs droits.

Les auteurs de la communication soutiennent également que l’entreprise fait un mauvais usage des contrats des travailleurs par l’entremise de sociétés par actions à responsabilité limitée simplifiée, dont l’utilisation n’a cessé d’augmenter depuis leur introduction dans la loi colombienne en 2008. Les SAS sont des entités commerciales dans lesquelles les travailleurs sont considérés comme des partenaires (et ne sont donc pas visés par la loi colombienne sur le travail) et sont embauchés en sous-traitance par des entreprises utilisatrices qui, dans bien des cas, ont recours aux SAS pour déguiser la relation d’emploiNote de bas de page 161. Les travailleurs du syndicat SINTRAINAGRO se sont plaints de l’utilisation des SAS et ont affirmé qu’il s’agissait d’une pratique de travail injuste et discriminatoire qui entrave leurs droits individuels et collectifsNote de bas de page 162. Les auteurs de la communication expliquent que les sous-traitants prenant la forme de SAS cessent souvent leurs opérations et réapparaissent sous un nouveau nom, ce qui a des répercussions sur la capacité des travailleurs d’exercer leurs droitsNote de bas de page 163.

Lors de leur première mission en Colombie, les représentants du BAN du Canada ont rencontré les représentants des syndicats SINTRAINCABAÑA, SINTRAZUCAR et SINTRACAÑAZUCOLNote de bas de page 164 (ce dernier est un membre de la centrale CUT, à laquelle appartient également le syndicat SINTRAINAGRO). Ces trois syndicats représentent des travailleurs permanents d’Ingenio La Cabaña et ont une convention collective avec l’entreprise. Les représentants des syndicats ont indiqué que les relations avec l’équipe de la direction de l’entreprise étaient excellentes et qu’ils n’avaient eu aucun problème à exercer leurs droits collectifs. Ils ont également mentionné qu’ils étaient absolument opposés à la présence du syndicat SINTRAINAGRO au sein d’Ingenio La Cabaña. L’hostilité envers le syndicat SINTRAINAGRO a donné lieu à des affrontements entre les travailleurs ainsi qu’à d’autres actes de violence. Le BAN du Canada fait remarquer que la syndicalisation en soi n’était pas un problème à Ingenio La Cabaña étant donné la présence de divers syndicats, ce qui laisse croire que le lieu de travail est un environnement favorable à la protection des droits des travailleurs. Le BAN du Canada fait toutefois remarquer que le mauvais usage de la sous-traitance, les ententes contractuelles ambiguës, le mauvais usage des contrats à court terme, le manque de clarté des responsabilités concernant les obligations en matière de travail et d’emploi et la confusion apparente au sujet de ce qui constitue des fonctions opérationnelles principales, entre autres, font en sorte que les travailleurs ne sont pas protégés contre les pratiques abusives et qu’ils sont exposés à des conditions de travail précaires.

En raison de l’usage abusif et systémique de la sous-traitance, les auteurs de la communication ont suggéré qu’un accord de normalisation du travail soit conclu en conformité avec la loi 1610 de 2013Note de bas de page 165. Le gouvernement indique que le ministère du Travail a offert un soutien aux travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO afin de donner suite à leur proposition de normalisation du travail. Le BAN du Canada fait toutefois remarquer qu’il n’y a aucun renseignement concernant le type de soutien qu’a offert le ministère du Travail au syndicat SINTRAINAGRONote de bas de page 166. Les auteurs de la communication affirment également que, bien que plusieurs plaintes de sous-traitance illégale aient été déposées auprès du ministère du Travail, une seule inspection a été menée dans les installations d’Ingenio La Cabaña, soit le 18 juin 2013. Le gouvernement affirme que les plaintes d’intermédiation illégale sont examinées par une unité spéciale d’enquête du service d’inspection du travail du ministère du Travail de la ColombieNote de bas de page 167. Dans une récente communication, le BAN colombien a informé le BAN canadien que le ministère du Travail avait entamé le processus de sanctions et avait déposé des accusations de mauvais usage de sous-traitance contre Ingenio La CabañaNote de bas de page 168.

Le BAN du Canada fait remarquer que les procédures administratives et judiciaires pour enquêter sur les allégations faites contre Ingenio La Cabaña par le syndicat SINTRAINAGRO étaient entamées. Cependant, le BAN du Canada est particulièrement préoccupé par les obstacles auxquels font face les travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO, malgré les mesures de protection juridiques et constitutionnelles existantes liées au droit d’association et à la négociation collective. Le BAN du Canada fait remarquer qu’il existe une confusion quant à la pertinence de l’enquête sur les allégations de pratiques antisyndicales menée par le service d’inspection du travailNote de bas de page 169. Le BAN du Canada indique en outre que les inspecteurs du travail ont le pouvoir de chercher à obtenir des preuves de façon proactive et d’examiner les preuves reçues dans le cadre du processus d’enquêteNote de bas de page 170.

Afin de réintégrer les travailleurs congédiés et d’imposer des sanctions concernant les pratiques antisyndicales, les auteurs de la communication affirment avoir cherché des recours judiciaires en utilisant l’action de la tutelle. Le juge a rejeté le cas sous prétexte que l’action de la tutelle n’est pas le mécanisme approprié pour protéger les droits relatifs au travail, particulièrement lorsque les travailleurs ont accès à d’autres mécanismes judiciairesNote de bas de page 171.

Les auteurs de la communication soutiennent qu’une plainte a été arbitrairement séparée en deux plaintes, ce qui a engendré de la confusion et a alourdi les procéduresNote de bas de page 172. Le gouvernement indique que les plaintes déposées auprès du ministère du Travail ont été présentées dans deux documents distincts et que, par conséquent, deux enquêtes différentes ont été amorcéesNote de bas de page 173. Le BAN du Canada fait remarquer que toute plainte déposée auprès du ministère du Travail est considérée comme un derecho de petición (droit de demander), peu importe son contenu, et qu’il incombe par conséquent à l’inspecteur d’examiner les faits et de prendre les mesures nécessairesNote de bas de page 174. Le BAN du Canada fait également remarquer que la loi colombienne indique que les documents et les procédures connexes peuvent faire l’objet d’une enquête dans le cadre d’un seul dossierNote de bas de page 175. Bien que les principes de l’efficacité, de l’économie et de l’application régulière de la loi orientent le travail de l’inspecteur, qui vise à faire avancer l’enquête dans l’intérêt de toutes les parties, le BAN du Canada fait remarquer qu’il serait avantageux d’examiner les règlements afin de simplifier le processus en vue des enquêtes subséquentesNote de bas de page 176. Par ailleurs, il serait bénéfique d’uniformiser le système de sanctions, tel qu’il est décrit dans la partie 1 du présent rapport, afin de faciliter l’imposition d’amendes, là où il y a lieuNote de bas de page 177.

Les auteurs de la communication soutiennent également que les enquêtes menées n’ont pas donné lieu à des sanctions, qu’aucune inspection significative n’a été menée et que les plaintes n’ont pas été traitées dans les délais prescrits. Le gouvernement soutient que les allégations faites par les auteurs de la communication ne sont pas fondées et insiste sur le fait qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux plaintesNote de bas de page 178. Le BAN du Canada fait remarquer que deux enquêtes ont été amorcées pour déterminer le bien-fondé d’un processus officiel et que les inspecteurs du travail avaient 30 jours pour enquêter sur les plaintes et prendre une décisionNote de bas de page 179. Les plaintes ont été rejetées sous le prétexte qu’il n’y avait eu aucune violation des droits des travailleurs selon les éléments de preuve documentaires et les témoignages recueillis. Le BAN du Canada indique que les longs processus peuvent décourager les travailleurs de poursuivre une cause d’action si, ultimement, aucune amende ou sanction n’est imposéeNote de bas de page 180. Le BAN du Canada fait également remarquer que certains des travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO ne connaissaient pas le type de contrat régissant leur relation d’emploi et qu’ils n’avaient pas de copie de leur contratNote de bas de page 181. Le BAN du Canada ne peut déterminer, en se fondant sur la réponse du gouvernement à ces allégations, si des mesures de prévention ont été prises par le service d’inspection du travail à Quilichao pour combler ces lacunes en matière d’information, y compris des mesures visant à sensibiliser les travailleurs et les employeurs aux droits relatifs au travail.

Enfin, les auteurs de la communication affirment que les syndicalistes ont été victimes d’actes de violence, de menaces et d’intimidation, y compris le meurtre du syndicaliste Juan Carlos Pérez Muñoz du syndicat SINTRAINAGRONote de bas de page 182. Les auteurs de la communication soutiennent qu’il y a eu une escalade des menaces et de l’intimidation de la part de représentants de La Cabaña et de ses intermédiairesNote de bas de page 183. Dans une communication du 15 juillet 2015Note de bas de page 184, le BAN du Canada fait remarquer que le meurtre de M. Pérez Muñoz fait toujours l’objet d’une enquête. Le BAN du Canada indique également que l’enquête a été confiée à divers procureurs et à différentes unités, mais qu’il ne connaît pas les critères et les objectifs se rattachant à ces démarches de réacheminement. Le BAN du Canada fait également remarquer qu’une enquête criminelle est menée si les menaces et l’intimidation dont sont victimes les syndicalistes correspondent aux critères restrictifs établis en vertu de l’article 347 du Code criminelNote de bas de page 185. Le BAN du Canada affirme que certaines menaces graves dont sont victimes des syndicalistes peuvent ne pas correspondre à ces critères. Par ailleurs, le BAN du Canada affirme qu’il y a actuellement 190 dossiers actifs qui sont visés par l’article 347, mais que malgré les efforts des autorités colombiennes pour poursuivre les auteurs des crimes, aucune déclaration de culpabilité n’a été effectuée à ce jour en vertu de cet article, ce qui contribue à perpétuer les cycles de la violence et de l’impunitéNote de bas de page 186.

De façon générale, le BAN du Canada reconnaît que les travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO ont eu accès à des mécanismes administratifs et judiciaires afin de demander réparation pour la violation de leurs droits, mais il a des doutes concernant l’efficacité et la rapidité de ces mécanismesNote de bas de page 187.

3. Aperçu des constats et analyse

Dans la section qui suit, nous examinerons les enjeux les plus importants relevés au cours de l’examen des cas, à la lumière des observations du BAN au sujet de la situation au chapitre du travail, du cadre juridique et des allégations particulières. Notons que les deux cas traduisent des réalités distinctes et concernent des événements survenus dans des secteurs économiques différents, mais mettent en évidence des difficultés communes dans le domaine des relations de travail.

Comme nous l’avons souligné précédemment, le cadre juridique de la Colombie accorde aux travailleurs et aux employeurs les droits à la liberté d’association et à la négociation collective. Le cadre juridique permet la formation et l’enregistrement d’un syndicat dans un lieu de travail donné, de même que l’existence de plusieurs syndicats dans un lieu de travail; en outre, il permet aux travailleurs de faire partie d’au moins un des syndicats implantés dans leur lieu de travail. Au cours des dernières années, des changements à la loi ont assoupli le marché du travail et permettent une meilleure gestion des relations de travail et d’emploi dans un monde du travail en pleine mutation. Compte tenu de ce qui précède, le BAN du Canada constate que le droit des travailleurs de créer et de former un syndicat et d’y adhérer semble protégé officiellement. En règle générale, les syndicats bénéficient d’une autonomie et des avantages de la négociation collective. Toutefois, des défis importants demeurent.

On se rappelle que trois syndicats représentent les travailleurs de la société Ingenio La Cabaña et que l’un de ces syndicats est affilié à la centrale CUT, qui est au nombre des auteurs de la communication en question et qui fait partie de la même centrale syndicale que le syndicat SINTRAINAGRO. Les pratiques syndicales semblent donc protégées dans la société Ingenio La Cabaña. Dans le cas qui concerne Pacific Rubiales, la signature d’une entente entre la société et le syndicat UTEN – un syndicat qui propose un syndicalisme renouvelé – amène le BAN du Canada à juger que Pacific Rubiales ne s’opposait pas fermement à la présence de syndicats sur le lieu de travail. Les auteurs de la communication ont allégué dans la communication que les travailleurs affiliés au syndicat USO, l’un des plus importants syndicats du secteur pétrolier, et au syndicat SINTRAINAGRO atteignaient le seuil exigé par la loi, c’est à dire plus de 25 travailleurs. Toutefois, les travailleurs représentés par les syndicats USO et SINTRAINAGRO n’étaient pas des travailleurs d’usine de Pacific Rubiales ni d’Ingenio La Cabaña, mais des travailleurs embauchés par des sous-traitants. Dans ce contexte, Pacific Rubiales et La Cabaña seraient autorisées par la loi à rejeter la demande des syndicats USO et SINTRAINAGRO d’entreprendre un processus de négociation collective avec des travailleurs qui, d’un point de vue contractuel, n’étaient pas leurs employés. Dans l’ensemble, il semble que dans les deux cas, les travailleurs aient eu le droit d’organiser et de former un syndicat et d’y adhérer. Néanmoins, une importante préoccupation demeure : celle de la reconnaissance des syndicats par le « véritable » employeur, en particulier dans les situations dans lesquelles les travailleurs sont embauchés par des sous-traitants en vue de l’exécution de travaux ou de la prestation de services.

Sous-traitance

Dans les deux cas, le recours abusif à la sous-traitance a créé des situations dans lesquelles il était difficile pour les travailleurs d’exercer efficacement leurs droits à la liberté d’association et à la négociation collective parce que leurs relations d’emploi étaient ambiguës. Il est donc devenu difficile de savoir qui devrait être considéré comme l’employeur et, en dernier ressort, qui a la responsabilité de la protection des droits et du respect des obligations, ce qui comprend la responsabilité en cas de manquement à ces obligations. Bien que les travailleurs de Pacific Rubiales et d’Ingenio La Cabaña aient été embauchés par des sous-traitants, le BAN du Canada souligne que la direction, la surveillance et le contrôle des activités de travail relevaient de l’employeur principal. L’employeur principal et les sous-traitants n’étaient donc pas indépendants. Pacific Rubiales, par exemple, dictait les conditions de travail de ses sous-traitants et a semblé favoriser les sous-traitants qui n’employaient pas de membres du syndicat USO.

Puisque Pacific Rubiales et Ingenio La Cabaña contrôlaient dans les faits les activités de travail des travailleurs en sous-traitance, on peut conclure qu’elles avaient l’intention de masquer leur relation d’emploi de fait avec les travailleurs et donc de se soustraire à leurs obligations aux termes de la loi. Le BAN du Canada comprend que la sous-traitance du processus de production est une pratique courante qui peut avoir des raisons économiques légitimes. Toutefois, la sous-traitance devient un problème lorsqu’elle sert à contourner des obligations en vertu des lois du travail. L’ingérence importante des principaux employeurs dans les activités liées à la gestion du travail de leurs sous-traitants semble fortement indiquer que les relations de sous-traitance étaient effectivement utilisées à cette fin.

Dans les deux cas, les sous-traitants semblent avoir géré les effectifs de concert avec les propriétaires des entreprises et avoir embauché les travailleurs en vertu de contrats à court terme afin d’avoir la possibilité de congédier des travailleurs. Dans le cas mettant en cause Ingenio La Cabaña, par exemple, les auteurs de la communication ont indiqué que l’utilisation d’une SAS à titre de sous-traitant a permis à l’employeur principal d’embaucher illégalement des travailleurs en vue de l’exécution de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes en vertu de contrats à court terme. Selon le syndicat SINTRAINAGRO, la SAS qui a fourni des travailleurs en sous-traitance pour le compte de La Cabaña a été d’abord établie en tant que coopérative de travail associé; toutefois, dans le but de se plier aux changements apportés à la loi qui empêchent le recours à des coopératives pour la sous-traitance des fonctions opérationnelles principales, la coopérative a été convertie en SAS, plus particulièrement afin de continuer à exécuter des travaux pour La Cabaña ou de continuer à lui offrir des services. En résumé, si aucune relation d’emploi n’est reconnue entre les travailleurs et l’employeur, il est impossible pour les syndicats de négocier avec l’employeur, qui dicte en dernier ressort les conditions de travail, ce qui nuit à la liberté des travailleurs d’exercer leur droit à la négociation collective.

Les travailleurs des sous-traitants estimaient que leurs droits à la liberté d’association et à la négociation collective étaient limités. Ils craignaient de s’exposer à des représailles s’ils s’adonnaient à des activités syndicales ou s’ils adhéraient à un syndicat qui n’était pas approuvé par l’employeur principal. Les travailleurs affiliés au syndicat USO craignaient de se retrouver sur une liste noire, craignaient de perdre leur emploi si leur contrat n’était pas renouvelé ou prolongé et estimaient qu’on les incitait indûment à se joindre au syndicat UTEN plutôt qu’au syndicat USO. Les travailleurs affiliés au syndicat SINTRAINAGRO ont déclaré qu’ils étaient victimes d’intimidation, de menaces et de harcèlement de la part de l’entreprise et des sous-traitants, ce qui freinait leurs tentatives d’exercer leurs droits. Le BAN du Canada souligne que l’usage abusif de sous-traitants a créé un climat étouffant dans lequel les travailleurs des sous-traitants ont pu être réticents à se syndiquer puisqu’ils estimaient qu’ils n’étaient pas protégés contre les licenciements abusifs et les pratiques discriminatoires. Bien que le droit colombien du travail reconnaisse les droits à la liberté d’association et à la négociation collective, la réticence à se syndiquer des travailleurs se trouvant dans des conditions de travail précaires a, dans les faits, limité l’exercice véritable des droits collectifs des travailleurs.

Comme nous le mentionnons dans le présent rapport, l’usage abusif répandu des coopératives de travailleurs a amené le gouvernement de la Colombie à adopter un règlement contre le recours abusif aux ententes de sous-traitance avec des tiers. Ce règlement, entre autres, définit les fonctions opérationnelles essentielles et permanentes et interdit toute forme de sous-traitance de telles fonctions. Toutefois, l’absence d’exigences réglementaires sur ce qui constitue précisément une « autre » forme de sous-traitance a entraîné le recours à davantage d’ententes contractuelles sous la forme de contrats de droit civil (p. ex. SAS, les coopératives de travail associées, contrats syndicaux) qui prévoient la sous-traitance de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes des entreprises et servent donc à déguiser la relation d’emploi directe.

Dans ce contexte, le décret 583 a été adopté en 2016 dans le but de mettre fin au recours abusif à la sous-traitance en énumérant un certain nombre d’éléments qui permettent aux inspecteurs du travail d’imposer des sanctions. L’intention initiale derrière le décret 583 était louable puisque ce décret visait à clarifier les différents aspects des lois colombiennes liées au recours abusif à la sous-traitance, ce qui devait donc faciliter le travail des inspecteurs.

Néanmoins, après de nombreuses discussions avec différents intervenants qui ont pris part à la rédaction du décret 583, le BAN du Canada conclut que pour ménager des intérêts commerciaux, le texte original a été dilué en cours de rédaction, si bien qu’après avoir consulté ses différentes directions du travail, le ministère du Travail de la Colombie a avoué que ses inspecteurs sont plus confus que jamais sur ce qui constitue un recours abusif à la sous-traitanceNote de bas de page 188. Le décret 583 a aggravé cette confusion en affaiblissant d’importantes mesures qui avaient pour but de protéger les travailleurs contre les pratiques inadéquates de sous-traitance en vertu de l’article 63 de la loi 1429. Premièrement, ce décret permet la sous-traitance de fonctions opérationnelles essentielles et permanentes, ce qui était strictement interdit jusque-là. Deuxièmement, le décret limite la possibilité d’imposer des sanctions contre la sous-traitance illégale dans certaines situations. Il n’est donc pas surprenant que le décret 583 soit actuellement contesté par la centrale CUT (Central Unitaria de Trabajadores de Colombia) devant le conseil d’État (Consejo de Estado)Note de bas de page 189.

Cela signifie également qu’il est possible que dans sa forme actuelle, le décret déroge du droit colombien du travail et soit en violation de l’article 2 (engagement à ne pas déroger) de l’ACTCCO. Aux termes de l’article 2 de l’Accord, chacune des Parties assure qu’elle ne renonce pas ou ne déroge pas à son droit du travail d’une façon qui affaiblisse ou qui diminue l’adhésion aux principes et aux droits du travail internationalement reconnus, dans le but de stimuler le commerce entre les Parties, ou d’inciter la mise en place, l’acquisition, l’accroissement ou le maintien d’un investissement sur son territoire.

Dans l’ensemble, selon une analyse juridique et factuelle, le BAN du Canada estime que le gouvernement de la Colombie doit combler les lacunes de ses règlements et de ses politiques sur le recours abusif à la sous-traitance, ce qui suppose de déployer des efforts pour voir à ce que ces règlements soient mis en application. Le recours abusif à la sous-traitance sert essentiellement à camoufler la véritable nature des relations d’emploi, ce qui, en dernier ressort, mine les droits individuels et collectifs des travailleurs.

Contrats syndicaux

Un contrat syndical est un contrat entre un syndicat et un employeur en vertu duquel le syndicat fournit à l’employeur la main-d’œuvre nécessaire à l’exécution d’une tâche précise. Bien que techniquement, le syndicat et ses membres soient partenaires dans le cadre du contrat syndical, dans les faits, le syndicat est le principal bénéficiaire financier du contrat et sert d’intermédiaire entre ses membres (les travailleurs) et son client, le propriétaire de l’entreprise. Les travailleurs doivent demeurer membres du syndicat pour bénéficier du contrat syndical et reçoivent leur salaire directement du syndicat. Il faut établir une distinction entre le contrat syndical et la convention d’atelier fermé, dans laquelle le syndicat est la source de main-d’œuvre de l’employeur. De même, dans le cas de la convention d’atelier fermé, l’employé est à l’emploi direct du propriétaire de l’entreprise, tandis que dans le cas d’un contrat syndical, l’employé est en fait un employé du syndicat affecté à la prestation de services pour le propriétaire de l’entreprise. De plus, dans le cas d’une convention d’atelier fermé, les travailleurs peuvent en tout temps décider de changer le syndicat qui les représente, sans incidence sur leur emploi, tandis que dans le cas d’un contrat syndical, les employés perdent, en réalité, leur liberté de choisir collectivement leur syndicat, puisqu’un changement de syndicat signifie la fin du contrat et la perte de l’emploi de tous les membres visés par celui-ci.

Comme dans les autres formes de sous-traitance, l’utilisation de contrats syndicaux mine les droits collectifs des travailleurs en empêchant les travailleurs de faire valoir les droits que leur accorde la loi à l’endroit de leur employeur de fait. D’ailleurs, lorsque les coopératives de travailleurs ont perdu le droit de prendre part à l’intermédiation dans le domaine du travail, certaines d’entre elles se sont converties en syndicats dans le but de poursuivre leurs activités en utilisant des contrats syndicaux.

De même, les contrats syndicaux présentent des risques supplémentaires pour la liberté d’association et l’indépendance des syndicats participants. La loi n’interdit pas aux syndicats de conclure un contrat syndical et une convention collective distincte avec le même employeur; un syndicat peut donc participer à des négociations collectives pour représenter les intérêts d’un groupe de travailleurs tout en sachant que l’employeur pourrait refuser de prolonger ou de renouveler le contrat syndical en vigueur dont le syndicat même dépend financièrement. Les modalités du contrat syndical entre le syndicat UTEN et Pacific Rubiales illustrent bien ce type de situation. Les contrats syndicaux, par conséquent, dénaturent la fonction essentielle du syndicat qui consiste à protéger et à défendre les intérêts et les droits de ses membres.

Au cours de sa deuxième mission en Colombie, à la demande du gouvernement colombien et afin de pouvoir constater en personne les avantages prétendus du contrat syndical pour les travailleurs colombiens, le BAN du Canada a rencontré un représentant d’un syndicat qui utilise des contrats syndicaux. Ce représentant syndical a reconnu que les contrats syndicaux ne sont pas des conventions collectives, mais a ajouté que les contrats syndicaux avaient contribué à limiter le recours à la sous-traitance, avaient permis aux travailleurs de bénéficier de conditions de travail acceptables, avaient permis de faire valoir les droits des travailleurs et avaient protégé l’exercice du syndicalisme. Toutefois, à la suite d’une analyse minutieuse du contrat syndical, les représentants du BAN du Canada ont conclu que même un contrat syndical « modèle » allait clairement à l’encontre de la principale fonction et de l’indépendance du syndicat en question, conclusion à laquelle les représentants colombiens ne se sont pas opposésNote de bas de page 190.

Le BAN du Canada souligne également que dans une situation où un syndicat entend conclure à la fois un contrat syndical et une convention collective auprès du même employeur, le syndicat a tout intérêt à agir en faveur de l’employeur, dans la mesure du possible, afin d’établir comme il se doit de renouveler un tel contrat. L’employeur, en revanche, a la liberté de choisir le syndicat avec lequel le contrat syndical sera prolongé et a donc le pouvoir de choisir certains syndicats plutôt que d’autres d’une manière que ne permettrait pas une convention collective normale. À l’inverse, les travailleurs peuvent être tenus de devenir ou de demeurer membres d’un syndicat en particulier pour avoir la possibilité de continuer à travailler.

Ainsi, malgré les avantages possibles qu’ils représentent, les contrats syndicaux compromettent la capacité du syndicat de faire valoir les droits de ses membres. Les contrats syndicaux, ou tout autre contrat de droit civil conclu entre un syndicat et un employeur, vont à l’encontre de la nature même et de la fonction des syndicats, qui sont des organisations collectives qui ont pour but de protéger et de défendre les intérêts et les droits de leurs membres. Bien que le gouvernement de la Colombie ait adopté des règlements pour empêcher l’utilisation abusive des contrats syndicaux, comme nous l’avons mentionné précédemment, le BAN du Canada estime que le droit à la négociation collective ne peut être exercé que dans un processus direct et véritable de négociation collective entre l’employeur et des représentants indépendants des travailleurs. Ces conventions collectives représentent la base de relations de travail saines et efficaces, en plus de s’accompagner d’avantages pour l’employeur, soit des employés motivés et une meilleure productivité.

Pactes collectifs

L’utilisation des pactes collectifs menace également les droits fondamentaux, en particulier le pouvoir de négociation des travailleurs syndiqués d’une entreprise. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les pactes collectifs sont des ententes entre des employeurs et des travailleurs non syndiqués. La question des pactes collectifs a été soulevée au cours du processus d’examen et a une incidence considérable sur le droit à la négociation collective, ce qui a été soulevé par les auteurs et est au cœur du présent rapport.

Le droit colombien du travail permet à des employeurs de négocier des pactes collectifs avec des travailleurs non syndiqués si moins du tiers de l’effectif de l’entreprise est représenté par un syndicat. Les employeurs ne sont pas autorisés à offrir des conditions meilleures que les conditions prévues dans les conventions collectives conclues avec les syndicats présents dans l’entreprise, mais dans les faits, les employeurs ont recours aux pactes collectifs pour freiner les activités syndicales ou simplement empêcher la création d’un syndicat. Le BAN du Canada souligne que les observateurs en Colombie et à l’étrangerNote de bas de page 191 s’entendent pour dire que l’usage abusif des pactes collectifs nuit au droit de négociation collective des travailleurs. Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en 2016, certains employeurs promettent des pactes collectifs aux travailleurs pour les inciter à renoncer à leur affiliation syndicale. En procédant ainsi, les employeurs s’assurent que les syndiqués dans leur lieu de travail ne représentent jamais plus du tiers de l’effectif, ce qui leur permet de conserver le droit de conclure des pactes collectifs. De plus, même si depuis 2011, des peines criminelles sont prévues dans les cas d’utilisation abusive des pactes collectifs, le nombre de pactes collectifs n’a pas diminué. Le BAN du Canada conclut donc que les contrats syndicaux et les pactes collectifs nuisent aux véritables négociations collectives et au rôle et à l’indépendance des syndicats.

Service d’inspection du travail

Dans les deux cas, les auteurs de la communication ont également critiqué le travail du service d’inspection du travail. Comme nous l’avons déjà mentionné, les autorités du travail ont procédé à une série d’inspections et de visites sur place pour enquêter sur les violations alléguées par les syndicats USO et SINTRAINAGRO et afin d’évaluer si Pacific Rubiales et Ingenio La Cabaña observent les normes du travail. Des éléments de preuve documentaire et des témoignages ont aussi été recueillis, au besoin. Comme on peut le lire dans la communication du public, les syndicats USO et SINTRAINAGO sont vivement préoccupés par les inspections du travail inadéquates et l’absence de sanctions dans les cas de non-conformité. L’analyse de l’information communiquée par le gouvernement de la Colombie ne permet pas au BAN du Canada de conclure si les inspections menées ont été efficaces ou ont réellement permis de régler les violations alléguées ou encore d’améliorer la situation des travailleurs dans les deux entreprises.

Toutefois, l’analyse et les discussions révèlent clairement que malgré les efforts déployés pour améliorer le fonctionnement du service d’inspection du travail au cours des dernières années, les processus et les outils demeurent complexes et ne sont pas totalement efficaces. Les délais prescrits dans les processus d’application de la loi ne sont pas toujours respectés. Malgré l’entente conclue récemment entre les organisations SENA et CISA, la perception des amendes n’est pas encore entièrement efficace. Des changements, notamment l’augmentation des amendes, ont été apportés au système d’inspection du travail pour améliorer l’application des lois colombiennes du travail; cependant, les mesures en place risquent de ne pas donner les résultats escomptés si l’effet dissuasif de l’augmentation des amendes ne s’accompagne pas de processus efficaces de perception. De plus, pour pouvoir exécuter leurs fonctions adéquatement, les inspecteurs du travail ont besoin de formation et de ressources adéquates, ce qui comprend des directives claires et uniformes sur l’application de la loi, en particulier dans les cas très complexes.

Violence à l’endroit des syndicalistes

Le dernier aspect, mais non le moindre, est le climat de violence, d’hostilité, d’intimidation et de menaces dans lequel doivent vivre les dirigeants et les militants syndicaux en ColombieNote de bas de page 192. Les institutions gouvernementales jouent un rôle essentiel pour ce qui est de lutter contre l’impunité en menant des enquêtes sur les auteurs de violence à l’endroit des membres des syndicats et en les poursuivant, là où il y a lieu. Le renforcement au cours des dernières années de l’Unité nationale de protection a été un élément essentiel de la lutte contre la violence à l’encontre des syndicalistes. Toutefois, ces efforts et les progrès réalisés pourraient être compromis si cette institution ne dispose pas en permanence de ressources financières suffisantes pour répondre aux besoins urgents des travailleurs qui mettent en jeu leur propre sécurité pour défendre des droits légitimes.

Le Bureau du procureur général joue également un rôle clé dans la protection des travailleurs contre la violence, rôle qui consiste notamment à poursuivre les agresseurs. Le gouvernement de la Colombie a rapporté 152 cas de meurtres liés à des activités syndicales entre 2011 et septembre 2016, dont 18 cas qui sont parvenus à une déclaration de culpabilité à l’issue d’un procèsNote de bas de page 193. Néanmoins, compte tenu de l’analyse de la documentation effectuée pendant le processus d’examen, le BAN du Canada se préoccupe du fait que le gouvernement colombien n’a signalé aucun procès et aucune déclaration de culpabilité aux termes de l’article 200 du Code criminel. Les retards injustifiés dans l’administration de la justice peuvent faire en sorte que des dossiers soient fermés sans se traduire par des poursuites criminelles, ce qui alimente le climat d’impunité et mine la confiance des travailleurs envers l’appareil judiciaire. Le grand nombre de dossiers qui en sont à la phase d’enquête préliminaire illustre la nécessité d’entreprendre des réformes en profondeur du Code criminel ou des pratiques d’enquête.

De plus, le BAN du Canada se préoccupe du fait que les demandes d’enquête sur les cas d’usage excessif de la force par les services de police soient demeurées lettre morte. Comme nous l’avons déjà mentionné, des observateurs sur les scènes nationale et internationale se préoccupent grandement des cas de brutalité policière attribuables à l’escadron ESMAD, dans lesquels des travailleurs ont été gravement blessés.

En conclusion, le BAN du Canada estime qu’il sera essentiel d’adopter des politiques et des lois du travail claires et cohérentes et de les mettre en application de façon efficace afin de prévenir les pratiques abusives et discriminatoires et d’éliminer les obstacles juridiques ou pratiques à l’exercice des droits à la liberté d’association et à la négociation collective par les travailleurs et les employeurs. Le BAN du Canada est d’avis que de saines relations du travail sont essentielles à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs et à leur productivité et qu’il en va de l’intérêt des employeurs et des employés.

4. Recommandations

Le BAN du Canada reconnaît la collaboration du bureau administratif national de la Colombie tout au long du processus d’examen, y compris le rapport qu’il a produit concernant les efforts déployés par les autorités colombiennes afin de régler les violations des droits du travail alléguées dans la communication du public. Tel qu’il a déjà été mentionné dans le présent rapport, le gouvernement de la Colombie a réalisé des progrès au cours des dernières années dans l’élaboration de normes et de mécanismes visant à créer un environnement stratégique et institutionnel habilitant pour veiller à l’établissement de bonnes relations industrielles et favoriser une administration fonctionnelle du travail. C’est également dans ce contexte que le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie ont accepté, en vertu de l’Accord de coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie conclu en 2011, les obligations contraignantes et exécutoires liées au maintien de normes du travail élevées et à l’application efficace de leurs lois du travail respectives.

Malgré les progrès réalisés à ce jour et l’engagement du gouvernement colombien à l’égard de la prise de mesures d’urgence, d’autres mesures sont requises pour garantir et promouvoir les droits fondamentaux des travailleurs. Plus particulièrement, la reconnaissance du caractère urgent de la situation par le gouvernement colombien doit maintenant se traduire par des mesures concrètes et ambitieuses pour : a) veiller à ce que les lois du travail colombiennes incarnent et assurent la protection des droits du travail reconnus à l’échelle internationale, et à ce que ces lois soient appliquées efficacement, tel qu’il est exigé aux articles 1 et 3 de l’Accord, et b) faire en sorte que les travailleurs de la Colombie aient un accès approprié à des procédures justes, équitables et transparentes devant un tribunal pour demander des sanctions ou des recours appropriés en cas de violation des lois du travail, conformément aux obligations prévues aux articles 4 et 5 de l’Accord. De plus, la vigilance s’impose pour s’assurer que le gouvernement colombien ne renonce ou ne déroge pas à ses lois du travail en vue de favoriser le commerce ou l’investissement en contravention à l’article 2 de l’ACTCCO.

Les deux cas présentés dans la communication du public ainsi que l’analyse de sources d’information additionnelles illustrent les conditions de travail actuelles, graves systémiques et précaires des travailleurs colombiens. Les données probantes disponibles donnent à penser que :

  • (a) des pratiques de travail injustes et discriminatoires persistent;
  • (b) la capacité des travailleurs de défendre leurs droits à la liberté d’association et à la négociation collective est minée par des pratiques de sous-traitance douteuses;
  • (c) de nombreux employeurs sont en mesure d’utiliser des pratiques contraires à l’éthique en exploitant les faiblesses des lois et les échappatoires qu’elles renferment;
  • (d) les relations industrielles sont touchées par le climat de stigmatisation qui persiste en ce qui concerne les syndicats et leurs activités;
  • (e) les longs délais dans les procédures judiciaires et administratives font augmenter le sentiment d’injustice chez les travailleurs dont les droits sont violés;
  • (f) les mesures visant à réduire les menaces, l’impunité et la violence ne sont que partiellement efficaces.

Le BAN du Canada est toutefois d’avis que la Colombie peut miser sur les récentes réformes visant à rendre ses lois du travail conformes aux obligations prévues dans l’ACTCCO pour la protection des droits fondamentaux des travailleurs, en particulier les droits à la liberté d’association et à la négociation collective. L’approche privilégiée en matière de relations de travail devrait être fondée sur la collaboration, le respect et l’engagement. Un système de négociation collective, orienté par les principes de base du travail, sert à la fois les intérêts des employeurs et ceux des travailleurs.

Dans ce contexte, le BAN du Canada offre au gouvernement de la Colombie, dans l’esprit des discussions fondées sur la collaboration, les recommandations ci-dessous visant à régler les questions et les préoccupations cernées au cours du processus d’examen.

  1. Afin de protéger les droits fondamentaux des travailleurs à la liberté d’association et à la négociation collective, neutraliser les moyens juridiques utilisés pour miner ces droits en apportant les changements suivants :
    • éliminer les contrats syndicaux. Ces contrats sont devenus une plateforme pour les pratiques de travail abusives et la négociation de mauvaise foi. L’utilisation de ces contrats a également eu une incidence néfaste importante sur l’indépendance des syndicats et leur capacité de remplir leur fonction principale;
    • éliminer les pactes collectifs. Ces pactes minent la capacité des syndicats indépendants de s’organiser et de négocier des conventions collectives authentiques, ce qui influence indûment la balance des pouvoirs dans les relations de travail;
    • éliminer la mauvaise utilisation des contrats à court termeNote de bas de page 194. Les contrats à court terme renouvelés à plusieurs reprises sont utilisés pour dissimuler les relations d’emploi permanentes, privant ainsi les travailleurs des protections garanties par la loi. La grande insécurité d’emploi qui découle de cette pratique entrave considérablement la capacité des syndicats de s’organiser et de jouer leur rôle;
    • mettre en œuvre des mesures visant à réduire les pratiques largement répandues et systématiques de l’intermédiation et de la sous-traitance illégales dans le domaine du travailNote de bas de page 195. Y compris :
      • abroger le décret 583 (qui a, dans la pratique, rendu possible la sous-traitance des fonctions opérationnelles essentielles et permanentes) et le remplacer par un instrument juridique qui habilite clairement les inspecteurs du travail à combattre la mauvaise utilisation de l’intermédiation et de la sous-traitance;
      • veiller à ce que les inspecteurs du travail soient habilités à cerner et à régler les situations où l’intermédiation ou la sous-traitance est utilisée pour dissimuler une relation d’emploi directe, peu importe les formalités associées à la relation;
      • élaborer des lignes directrices pour permettre aux inspecteurs du travail de déterminer les activités opérationnelles essentielles et permanentes dans des secteurs économiques spécifiques;
      • affecter les ressources d’application de la loi de façon à s’assurer que les contrats de droit civil (p. ex. les SAS, les coopératives de travail associées) ne soient pas utilisés pour priver les travailleurs des protections sociales en matière de travail) prévues par la loi;
    • envisager la création d’un organisme de réglementation quasi judiciaire spécialisé chargé de prendre les décisions sur l’enregistrement et la dissolution des syndicats, ainsi que d’entendre les plaintes des syndicats et des employeurs en matière de discrimination et relativement à des pratiques de travail déloyales. Cet organisme serait indépendant du gouvernement; il s’agirait d’un organisme tripartite composé de représentants des employeurs et des syndicats ainsi que d’intermédiaires neutres possédant une connaissance spécialisée des lois et des normes du travailNote de bas de page 196.
  2. Renforcer le respect et l’application des lois du travail par l’intermédiaire d’un service d’inspection du travail qui met l’accent sur des mesures préventives, fournit des conseils judicieux, et établit et perçoit les pénalités appropriées de manière efficace en :
    • veillant à ce que les travailleurs aient accès en temps opportun à la justice de manière à pouvoir réclamer des droits du travail, tels que la réintégration ou l’indemnité de congédiement, dans le processus judiciaire ordinaire;
    • rationalisant le processus administratif pour améliorer l’efficacité en ce qui a trait à l’imposition d’amendes, notamment en envisageant l’harmonisation des sanctions existantes dans le code du travail et les autres lois du travail;
    • veillant à ce que le percepteur public des fonds de la Colombie (CISA) perçoive efficacement les amendes et communique les résultats obtenus à court et à moyen terme, en produisant notamment une analyse visant à déterminer si les amendes imposées ont un effet dissuasif suffisant;
    • fournissant aux inspecteurs du travail la formation et les ressources nécessaires pour s’acquitter efficacement de leurs fonctions, y compris les inspections préventives et proactives du travail;
    • enquêtant sur plusieurs plaintes déposées contre un employeur donné dans le cadre d’un processus unique;
    • accroissant la surveillance et le contrôle des accords de normalisation du travail négociées avec des entreprises qui ont obtenu la réduction ou la remise d’une amende pour intermédiation ou sous-traitance illégale du travail, de façon à veiller à ce que ces entreprises offrent des contrats à durée indéterminée plutôt que des contrats à durée déterminée aux travailleurs grâce à la mise en œuvre de ces ententes.
  3. Renforcer la lutte contre l’impunité et la violence, et voir à ce que les responsables fassent face à la justice en :
    • évaluant l’efficacité de l’étape de conciliation obligatoire (une condition préalable à l’amorce de l’enquête), comme l’exige la procédure pénale pour l’article 200 du Code criminel, et en veillant à ce que les procédures existantes ne nuisent pas à la rapidité et à l’efficacité de l’administration de la justice;
    • examinant les dossiers actifs pour les violations en vertu de l’article 200 du Code criminel, notamment celles qui pourraient faire l’objet d’abandon de poursuites en raison des échéanciers et pour lesquelles des mesures immédiates seraient nécessaires;
    • fournissant à l’Unité nationale de protection les ressources financières permanentes dont elle a besoin pour mener efficacement ses activités;
    • veillant à ce que des mécanismes de coordination interinstitutionnelle (entre le ministère du Travail et le Bureau du procureur général) soient en place pour l’échange de renseignements et la mise en commun des éléments probants pertinents;
    • examinant de façon critique et indépendante le rôle de l’escadron ESMAD, dont les actions et les interventions ont été vivement critiquées par les intervenants colombiens et internationaux pour l’usage excessif de la force;
    • faisant progresser efficacement l’enquête sur les violations en vertu de l’article 347 du Code criminel, notamment en veillant à ce que les coupables soient traduits en justice lorsque la situation le justifie;
    • veillant à ce que les dossiers soient réaffectés en conformité avec les pratiques d’enquête appropriées afin d’éviter des délais déraisonnables.
  4. Évaluer et rendre compte des efforts accomplis pour promouvoir la liberté d’association et la libre négociation collective.

En conclusion, et en vertu de l’article 12 de l’ACTCCO, qui prévoit qu’une partie peut demander par écrit des consultations avec l’autre partie au niveau ministériel concernant ses obligations aux termes de l’Accord, le BAN du Canada recommande à la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail de demander des consultations avec la ministre du Travail de la Colombie au sujet des recommandations susmentionnées.

Annexe A

Tableau 1 – Chronologie des événements survenus au sein de la société Pacific Rubiales, tels qu’ils ont été décrits par les auteurs de la communication du public
Événements Date
Les travailleurs commencent à s’organiser dans les champs pétrolifères de la société Pacific Rubiales. Février 2011
1 110 travailleurs participent à un arrêt de travail (tous les travailleurs sont ensuite congédiés). Le 20 juin 2011
Le syndicat USO dépose des plaintes auprès du Procureur général, de l’Ombudsman général et du ministre de la Défense. Le 30 juin 2011
La police civile colombienne et l’escadron ESMAD font usage de la force pour mettre fin aux manifestations. Les 6 et 14 juillet 2011
4 000 travailleurs prennent part à un arrêt de travail chez la société Pacific Rubiales. Le 18 juillet 2011
150 agents de l’escadron ESMAD attaquent les travailleurs au moyen de balles de caoutchouc, de bombes percutantes et de gaz lacrymogène. Le 19 juillet 2011
Le syndicat USO dépose une plainte auprès du ministère de la Protection sociale de la Colombie. Le 25 juillet 2011
À au moins sept reprises, les forces armées et policières, de connivence avec la société Pacific Rubiales, empêchent les dirigeants du syndicat USO de communiquer avec leurs membres. De juillet à septembre 2011
Les congédiements massifs de travailleurs affiliés au syndicat USO commencent et continuent tout au long de l’année. De juillet à septembre 2011
Le syndicat USO avise le ministre de la Protection sociale que la société Pacific Rubiales résilie les contrats des travailleurs qui ont participé aux arrêts de travail.    Le 22 août 2011
Le nombre de membres du syndicat USO augmente et passe à 3 493. Septembre 2011
Le gouvernement colombien convoque une rencontre avec la société Pacific Rubiales et le syndicat USO. Septembre 2011
La société Pacific Rubiales et le syndicat USO conviennent de se rencontrer pour négocier les 6 et 25 octobre, et les arrêts de travail prennent fin. Le 21 septembre 2011
La société Pacific Rubiales signe une entente de normalisation du travail avec le syndicat UTEN. La société refuse de négocier avec le syndicat USO. Le 6 octobre 2011
La société Pacific Rubiales déclare qu’elle ne négociera plus avec le syndicat USO, et fait état de l’entente conclue avec le syndicat UTEN. Le gouvernement colombien accepte le tout. Le 25 octobre 2011
La société Pacific Rubiales résilie les contrats avec les employés affiliés au syndicat USO et avec les sous-traitants, puis commence à réembaucher des travailleurs affiliés au syndicat UTEN. Des pressions sont exercées sur les travailleurs afin de les amener à quitter le syndicat USO et à adhérer au syndicat UTEN s’ils veulent travailler. Octobre 2011
Des postes de contrôle sont mis en place afin d’empêcher les membres du syndicat USO d’accéder aux champs pétrolifères de la société Pacific Rubiales, et ce, même s’ils ont des contrats valides. Novembre 2011
Le syndicat USO dépose une plainte administrative auprès du ministère du Travail, alléguant une intermédiation illégale sur le marché du travail. Le 2 février 2012
La société Pacific Rubiales signe deux contrats avec le syndicat UTEN. De mai à juillet 2012
La plainte déposée par le syndicat USO alléguant une intermédiation illégale du travail est rejetée par le ministère du Travail. Avril 2013
Le syndicat USO interjette appel deux fois du rejet de sa plainte alléguant une intermédiation illégale du travail. Les deux appels sont rejetés. Avril 2013
Le syndicat USO dépose une plainte au criminel auprès du bureau du procureur général. Le 17 mai 2013
Le dossier est réaffecté plusieurs fois de juillet 2013 à juillet 2015. De mai 2013 à juillet 2015
Des menaces de mort sont proférées contre les travailleurs, notamment dans des brochures qui commencent à circuler. D’octobre à décembre 2013
Le procureur général délivre des mandats d’arrestation à l’endroit de trois dirigeants du syndicat USO. Décembre 2013
Le syndicat USO présente une liste de demandes à la société Pacific Rubiales afin de négocier un contrat pour les employés de la société qu’il représente. Le 16 juin 2015
Tableau 2 – Chronologie des événements survenus chez Ingenio La Cabaña, tels qu’ils ont été décrits par les auteurs de la communication du public
Événements Date
Une plainte (plainte A), alléguant une intermédiation illégale sur le marché du travail, un refus de prendre part à la négociation collective, ainsi qu’une discrimination et des représailles antisyndicales, est déposée auprès du ministère du Travail. Le 28 décembre 2012
Le ministère du Travail divise la plainte en deux processus : la liberté d’association (no 157 – plainte A1) et le droit de négociation collective (no 136 – plainte A2). De décembre 2012 à janvier 2013
La plainte B (intermédiation illégale du travail) est déposée auprès du service d’inspection du ministère du Travail. Le 17 janvier 2013
Des renseignements à jour sont communiqués au sujet des plaintes. L’information est envoyée au service d’inspection du travail à Santander de Quilichao. Le 11 février 2013
La plainte C, alléguant également une intermédiation illégale sur le marché du travail, est déposée auprès du ministère du Travail. Le 4 juin 2013
Un inspecteur du travail est affecté au dossier et effectue une inspection. Le 18 juin 2013
Les plaintes A1 et A2 sont rejetées par le ministère du Travail. Septembre 2013
La plainte A2 est rejetée par l’inspecteur du travail. Le 17 septembre 2013
Le syndicat présente une requête à l’inspecteur pour qu’il réexamine la plainte A2. Le 16 octobre 2013
Le syndicat reçoit un avis l’informant que le dossier de la plainte A1 est clos. Le 12 novembre 2013
Le syndicat dépose de nouveau la plainte A1, mais en tant que nouvelle plainte (plainte D). Le 27 novembre 2013
L’inspecteur du travail refuse la demande de réexamen de la plainte A2.  Le 27 novembre 2013
Le syndicat présente une requête à l’inspecteur du travail pour qu’il réexamine la plainte A1. Le 5 décembre 2013
Le syndicat dépose un appel concernant la plainte A2. 2013-2014 – Date inconnue
L’inspecteur du travail rejette la requête pour un réexamen de la plainte A1. 6 mars 2014
Le syndicat dépose une demande d’appel concernant la plainte A1. 2014 – Date inconnue
Le coordonnateur régional de la prévention, de l’inspection, de la surveillance, du contrôle et de la résolution de conflits pour le ministère du Travail (département du Cauca) rejette l’appel concernant la plainte A2. Le 10 avril 2014
Le coordonnateur régional de la prévention, de l’inspection, de la surveillance, du contrôle et de la résolution de conflits pour le ministère du Travail (département du Cauca) rejette l’appel concernant la plainte A1. Le 22 septembre 2014
La plainte C est en suspens. Le 14 avril 2015

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