Programme de rétablissement du bar rayé population de l'estuaire du Saint-Laurent, au Canada [finale] 2011 : Contexte
Nom commun : Bar rayé (population de l’estuaire du Saint-Laurent)
Nom scientifique : Morone saxatilis (Walbaum, 1792)
Date de l’évaluation : Novembre 2004
Statut selon le COSEPAC : Population disparue du pays en 2004.
Justification de la désignation : La population de l’estuaire du Saint-Laurent est disparue à cause de la pêche illégale; la dernière observation date de 1968.
Présence au Canada : Québec
Historique de la désignation : Population désignée « disparue du pays » en novembre 2004. Désignation basée sur un nouveau rapport de situation.
Le bar rayé (Morone saxatilis) est un poisson épineux, au corps allongé, comprimé latéralement, et à la tête triangulaire (figure 1). Il possède deux nageoires dorsales séparées, dont la première est épineuse. Sa nageoire caudale est fourchue. Les trois premiers rayons de l'anale sont épineux. Les nageoires pelviennes se trouvent en position thoracique. Des écailles recouvrent les joues et les opercules. La coloration du dos varie de vert olive foncé à noir et le ventre est blanc. Les flancs, pâles ou argentés, sont marqués de sept ou huit bandes horizontales foncées, épousant le contour des rangées d'écailles. Aucune de ces bandes ne se prolonge sur la tête.
Figure 1. Bar rayé (Morone saxatilis).
Source : Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (FédéCP).

Ce poisson est étroitement associé aux estuaires et aux eaux côtières. Il s'y déplace en bancs compacts d'individus de même taille, s'alimentant d'invertébrés et de poissons (voir la section 1.4 Besoins du bar rayé). Dans le Saint-Laurent, le bar rayé peut vivre une vingtaine d'années et atteindre 90 cm de longueur totale (Vladykov 1953).
1.3.1.1 Aire de répartition mondiale
L'aire de répartition naturelle du bar rayé (qui exclut les introductions réalisées par l’homme) couvre la côte est de l'Amérique du Nord, du fleuve Saint-Laurent à la rivière St. Johns, dans le nord de la Floride. Des populations indigènes de bar rayé ont aussi existé dans des cours d'eau tributaires du golfe du Mexique, de la rivière Suwannee, au nord-ouest de la Floride, au lac Pontchartrain, en Louisiane (Lee et al. 1980; Bain et Bain 1982).
L'espèce a été introduite dans l’estuaire commun des rivières Sacramento et San Joaquin, sur la côte du Pacifique, en 1879 (Bonn et al. 1976). À partir de ce premier groupe, des populations se sont graduellement établies dans des rivières de la côte ouest des États-Unis (Hart 1973; Lee et al. 1980; Setzler et al. 1980).
Le bar rayé peut vivre en eau douce et, dans certains cas, y compléter son cycle vital (Scruggs 1957). Il a été introduit, comme espèce sportive, dans de nombreux lacs et réservoirs aux États-Unis, au Mexique, en Équateur, en Russie, en Lettonie, en France, au Portugal, en Turquie et en Afrique du Sud (Lee et al. 1980; Setzler et al. 1980; Froese et Pauly 2007). À certains de ces endroits, les populations se reproduisent naturellement (Bulak et al. 1997). Ailleurs, le bar rayé croît bien, mais ne peut pas se reproduire, des programmes continus d’ensemencements sont alors nécessaires pour maintenir les effectifs (Lee et al. 1980).
1.3.1.2 Aire de répartition canadienne
Au Canada, cinq populations indigènes de bar rayé ont existé dans trois secteurs distincts qui correspondent aux trois unités désignables identifiées par le COSEPAC (figure 2), soit la baie de Fundy, le sud du golfe et l'estuaire du Saint-Laurent (Robitaille 2004). Les populations des rivières Saint-Jean, Annapolis et Shubénacadie, qui appartiennent au groupement de la baie de Fundy, s'alimentent dans cette baie pendant l'été et peuvent y être en contact. Par ailleurs, ces trois populations fréquentent des eaux dans lesquelles se retrouvent aussi, pendant l'été, des bars rayés migrateurs provenant de rivières américaines.
Figure 2. Localisation de cinq rivières de l’est du Canada ayant abrité des populations de bar rayé.
Les cercles noirs identifient les populations encore existantes et les blancs, celles pour lesquelles, en 2004, aucune activité reproductrice n’avait été observée depuis plus de vingt ans. En médaillon, distribution des populations indigènes en Amérique du Nord.

Une seule population reproductrice de bar rayé est connue dans le sud du golfe, celle de la rivière Miramichi. Des bars rayés ont été capturés dans plusieurs estuaires et le long des côtes entre Percé et Margaree, sur l'île du Cap-Breton (Melvin 1991). Cependant, ces poissons semblent tous provenir de la rivière Miramichi, où se trouve la seule frayère connue de l’espèce pour la population du sud du golfe (Bradford et al. 1995; Robichaud-LeBlanc et al. 1996; Douglas et al. 2003). Cette population serait isolée à la fois des populations de la baie de Fundy et des bars rayés migrateurs des rivières américaines. Toutes les recaptures déclarées de bars rayés étiquetés dans le sud du golfe ont été rapportées dans cette zone, à l'exception d'une seule, faite au Maryland (Hogans et Melvin 1984).
Le troisième groupement comprend également une seule population, celle du Saint-Laurent, qui occupait un tronçon fluvial et estuarien1 du Saint-Laurent long d’environ 300 km. L'isolement des bars rayés de l'estuaire du Saint-Laurent par rapport aux autres populations canadiennes a été déduit de la répartition des recaptures faites au cours d’un programme de marquage, entre 1944 et 1962 (Beaulieu 1962; Robitaille 2001). Sur 3 009 spécimens étiquetés, 310 ont été repris, tous à l’intérieur d’une zone s'étendant du lac Saint-Pierre à Kamouraska. C'est aussi principalement dans cette portion du Saint-Laurent que les pêcheurs sportifs et commerciaux faisaient presque toutes leurs captures de bar rayé (figure 3). Par ailleurs, des prises commerciales ont été enregistrées de façon continue entre 1920 et 1965 dans l'estuaire du Saint-Laurent, alors qu'aucune capture n'a été rapportée dans le sud du golfe entre 1935 et 1968 (Leblanc et Chaput 1991; Douglas et al. 2003). Ainsi, toutes ces informations suggèrent que la population de l'estuaire du Saint-Laurent ait été distincte des autres populations canadiennes.
Figure 3. Aire de répartition du bar rayé, ancienne population de l'estuaire du Saint-Laurent.
Le déplacement automnal vers l'amont des bars rayés de trois ans ou plus semblait relié à la fraie. Seule est représentée la zone où des bars rayés étaient régulièrement capturés chaque année, avant que ne s'amorce, dans les années 1950, le déclin d'abondance qui s'est terminé par la disparition de la population.

En 2002, suite à un plan d’action pour la réintroduction du bar rayé dans le Saint-Laurent (Comité aviseur sur la réintroduction du bar rayé 2001), un programme québécois de réintroduction, comprenant la reproduction en pisciculture, a été développé à partir de bars rayés capturés dans la rivière Miramichi au Nouveau-Brunswick. Entre 2002 et 2009, plus de 6 300 bars rayés de taille supérieure à 60 mm (âge2 0+ à 6+) et 6,5 millions de larves de 2 à 4 mm ont été ensemencés dans le but de favoriser le rétablissement de la population de bar rayé de l’estuaire du Saint-Laurent. C’est en 2006 que les premières larves produites en pisciculture ont été introduites dans le fleuve Saint-Laurent. Le programme de réintroduction vise à ensemencer jusqu'à 50 000 fretins d’automne avec comme objectif d’avoir une population qui se perpétuerait d’elle-même (Comité aviseur sur la réintroduction du bar rayé 2001). Depuis sa réintroduction, des bars rayés ont été capturés sensiblement dans le même secteur que celui occupé par la population disparue, soit entre le lac Saint-Pierre et Rivière-du-Loup (MPO 2010a, b; Pelletier et al. 2010).
Le présent programme de rétablissement vise la population de bar rayé réintroduite dans l'estuaire du Saint-Laurent (appelée nouvelle population) en remplacement de celle qui a disparu vers la fin des années 1960 (appelée ancienne population).
1.3.2.1 Tendance mondiale des populations
Au sein de l'aire de répartition naturelle du bar rayé, la situation des populations est très variée. L’espèce est mondialement classée commune, répandue et abondante, mais au niveau national et subnational, le statut varie considérablement (tableau 1). Quelques rivières de la côte est américaine abritent des populations très abondantes, caractérisées par de longues migrations entre la baie de Fundy et le nord de la Floride. L'abondance et l'omniprésence de ces migrateurs font en sorte que l'espèce parait globalement abondante. Cependant, plusieurs populations reproductrices ont disparu au cours du 20e siècle, comme par exemple la plupart de celles habitant les tributaires du golfe du Mexique.
* Le rang de conservation est désigné par une lettre, qui réfère à l’échelle géographique considérée, suivie d'un chiffre ou d'une lettre correspondant à la situation de l'espèce à cette échelle : G : mondiale ; N : nationale; S : sous-nationale, c'est-à-dire état ou province. Signification des chiffres ou codes correspondant à la situation : 1 : en péril sévère; 2 : en péril; 3 : vulnérable; 4 : apparemment stable; 5 : commun, répandu et abondant. X : disparu; N : population animale non reproductrice; NA : non applicable, n’est pas une cible appropriée pour les activités de conservation; NR non applicable, pas encore évalué; H possiblement disparue (historique) http://www.natureserve.org.
1.3.2.2 Tendance canadienne des populations
Au Canada, en 2004, pour trois cours d’eau où des populations reproductrices ont déjà existé (c.-à-d. Saint-Jean, Annapolis et Saint-Laurent), aucun signe de reproduction n’avait été observé et aucune capture de bar rayé d’origine locale n’avait été authentifiée depuis plus de deux décennies (Robitaille 2004). Toutefois, depuis la réintroduction du bar rayé dans le Saint-Laurent, des signes de reproduction naturelle ont été observés en 2008 (Bourget et al. 2008; Pelletier 2009). Les populations de la rivière Shubénacadie (population de la baie de Fundy) et de la rivière Miramichi (population du sud du golfe Saint-Laurent) semblent encore produire de nouveaux individus (Robitaille 2004).
Poisson associé aux estuaires et aux habitats côtiers nord-américains, le bar rayé est anadrome (Scott et Scott 1988). La fraie, l’incubation et le développement initial de l’alevin ont lieu en eau douce au printemps. Les jeunes dévalent ensuite vers les eaux saumâtres puis salées, pour s’y alimenter et croître pendant quelques années, jusqu'à ce qu'ils atteignent la maturité approximativement vers 3 ans pour les mâles et 4 ou 5 ans pour les femelles (Berlinsky et al. 1995; Douglas et al. 2003; Powles 2003). Au Canada, les bars rayés se reproduisent vers la fin de mai ou le début de juin en eau douce ou légèrement saumâtre pendant trois ou quatre semaines. La frayère du bar rayé dans l’estuaire du Saint-Laurent n’a jamais été localisée, mais diverses informations laissent croire qu’elle se trouvait dans le lac Saint-Pierre ou en aval de celui-ci, dans la section adjacente de l’estuaire fluvial (Montpetit 1897; Vladykov et Brousseau 1957; Beaulieu 1962; Cuerrier 1962; Magnin et Beaulieu 1967; Robitaille 2001).
De tous les habitats fréquentés par ce poisson au cours de son cycle vital, le plus important pour le maintien d’une population semble être celui dans lequel se déroulent la fraie et les premiers stades de développement (Albrecht 1964; Auld et Schubel 1978; Dudley et Black 1978; Kernehan et al. 1981; Jessop 1990, 1991; Melvin 1991; Van den Avyle et Maynard 1994). La survie des œufs jusqu'à l'éclosion dépend étroitement des conditions physico-chimiques du milieu d'incubation, particulièrement de la température, de l'oxygène dissous et de la présence d'un courant modéré (Cooper et Polgar 1981). La durée de l'incubation est fonction de la température et les taux les plus élevés d'éclosion (87%) et de survie des larves dans les 24 premières heures (76%) sont obtenus à 18 oC (Morgan et al. 1981). À cette température, l’éclosion des œufs survient environ 48 heures après leur fécondation (Pearson 1938; Raney 1952). La survie des œufs diminue de façon marquée lorsque la température dépasse 23 oC; elle baisse aussi, mais de façon graduelle, avec des températures inférieures à 17 oC pour devenir presque nulle à moins de 12 oC (Morgan et Rasin 1973; Rogers et al. 1977). Deux autres facteurs, c’est-à-dire un niveau suffisant d’oxygène dissous et la présence d’un courant, peuvent agir de concert sur la survie des œufs. Ceux-ci ont habituellement une densité plus grande que l'eau et, en l'absence de courant, ils descendent au fond, où ils peuvent être exposés à un manque d’oxygène, l’anoxie (Chittenden 1971; Rawstron et al. 1989). La présence d'un courant modéré, occasionnant un peu de turbulence, permet de les garder en suspension dans la colonne d’eau pendant l'incubation.
La survie des larves continue de dépendre de variables physiques, telles que la température et l'oxygène dissous. Mais une autre exigence, celle d'une nourriture suffisamment abondante, s'ajoute lors de la résorption de la vésicule vitelline et du début de l'alimentation (Cooper et Polgar 1981). Cette période clé a lieu vers le huitième jour d'existence de la larve, alors qu'elle mesure de 6 à 7 mm. En milieu naturel, le taux de survie des larves qui ont épuisé leurs réserves endogènes dépend directement de l'abondance de zooplancton dans le milieu (Kernehan et al. 1981; Martin et al. 1985). Dans la baie de Chesapeake, qui reçoit les œufs et les larves de plusieurs rivières productrices de bar rayé, il a été démontré que la densité d'individus des premiers stades de développement variait, entre autres, en fonction de la distance par rapport au point de turbidité maximale (North et Houde 2003). Les caractéristiques de ces milieux et le comportement des larves, notamment leur migration verticale selon l'état de marée, auraient pour effet de retenir celles-ci dans des eaux où l'abondance de leurs proies est élevée. Une zone de turbidité maximale est aussi retrouvée, dans le Saint-Laurent, entre l'île d'Orléans et l'île aux Coudres. Cette zone supporte de fortes densités de zooplancton, dont le copépode Eurytemora affinis et est connue comme aire d'alevinage de l'éperlan arc-en-ciel (Osmerus mordax) et de plusieurs autres espèces de poissons (Sirois et Dodson 2000). Elle pourrait aussi accueillir les premiers stades de développement du bar rayé du Saint-Laurent. Au terme d’une vie larvaire d’environ 35 à 50 jours, les jeunes d’une taille approximative de 20 mm ont subi des transformations qui leur donnent la forme typique du bar rayé, qu’ils conserveront jusqu’à l’âge adulte.
Aux stades d’immature et d’adulte, le bar rayé fréquente les habitats côtiers et les milieux estuariens (Bain et Bain 1982). Au cours des deux premières années, il s’alimente surtout d’invertébrés; il devient ensuite progressivement piscivore, recherchant principalement les bancs de poissons à rayons mous, en particulier les clupéidés (Trent et Hasler 1966; Manooch 1973; Austin 1980; Gardinier et Hoff 1982; Dew 1988). Pendant l’été, les déplacements des bars rayés semblent surtout associés à ceux de leurs proies. Les bars rayés adultes sont tolérants et peuvent supporter des variations de salinité, de température, de pH ou de turbidité (Talbot 1966; Auld et Schubel 1978; Setzler et al. 1980). Les populations canadiennes de bar rayé sont caractérisées par une remontée automnale et un hivernage en eau douce ou saumâtre afin de se soustraire aux basses températures de l’eau de mer. Le confinement des bars rayés dans des sites d'hivernage pourrait accroître les risques de mortalité due à des accidents environnementaux ou à une pêche illégale.
L’espèce jouit d’une longévité qui atteindrait 30 ans (Secor 2000). Le plus gros spécimen connu, capturé en Caroline du Nord en 1891, pesait 56,8 kg et mesurait 1,82 m (Raney 1952). Les conditions de croissance dans les eaux canadiennes font en sorte que la taille maximale des bars rayés y plafonnerait à moins de 1 m. Il s’agit là d’une estimation, car très peu d’individus survivent assez longtemps pour parvenir à cette taille. Le plus gros bar rayé capturé dans l’estuaire du Saint-Laurent mesurait 91,5 cm (longueur totale) et pesait 10,9 kg. L’âge à partir de la lecture de ses écailles a été estimé à 19 ans (Vladykov 1953).
Associé aux milieux estuariens, le bar rayé est étroitement dépendant de la qualité des habitats qu'il utilise pendant son cycle vital, et tout particulièrement des milieux fluviaux où il se reproduit. Sa présence en nombre substantiel atteste en quelque sorte du bon état général des rivières qu'il fréquente et d’un niveau d’exploitation adéquat (Bain et Bain 1982).
Le bar rayé ne fait pas de nid et n'accorde pas de soin à sa progéniture. Les femelles libèrent dans la colonne d'eau un grand nombre d'œufs. Une infime proportion de ces œufs parvient à l'âge adulte. La majorité des larves produites sont la proie de divers organismes aquatiques (p. ex. insectes, invertébrés, poissons) au cours des premières semaines de leur existence (Smith et Kernehan 1981; McGovern et Olney 1988; Monteleone et Houde 1992; Andreasen 1995). Cependant, le taux de survie des bars rayés augmente dès la fin de leur premier été (Goodyear 1985).
Au stade adulte, le bar rayé occupe, avec plusieurs autres poissons, oiseaux et mammifères marins, un niveau trophique élevé au sein des communautés estuariennes et côtières de l'est de l'Amérique du Nord (Hartman et Brandt 1995a). Adapté aux estuaires, le bar rayé est l’un des piscivores les plus importants de ces habitats et il représente un élément important de la biodiversité. Ce poisson supporte bien les variations rapides de température, de turbidité et de salinité qui surviennent dans ces milieux (Bain et Bain 1982). Il forme des bancs compacts d'individus de même taille, qui se déplacent sans cesse le long des côtes pour s'alimenter, surtout la nuit (Koo et Wilson 1972). Ainsi, la réintroduction du bar rayé dans le Saint-Laurent contribuera à la restauration de la biodiversité de cet écosystème (Comité aviseur sur la réintroduction du bar rayé 2001).
Dans un estuaire s'ouvrant à la fois sur les eaux douces et salées, le bar rayé peut entrer en compétition avec d'autres espèces piscivores (Hartman et Brandt 1995a, b). Il pourrait en être de même dans le Saint-Laurent. Selon les pêcheurs de bars rayés qui fréquentaient le quai de Lotbinière avant la disparition de cette population, le doré jaune (Sander vitreus) évitait les eaux dans lesquelles les bars rayés chassaient en groupes (C. Mélançon, manuscrit sans date). D'après une enquête réalisée auprès de pêcheurs actifs pendant les décennies de 1940, 1950 et 1960, les dorés jaunes et noirs (S. canadense), étaient présents dans l'estuaire du Saint-Laurent, mais les captures de ces poissons étaient moins fréquentes avant la disparition du bar rayé qu'aujourd'hui (Robitaille et Girard 2002). Cette augmentation de l’abondance de doré jaune pourrait s’expliquer entre autres par le fait que cette espèce et peut-être d'autres espèces, pourraient avoir occupé en partie la niche écologique laissée vacante par le bar rayé. Si c'est le cas, le retour de ce dernier pourrait se traduire par un déplacement physique (périodique ou permanent) du doré vers d’autres habitats et une réallocation des ressources.
Les facteurs limitatifs connus de populations de bar rayé concernent surtout les premiers stades de développement, fragiles et peu mobiles. La stratégie de reproduction de ce poisson repose sur une fécondité élevée, qui compense la très forte mortalité subie aux premiers stades de développement. Le bar rayé est un poisson prolifique, la fécondité des femelles à leur première maturation, vers l'âge de 4 ou 5 ans, est d'environ 53 000 ovules et elle s'accroît avec la taille du poisson pour atteindre environ un million et demi d'ovules chez les individus d'une dizaine d'années (Paramore 1998).
L'existence et l'intégrité de lieux propices à la fraie, l'incubation et la vie larvaire, offrant les conditions adéquates de vitesse d'écoulement, de température et de qualité de l'eau sont essentielles à la persistance d'une population de bar rayé (Albrecht 1964; Dudley et Black 1978; Kernehan et al. 1981; Jessop 1990, 1991; Melvin 1991; Van den Avyle et Maynard 1994). La survie jusqu'à la fin du stade larvaire semble être un facteur clé de la force des classes d'âges (Cooper et Polgar 1981) et donc de l’abondance d’adultes quelques années plus tard (Goodyear 1985; Ulanowicz et Polgar 1980). Il est possible d’observer, dans la structure de la population adulte, la dominance de classes d'âges qui ont été produites pendant les années où la reproduction a bénéficié de conditions favorables (Polgar 1981; Cooper et Polgar 1981; Goodyear 1985).
La population de bar rayé de l’estuaire du Saint-Laurent pourrait être exposée à des facteurs limitatifs supplémentaires parce qu’elles se trouvent à la limite nord de l’aire de répartition de l’espèce (Robitaille 2004). Les conditions climatiques plus rudes auxquelles sont exposées les populations les plus septentrionales de cette espèce pourraient occasionner chez les jeunes de l’année une mortalité sélective en fonction de leur taille (Hurst et Conover 1998). Ceux qui n’auraient pas atteint une longueur totale de 100 mm à l’automne survivraient moins bien pendant leur premier hiver que les individus plus grands à la période de jeûne prolongé sous la glace (Bernier 1996; Bradford et Chaput 1997).
Un autre facteur limitatif lié à la biologie du bar rayé pour les populations plus au nord est le confinement des individus pendant la saison hivernale. Le regroupement d'une proportion élevée des reproducteurs dans une aire réduite pourrait accentuer les répercussions d'un épisode de mortalité accidentelle ou les rendre plus vulnérables au braconnage. Des bars rayés de plus de trois ans de l'ancienne population se déplaçaient vers le lac Saint-Pierre à l'automne et hivernaient dans ce plan d'eau. Plusieurs de ces individus avaient la taille de reproducteurs et, pour cette raison, les naturalistes de l'époque estimaient que ce regroupement avait lieu en préparation de la fraie, bien que celle-ci n'ait jamais été directement observée (Montpetit 1897; Vladykov 1947; Vladykov et Brousseau 1957; Cuerrier 1962; Magnin et Beaulieu 1967). Il n’est pas possible de déterminer si les bars rayés de la nouvelle population se rassembleront dans le lac Saint-Pierre ou ses environs. Depuis la réintroduction, la majorité des captures de bars rayés de grande taille faites dans l'estuaire supérieur pendant la saison froide se sont, jusqu'à maintenant, concentrées dans le panache des eaux de rejet de la centrale Gentilly 2 (voir la section 1.5 Menaces). Il est possible que cet ouvrage exerce un effet attractif qui pourrait avoir des répercussions sur la distribution hivernale des bars rayés adultes. Des concentrations de bars rayés adultes ont aussi été observées au printemps par des pêcheurs sportifs dans le bassin de la rivière du Sud à Montmagny (Pelletier et al. 2010; MPO 2010a, b).
Enfin, les bars rayés doivent avoir accès à des ressources alimentaires abondantes au cours de l'été, à défaut de quoi leur condition peut régresser et la prévalence de maladies augmenter (Overton et al. 2000). Ils peuvent cependant se déplacer pour combler leurs besoins.
1 L'estuaire du Saint-Laurent s'étend de l'exutoire du lac Saint-Pierre jusqu'à une ligne entre Pointe-des-Monts et Matane.
2L’âge est exprimé en année.
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