Le pouvoir de la prérogative de la Couronne dans le cadre de déploiements des opérations militaires des FC à l'extérieur du Canada

L'objet de cette section est d'expliquer l'application du droit dans le contexte spécifique de l'emploi de la prérogative de la Couronne pour déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires internationales. Parce que la matière demande un travail d'analyse du droit général applicable dans un contexte spécifique, l'ordre de présentation de chacun des points diffèrera de celui utilisé dans la section précédente. Par ailleurs, les cas de jurisprudence traitant les aspects de ce sujet distinct sont très rares. Pour cette raison, cette section contient davantage de références pratiques par opposition aux lois et conventions. Comme il en sera question plus loin, une décision de déployer les FC à l'échelle internationale est un exercice de la prérogative de la Couronne.

Aucune loi n'a été émise en vue de limiter l'autorité exécutive dans ce domaine. Bien que les décisions de déployer les FC soient, théoriquement, assujetties à la révision par les tribunaux, ces derniers ont statué que ces décisions étaient sujet de high policy. Cela veut dire que les tribunaux ont refusé la révision judiciaire des exercices de la prérogative de la Couronne en cette matière. Il faut ajouter qu'aucune requête de révision de conformité à la Charte reliée aux déploiements de FC n'a obtenu de succès jusqu'à ce jour.

Comme pour tout autre exercice de la prérogative de la Couronne, la législature ne joue aucun rôle mandaté par la loi dans le processus de décision exécutif en matière de déploiements internationaux des effectifs des FC. Néanmoins, certaines pratiques ont été établies avec le temps pour impliquer le Parlement dans ce processus.

Le Cabinet, ou un comité du Cabinet, peut prendre la décision de déployer les FC à l'extérieur du Canada, tout comme peut le faire le premier ministre, le ministre de la Défense nationale et le ministre des Affaires étrangères. Le Cabinet prendra la décision de déployer les FC à l'échelle internationale en signant un projet de décret qui lui sera présenté, ou en émettant un rapport de décision : une réponse officielle à un mémoire au Cabinet ou à une présentation qui lui sera faite. Le premier ministre ainsi que les ministres individuels utiliseront plutôt des lettres à objectif stratégique pour prendre une décision.

3.1 Fédéralisme

Il faut d'abord noter que la prérogative de la Couronne en cause dans le cas d'une décision exécutive de déployer les FC à l'extérieur du Canada en vue de soutenir une opération militaire est une prérogative exercée par l'autorité fédérale et non provinciale :

The Queen is expressly declared to be Commander-in-Chief of all armed forces of and in Canada (Constitution [Constitution Act, 1867] s.15.). Since exclusive legislative authority in relation to militia, military and naval service and defence is conferred on the Parliament of Canada, (s.91(7)) the applicable prerogative powers appear to be exercisable by the Crown in right of Canada.131

3.2 Le pouvoir de déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires à l'extérieur du Canada est explicite dans le contenu de la prérogative de la Couronne

Il y a une quantité de jugements qui ont établi que le pouvoir de déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires à l'étranger est explicite dans le

It is in my opinion clear that the disposition and armament of the armed forces are, and for centuries have been, within the exclusive discretion of the Crown (…)133

En outre, les universitaires ont renforcé cette position de la common law, tel qu'expliqué dans Lordon :

The Crown has certain prerogative powers or duties to act in defence of the realm, including the power to station and control the armed forces.134

3.3 La prérogative de la Couronne de déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires à l'étranger n'a jamais été limitée ou destituée par la législation

Tel que mentionné à la section 2.3 du présent document, une prérogative de la Couronne peut, dans certaines circonstances, être limitée ou destituée par la législation. Cela ne s'applique toutefois pas au pouvoir de la prérogative de déployer les FC à l'échelle internationale. En effet, la position juridique à ce sujet est claire, cette prérogative historique demeure entière et insurpassable.

La LDN ne sert pas à imposer des limites ou à destituer la prérogative de déployer les FC à l'étranger.135 D'ailleurs,136 l'article 31(1) de la LDN, qui accorde au gouverneur en conseil l'autorité de mise en service actif, ne prévaut pas sur l'autorité de la prérogative de la Couronne en cette matière. Il est important, lorsque la LDN et la prérogative de la Couronne sont concurrentes, de bien distinguer le concept de mise en service actif et le fait d'être tenu d'exécuter des devoirs légaux, incluant le devoir d'être déployé à l'étranger. Ces deux concepts ne sont pas directement reliés : un membre des FC peut être mis en service actif sans être déployé, et un membre des FC déployé n'est pas nécessairement en service actif. Voici l'article 31(1) de la LDN à ce sujet :

Le gouverneur en conseil peut mettre en service actif les Forces canadiennes ou tout élément constitutif, unité ou autre élément de ces forces, ou l'un de leurs officiers ou militaires du rang, n'importe où au Canada ou à l'étranger quand il estime opportun de le faire :

  1. soit pour la défense du Canada, en raison d'un état d'urgence;
  2. soit en conséquence d'une action entreprise par le Canada aux termes de la Charte des Nations Unies;
  3. soit en conséquence d'une action entreprise par le Canada aux termes du Traité de l'Atlantique-Nord, de l'Accord du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord ou de tout autre instrument semblable auquel le Canada est partie.

À la lecture de cet article, il est évident que c'est la LDN, et non la prérogative de la Couronne, qui constitue le fondement légal de la mise en service actif des FC. Toutefois, être mis en service actif et être déployé sont deux choses différentes. Être mis en service actif veut simplement dire qu'un nombre de conséquences sera désormais possible à l'égard du membre mis en service. Ces conséquences sont relatives au niveau de contrôle disciplinaire des FC (lorsqu'un membre est mis en service actif, les FC resserrent son contrôle disciplinaire sur ce membre). Être mis en service actif limite aussi l'éligibilité du membre à quitter les FC.137 En fait, en vertu du décret en conseil de 1989138, tous les membres de la Force régulière des FC sont mis en service actif, au Canada ainsi qu'à l'étranger, et tous les membres de la Réserve des FC sont mis en service actif lorsqu'ils sont en dehors du Canada. Cela illustre bien le fait qu'un membre peut être mis en service actif sans être déployé, et, en réalité, cela est le cas de la grande majorité des membres des FC.

C'est l'article 33(1) de la LDN qui doit être pris en considération en contexte de décision de déploiement d'un contingent des FC :

La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

Cet article engage tout membre des FC tenu d'exécuter un devoir légal. Les devoirs légaux incluent les devoirs assignés légalement aux membres des FC par l'entremise et sous l'autorité de la prérogative de la Couronne. Un tel devoir assigné légalement comprend le devoir d'être ou de déployer à l'étranger. Le fondement légal de la prise de décision de déploiement n'apparaît pas dans l'article 33(1), ce dernier explique simplement qu'une fois la décision prise, tous les effectifs des FC sont tenus d'exécuter tout devoir conféré par la loi qui en découle. Par ailleurs, cette obligation d'exécuter les devoirs légaux n'est nullement reliée au concept de mise en service actif.

3.4 Révision judiciaire d'une décision de déploiement des FC dans le cadre d'une opération militaire internationale

Les tribunaux ont appliqué la doctrine de justiciabilité pour chaque demande de révision judiciaire effectuée à l'égard d'une décision basée sur la prérogative de la Couronne. Pour déterminer si une matière est justiciable ou non, le tribunal se sert du test de l'objectif de la décision élaboré dans l'affaire anglaise GCHQ.139 Grâce à ce test, une matière peut être jugée justiciable si son contenu entrave les droits et les attentes légitimes d'une personne. Depuis le procès Black,140 toutefois, les tribunaux canadiens soutiennent que certaines décisions en vertu de la prérogative de la Couronne, formant une classe distincte, sont exemptées de révision judiciaire; ce sont les décisions dites de high policy. Donc, dans l'éventualité d'une demande de révision judiciaire faisant suite à une décision basée sur la prérogative de déployer les FC à l'extérieur du Canada, le tribunal jugera la matière non justiciable.141 Tel que vu précédemment, les tribunaux ont été clairs à ce sujet.142

Avant de conclure la question portant sur le potentiel d'une décision de déployer les FC à l'étranger d'être assujettie à une révision judiciaire, il est nécessaire d'explorer deux objections possibles à l'application du concept de high policy telles que parues dans les récentes causes. La première objection pourrait être que l'idée de high policy est erronée et devrait être rejetée par les tribunaux. Un tel argument pourrait trouver fondement dans l'opinion dissidente du procès Aleksic : cette affaire consiste en partie en une demande d'indemnisation en responsabilité délictuelle contre le procureur général du Canada suite à une campagne de bombardement militaire en Yougoslavie. Un des litiges consistait à déterminer si les réclamations en responsabilité délictuelle étaient justiciables ou non : en majorité, il a été conclu qu'elles ne l'étaient pas puisque les actions gouver-nementales en cause étaient sujet de high policy. Dans cette dissidence, toutefois, le juge Wright a declaré :

In my opinion, the only issue of "High Policy" involved in this case is whether Canada is a nation under the Rule of Law or whether there are times in our national life when the Executive may inflict damage upon citizens unfettered by considerations of domestic law, international law or solemn agreements between the Crown and other nations.143

Cette opinion n'a pas été appuyée par les autres juges saisis, n'a pas été utilisée par un autre tribunal et n'est appuyée par aucun jugement qui la précède. Ce passage semble empreint de rhétorique à défaut de caractère analytique. Évidemment, le droit interne apporte de réelles contreparties dans un contexte de décision basée sur la prérogative de la Couronne : le test de l'objet, développé au fil d'une série de litiges, et l'obligation formelle pour la Couronne de respecter la Charte. Bien que cela demeure nébuleux, il semble que la dissidence dans Aleksic écarterait le concept de high policy, et peut-être même le test de l'objet. Certains accordent toutefois peu de valeur à cette opinion, puisqu'elle semble critiquer le régime légal encadrant l'interaction entre les tribunaux et le pouvoir exécutif en matière de l'exercice de la prérogative de la Couronne, mais elle ne suggère aucun régime alternatif pour le remplacer.

L'autre argument possible contestant l'aspect de high policy des décisions, pourrait être que l'exercice de la prérogative de la Couronne en vue de déployer les FC dans le cadre d'une opération militaire internationale devrait être distincte de l'exercice de la prérogative de la Couronne en cause dans l'affaire Black, et est davantage similaire à la prérogative utilisée dans le cas Chaisson,144 le seul jugement contredisant celui de Black jusqu'à maintenant. Dans l'affaire Chaisson, il a été demandé à la Cour d'émettre une ordonnance de mandamus suite à la décision du gouvernement de refuser de décerner une décoration pour bravoure pour des actes commis pendant la Seconde Guerre mondiale.145 Le Règlement sur les décorations canadiennes pour actes de bravoure146 définit les procédures d'applications à considérer. Voici le raisonnement de la Cour :

Unlike the Black case where there were no written instruments controlling the power being exercised by the Prime Minister, it is certainly arguable in the present case that the Regulations, once adopted, constitute a set of rules which provide criteria for a Court to determine if the procedure prescribed therein has been followed, and if the Committee has exercised the jurisdiction assigned to it. That the Regulations themselves were promulgated under the royal prerogative does not render questions of compliance with the procedure they prescribe matters plainly beyond judicial review.147

Dans Chaisson, la donnée de fait ayant servi à destituer l'autorité du cas Black est l'existence d'un règlement indiquant comment la prérogative de la Couronne y étant relative devait être exercée. C'est grâce à ce règlement que la Cour a jugé l'exercice de la prérogative révisable, s'appuyant sur le fait que dans cet outil écrit, figurait des indications pouvant mener à la révision d'une décision. Bien qu'en théorie il n'y ait aucune raison de croire que l'« exception Chaisson » à l'égard du concept de high policy ne pourrait pas, par principe, s'appliquer dans le contexte d'une décision de déployer les FC outre-mer, de telles décisions ne sont pas fondées sur les règlements mettant en place les lignes conductrices ou les procédures.

Pour conclure, il serait improbable que les tribunaux interfèrent dans l'exercice d'une prérogative visant à déployer les FC dans le cadre d'une opération militaire internationale en ayant recours à l'application de la révision judiciaire.

3.5 Révision d'une décision de déployer les FC dans le cadre d'une opération militaire internationale : conformité à la Charte

Tel que discuté précédemment,148 la décision de la Cour suprême du Canada dans Operation Dismantle149 indique clairement qu'un exercice de la prérogative de la Couronne est sujette à être évaluer par rapport à sa conformité à la Charte150, mais que cette évaluation doit se limiter à déterminer si les droits du demandeur, tels que protégés par la Charte, sont violés ou non par l'exercice en question.151 Il pourrait être possible d'alléguer qu'une décision donnée en vertu de la prérogative de déployer les FC à l'extérieur du Canada constitue une violation des droits de la Charte. Même si les faits dans l'affaire Operation Dismantle ne soulevaient aucun questionnement par rapport à la Charte, la juge Wilson a spécifiquement ajouté :

this is not to say that every governmental action that is purportedly taken in furtherance of national defence would be beyond the reach of s. 7. If, for example, testing the cruise missile posed a direct threat to some specific segment of the populace – as, for example, if it were being tested with live warheads – I think that might well raise different considerations. 152

Par conséquent, il semblerait qu'une décision basée sur la prérogative de déployer les FC à l'étranger pourrait, théoriquement, être assujettie à une révision de conformité à la Charte.

Jusqu'à maintenant, aucun tribunal n'a considéré une décision en vertu de la prérogative de la Couronne de déployer les FC à l'échelle internationale comme une infraction aux droits la Charte. Même si cette révision arrivait à prouver une entrave à la Charte, la Couronne pourrait se défendre en invoquant l'article 1 de la Charte. Voici un commentaire incident de la juge Wilson dans Operation Dismantle à ce propos :

A court might find that [a Crown prerogative decision to test a live cruise missile] constituted a violation of s. 7 and it might then be up to the government to try to establish that testing the cruise missile with live warheads was justified under s. 1 of the Charter.153

3.6 Exercice du pouvoir de la prérogative de la Couronne de déployer les FC dans le cadre d'une opération militaire internationale

3.6.1 Introduction

Tel qu'expliqué à la section 2.6, le Cabinet et ses comités, tout comme le premier ministre et les ministres individuels dans certaines circonstances, peuvent exercer la prérogative de la Couronne. Ceci demeure applicable en contexte de prérogative de déployer les FC à l'extérieur du Canada. En théorie comme en pratique, il existe quatre niveaux d'autorité qui peuvent prendre une décision en vertu de cette prérogative, listés ici en ordre de prédominance : le Cabinet (soit en entier ou un comité), le premier ministre, le ministre de la Défense nationale en collaboration avec le ministre des Affaires étrangères, et le ministre de la Défense nationale agissant seul.

Même si les autorités aux différents niveaux du pouvoir exécutif peuvent prendre une décision basée sur la prérogative de la Couronne en association et par divers moyens, il est impératif qu'une seule autorité prenne une décision particulière par un seul moyen. Le passé a démontré que cela est particulièrement important lorsque le pourvoir de prérogative exercé est celui de déployer les FC. Dans presque toutes les situations en la matière, la décision n'est pas un simple « oui » ou « non », elle comprend des directives stratégiques sur la façon de mener la mission concernée. Si ces directives proviennent de différentes sources, il y a une forte probabilité qu'elles diffèrent les unes des autres, risquant ainsi de semer la confusion ou d'être incohérentes. Par exemple, si le premier ministre émet une lettre à objectif stratégique au même moment où le Cabinet émet une ordonnance par l'entremise d'un mémoire au Cabinet, il y aura confusion à savoir qui exerce en fait la prérogative de la Couronne et quelle est la portée de la décision.154

Pour terminer cette analyse, voici une brève description des procédures établies pour impliquer le Parlement dans la décision exécutive de déployer les FC à l'échelle internationale en grand nombre. Suivront également des explications du fondement légal d'une telle décision pour chacun des quatre niveaux mentionnés ainsi qu'un aperçu des procédures de formalisation des décisions en vertu de la prérogative de la Couronne.155

3.6.2 Le Parlement ne joue aucun rôle mandaté par la loi dans l'exercice de la prérogative de la Couronne de déployer les FC dans le cadre d'une opération militaire internationale

Le Parlement n'a pas besoin d'être consulté avant que la décision de déployer les FC à l'étranger ne soit prise. Voici un extrait de Phillips & Jackson à ce sujet :

The government does not have to consult, or even inform, Parliament before exercising prerogative powers. This is convenient, for many matters falling within the prerogative are not suitable for public discussion before the decision is made or the action performed. On the other hand, the government must feel assured of parliamentary support afterwards, especially in a matter like war or where money will be required.156

Cela dit, à partir des déclarations du premier ministre St-Laurent à propos d'un éventuel déploiement des FC en Coré, émises dans la Chambre des communes,157 certaines pratiques visant à déterminer quand et comment le Parlement serait invité à considérer une décision en vertu de la prérogative de déployer les FC dans le cadre d'une opération internationale d'envergure ont été implantées. Même si elles ne sont pas nécessaires aux yeux de la loi, ces façons de faire sont justifiées par plusieurs raisons pratiques. Comme mentionné précédemment, sous un système de gouvernement responsable, le pouvoir exécutif doit maintenir la confiance des élus de la chambre du Parlement. En soumettant une décision exécutive à l'étude au Parlement, le pouvoir exécutif empêche les députés élus d'utiliser cette décision comme fondement d'un vote de défiance. De plus, le public semble mieux accueillir une décision du pouvoir exécutif qui a été présentée au Parlement. En théorie, la consultation du Parlement permet d'obtenir une opinion plus diversifiée.

Jusqu'en 1992, il était coutume de déployer un nombre important d'effectifs des FC à l'extérieur du Canada en émettant un décret en conseil, que ces effectifs soient mis en service actif en vertu du pouvoir de la LDN ou qu'ils soient maintenus en service actif.158 Lorsque le décret mettait des effectifs en service actif159, un document d'accompagnement de la LDN, maintenant l'article 32, entrait en vigueur.160 Une demande avait alors était émise afin de sommer le Parlement, dans certaines circonstances, à discuter du décret. De l'autre côté, maintenir les effectifs en service actif n'avait aucun effet similaire.161 En pratique, le décret était déposé devant la Chambre pour discussion, avec ou sans vote final; et de plus petits contingents étaient envoyés à l'étranger sans plus de questionnement du Parlement que les questions spéciales permises lors de la période des questions ou lors de débats sur l'approvisionnement.162

Depuis 1992, toutefois, la coutume de créer un décret individuel pour chaque mission a cessée.163 Cette dernière a été modifiée afin d'impliquer le Parlement dans la prise de décision concernant d'importants nombres de troupes par des moyens moins formels. La marche à suivre se résume désormais presque exclusivement au gouvernement plaçant une motion devant la chambre basse qui « prend note » d'une certaine situation ou d'une décision exécutive concernant le déploiement des FC.164 Le gouvernement peut aussi soumettre un autre type de motion. Le 17 mai 2006, par exemple, il a présenté une motion voulant que [Traduction] « …cette Chambre appuie la décision du gouvernement de prolonger de deux ans le déploiement canadien diplomatique, le développement, la police civile et le personnel militaire en Afghanistan ainsi que la provision de fonds et d'équipement pour soutenir ce prolongement. »165 Pour de nombreux autres déploiements, le gouvernement n'a pas du tout impliqué le Parlement dans sa décision.166

Ces pratiques visant à impliquer le Parlement dans les décisions d'importants déploiements des FC outre-mer permettent au Parlement de poser des questions et d'émettre des commentaires sans que l'autorité de prise de décision ne soit enlevée au pouvoir exécutif. Il est important de noter que cette implication ne donne pas le droit à la Chambre des communes d'approuver une décision en vertu de la prérogative de la Couronne, ni d'avoir autorité sur une décision déjà prise par le pouvoir exécutif. Cependant, elle permet aux membres élus d'émettre leur opinion. Aussi, il ne faut pas oublier que seuls les déploiements d'un grand nombre d'effectifs ont historiquement été assujettis à la consultation parlementaire.

3.6.3 Cabinet et comités du Cabinet

Le Cabinet et ses comités peuvent exercer la prérogative de la Couronne de déployer les FC à l'échelle internationale. Le Cabinet prend ce type de décision à l'aide d'un décret en conseil. Toutefois, il peut aussi émettre un rapport de décision. Dans certains cas, le rapport de décision sera rédigé en réponse à un mémoire au Cabinet ou à une présentation visuelle lui étant adressés. Ce travail peut également être effectué par un comité du Cabinet. Les procédures récentes ont vu le comité des Affaires étrangères et de la Sécurité nationale devenir le « représentant » du Cabinet pour traiter les requêtes en matière de prise de décisions basée sur la prérogative de la Couronne de déployer les FC à l'extérieur du Canada.167 Ce comité soumet les décisions relatives à cette matière au Cabinet, accompagnées de ses recommandations.

3.6.4 Premier ministre

Le premier ministre bénéficie d'un double fondement légal pour utiliser la prérogative de la Couronne : sa position à la tête du gouvernement, et le droit accordé par convention au premier ministre de définir le consensus du Cabinet. Le premier ministre a donc le droit, et a déjà exercé ce droit, de prendre la décision de déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires internationales. Depuis le 11 septembre 2001, le premier ministre a exercé ce pouvoir de décision exclusivement sous forme de lettres à objectif stratégique. Une lettre à objectif stratégique décrit clairement et catégoriquement les aspects politique, opérationnel, légal, géographique et temporel du déploiement. Ce type de lettre peut être rédigé sans lettre attachée, mais est habituellement subséquente à une lettre adressée au premier ministre par un ou des ministres individuels. Le premier ministre cite souvent la lettre ministérielle et confirme qu'il est d'accord avec son contenu.

3.6.5 Ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense nationale

Les ministres du Cabinet possèdent l'autorité d'utiliser la prérogative de la Couronne dans certains cas, et cette autorité peut, dans les circonstances appropriées, aller jusqu'à l'exercice de la prérogative de la Couronne de déployer les FC à l'échelle internationale.

Toute décision concernant le déploiement des FC en vue de soutenir une opération militaire à l'extérieur du Canada relève directement de deux ministères fédéraux :168 le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international169, le ministère de la Défense nationale170, ainsi que leur ministre désigné. La pratique établie veut que ces ministres travaillent en collaboration pour exercer le pouvoir de la prérogative. Plusieurs processus ont été utilisés pour formaliser la décision commune : une lettre collective, signée par chaque ministre; deux lettres identiques envoyées successivement au premier ministre, ou une lettre rédigée par le ministre de la Défense nationale en son nom et au nom du ministre des Affaires étrangères.

À cause des sensibilités aux dimensions politiques engendrées dans certaines opérations des FC, le ministre de la Défense nationale et le ministre des Affaires étrangères vont, dans la majorité des cas, informer le premier ministre d'une décision en vertu de la prérogative de déployer les FC à l'extérieur du Canada. Lorsque le nombre d'effectifs est élevé ou que la mission implique des sensibilités d'autre nature, les ministres demanderont l'accord du premier ministre pour prendre la décision. Dans de tels cas, la prérogative de la Couronne concernée est considérée comme étant exercée par le premier ministre.

Selon les récentes mesures, le pouvoir de la prérogative de déployer les FC dans le cadre d'opérations militaires internationales est exercé par le ministre de la Défense nationale et le ministre des Affaires étrangères dans des circonstances limitées seulement, par exemple, pour établir les positions lorsque le déploiement est peu nombreux.

3.6.6 Ministre de la Défense nationale

Dans un même ordre d'idées, le ministre de la Défense nationale peut, seul, et dans certaines circonstances, exercer la prérogative de la Couronne de déployer les FC à l'étranger. Les plus récents processus lui permettent de le faire que dans les cas où un petit nombre de troupes est envoyé en missions déjà en cours. Par exemple, le déploiement d'officiers dans les quartiers généraux d'une organisation internationale, comme les Nations Unies ou l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, à l'extérieur du Canada. Le ministre agissant seul, avisera aussi, dans la majorité des cas, le premier ministre de sa décision. Il peut aussi demander l'accord du premier ministre pour prendre la décision, dans lequel cas elle appartiendra au premier ministre.


Notes en bas de page

131 C.E.D « Crown », supra note 30, section 89.

132 Chandler v. D.P.P., [1962] 3 All E.R. 142.

133 Chandler, ibid. p. 146, lord Reid. Voir aussi Aleksic, supra note 119 p. 732 : « It is, in my view, beyond doubt that an executive decision to participate in the bombing of Yugoslavia is a matter of 'high policy'. It is closely analogous to a declaration of war…It was a pure policy decision made p. the highest levels of government, dictated by purely political factors » ; dans Turp (F.C.), supra note 121 p. 188, citant Blanco, supra note 120 : « a decision to deploy the Canadian Armed Forces in one of 'high policy' » ; dans Turp c. Chrétien (Cour supérieure), Montréal 500-05-071731-028 (Cour supérieure) p. 5 : « Il s'agit d'une question qui est du ressort de la prérogative de l'état et de relations internationales dans les affaires intéressant la défense et des rapports entre état et donc de questions non assujetties au pouvoir de surveillance et de contrôle de cette cour ».

134 Lordon, supra note 7 p. 81. Voir aussi Phillips & Jackson, supra note 1 p. 345 : « The control of the armed forces is part of the royal prerogative: Chandler v. D.P.P »

135 Lordon, supra note 7 est du même avis lorsqu'il écrit, à la p. 82 : « The National Defence Act and regulations thereunder have, to a large extent, pre-empted the prerogative powers of the Crown in Canada to control and manage its armed forces. Under section 4 of the Act, responsibility for the control, organization, and disposition of the Canadian Forces is delegated to the Minister of National Defence. » L'article 4 de la LDN, supra note 47, se lit comme ceci : « Le ministre occupe sa charge à titre amovible et est responsable des Forces canadiennes; il est compétent pour toutes les questions de défense nationale (…) ». Il faut souligner que Lordon dit aussi, à la p. 81 que « the Crown has certain prerogative powers or duties to act in defence of the realm, including the power to station and control the armed forces. » Ces affirmations ne sont pas contradictoires. Lorsque Lordon parle d'un pouvoir statuaire concernant le contrôle et la disposition des FC, il ne fait pas référence au pouvoir de déployer les FC, mais plutôt au pouvoir de contrôler ou d'assigner des garnisons ou des exercices aux forces, ou encore les diriger après que la Couronne ait exercé son pouvoir de déploiement. Lordon se base sur l'article 4 de la LDN où la version anglaise prévoit des pouvoirs de « management and direction » des FC, et non des pouvoirs de « contrôle ou de disposition ». Il est clair que l'opinion de Lordon doit être considérée en gardant en tête les termes anglais de l'article 4.

136 Et contrairement à l'opinion dissidente du juge J. DeP. Wright dans Aleksic, supra note 119 p. 724.

137 Les conséquences d'être mis en service actif incluent le droit des FC de retenir un membre en service actif après la fin de son engagement (LDN, supra note 47, art. 30(1)), ainsi que la possibilité de peines plus sévères pour les membres en service actif reconnu coupable de violations au Code de discipline militaire (LDN, art. 77, 88, 97)

138 P.C. 1989-583 (6 avril 1989). Le décret en conseil dans ce cas a été émis en vertu d'un pouvoir statuaire et non d'un pouvoir découlant d'une prérogative de la Couronne.

139 Supra note 114.

140 Supra note 2.

141 Tel que discuté, le tribunal n'a pas besoin d'appliquer la doctrine de « high policy » dans le seul but de conclure qu'une décision de déployer les FC à l'extérieur du Canada en vertu d'une prérogative de la Couronne n'est pas sujette à une révision judiciaire, car elle fait partie de la catégorie des prérogatives de la Couronne qui sont non justiciables. Voir les références faisant autorité en la matière et qui pourraient servir de fondement pour soutenir des conclusions similaires; elles ne font pas référence au concept de high policy : Phillips & Jackson, supra note 1 p. 345; Chandler, supra note 132 p.151, lord Radcliffe; Campaign for Nuclear Disarmament, supra note 118 para 15 et 50; GCHQ, supra note 114 p. 942; Turp (Cour supérieure), supra note 133 para 11.

142 Voir, par ex., Aleksic, supra note 119 p. 732 : « it is, in my view, beyond doubt that an executive decision to participate in the bombing of Yugoslavia is a matter of high policy. It is closely analogous to a declaration of war…It was a pure policy decision made p. the highest levels of government, dictated by purely political factors » ; Blanco, supra note 120 p. 6, citant Black, supra note 2, et ex Parte Everett, supra note 117 : « the thrust of the Plaintiff's Statement of Claim relates to a potential assumption of arms by Canada. Such a decision would fall under the heading of 'high policy' » ; et Turp (F.C.), supra note 121 p. 188 : « a decision to deploy the Canadian Armed Forces is one of 'high policy'. »

143 Aleksic, supra note 119 p. 724, juge J. DeP. Wright.

144 Chaisson c. Canada (2003), 226 D.L.R. (4e) 351 (C.A.F.).

145 Le cas cité a examiné une requête concernant l'action principale. En dernier ressort, le tribunal a refusé d'invalider la décision protonotaire rejetant la requête de radier l'action.

146 1996, P.C. 1997-123, C. Gaz. 1997.I.2091.

147 Chaisson, supra note 144 p. 356.

148 Voir section 3.10.

149 Supra note 71.

150 Supra note 124.

151 Operation Dismantle, supra note 71 p. 504, juge Wilson : « the question before us is not whether the government's defence policy is sound but whether or not it violates the appellants' rights under s. 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. This is a totally different question. »

152 Ibid., p. 518, juge Wilson.

153 Ibid.

154 Cette confusion n'aura pas lieu s'il y a deux décisions distinctes relatives à un seul sujet, comme par exemple, si le premier ministre établit les objectifs stratégiques d'une mission et un MC émet la demande de financement.

155 Une étude générale de ces questions se trouve à la section 2.6, infra.

156 Phillips & Jackson, supra note 1 p. 269ff.

157 Lors des débats de la Chambre des communes du 8 septembre 1950, le premier ministre a essentiellement confirmé que le Parlement serait invité à approuver ou à désapprouver une décision du gouvernement relative à un déploiement possible en Corée.

158 Comme nous l'avons vu dans la section 3.3, supra, émettre un ordre de mise en service actif n'équivaut pas à une décision de déploiement aux yeux de la loi. Toutefois, en émettant un ordre de mise en service actif unique à chaque déploiement, les gouvernements successifs ont relié l'idée de mise en service actif au concept de déploiement fondé sur la prérogative.

159 Voici des exemples de tels ordres, dont ceux concernant l'implication des FC en Corée (1950), dans les Forces d'urgence des Nations Unies (FUNU) au Moyen-Orient (1973), dans le Groupe d'observateurs militaires de l'ONU pour l'Iran et l'Irak (1988), dans le Groupe d'assistance des Nations Unies pour la période de transition au Namibie (1989), dans le Groupe d'observateurs de l'ONU en Amérique Centrale(1990), dans la situation engendrée par l'invasion du Koweït par l'Irak (1990), et en Somalie (1992).

160 L'article 32 de la LDN se lit comme suit : « Lorsque le gouverneur en conseil met en service actif les Forces canadiennes ou tout élément constitutif ou unité de celles-ci pendant que le Parlement est ajourné ou prorogé pour une période de plus de dix jours, celui-ci doit se réunir, dans les dix jours de la proclamation le convoquant, au moment fixé dans celle-ci et continuer à siéger comme si son ajournement ou sa prorogation avait pris fin ce même jour. »

161 Des exemples de tels ordres de maintien comprennent ceux de l'implication des FC dans les Forces de l'OTAN en Europe (en 1951 et en 1961), dans les FUNU (1956), au Congo (1960), et en Chypre (1964).

162 Ces exemples comprennent l'implication des FC au Golan (1948), au Yémen (1963), au Vietnam (1972), et en Haïti (1990).

163 Tel que discuté à la section 3.3, supra, par le décret du Conseil privé 1989-583, tous les membres de la Force régulière des FC en tout temps, et tous les membres de la réserve lors d'opérations à l'extérieur du Canada, sont mis en service actif. De nombreuses missions ont eut lieu sans l'émission d'un décret en conseil spécifique depuis 1992, incluant la mission au Cambodge (1992), en Yougoslavie (1993 et 1995), au Kosovo (1999) et en Afghanistan (2002 jusqu'à ce jour).

164 Voici des exemples récents de débats exploratoires concernant le déploiement des FC : le rôle des FC en Afghanistan (15 novembre 2005); la situation en Haïti (10 mars 2004); le déploiement du personnel des FC en Afghanistan (28 janvier 2002); actions internationales contre le terrorisme (15 octobre 2001); la rencontre planifiée entre le premier ministre et le président des États-Unis, ainsi que le débat consécutif relatif au déploiement possible d'une coalition dans le cadre de la campagne contre le terrorisme (20 septembre 2001); le maintien de la paix possible en Éthiopie et en Érythrée (17 octobre 2000).

165 La motion a passé de justesse, 149 oui contre 145 non.

166 Par exemple, les déploiements en République démocratique du Timor-Leste (1999, même si une question a été posée lors de la période de questions), dans les FIAS de l'OTAN (2003), en Macédoine (2001, avec questions posées lors de la période de questions) et en Haïti (2004).

167 Il est possible de connaître les membres du Comité au : http://www2.parl.gc.ca/Parlinfo/compilations/FederalGovernment/ComiteeCabinet.aspx?Language=F

168 D'autres ministères ou agences peuvent être impliqués selon le type de déploiement prévu. Par exemple, les déploiements comprenant un mandat de développement important peuvent impliquer directement l'Agence canadienne de développement international.

169 Sur le site Internet du ministère, il est écrit que : « we ensure the security of Canadians within a global framework, and promote Canadian values and culture on the international stage. » (http://www.international.gc.ca/about-a_propos/index.aspx?lang=fra&view=d, dernière visite : 15 janvier 2007.)

170 Sur le site Internet du ministère, il est écrit que « Le ministre de la Défense nationale est responsable de la gestion et du contrôle des FC dans leur ensemble, ainsi que de toutes les questions concernant la défense nationale et l'état de préparation aux situations d'urgence. Plus particulièrement, le Ministre est chargé d'élaborer et d'articuler la politique de défense du Canada. » (http://www.forces.gc.ca/site/faq/answers_f.asp, dernière visite : 15 janvier 2007.) (Nota : Lien non à jour - Voir le rôle du ministre de la Défense nationale)

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