Section 4 : Les caractéristiques de la profession des armes au Canada

Les paragraphes qui suivent décrivent les quatre caractéristiques de la profession — responsabilité, expertise, identité et éthos militaire — ainsi que leurs interrelations dans le contexte canadien.

Responsabilité

La responsabilité fondamentale des Forces canadiennes est la défense du Canada et des intérêts canadiens. Les militaires professionnels des Forces canadiennes sont responsables collectivement, devant le Gouvernement et les citoyens du Canada, de l’exercice efficace de cette fonction première. Cette responsabilité suppose que les militaires doivent rendre compte de leurs actions, qui doivent être conformes au droit et aux normes les plus élevées sur le plan des caractéristiques de la profession. Puisque la société est obligée d’assurer sa sécurité en fournissant aux militaires des armes de plus en plus puissantes et d’autres technologies, ces derniers ont la responsabilité professionnelle de veiller au respect des normes de discipline les plus élevées, particulièrement pour ce qui est de la discipline personnelle.

Une des responsabilités capitales des membres de la profession est d’assurer le bien-être des subordonnés. Tous les chefs doivent comprendre, sur les plans professionnel et personnel, que cette responsabilité est le levier capable de favoriser et de maintenir une force efficace et cohésive, au moral élevé. Cela exige un engagement personnel à l’égard des idéaux de l’éthos militaire, du perfectionnement professionnel des subordonnés et de la gestion attentive des ressources, ainsi que compétence et responsabilité en matière administrative. Tous les militaires professionnels partagent la responsabilité plus large du maintien de l’intégrité et de la réputation de la profession militaire, ce qui garantit que les valeurs canadiennes (décrites à la section 3 du chapitre 2) et l’éthos militaire canadien façonnent la conduite des opérations et les actions individuelles.

Au-delà de cette responsabilité à l’égard de la cohésion et du moral des troupes qui échoit à tous les membres des Forces canadiennes, chaque militaire a des responsabilités rattachées à son poste au sein de l’organisation. Elles vont de la maintenance et de l’utilisation d’une pièce d’équipement à la prestation d’avis au gouvernement sur l’engagement des forces. Ainsi, chacun connaît bien ses responsabilités dans l’exercice de ses fonctions et son obligation de rendre des comptes à la chaîne de commandement des Forces canadiennes.

À cet égard, il existe une distinction fondamentale entre la responsabilité des officiers et celle des MR. De nos jours, les différences entre le corps des officiers et celui des MR peuvent être décrites en termes de compétences, d’autorité et de responsabilitéNote de bas de page 5 . Par leur brevet, les officiers sont investis de certaines responsabilités et de certains pouvoirs décisionnels relativement à l’emploi de la force. Ces décisions, qui vont du niveau tactique au niveau stratégique, établissent le contexte des opérations auxquelles participent les MR.

Le brevet d’officier donne également le droit et le privilège decommander. Par conséquent, en plus d’avoir la responsabilité de diriger efficacement les troupes dans des situations à risque, les officiers sont habilités à exiger de leurs subalternes une exposition au danger. Dans toute situation l’officier en position de commandement a la responsabilité de créer les conditions menant à la réussite de la mission, y compris énoncer clairement son intention et diriger ses subordonnés vers l’atteinte de l’objectif visé. 

La responsabilité de l’officier est aujourd’hui plus vaste que celle des matelots-chefs, caporaux-chefs et militaires de grade supérieur, et elle s’élargit à mesure qu’il monte en grade. Parmi ses principales responsabilités, le corps des officiers doit superviser la réglementation dans l’ensemble de la profession. Pour s’acquitter de ces responsabilités, les officiers doivent développer leur aptitude à déléguer tâches et pouvoirs afin que les MR puissent agir sans être soumis à de la microgestion. Ce n’est qu’en employant à fond l’expertise particulière des MR que les officiers peuvent diriger la force militaire avec la plus grande efficacité.

De plus, les Ordonnances et règlements royaux sur les Forces canadiennes confèrent aux MR la responsabilité précise de « promouvoir le bien-être, l’efficacité et la bonne discipline detous les subalternes », avec l’autorité nécessaire pour s’en acquitter. Dans les faits, ceux-ci sont chargés de veiller au quotidien à ce que les subalternes reçoivent de l’instruction individuelle et collective et à ce qu’ils soient préparés et aptes à exécuter toutes les missions qui leur sont confiées. Ils doivent, entre autres, servir de proches conseillers aux officiers supérieurs et aux commandants sur toute question relative à ces trois grandes responsabilités. Dans le cas des officiers débutants et inexpérimentés, ce rôle de conseiller revêt davantage la forme d’un encadrement. En outre, les premiers maîtres de 1re classe et les adjudants-chefs assument, en vertu de leur brevet, des responsabilités particulières dans le corps des MR pour faire régner l’ordre et la discipline parmi les subalternes. Ils sont, en somme, les « gardiens du corps des MRNote de bas de page 6  » sous la supervision des officiers généraux. De plus en plus, les maîtres de 1re classe/adjudants et militaires de grade supérieur occupent des postes d’état-major autrefois réservés aux officiers des niveaux opérationnel et stratégique. Leur système de perfectionnement professionnel a été remanié de manière à ce qu’ils soient adéquatement préparés à assumerces rôles.

La responsabilité est en forte interaction avec les trois autres caractéristiques du professionnalisme militaire. Par exemple, l’éthos militaire doit préciser que le devoir des militaires est d’accepter et de remplir toutes leurs responsabilités professionnelles. En retour, celles-ci contribuent à définir l’identité militaire en établissant les relations et les rôles professionnels. La responsabilité influe directement sur l’expertise militaire, parle biais des connaissances pertinentes nécessaires à l’efficacité des actions collectives et individuelles. Les militaires ont donc le devoir d’acquérir ces connaissances et de les tenir à jour.

En résumé, la légitimité de la profession militaire au Canada dépend essentiellement de l’exercice des responsabilités professionnelles des militaires, en conformité avec les valeurs canadiennes, les lois canadiennes et internationales et l’éthos militaire canadien.

Expertise

La direction, le fonctionnement et le contrôle d’une organisation humaine dont la principale fonction est l’application de la force militaire déterminent le type d’expertise que les militaires professionnels doivent posséder. Une telle organisation s’appuie sur un ensemble complexe de connaissances théoriques et pratiques et de savoir-faire qui la distingue de toute autre profession.

L’expertise ici se fonde sur une compréhension pleine et entière de la théorie et de la pratique des conflits armés. Cette théorie en globe l’histoire des conflits armés ainsi que les concepts et la doctrine expliquant les niveaux inhérents à la structure des conflits, des niveaux tactique et opérationnel jusqu’aux niveaux stratégique et politico-militaire. De plus en plus, et surtout lorsqu’il monte en grade, le militaire professionnel doit maîtriser le domaine des opérations interarmées, interalliées et interinstitutions. Aux grades les plus élevés, il doit démontrer une expertise en sécurité nationale. Il est également très important de comprendre comment les lois nationales et internationales régissent les conflits armés. Comme l’indique la doctrine de leadership des Forces canadiennes, cet unique bagage de connaissances théoriques est défini comme étant le Système général des guerres et des conflits.

L’application ordonnée de la force militaire exige non seulement des connaissances et compétences particulières pour toutes les fonctions de combat d’une organisation militaire professionnelle, mais aussi et surtout une grande capacité à juger de son utilisation. Le jugement guide le type de force à employer, l’endroit et le moment où l’employer suivant les directives, ainsi que la façon de l’employer selon les principes du droit et d’autres valeurs de l’éthos militaire. La prestation d’avis professionnels aux autorités civiles et l’intégration de la capacité militaire aux autres composantes de l’appareil de sécurité nationale dépendent également de cette capacité de jugement. À l’évidence, c’est à tous les niveaux que les militaires doivent faire preuve de jugement pour assurer la réussite d’une mission et le maximum de bien-être et de sécurité aux subordonnés. Enfin, il faut un esprit critique pour choisir et répartir les moyens qui serviront à appliquer la force en fonction des principes de discernement, de proportionnalité et de nécessité militaire.

Le développement du jugement nécessite non seulement l’acquisition de connaissances, mais aussi une grande expérience pratique de leur application. C’est là l’objectif principal du système de perfectionnement professionnel des Forces canadiennes, qui repose sur quatre piliers : l’éducation, la formation, l’auto perfectionnement et l’expérience. C’est grâce à ce système que les militaires de tous grades acquièrent, pour l’essentiel, leur expertise professionnelle.

Comme les opérations militaires sont devenues plus complexes ces dernières années, l’ensemble des connaissances qui doivent être transmises dans le cadre du perfectionnement professionnel ne se limite plus aux domaines d’études traditionnelles (p. ex., l’histoire et les affaires internationales). Il comprend désormais un grand nombre d’autres disciplines qui n’étaient pas jugées pertinentes aux opérations militaires auparavant. Les compétences tactiques et les aptitudes individuelles et collectives au combat demeurent le fondement de l’expertise militaire, mais elles ne suffisent pas à elles seules à définir cette expertise. De nos jours, le militaire professionnel doit non seulement posséder des compétences de guerrier, mais aussi de diplomate et d’universitaire.

Traditionnellement, le degré d’expertise correspondait habituellement au grade et au pouvoir de commandement. Cependant, dans les conflits modernes, on délègue de plus en plus l’autorité et la capacité d’appliquer une force meurtrière croissante à des niveaux de leadership plus bas. Le caractère très dispersé des opérations modernes nécessite aussi l’élargissement et l’approfondissement de l’expertise nécessaire aux niveaux subalternes. Par exemple, l’expertise, les compétences et le savoir-faire exigés d’un commandant de section d’infanterie, durant une opération moderne de soutien de la paix, excèdent de loin les compétences élémentaires qu’il fallait pour les batailles hautement contrôlées d’autrefois. De même, à bord des navires canadiens de Sa Majesté, les maîtres de 1re classe remplissent maintenant les fonctions d’officier de conduite du tir, une tâche qui était autrefois réservée aux officiers. Les exigences des conflits modernes poussent les militaires professionnels à acquérir des niveaux de plus en plus élevés d’expertise, quel que soit leur grade, afin d’être à la hauteur des combats de l’avenir.

En général, l’ampleur et la portée de l’expertise des membres du corps des officiers vont du niveau tactique au niveau politico-militaire, en passant par les niveaux opérationnel et stratégique, suivant le poste et le grade. Les connaissances et compétences des MR portent principalement sur le niveau tactique. Mais, comme les niveaux de combat se chevauchent souvent de nos jours, les MR, particulièrement les matelots de 1re classe/caporaux et militaires de grade supérieur, doivent de plus en plus connaître chaque niveau, à des degrés variables selon le grade.

De plus, la tendance est de concentrer les connaissances techniques dans le corps des MR, tandis que les connaissances des officiers sont plus générales. Par conséquent, le rôle de l’officier est d’agencer et de diriger les forces, tandis que les MR appliquent directement leur compétence à la tâche ou à la mission. Cependant, les MR sont de plus en plus employés aux niveaux opérationnel et stratégique.

Face à l’évolution des technologies et à la complexité des conflits modernes, l’esprit critique et la créativité ainsi que le discernement sont des qualités de plus en plus nécessaires aux membres des deux corps. Cela exige une délégation accrue de responsabilités aux niveaux subalternes. Mais cette délégation, accompagnée de l’autorité qui s’y rattache, ne relève pas l’officier de la responsabilité de diriger les opérations avec succès.

Les officiers, matelots-chefs/caporaux-chefs et militaires de grade supérieur, sont tous tenus de posséder une expertise à diriger des personnes, ainsi que l’institution. Diriger des personnes, généralement axé sur la tâche, nécessite beaucoup de contacts personnels. Diriger l’institution, plutôt organisationnel et stratégique,est axé sur les résultats à long terme, sur le plan des objectifs ou de la culture organisationnelle. Les corps des officiers et des MR exercent les deux types de leadership, mais le temps et les efforts consacrés à chaque type varient selon le grade et le poste. Au niveau stratégique, on consacre plus de temps à diriger l’institution, tandis qu’aux niveaux subalternes, c’est la direction de personnes qui est concernée. La doctrine de leadership des FC est décrite et expliquée dans deux manuels : Le leadership dans les Forces canadiennes : Diriger les personnes et Le leadership dans les Forces canadiennes : Diriger l’institution.

L’expertise est déterminée, en majeure partie, par les rôles et les tâches que le gouvernement assigne aux militaires. Elle est façonnée par les responsabilités explicites et implicites du professionnalisme militaire et, à son tour, contribue beaucoup à forger l’identité des militaires, des unités, des branches et des armées.

Identité militaire

Les membres des Forces canadiennes partagent un sentiment collectif d’unité et d’identité qui émane du caractère unique de leur rôle. Au Canada, ce rôle se fonde sur trois concepts que tous les militaires adoptent : le service militaire volontaire, la responsabilité illimitée, et le service du Canada avant soi-même.

Les membres des Forces canadiennes ont conscience de faire partie d’une institution nationale importante. Cette appartenance suppose l’acceptation de la nature fondamentalement bilingue du pays, réalité enchâssée dans le droit, la reconnaissance de la manière dont l’histoire des Autochtones a façonné notre pays, la compréhension du multiculturalisme canadien, et l’adhésion aux valeurs canadiennes.

L’identité des armées se forge ensuite dans le contexte d’une force unifiée et intégrée, qui socialise ses nouveaux membres dans les établissements de formation et d’éducation des Forces canadiennes et qui utilise un ensemble commun d’insignes et de symboles pour distinguer les MR et les officiers.

Un large éventail de coutumes et de traditions associées aux Forces canadiennes, y compris les affiliations de branches et d’armées, constituent des traits distinctifs spécifiques qui lient les militaires. Ces coutumes et traditions produisent des structures sociales spéciales qui contribuent à un sentiment d’unité organique et d’identité militaire. Ce sentiment est encore renforcé par l’éthos militaire canadien, qui donne aux membres des Forces une conception commune des valeurs qui guident les actions individuelles et collectives.

L’identité militaire est modelée par deux autres caractéristiques de la profession : la responsabilité et l’expertise. L’identité des militaires évolue avec la compréhension de leurs responsabilités professionnelles. Par exemple, durant la guerre froide, l’accent était mis sur la guerre conventionnelle en Europe et les autres activités militaires étaient considérées comme secondaires. Cependant, dans les années 1990, à mesure que les opérations de soutien de la paix sont devenues plus dangereuses, plus complexes et plus importantes pour la stabilité et la sécurité internationales, la perspective des militaires a commencé à changer. Des missions comme celles qui se déroulent en Afghanistan ont renforcé le fait inéluctable que pour tenir son rôle, le militaire professionnel canadien doit être capable delivrer combat et gagner. L’expertise des militaires s’est accrue pour répondre aux besoins opérationnels par suite de l’acceptation de nouveaux rôles. Les militaires ont donc dû assumer de nouvelles responsabilités en ce qui concerne les règles d’engagement, le droit international et les activités humanitaires. Tout cela a contribué à l’élargissement de la notion d’identité militaire bien au-delà de la conception simpliste qui a prévalu durant des décennies.

Vu la répartition actuelle des responsabilités et de l’expertise entre les officiers et les MR, chaque corps possède sa propre identité. Ces identités respectives se reflètent dans l’insigne de grade, marque visible de la responsabilité, de l’autorité et de l’expertise, ainsi que dans des traditions comme les mess séparés et les marques de respect. Les officiers brevetés s’identifient en tant que commandants et chefs potentiels, aux deux niveaux direct et institutionnel. Les MR s’identifient en tant que militaires responsables de l’exécution efficace de toutes les tâches, tout en ne cessant de veiller au bien-être immédiat des subalternes. Ils savent que leur leadership et la discipline des subalternes bien portants sont absolument essentiels à l’efficacité professionnelle de la force dans son ensemble et à l’accomplissement de la mission.

Éthos militaire

L’éthos militaire représente l’esprit qui unit la profession. Il indique clairement comment les militaires conçoivent leurs responsabilités, appliquent leur expertise et expriment leur identité militaire distinctive. Il définit et décrit les valeurs militaires et précise la subordination des forces armées aux autorités civiles et à la règle de droit.

L’éthos militaire reconnaît les identités distinctes du corps des officiers et du corps des MR, mais il fait fonction de force unificatrice en faisant ressortir le fait que la relation officiers-MR produit une équipe forte et intégrée. Cette équipe se fonde sur une compréhension commune du concept de primauté des opérations ainsi que sur des croyances, attentes et valeurs fondamentales partagées en matière de service militaire. Les deux corps prônent et véhiculent les valeurs nationales du pays qu’ils se sont engagés à défendre sous serment.

En définitive, c’est l’éthos qui englobe les valeurs canadiennes fondamentales, qui différencie un membre de la profession militaire au Canada desir réguliers indisciplinés, des mercenaires ou des membres d’une autre force armée qui n’est pas définie par des valeurs.

Aux yeux du Gouvernement et de la société canadienne, la légitimité dépend largement de l’application de l’éthos militaire et de son effet structurant sur les autres caractéristiques de la profession militaire. Cela laisse à la profession beaucoup de latitude pour s’auto réglementer en vue d’assurer son efficacité professionnelle. En plus d’étayer directement la capacité de la profession d’assumer ses responsabilités fondamentales, l’éthos militaire sert à guider ses décisions, notamment en cas de dilemmes éthiques. Le deuxième chapitre présente l’énoncé complet et détaillé de l’éthos militaire.

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