Chapitre 5 - Prévention de l'inconduite sexuelle

Ce chapitre présente aux membres des FAC et aux équipes de commandement un tableau sommaire et un guide sur leurs rôles et responsabilités dans la promotion d’une culture où la prévention de l’inconduite sexuelle est chose largement acceptée, attendue, appliquée et appuyée.

APERÇU

DÉFINITION DE LA PRÉVENTION

  • 5.1. La prévention s’entend de « l’ensemble de mesures destinées à éviter un événement qu'on peut prévoir et dont on pense qu'il entraînerait un dommage pour l'individu ou la collectivité »[1]F.

STRATÉGIES DE PRÉVENTION

  • 5.2. Les FAC adoptent les stratégies suivantes pour tout d’abord prévenir l’inconduite sexuelle, puis pour atténuer les préjudices immédiats et à long terme qu’elle peut causer :
  1. adopter des politiques éclairées;
  2. institutionnaliser les pratiques et les programmes de prévention;
  3. instituer, communiquer et appliquer des normes de bonne conduite;
  4. intégrer la prévention au moyen d’un cadre officiel d’instruction et d’éducation en place tout au long de la carrière d’un membre des FAC.
  • 5.3. Le Center pour ‘Disease Control and Prevention’ (CDC) des États-Unis a établi trois catégories (ou niveaux) de prévention de l’inconduite sexuelle, soit primaire, secondaire et tertiaire.

PRÉVENTION PRIMAIRE

  • 5.4. La prévention primaire, ce sont les approches qui ont lieu avant que l’inconduite sexuelle ne se produise pour empêcher au départ la perpétration de l’acte ou la victimisation[2]. Même si la connaissance ou la sensibilisation en matière d’inconduite sexuelle constitue un élément de la prévention primaire, celui-ci ne saurait suffire. La prévention primaire doit aussi changer les comportements.
  • 5.5. L’objectif global de la prévention primaire est de réduire l’incidence réelle de l’inconduite sexuelle dans la population. La stratégie ciblera à cette fin les facteurs qui ouvrent la voie ou donnent naissance à l’inconduite sexuelle et visera à influencer la conduite.
  • 5.6. Les FAC ont plusieurs programmes et initiatives qui contribuent à la stratégie de prévention primaire, y compris l’engagement soutenu de l’équipe de commandement afin de démontrer une vision et un comportement personnel exemplaire, qui responsabilise et inspire les subalternes, l’encadrement et le mentorat de cette équipe, et enfin l’intégration des activités d’instruction et d’éducation tout au long de la carrière du militaire.

PRÉVENTION SECONDAIRE

  • 5.7. Les stratégies de prévention secondaire comprennent les interventions immédiates pour faire face aux conséquences à court terme après l’inconduite sexuelle. Les FAC ont mis en place des services complets de soutien aux victimes, comme il est décrit au chapitre 4, ainsi que des lignes directrices sur la façon d’intervenir en cas d’inconduite sexuelle, comme il est décrit au chapitre 3.

PRÉVENTION TERTIAIRE

  • 5.8. La prévention tertiaire est axée sur les interventions à long terme après une inconduite sexuelle et porte à la fois sur les conséquences persistantes de l’acte et sur l’identification et la responsabilisation des auteurs fautifs[3].

LIEN ENTRE LE SIGNALEMENT RAPIDE ET LA PRÉVENTION

  • 5.9. Les FAC se sont engagées à veiller à ce que les mesures de soutien nécessaires soient en place et comprennent des mécanismes appropriés de signalement et d’enquête, une protection contre les représailles, la confidentialité dans la mesure permise par la loi, des soins médicaux et psychologiques et une intervention décisive contre ceux qui causent ainsi du tort. Chacun de ces éléments est un facteur clé pour empêcher que d’autres incidents plus graves ne se produisent tant pour le plaignant que pour la victime ou d’autres personnes qui pourraient être affectées. On sait nettement par ailleurs que le soutien obtenu tôt en cas d’incident permet de rétablir plus rapidement le bien-être des personnes et des unités en cause.

INTERVENTION DES TÉMOINS

APERÇU

  • 5.10. La prévention primaire consiste à intervenir avant que l’inconduite sexuelle ne se produise. Les témoins sont des gens qui observent un comportement inapproprié ou sont mis en présence de conditions qui perpétuent l’inconduite sexuelle et qui sont peut-être en mesure de dissuader l’auteur ou les auteurs, de prévenir ou de faire cesser des agissements [4].
  • 5.11. L’intervention des témoins consiste à se sentir pourvu des moyens, des connaissances et des compétences nécessaires pour contribuer efficacement à la prévention de l’inconduite sexuelle. L’intervention n’a pas à mettre en péril la sécurité du témoin[5]. La formation en intervention des témoins vise à aider les gens à acquérir la conscience, les compétences et le courage nécessaires pour intervenir dans une situation où une autre personne a besoin d’aide; elle envoie un message puissant sur ce qu’est la conduite acceptable et attendue. Elle confère aussi les capacités nécessaires pour se faire un allié efficace et solidaire des victimes après une agression[6].

POURQUOI LES GENS N’INTERVIENNENT-ILS PAS

  • 5.12. « 37 Who Saw Murder Didn’t Call the Police. », voilà le titre à la une dans un article du Times de 1964 qui décrivait un horrible scénario où de nombreux témoins ont regardé un homme en train de traquer, d’agresser sexuellement et d’assassiner « Kitty » Genovese dans trois attaques distinctes. Même si le portrait brossé de douzaines de témoins s’est révélé plus tard exagéré, il ne fait aucun doute que l’attaque a eu lieu et que les voisins ont ignorés les appels à l’aide.
  • 5.13. Néanmoins, l’article et l’outrage qu’il a suscité ont donné lieu à des recherches et à des débats à grande échelle sur le phénomène psychosocial baptisé par la suite effet ou apathie du témoin avec sa « diffusion de la responsabilité » qui fait en sorte que, dans un attroupement, les gens sont moins susceptibles de sortir du rang et de venir en aide à une victime.

RAISONS DE L’APATHIE DES TÉMOINS

  • 5.14. La recherche a montré que l’hésitation des témoins à agir peut souvent être attribuée à l’un ou l’autre de deux facteurs, soit l’ « effet de la diffusion de la responsabilité », où la présence d’autres personnes amène les gens à supposer que quelqu’un d’autre interviendra ou l’a déjà fait, d’une part, et le « pouvoir des normes sociales », où les gens observent les réactions des autres pour évaluer la gravité d’une situation et suivre ce que fait le reste du groupe, d’autre part.

POURQUOI LES GENS INTERVIENNENT-ILS?

  • 5.15. Dans des centaines d’études consacrées aux témoins, quelques cas exceptionnels ressortent où les spectateurs ont réellement aidé la victime. Lorsque les groupes qui observaient une urgence étaient formés d’amis, ils étaient plus susceptibles d’aider que s’il s’agissait d’étrangers les uns pour les autres. Ils étaient particulièrement enclins à aider si la personne à secourir était quelqu’un qu’ils considéraient comme largement semblable à eux[7].
  • 5.16. Certains spécialistes des sciences sociales croient que l’altruisme, par opposition à l’agressivité, est programmé dans le génome humain. Le 11 septembre 2001, les passagers du vol 93 de la United ont pris leur destinée en main et, en s’unissant contre les pirates de l’air, ont tenté de sauver sinon l’avion, du moins la cible de cet attentat aérien. Vaincre l’apathie des témoins dans de telles circonstances exige un courage incroyable, mais il est clair que nous avons la possibilité d’agir ainsi.

QUAND INTERVENIR

  • 5.17. Il y a des centaines de commentaires, des actions graduelles, de gestes de harcèlement et d’autres formes d’abus qui peuvent mener à un acte d’agression sexuelle. Le chapitre 2 décrit un tel événement comme un spectre ou un continuum de comportements appelant des interventions à ses diverses étapes. À une extrémité du spectre, il y a les comportements sains, respectueux et sans danger. À l’autre extrémité, il y a les agressions sexuelles et les autres conduites de violence. Si nous limitons nos interventions à un « événement » culminant, nous ratons de multiples occasions de faire ou de dire quelque chose avant qu’un comportement ou une situation ne s’aggrave et ne se déplace vers la droite dans le spectre.
  • 5.18. N’oubliez jamais que vous n’intervenez pas par héroïsme ou sentiment chevaleresque ou dans l’espoir d’être félicité. Vous intervenez parce que c’est la bonne chose à faire, que c’est ce qu’on attend de tous les membres des FAC et que c’est une façon utile de faire votre part pour mettre fin à l’inconduite sexuelle.

LES SIX ÉTAPES DE L’INTERVENTION DES TÉMOINS

  • Quel est le contexte? Par exemple, est-ce une manière d’agir entre ces (deux) personnes? Que s'est-il passé avant cette situation? Cela fait-il partie d’une tendance dans la société en général?
  • Qui a le plus de pouvoir dans cette situation? Par exemple, la personne dans la situation peut-elle partir librement? Est-ce que quelqu’un subit des pressions? Est-ce que tout le monde a donné son consentement?
  • Quel est l’impact sur la personne dans cette situation? En quoi sa santé physique et mentale est-elle affectée? Les autres la verront-elles différemment à cause de ce qui se passe?
  • Étape 2.

    Déterminer que quelque chose ne va pas ou est inacceptable.
  • Étape 3.

    Assumer sa responsabilité personnelle.
  • Si personne n’intervient, que risque-t-il de se produire?
  • Est-ce que quelqu’un d’autre est mieux placé pour intervenir?
  • À quoi servirait mon intervention?
  • Étape 4.

    Jauger ses options pour apporter de l’aide (voir Stratégies d’intervention des témoins).
  • Étape 5.

    Déterminer les risques d’une intervention.
  • Y a-t-il des risques pour moi? (voir Reconnaître les raisons pour lesquelles les gens n’interviennent PAS)
  • Y a-t-il des risques pour les autres (p. ex., représailles possibles contre la personne « aidée »)?
  • Comment puis-je aborder la situation sans hostilité afin de ne pas l’aggraver?
  • Y a-t-il une option à faible risque?
  • Comment puis-je réduire les risques?
  • Y a-t-il d’autres renseignements que je puisse obtenir pour mieux évaluer la situation?
  • Comment puis-je ouvrir plus de possibilités à la personne qui est victime de violence?
  • Étape 6.

    Intervenir :
  • Dans tous les cas, une bonne intervention des témoins procurera plus de possibilités à la personne qui vit un acte d’inconduite sexuelle. Il convient de noter qu’elle devrait être considérée comme une intervention de « premiers soins » en cas d’inconduite sexuelle et qu’elle ne s’attaquera malheureusement pas aux causes profondes de l’incident.
  • Il convient également de noter que la stratégie employée par un témoin dépend du contexte et de son propre degré de confiance. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’y a pas de mauvaise intervention d’un spectateur, car tout geste de sa part vaut mieux que rien du tout. Avec la pratique, il devient plus facile d’intervenir en tant que témoin d’une scène et, comme avec toute technique ou habitude, les gens deviennent plus à l’aise et imaginatifs dans leur façon de désamorcer les situations.

 

STRATÉGIES D’INTERVENTION DES TÉMOINS

  • 5.19. La liste de stratégies d’intervention qui suit est loin d’être exhaustive. Faites preuve de jugement et de bon sens et tenez compte de vos forces et de vos faiblesses.

Stratégie

Description

Nommer ou reconnaître un cas de comportement sexuel inapproprié et
engager un dialogue à ce sujet

Nommez ou reconnaissez un comportement inapproprié, de sorte qu’il ne soit pas simplement passé sous silence ou balayé de la main.

Soutenir publiquement la personne affectée

Aidez quelqu’un qui a été la cible d’un comportement sexuel dommageable et inapproprié et/ou prévenez tout préjudice ou tort nouveau.

Manifester sa désapprobation par le langage corporel

Refusez d’être de la partie lorsque des attitudes ou des comportements méprisants, dégradants, injurieux, abusifs ou violents s’affichent. Se croiser les bras, regarder au loin ou manifester sa désapprobation sur ses traits, voilà autant d’exemples en ce sens.

Mettre fin au comportement

L’intervention peut être directe et évidente, si l’on dit directement à la personne en cause que son comportement est inacceptable. L’intervention peut aussi se faire par subterfuge, si on interrompt une dispute pour demander son chemin, par exemple.

Faire preuve d’humour (avec prudence)

Si vous vous montrez spirituel, cela peut correspondre à votre style. Soyez prudent, ne soyez pas si spirituel que vous finissiez par vous moquer de vos propres sentiments ou réactions.
Plaisanter n’est pas dire que la chose est sans importance.

Parler en privé à la personne qui a mal agi

Dites clairement ce que vous en pensez et exprimez votre opinion calmement et en privé. 

Parler en privé à la personne qui est la cible de l’agresseur

Exprimez votre opinion avec calme et offrez votre aide. 

Demander de l’aide directement ou indirectement

Veillez à ce que quelque chose se fasse, tout en sachant que vous n’avez pas la compétence ni la capacité de le faire. Vous pouvez parler à votre supérieur immédiat, à celui de l’agresseur, au conseiller en harcèlement de l’unité, au sergent-major régimentaire ou au commandant, par exemple.

[1]http://www.cnrtl.fr/definition/pr%C3%A9vention

[2]Sexual violence prevention: beginning the dialogue, Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta, GA, 2004.

[3]Les CDC considèrent l’« intervention » comme toute activité de prévention ou de prestation de services dans ce contexte.

[4] Banyard, V. L., Plante, E. G. et Moynihan, M. M. Bystander education: Bringing a broader community perspective to sexual violence prevention. Journal of Community Psychology, 32, 2004, pp. 61 à 79.

[5] Katz, J. Penn State: The mother of all teachable moments for the bystander approach, 1er décembre 2011.

[6]National Sexual Violence Resource Center, It’s time to incorporate the bystander approach into sexual violence prevention, 2011. Extrait du site Web du National Sexual Violence Resource Center à l’adresse https://www.nsvrc.org/saam

[7] Le témoin réceptif : comment l’appartenance à un groupe social et la taille du groupe peuvent favoriser ou inhiber l’intervention du témoin. Levine et Crowther, 2008.

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