Le dîner dans le mess 

Le mess, institution militaire unique en son genre, a toujours évoqué des repas pris à une table dans une atmosphère agréable. L'une des difficultés qu'éprouve le novice à comprendre cet aspect de la vie du mess résulte de la diversité des termes utilisés pour définir le dîner dans le mess. Nous ne parlons pas ici des casse-croûte dont sont dotés certains mess, mais plutôt des repas servis selon l'usage habituel.

Normalement, dans un mess d'unité ou de navire, le petit déjeuner et le déjeuner sont des repas sans formalité. En temps de guerre, le repas du soir appartient à la même catégorie, c'est-à-dire qu'il est servi selon l'usage habituel aux membres du mess qui sont convenablement vêtus en conformité des règles du mess, mais toujours sans formalitéNote de bas de page 1.

Dans la marine, le repas du soir, servi sans formalité, au cours duquel les membres peuvent se présenter ou partir à leur gré, s'appelle « souper ». Dans un port d'attache ou dans un grand port ailleurs, normalement le souper est servi dans le mess, et à bord des gros navires où le dîner du soir est une routine quotidienne, un souper est servi plus tôt à ceux qui, pour quelque raison que ce soit, y compris le service de quart, ne peuvent dîner. À bord des petits navires, le souper est la norme, et un dîner plus formaliste est organisé périodiquement, selon que les circonstances en mer le permettentNote de bas de page 2. La Royal Air Force utilise le mot « souper » dans cette acception depuis ses débuts, et il y avait une tradition similaire dans l'ancien Corps royal canadien des transmissionsNote de bas de page 3.

Le dîner dans le mess, d'autre part, veut dire qu'il y a un certain degré de formalisme, ou rituel, régi par des coutumes qui ont prouvé leur valeur au cours des années, ainsi que par des règles adoptées par le mess, ces deux éléments contribuant tellement à ce sentiment de satisfaction que procurent une bonne camaraderie et un bon repas.

Bien que différents termes soient utilisés dans différents mess (« à différent navire, différente rasade », selon le diction anglais « different ships, different long splices »), on peut distinguer trois catégories de dîner dans le mess : dîner-maison, dîner formel mixte (faute d'un meilleur terme) et dîner de gala. Le mot « formel » est à vrai dire pléonastique dans ce contexte, car tout dîner militaire comporte un certain degré de formalisme. Aussi, en lisant divers ordres permanents d'unité, nous avons relevé de nombreuses variantes terminologiques pour décrire ces trois types de dîners dans le mess. Comme les mess diffèrent tellement, selon leurs dimensions, leur emplacement, leurs commodités et antécédents historiques, la grande diversité des protocoles et des coutumes qui entourent les dîners dans les mess des Forces canadiennes a contribué à enrichir notre vie militaire.

Le « dîner-maison » est moins formel que le « dîner de gala », mais il est obligatoire, en ce sens que tous les membres doivent y assister, à moins d'une bonne raison. Dans certains mess, ce genre de dîner sert à souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres et à saluer le départ de ceux qui quittent l'unité. Dans la marine, on appelle ce repas « dîner dans le mess », et c'est une routine normale à bord des gros navires. Dans le régiment royal de l’Artillerie canadienne, on organise ce qu'on appelle une « soirée des invités ordinaires », qui peut prendre la forme d'un « dîner-maison » hebdomadaire pour les seuls officiers qui vivent dans le mess, lesquels doivent revêtir leur smoking, ou encore une « soirée des invités régimentaires », mettons une fois par mois, où l'uniforme de mess est de rigueur.

Le « dîner formel mixte » est un repas dans le mess où les dames sont invitées. (C'est un terme étrange, car tout dîner dans le mess est formel; mais l'impression d'avoir une « mixture » de mets ne serait guère souhaitable non plus.) Le protocole de ce type de dîner est le même que celui d'un dîner de gala ordinaire, sauf que les membres escortent dans la salle à manger les dames qui doivent s'asseoir près d'eux, selon le plan prévu, et non leur femme ou dame invitée. Aussi, les dames invitées quittent la table dès qu'on commence à fumer, pour se rendre dans une autre pièce pour le café et les liqueurs. Plus souvent qu'autrement, le protocole diffère d'un mess à un autre, de sorte que les membres d'un mess seraient bien avisés de connaître d'avance les coutumes de celui-ci. Ainsi, la PFC 195 (Manuel des connaissances militaires) dit qu'on doit chercher et escorter la dame qui doit s'asseoir à sa gauche, alors que divers ordres permanents régimentaires disent que c'est elle qui doit s'asseoir à sa gauche. On peut facilement imaginer le méli-mélo qui peut résulter de telles variantes!

Le point culminant de la vie du mess est évidemment le dîner de gala. Il suffit de participer à un dîner de gala bien dirigé pour comprendre qu'au cours de deux siècles toute une série de coutumes, usages et rituels se sont transformés en une œuvre d'art qui est un plaisir pour l'œil, un défi pour l'esprit ainsi qu'un délice pour le palais. Le dîner de gala est censé être une joyeuse affaire de « famille », et non pas une cérémonie lugubre et collet-monté. Assez exceptionnellement, il favorise la camaraderie dans un décor régi par des règles officielles de conduite. Officiers subalternes et officiers supérieurs se rencontrent au mess sur un pied d'égalité sociale, non d'égalité professionnelle, et le mess étant le foyer des officiers qui y vivent, les bonnes manières de la vie du foyer ordinaire, comme le respect et la déférence envers ses supérieurs, sont tout à fait de rigueur. Le dîner de gala fournit à tous les membres du mess, indépendamment de leur grade et responsabilité, l'occasion de se rencontrer dans une atmosphère à la fois amicale et formelle.

Comme le « dîner-maison », le dîner de gala est obligatoire : on s'attend à ce que tous les membres soient présents. Essentiellement, c'est un dîner pour les membres du mess seulement, bien que, à l'occasion, on peut y avoir des invités. Certains mess réservent quelques dîners de gala, appelés « soirées des invités » où l'on peut recevoir et les invités du mess et les invités personnels des membres. Mais, quel que soit le terme utilisé pour définir cette occasion, le dîner de gala est la fonction la plus formelle qui se déroule dans le mess. C'est l'occasion pour chaque membre de se présenter sur son trente-et-un, et où le plat du mess orne la table; où la ponctualité, l'hospitalité cérémoniale et les bonnes manières sont de rigueur ce soir-là; où les rituels traditionnels du dîner militaire favorisent la bonne camaraderie dans une atmosphère qu'on pourrait qualifier de « formalité enjouée ».

Le déroulement d'un dîner de gala varie selon les traditions de chaque unité. Cela est particulièrement caractéristique des mess de l'armée, où les coutumes viennent de la pratique observée par un régiment ou un corps, alors que les forces navales et aériennes ont tendance à partager une seule tradition militaire. Cependant, quatre étapes du dîner dans un mess leur sont communes : le rassemblement, le repas lui-même, le toast et la conclusion.

L'heure habituelle du rassemblement des membres dans l'antichambre ou salon du mess est 19h30 (les marins considèrent le mot « heures » superflu et disent simplement 1930), ce qui permet ainsi de boire un verre avec les amis avant le dîner. Cette demi-heure d'attente permet aux officiers de bavarder avec le commandant ou avec l'officier senior présent et, dans certains mess, avec le président du comité du mess, connu sous le sigle « PCM ». S'il s'agit d'un dîner formel mixte, c'est le temps pour chaque membre d'examiner le plan de la table et de déterminer quelle dame il va escorter.

Au cours de ce rassemblement d'une demi-heure, on sonne des signaux ou « appels » informant les membres du temps qu'il reste avant le dîner et du moment où il faut se rendre dans la salle à manger. Le nombre d'appels et la façon de les sonner diffèrent d'un mess à l'autre.

Dans les mess du régiment royal de l’Artillerie canadienne et celui du 1er régiment canadien des transmissions, les appels de la « demi-heure » (c'est-à-dire une demi-heure avant le dîner), du « quart d'heure » et du « mess des officiers » sont sonnés par un ou plusieurs trompettes, et aux deux premiers de ces appels, les membres continuent de bavarder comme si ces signaux n'avaient pas été entendus. Dans le Queen's Own Rifles of Canada, l'appel du mess des officiers s'appelle le « cor du dîner » (Dinner Horn).

À un dîner de mess d'adjudants et de sergents de la BFC de Kingston, les trois appels traditionnels, y compris l'appel de cinq minutes, sont sonnés par des trompettes, puis, lorsque le dîner est prêt, et en hommage au nombre de marins sur la base et à la contribution de l'équipage du navire de l'ancien établissement de communications navales, le Gloucester, le maître d'équipage de service joue sur la cornemuse l'air Hands to Dinner.Note de bas de page 4

Dans les mess de la marine et de l'aviation, le premier steward du mess informe simplement le président du mess que le dîner est prêt à être servi, et quelques mots gentils suffisent ensuite à diriger les membres vers la salle à manger.

Dans le Hastings and Prince Edward Regiment existe une coutume inusitée selon laquelle le vice-président du mess, « M. Vice » comme on l'appelle, réunit tous les convives sauf ceux de la table d'honneur, lesquels se tiennent debout derrière leurs sièges jusqu'à l'arrivée des officiers et invités de la table d'honneur qui, entre-temps, ont été rassemblés par le président du comité du mess.Note de bas de page 5

Les Fusiliers Mont-Royal, au cours du rassemblement de la demi-heure, ont deux événements intéressants : la lecture officielle de la proclamation du dîner par le capitaine-adjudant et la présentation des invités à l'invité d'honneur.

Dans la plupart des mess, il est permis de fumer pendant le rassemblement dans l'antichambre ou salon, mais, traditionnellement, dans les mess de l'aviation, il est interdit de fumer pendant le rassemblement préalable au dîner, et cela jusqu'après le toast.

Dans certains mess, par exemple ceux du North Saskatchewan Regiment et du Loyal Edmonton Regiment, les officiers et les invités sont amenés au dîner par le cornemusier du commandant qui bat la marche au son de son instrument. Mais, si une unité a la chance de bénéficier de la présence d'une musique, il est probable qu'on se rendra au dîner au son de la mélodie traditionnelle The Roast Beef of Old England.Note de bas de page 6 Ce morceau de musique est un appel populaire des mess d'officiers depuis nombre d'années, tant à terre qu'en mer. Un capitaine de la Royal Navy, évoquant son service à bord du Leander, de 50 canons, dans la station nord-américaine en 1804, écrivait que le tambour battant « The Roast Beef of Old England était le signal du dîner bien connu des officiersNote de bas de page 7 ». Fait intéressant à noter, cet appel est encore utilisé de nos jours dans la Marine américaine.Note de bas de page 8

Dans certains mess, par exemple ceux du North Saskatchewan Regiment et du Loyal Edmonton Regiment, les officiers et les invités sont amenés au dîner par le cornemusier du commandant qui bat la marche au son de son instrument. Mais, si une unité a la chance de bénéficier de la présence d'une musique, il est probable qu'on se rendra au dîner au son de la mélodie traditionnelle The Roast Beef of Old England.Note de bas de page 6 Ce morceau de musique est un appel populaire des mess d'officiers depuis nombre d'années, tant à terre qu'en mer. Un capitaine de la Royal Navy, évoquant son service à bord du Leander, de 50 canons, dans la station nord-américaine en 1804, écrivait que le tambour battant « The Roast Beef of Old England était le signal du dîner bien connu des officiersNote de bas de page 7 ». Fait intéressant à noter, cet appel est encore utilisé de nos jours dans la Marine américaine.Note de bas de page 8

En entrant dans la salle à manger, les membres du mess se dirigent directement vers leurs places respectives, ayant à leur tête le président qui escorte l'invité d'honneur, s'il y en a un, bien que; dans certains mess, c'est le commandant ou l'officier senior présent qui est l'invité d'honneur. Dans les mess de l'armée et de l'aviation, les membres restent debout derrière leurs sièges jusqu'après le bénédicité, mais dans les carrés d'officiers de marine, les officiers s'assoient dès que le président est assis, après quoi ils récitent le bénédicité.

Si un aumônier est présent, on lui demande habituellement de réciter le bénédicité; sinon, c'est le président qui le fait, ou encore celui-ci peut demander à un autre officier de le faire. Traditionnellement, le bénédicité comprend les seules paroles suivantes : « Bénissez-nous, ô mon Dieu, pour la nourriture que nous allons prendre. » Cependant, certaines variantes sont permises et entendues, mais c'est un mythe de croire que le bénédicité de la marine consiste en un bref : « Dieu merci! »; en général, on décourage le recours à cette formule. Pourtant, celle-ci est celle qui est en usage au Royal Canadian Hussars de Montréal.

Haut de page

Dans les Forces canadiennes, toute la question de savoir quel officier est responsable de la conduite du dîner de gala comporte une diversité considérable de traditions. « M. le Président » ( ou « Madame la Présidente ») peut fort bien être le président du comité du mess (PCM), le président du mess ou un président du jour. Dans chaque cas, il est aidé de « M. Vice » (« Madame Vice »), c'est-à-dire le vice-président ou la vice-présidente, qui peut fort bien être le vice-président du comité du mess ou simplement un vice-président du jour. Très souvent, c'est le membre junior du mess. Dans nombre de mess régimentaires, il est certain que c'est le PCM qui organise le dîner et qui voit à son bon déroulement, mais c'est le commandant qui préside tout le cérémonial du dîner. Dans l'aviation, la tradition permet au président d'inviter le commandant de la station à battre la marche vers la salle à manger et à escorter l'invité d'honneur, mais le président peut conserver le contrôle même du dînerNote de bas de page 9. Dans les mess de la marine, la situation est tout autre, à cause de l’organisation interne d'un navire de guerre et de la contiguïté des lieux. Le capitaine d'un navire de guerre de la Royal Navy ou de la Marine canadienne a ses propres quartiers et dîne seul; il n'est pas membre du carré des officiers. Dans un gros navire, le président du mess peut être n'importe quel officier à bord. Dans un destroyer et dans les navires plus petits, il est tout probable que ce soit l'officier de pont. À un dîner de gala dans la marine, le président a toute la charge, et c'est lui qui bat la marche vers la salle à manger. Le capitaine peut y assister en qualité d'invité ou de membre honoraire. Aussi, à moins qu'il ne s'agisse d'un grand dîner comportant un plan, les officiers de marine s'assoient n'importe où, indépendamment de leur gradeNote de bas de page 10.

Le dîner lui-même comprend plusieurs plats, accompagnés chacun d'un vin approprié. Pendant toute la durée du dîner, les officiers doivent se comporter de façon amicale mais formelle, et la plupart des présidents « tuent dans l'œuf » toute tentative de badinerie grossière ou de mauvaise plaisanterie, et cela jusqu'à la fin du repas. Il est défendu de fumer à table avant le toast. À vrai dire, au cours des siècles, se sont développées des règles qui ont contribué sensiblement à créer un sentiment de bien-être caractéristique du plaisir qu'on éprouve à dîner dans un mess.

Traditionnellement et, en fait, au risque de se voir infliger des sanctions, les membres d'un mess ne peuvent, sans la permission du président, quel que soit son grade : arriver en retard et prendre place à la table; quitter la table, ou y revenir après avoir eu la permission de la quitter; lire ou écrire; entamer un plat avant le président; employer un langage grossier ou raconter des histoires inconvenantes; discuter ou gager; discuter de questions politiques, religieuses ou d'autres affaires de nature à susciter de vives controverses; parler métier, sauf s'il s'agit de questions de service d'intérêt général; mentionner le nom d'une femme, à moins qu'elle ne soit membre des forces armées ou qu'elle ne soit une figure bien connue; parler dans une langue étrangère; ou proposer un toast de sa propre initiativeNote de bas de page 11, toutes ces interdictions donnant l'impression qu'un dîner de gala dans un mess est une affaire très collet-monté, ce qui n'est pas le cas. C'est que simplement ces règles, devenues des coutumes, aident à procurer un bon dîner dans une atmosphère de détente, de modération, de courtoisie et de propos stimulants.

Une fois le repas terminé, on prépare le toast au souverain (Loyal Toast) et les autres toasts qui peuvent suivre. On débarrasse la table, à l’exception des verres de porto. C'est à ce moment-là qu'une curieuse coutume se perpétue dans les mess du régiment royal de l'Artillerie canadienne qui, traditionnellement, se sert de garde-nappes. À un signal donné, dès que la coutellerie et la vaisselle ont été enlevées, les stewards du mess prennent place aux extrémités de la table. Ils tortillent alors les garde-nappes, le nombre de tours dépendant de la longueur de l'étoffe. Une fois prêts, les stewards postés au pied de la table enlèvent d'un seul coup rapide les garde-nappes de toute la longueur de la tableNote de bas de page 12. Les carafes à vin (parfois du madère) sont alors placées sur la table du mess en préparation du toast au souverain.

La coutume de boire à la santé de diverses personnes remonte à l’Antiquité. Les Grecs et les Romains buvaient à leurs dieux, et ils se servaient des libations en l'honneur des dames. Avec le temps, l'expression « bonne santé » en est venue à signifier une salutation. Le mot « toast remonte aux dernières années de la période Tudor et, à l'origine, était associé à la coutume de boire en l'honneur des dames. On plaçait un brin de toast {rôtie) dans le vin, croyant ainsi en améliorer le goûtNote de bas de page 13, et jusqu'à ce jour le toast demeure l'une des coutumes les plus chéries de la vie de mess.

Même si au cours d'un dîner de gala il peut y avoir plusieurs toasts, le dîner dans un mess aujourd'hui est le summun de la modération si on le compare à celui de nos ancêtres militaires. Un jeune subalterne du 4th Regiment of Foot, en garnison à Halifax en 1788, a laissé une description d'un dîner de gala en l'honneur de S.A.R. le prince William Henry, capitaine du Andromeda :

« Nous étions vingt à un très bon dîner ... Après les toasts royaux, et les toasts au Prince de Galles et au Duc de York, nous avons eu trois fois vingt et un coups, alors que deux musiques jouaient Rule Britannia. Nous avons bu vingt-huit toasts avec des verres remplis jusqu'au bord, et alors, comme on peut facilement l'imaginer, nous sommes devenus en excellente forme. À neuf heures, la garnison de la citadelle alluma un feu de joie. Ceux qui pouvaient encore marcher s'y rendirent. Je fus l'un de ceux qui gravirent la collineNote de bas de page 14.

Un autre aperçu du toast de jadis au Canada se trouve dans le journal d'un noble français, qui voyageait en Amérique du Nord à l'époque de la Révolution française. À l'été de 1795, il se trouvait à Kingston, dans le Haut-Canada. Il y fut invité à un dîner de gala du 60th Regiment of Foot, qui célébrait son détachement formant la garnison relevée par un autre détachement du 60th. Voici ce que rapporte le duc de la Rochefoucauld-Liancourt :

« On sait comment les Anglais sont ingénieux pour trouver des toasts qu'il faut boire en bumper (rasade); s'y refuser serait désobligeance et quoiqu'il vaille mieux être désobligeant de cette manière que de se rendre malade, on garde pour une autre occasion cet effort de caractère car c'en est un réel; on ne veut pas heurter cette volonté générale, qui devient plus impérieuse à mesure que les têtes s'échauffent, on triche un peu sur la quantité, on espère ainsi éviter la catastrophe; mais aucun de nous, Français et Anglais n'avions triché assez, et j'ai eu à regretter tout le reste de la soirée d'avoir pris autant de part à la rencontre de ces détachements »Note de bas de page 15 du porto, mais là également une survivance de nos ancêtres méfiants qui insistaient, en tant qu'invités, à être rassurés que le vin servi n'était pas empoisonné.

Un aspect du passage de la carafe qui est commun à tous les mess est que celle-ci est toujours passée par la gauche. Mais la façon de la passer est une autre affaire. Dans la plupart des mess de l'aviation et dans certaines unités de l'armée, comme le Royal Westminster Regiment et les Fusiliers du Saint-Laurent, la carafe ne doit pas toucher la table pendant qu'elle est passée d'un convive à l'autre. Dans les mess de la marine et dans des mess régimentaires comme le Canadian Grenadier Guards, le Royal Canadian Regiment et le régiment royal de l'Artillerie canadienne, il importe peu que la carafe touche ou ne touche pas la table. Dans le Queen's Own Rifles of Canada, la coutume veut que la carafe soit déposée à sa gauche sur la table très légèrement mais de manière à ce qu'elle fasse un bruit bien distinct. Au contraire, dans les carrés d'officiers, on fait glisser la carafe sur le dessus poli de la table, d'un membre à l'autre, lorsque le temps est clément; en cas de mauvais temps, on peut employer délibérément une nappe humide, ces pratiques étant dictées sans doute par le « mouvement gracieux des vagues » contre le navire.

Lorsque le président est assuré que tous les verres sont remplis de vin (il se peut que ce soit aussi de l'eau, bien que, selon une superstition indéracinable, celui qui fait l'objet d'un toast à l'eau mourra noyé), il bouche la carafe, réclame le silence en frappant sur la table et dit : « M. le Vice, la reine », en anglais ou en français. M. le Vice se lève également et propose un toast dans les termes suivants : « Messieurs (ou « Mesdames et Messieurs »), la reine du Canada>>, dans l'autre langue officielle. S'il y a une musique dans le mess, elle joue les six premières mesures de Dieu sauve la reine dès que M. le Vice propose le toast, alors que tous les membres se lèvent, il va sans dire. Tous les convives lèvent alors leur verre et répondent : « La reine ».

Ici encore, les traditions varient d'une unité à l'autre. Dans les mess de l'artillerie, on considère qu'il est très incorrect d'ajouter avec ferveur les mots : « Que Dieu la bénisse », réponse normale dans d'autres mess, comme, par exemple, de la part des officiers généraux et officiers de grades plus élevés dans le Queen's Own Rifles of Canada.

La coutume selon laquelle on boit un toast au souverain est universelle dans les Forces canadiennes mais, comme on vient de le voir, la procédure suivie n'est pas uniforme dans toutes les unités, stations, bases et dans tous les navires, et, à cet égard, il incombe aux hôtes d'informer et d'aider leurs invités à dîner.

Bien que le toast au souverain dans la plupart des mess se boive debout, tel n'est pas le cas dans les navires de guerre canadiens où la santé à Sa Majesté la reine se boit assis. L'origine de ce privilège dont bénéficient les officiers de marine a été attribuée à plusieurs souverains. Mais la version généralement acceptée est celle selon la-quelle le roi Charles II, de retour en Angleterre après l'interrègne de Cromwell, alors qu'il répondait au toast au souverain, s'étant levé et s'étant heurté la tête à une poutre du plafond bas du pont, typique des navires de l'époque, aurait déclaré qu'à l'avenir les officiers du carré boiraient à la santé du roi confortablement assis. On peut se faire une idée de l'ancienneté de cette coutume en examinant une gravure publiée en 1793, montrant le roi George III, qui régna de 1760 à 1820, avec un groupe d'officiers dans la grande cabine d'un navire de ligne, verre à la main pour porter un toast à l'invité royal, et tous étant assisNote de bas de page 16.

À ce sujet, les officiers de la BFC de Halifax s'en tiennent encore aujourd'hui aux vieux Règlements royaux applicables à la Marine royale canadienne qui décrètent que la santé de Sa Majesté la reine sera portée en position assise dans tous les mess de la marine, aussi bien à terre qu'en mer, même lorsqu'on joue le Dieu sauve la reine, en toutes occasions sauf lorsque Sa Majesté ou un membre de la famille royale est présent (après avoir obtenu son autorisation quant à la procédure à suivre), ou lorsque des dignitaires étrangers sont présents.

Outre le toast au souverain, selon les circonstances et les traditions, il peut y avoir d'autres toasts à un dîner de gala, y compris ceux qu'on propose à la santé : de chefs d'État étrangers lorsque leurs représentants officiels sont présents; du colonel en chef; des camarades tombés au champ d'honneur; du régiment; des dames, ainsi qu'à d'autres. Dans les navires de guerre, l'un d'eux s'appelle le « toast du jour », et il y en a un pour chaque jour de la semaine. Les mots prononcés peuvent varier légèrement, mais le fond est resté le même depuis nombre d'années :

  • Lundi — « Nos navires en mer » (« Our ships at sea »)
  • Mardi — « Nos hommes » (« Our men »)
  • Mercredi — « Nous-mêmes » (« Ourselves »)
  • Jeudi — « Une sacrée bonne guerre ou une saison épouvantable » ( « A bloody war or a sickly season ») (pour assurer un avancement plus rapide)
  • Vendredi — « Un ennemi intrépide et de l'espace pour manœuvrer » (« A willing foe and sea room »)
  • Samedi — « Bien-aimées et épouses », ces mots étant assortis de l'aparté habituel « Dieu veuille qu'elles ne se rencontrent jamais » ( « Sweethearts and wives - May they never meet »)
  • Dimanche — « Amis absents » (« Absent friends ».Note de bas de page 17

À quelle date exacte remontent ces toasts quotidiens qu'on porte dans les carrés d'officiers? Nul ne le sait. Ceux du jeudi et du vendredi n'ont plus guère qu'un intérêt historique aujourd'hui, bien qu'à l'époque des voiliers ils exprimassent un véritable espoir. Un jeune officier en service dans la station des Antilles, vers la fin du XVIIIe siècle pendant les guerres napoléoniennes, a écrit : « Leur toast porté avec une pleine rasade de grog (rhum et eau) un soir s'accompagnait habituellement des mots » une sacrée bonne guerre et une saison épouvantable »Note de bas de page 18. Le toast du samedi soir remonte encore plus loin. L'aumônier du Assistance notait le 26 juin 1675, un samedi, lors d'une croisière dans la Manche : « Et, vers le soir, nous nous étendons sur le pont et buvons à la santé du Roi et de nos épouses dans des bols de punch. » D'autres samedis dans le golfe de Gascogne et au large de la côte portugaise, voici ce qu'on écrivait : « Nous finissons la journée et la semaine en buvant à la santé de nos épouses dans des bols de punch » et «  ... et le punch coulant à flots (punch like ditch-water) nous finissons la journée et la semaine en buvant à la santé du Roi et de tout ce que nous aimons, alors que souffle une brise légèreNote de bas de page 19 ».

En général, les discours ne sont pas un aspect important d'un dîner de gala. A vrai dire, dans la plupart des mess, on décourage activement les discours et, si on les tolère, ils doivent être brefs. Traditionnellement, dîner dans un mess veut dire manger et boire dans une atmosphère agréable, avec un certain degré de formalisme où une conversation stimulante et intelligente est l'élément le plus important, et non où l'on trouve un auditoire pendu aux lèvres d'un orateur. Cependant, à l'occasion, un invité d'honneur à dîner est prié de prononcer une allocution, dont le sujet doit être d'un intérêt plus que banal pour les membres du mess.

Un dîner de mess se termine lorsque le commandant ou le président, selon le cas, se lève et quitte la table en escortant l'invité d'honneur s'il y en a un. Dès ce moment, les membres sont également libres de quitter la table.

Comme nous l'avons déjà dit, les dîners-maison et les dîners formels mixtes se modèlent à presque tous égards sur la formule mise au point dans chaque mess du dîner de gala. Mais dans les mess de l'armée, il y en a un autre, qu'on appelle dîner régimentaire annuel, dont la caractéristique principale est la lecture par le commandant d'un résumé des réalisations du régiment au cours de l'année écoulée. Le dîner régimentaire annuel est un dîner de gala, mais l'ordre habituel des choses est renversé. Un bon exemple est celui des Fusiliers Mont-Royal de Montréal. La procédure suivante révèle comment un régiment de milice dirige cet événement tant attenduNote de bas de page 20 :

... cocktail dans le salon du mess; lecture de la proclamation du dîner par le capitaine-adjudant; présentation des invités à l'invité d'honneur; défilé des invités de la table d'honneur dans la salle à manger; le bénédicité; un instant de silence pour les camarades tombés au champ d'honneur; le toast à Sa Majesté la reine; le défilé de l’allumeur; la présentation du plat principal; la distribution du tabac à priser; le toast du commandant au chef de musique; le toast du commandant au chef de cuisine; la présentation des invités de la table d'honneur; allocution de l'invité d'honneur; rapport annuel du commandant; le toast aux invités; le chant de la chanson régimentaire : « Nous sommes les Fusiliers du Mont-Royal »; l'hymne national.

Haut de page

Haut de page

Détails de la page

Date de modification :