ARCHIVÉ - Programmes organisés de dépistage du cancer du sein au Canada - Rapport sur la performance des programmes en 2005 et en 2006
Sujet spécial
Modèles d'analyse décisionnelle appliqués aux résultats liés au dépistage du cancer du sein
Introduction
Le cancer du sein est le second cancer le plus fréquent chez les Canadiennes [Note 9]. Il est estimé que 23 200 nouveaux cas seront diagnostiqués pour la seule année 2010.(1) Selon les taux actuels, 11 % des Canadiennes devraient développer un cancer du sein à un moment donné de leur vie, bien que seulement de 2 à 3 % des femmes âgées de 50 à 90 ans devraient développer la maladie au cours des dix prochaines années.(11) Même s'il est prévu qu'environ 2/3 des cas survivront à la maladie, le cancer du sein demeure la deuxième cause de mortalité par cancer chez les Canadiennes. Il est estimé que la maladie entraînera 5 300 décès en 2010.(1) Le taux de survie moyen à 5 ans est de 87 %(11) ; ce taux passe à 96 % (+/- 3 %) si le cancer est détecté au stade I alors qu'il est de 26 % (+/- 10 %) seulement s'il est détecté au stade IV.(12) Le dépistage à un stade précoce est donc essentiel à la diminution de la mortalité par cancer du sein.
Un dépistage régulier par mammographie peut aider à détecter précocement le cancer du sein et ainsi améliorer considérablement les taux de survie. Les lignes directrices actuelles au Canada recommandent aux femmes dans la cinquantaine et dans la soixantaine de subir un dépistage tous les deux ans. Après 70 ans, une détection précoce présente moins d'avantages en raison de l'augmentation des autres risques de mortalité. Avant l'âge de 50 ans, le risque de développer un cancer du sein est moindre et il est préférable d'éviter une exposition inutile aux radiations et l'anxiété générée par le test. Toutefois, près de la moitié de tous les cancers du sein apparaissent dans ces groupes d'âge. La recherche suggère que le dépistage en dehors de la population cible âgée de 50 à 69 ans (13,14,15,16) pourrait présenter des avantages qui sont encore inexploités.
Les outils d'aide à la prise de décision sont des outils basés sur les meilleures données scientifiques disponibles et les valeurs personnelles du patient dans le but de l'aider à prendre une décision difficile en matière de santé. Ces outils permettent de prendre une décision éclairée en apportant des renseignements essentiels au sujet des risques et des avantages reliés à une intervention, soit dans le cas présent à la participation à un programme de dépistage organisé du cancer du sein par mammographie. Une meilleure compréhension des conséquences qu'entraîne le dépistage du cancer du sein et la congruence de la décision de participer ou non avec leurs valeurs personnelles augmentera le nombre de femmes faisant l'objet d'une mammographie dans un délai adéquat (fidélisation), et conséquemment, les effets positifs du dépistage. C'est pourquoi un modèle d'analyse décisionnelle de Markov appliqué au dépistage du cancer du sein par mammographie chez les Canadiennes a été développé afin d'évaluer les avantages et les dommages potentiels à long terme d'un programme de dépistage; ce modèle a été utilisé dans l'élaboration d'un outil d'aide à la prise de décision (www.publichealth.gc.ca/decisionaids).
Méthodes
Un modèle d'analyse décisionnelle de Markov a été développé dans le but d'estimer les résultats reliés à trois cohortes hypothétiques de femmes et à leurs expériences de dépistage sur une période de dix à vingt ans. Les cohortes d'âge et les éléments de comparaison utilisés étaient les suivants :
- Femmes âgées de 40 à 49 ans faisant l'objet d'un dépistage annuel pendant dix ans comparées à des femmes ne faisant l'objet d'aucun dépistage;
- Femmes âgées de 50 à 69 ans faisant l'objet d'un dépistage bisannuel pendant 20 ans comparées à des femmes ne faisant l'objet d'aucun dépistage;
- Femmes âgées de 70 à 79 ans faisant l'objet d'un dépistage bisannuel pendant 10 ans comparées à des femmes faisant l'objet d'un dépistage bisannuel pendant 20 ans, et ce, jusqu'à l'âge de 69 ans.
Des notes techniques et des références sont disponibles sur le site www.publichealth.gc.ca/decisionaids.
Le modèle, fondé sur un modèle australien analogue (17) a été développé en utilisant le logiciel TreeAge. Il est basé sur différents résultats incluant un certain nombre de dépistage normaux et anormaux, certaines exigences en matière de biopsie et d'examen d'imagerie de suivi, le nombre de cancers du sein détectés, le stade de la maladie au moment du diagnostic et le nombre de décès attribuables au cancer du sein ou à d'autres causes. Le nombre de résultats faussement négatifs a été estimé en fonction du nombre de cancers d'intervalle survenus dans un délai de 12 mois suivant le dernier dépistage chez des femmes dans la quarantaine, et dans un délai de 24 mois chez des femmes dans la cinquantaine. Le modèle présume des probabilités de transition fondées sur une constante de temps, du respect des recommandations en ce qui concerne le dépistage subséquent et, enfin, de l'indépendance des résultats de dépistage. Avant d'appliquer le modèle aux données canadiennes, la structure dudit modèle a été validée par rapport aux résultats générés par le modèle australien avec les données de BreastScreen Australia de 1996 à 1998.(17)
Les données relatives au dépistage sont issues de la Base de données canadienne sur le dépistage du cancer du sein (2000, 2001, 2002, 2003, 2004) et des données globales pancanadiennes provenant des programmes de dépistages provinciaux. Toutes les provinces ont participé aux données; (annexe A). Dans la cohorte des femmes âgées de 40 à 49 ans, les données relatives au dépistage proviennent surtout de la Colombie-Britannique. La mortalité par cancer du sein, l'incidence du cancer du sein, les comptes de population et de toutes les causes de mortalité confondues ont été obtenus auprès de Statistique Canada (2000, 2001, 2002, 2003, 2004). Les cycles 1.1 et 2.1 de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes ont été utilisés pour estimer le taux de participation nationale au dépistage. Une revue de la literature a été effectuée concernant la réduction du risque relatif de mortalité par cancer du sein liée au dépistage.
Un scénario à long terme (de 10 à 20 ans) a été utilisé pour tenir compte du décalage dans le taux de mortalité observé dans une nouvelle population faisant l'objet d'un dépistage.(17) Les cancers observés chez les femmes plus jeunes étant habituellement moins agressifs, nous avons appliqué le scénario supposant un dépistage annuel chez les femmes dans la quarantaine et un dépistage bisannuel chez les femmes âgées de 50 ans et plus. En ce qui concerne les femmes âgées de 40 à 69 ans, nous avons comparé un groupe dans lequel l'ensemble des femmes a participé à un dépistage à un groupe sans aucun dépistage afin de mettre en évidence les effets du dépistage dans cette population. Pour ce qui est des femmes âgées de 70 à 79 ans, nous avons comparé un dépistage auquel l'ensemble des femmes âgées de 50 à 79 ans a participé avec un dépistage auquel seulement l'ensemble des femmes âgées de 50 à 69 ans a participé.
Résultats
Les résultats indiquent que pour prévenir un seul décès par cancer du sein, il faudrait que
3 000 femmes âgées de 40 à 49 ans subissent un dépistage à chaque année. Comparativement, il faudrait que 250 femmes âgées de 50 à 69 ans et 400 femmes âgées de 70 à 79 ans aient une mammographie à tous les deux ans pour prévenir un décès par cancer du sein.
La plupart des femmes qui passent une mammographie sont rassurées de savoir qu'elles ne sont pas atteintes d'un cancer du sein. Chez les femmes âgées de 40 à 49 ans, sur 10 000 mammographies effectuées, 631 présenteront un résultat anormal, entraînant le rappel de 549 femmes. Suite à des examens plus approfondis, 533 résultats de dépistage anormaux se solderont par l'absence de cancer et 16 cancers seront détectés. Trois cancers seront diagnostiqués après un résultat de dépistage négatif, entre les cycles de dépistage
(figure 10. pg42 and tableau 9. ci-dessous).
Femmes ayant fait l'objet d'un dépistage | Femmes n'ayant pas fait l'objet d'un dépistage | |
---|---|---|
Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 10 ans | Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 10 ans | |
Stade du cancer | ||
CCIS | 5 | 0 |
Stade I | 9 | 4 |
Stade II | 4 | 5 |
Stade III – IV | 1 | 2 |
Total | 19 | 11 |
Statut | ||
Décès par cancer du sein | 1 | 2 |
Décès d'autres causes | 12 | 12 |
Non décédées | 987 | 986 |
De même, chez les femmes âgées de 50 à 69 ans, 717 mammographies sur les 10 000 effectuées présenteront un résultat anormal, ce qui entraînera le rappel de 574 femmes dont 529 obtiendront des résultats permettant de conclure à l'absence d'un cancer et 45 cancers du sein seront détectés. Quinze cancers seront diagnostiqués après un dépistage négatif, entre les cycles de dépistage (figure 11. pg44 and tableau 10. pg44).
Femmes ayant fait l'objet d'un dépistage | Femmes n'ayant pas fait l'objet d'un dépistage | |
---|---|---|
Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 20 ans | Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 20 ans | |
Stade du cancer | ||
CCIS | 9 | 1 |
Stade I | 31 | 17 |
Stade II | 18 | 13 |
Stade III – IV | 2 | 5 |
Total | 60 | 36 |
Statut | ||
Décès par cancer du sein | 7 | 12 |
Décès d'autres causes | 107 | 107 |
Non décédées | 886 | 881 |
Enfin, chez les femmes âgées de 70 à 79 ans, 270 mammographies sur les 5 000 effectuées présenteront un résultat anormal, entraînant le rappel de 244 femmes. Pour 213 d'entre elles, un examen plus approfondis permettra de conclure à l'absence d'un cancer et 31 cancers seront détectés. Huit cancers seront diagnostiqués après un dépistage négatif dans l'intervalle entre les dépistages (figure 12. ci-dessous and tableau 11. pg46).
Femmes ayant fait l'objet d'un dépistage | Femmes n'ayant pas fait l'objet d'un dépistage | |
---|---|---|
Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 5 ans | Nbre de cancers par 1 000 femmes sur 5 ans |
|
Stade du cancer | ||
CCIS | 5 | 0 |
Stade I | 23 | 10 |
Stade II | 9 | 6 |
Stade III – IV | 2 | 3 |
Total | 39 | 19 |
Statut | ||
Décès par cancer du sein | 7 | 10 |
Décès d'autres causes | 208 | 208 |
Non décédées | 785 | 782 |
Discussion
Les résultats de cet exercice de modélisation indiquent une variation importante des résultats liés au dépistage par mammographie chez les femmes appartenant à différents groupes d'âge, ce qui montre la nécessité pour les femmes de prendre une décision éclairée en ce qui concerne leur participation au dépistage. De plus, il est important de bien comprendre les avantages et les limites d'une approche par modélisation des résultats de dépistage, tout comme l'est la façon de présenter ces résultats aux femmes qui font face à la décision de participer ou non à un programme de dépistage du cancer du sein.
Nous anticipions un nombre élevé de mammographies anormales pour tous les groupes d'âge (tableaux 9-11. pg43-46). Cela peut sembler inquiétant car une forte proportion des femmes participant à un dépistage devra s'attendre à subir des examens plus approfondis pour confirmer que la majorité d'entre elles ne sont pas atteintes d'un cancer. Il ne faut pas sous-estimer les répercussions de l'anxiété que provoque un résultat de dépistage positif, car les femmes qui ont reçu un résultat faussement positif sont moins susceptibles de participer régulièrement au programme de dépistage. Cependant, ces résultats anormaux ne représentent qu'une faible proportion de l'ensemble des mammographies effectuées. Étant donné que notre modèle est fondé sur des résultats indépendants, des taux de rappel liés à un dépistage anormal ont été appliqués de manière aléatoire à la population, ce qui a produit un risque cumulatif élevé de rappel d'au moins une fois au cours de la période de dépistage de 10 à 20 ans. En pratique, certaines femmes (celles présentant une densité mammaire importante ou ayant reçu précédemment des résultats faussement positifs) auront plus de risques de recevoir un résultat faussement positif que d'autres; le modèle ne reflète pas de tels facteurs individuels. Par ailleur, des changements technologiques, comme l'introduction de la mammographie numérique, auront des répercussions importantes sur le nombre de mammographies anormales et les profils diagnostiques de cancer. Ceci imposera l'apport de modifications à l'outil d'aide à la prise de décisions en ce qui concerne la participation à un programme de dépistage du cancer du sein.
Le principal avantage du dépistage est la détection précoce d'un cancer, qui permet en général de recourir à un traitement plus simple, présente un risque de récidive plus faible et une chance de survie plus importante. Dans toutes les cohortes ayant fait l'objet d'un dépistage, un nombre plus faible de cancers ont été décelés à un stade avancé (III ou IV) et un nombre plus élevé de cancers ont été diagnostiqués au stade I comparativement aux cohortes sans dépistage (tableaux 9-11. pg43-46). Cependant, plus de cancers ont été détectés suite au dépistage. Certains pourraient présumer que le dépistage augmente l'incidence du cancer du sein en raison de l'exposition aux radiations; cependant, les résultats de recherche suggèrent que les avantages du dépistage l'emportent sur le risque associé à l'exposition aux radiations.(18,19,20) La cause probable de l'augmentation de l'incidence du cancer du sein chez les femmes participant au dépistage est liée à la détection d'un nombre important de carcinomes canalaires in situ (CCIS) qui n'auraient pas été détectés sans dépistage. Le CCIS est considéré comme le stade 0 d'un cancer du sein; il peut être facilement traité et ne représente pas une menace immédiate pour la femme. La détection excessive, c'est-à-dire la détection de cancers qui ne se seraient jamais manifestés cliniquement pendant la durée de vie du patient, constitue également un inconvénient de la mammographie de dépistage.(21) Des essais cliniques comparatifs randomisés sont nécessaires afin d'estimer précisément la détection excessive ou le sur-diagnostic de cancers du sein au Canada.
La prévention des décès par cancer du sein grâce au dépistage représente une grande motivation pour les femmes à subir des une mammographie régulièrement. Le plus grand bénéfice sur la mortalité est observé pour le groupe cible des 50 à 69 ans, suivi par le groupe des 70-79 ans. Les femmes dans la quarantaine sont celles chez qui la plus faible prévention de mortalité est observée. Les bénéfices du dépistage chez les femmes de différents groupes d'âge peut varier selon l'issue considérée. Les années de vie sauvées peuvent représenter une mesure importante parmi les femmes plus jeunes où moins de décès sont prévus mais se produisent précocement comparativement aux femmes plus âgées.
Il est important de noter que le modèle utilise les résultats « moyens » au niveau de la population afin de donner des estimations relatives de probabilités dans le processus de dépistage. Les risques et les expériences individuelles sont différents en fonction de facteurs de risque tels que la mutation BRCA, l'âge et les antécédents familiaux. Il est important de tenir compte de tels facteurs dans l'évaluation des risques de chaque individu. L'outil d'aide à la décision s'accompagne d'information sur les facteurs de risque individuels afin de faciliter la prise de décision concernant la participation à un programme de dépistage du cancer du sein (www.publichealth.gc.ca/decisionaids).
Les modèles ne peuvent jamais prédire complètement et entièrement les résultats futurs, mais ils peuvent apporter des données probantes avec un aperçu plus large, permettant ainsi d'éclairer la prise de décision. Ces résultats sont inclus dans l'outil d'aide à la décision (www.publichealth.gc.ca/decisionaids) afin d'aider les femmes à prendre une décision éclairée en ce qui concerne leur participation au dépistage du cancer du sein par mammographie. L'outil contient de l'information générale sur la mammographie ainsi que des sections particulières concernant trois groupes d'âge : les femmes âgées de 40 à 49 ans, de 50 à 69 ans et enfin de 70 à 79 ans. Pour chaque groupe d'âge, les résultats dérivés des figures 1 à 3 sont utilisés pour donner un aperçu général dans chaque situation. Les avantages en termes de mortalité sont également indiqués. Les femmes ont ensuite la possibilité d'évaluer chacun des avantages et des limites du dépistage en fonction de leurs valeurs personnelles. L'objectif ultime de l'outil d'aide est d'utiliser la combinaison de ces valeurs personnelles, des facteurs de risques individuels et des résultats simulés afin prendre une décision plus éclairée au sujet du dépistage du cancer du sein par mammographie.
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