ARCHIVÉ : Chapitre 5 : Manuel de pratique sensible à l'intention des professionnels de la santé : Leçons tirées des personnes qui ont été victimes de violence sexuelle durant l'enfance – Lignes directrices : contexte des rencontres
Lignes directrices pour la pratique sensible : cadre dans lequel se déroulent les rencontres
Personnel administratif et assistants ou assistantes
La qualité des échanges avec le personnel administratif et les assistants ou assistantes qui travaillent dans les établissements de santé peut agir sur le sentiment de sécurité des personnes ayant survécu à une agression sexuelle. En très grande majorité, les participants du projet ont convenu que, dans l'environnement d'un bureau, leurs échanges avec le personnel administratif et les assistants ou assistantes teintaient la relation entre les praticiens ou praticiennes et les patients ou patientes. C'est pourquoi le personnel doit connaître la dynamique qui sous-tend la violence interpersonnelle ainsi que les répercussions à long terme que peut avoir cette violence. Il faut donc l'encadrer pour qu'il sache mettre en oeuvre les principes pour la pratique sensible selon des méthodes qui conviennent au milieu précis où se déroulent les échanges.
En milieu hospitalier ou communautaire, les formalités et les procédures ont évolué d'une façon qui améliore l'efficience et optimise le temps de travail des cliniciens et des cliniciennes. Ces changements risquent cependant d'être perçus comme le signe d'une plus grande orientation sur le clinicien ou la clinicienne et d'une moins grande orientation sur le patient ou la patiente. Par exemple, dans bien des bureaux, il est courant que le préposé ou la préposée à la réception pose des questions sur la nature des ennuis de santé afin de fixer l'heure et la durée de la visite. Bon nombre de personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont dit voir dans cette pratique une atteinte à leur vie privée, surtout lorsqu'elles devaient consulter des professionnels ou professionnelles pour des troubles psychosociaux ou des troubles de santé mentale. Selon les cliniciens et cliniciennes ayant pris part aux groupes de travail liés au projet, il serait préférable que les préposés ou préposées à la réception posent des questions sur l'objet du rendez-vous (examen ou discussion). De même, par souci de protection de la vie privée, les employés ou employées de bureau qui font entrer les personnes dans les salles d'examen et qui remplissent les formalités préalables devraient recourir à de telles questions. De l'avis des praticiens et praticiennes de la santé consultés aux fins du projet, les assistants ou assistantes et techniciens ou techniciennes (y compris les aides-physiothérapeutes et techniciens ou techniciennes en radiologie) qui participent directement à l'évaluation et au traitement des patients et patientes devraient adopter les mêmes méthodes de pratique sensible que les cliniciens et cliniciennes.
Attestant du besoin de former les préposés ou préposées à la réception aux méthodes de pratique sensible, une femme ayant survécu à une agression sexuelle a relaté sa tentative de prendre rendez-vous avec son médecin de famille, qui avait accepté au préalable de la recevoir si elle ruminait des idées suicidaires :
«Que dois-je faire, grimper sur une chaise et hurler « ouais, ça a l'air d'aller, mais à vrai dire, des milliers d'idées suicidaires me traversent présentement le cerveau » ? [Alors le préposé ou la préposée à la réception refuse de me prendre un rendez-vous], et la honte et le sentiment de culpabilité m'accablent, et je commence à me blâmer, et je rentre chez moi pour faire une overdose ou me taillader les poignets»
(témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).
Attente et salles d'attente
Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet ont longuement décrit l'extrême anxiété qui accompagne l'attente d'un rendez-vous de santé, laquelle évoque les mauvais traitements subis par le passé. La naïveté des enfants leur interdit de prévoir le premier épisode de violence qui les afflige. Lorsque ce dernier survient, les enfants sont sans défense et ne savent trop ce qui leur arrive. Les actes sexuels leur paraissent étranges, parfois douloureux ; le secret les bouleverse, et la contrainte ou la menace de sévices les effraie. Les enfants ne disposent d'aucunne référence préalable qui les aide à comprendre pourquoi quelqu'un les traiterait de la sorte, surtout s'il s'agit d'une personne qu'ils aiment et en qui ils ont confiance. À la suite du premier épisode de violence, de nombreux enfants vivent dans la hantise d'une répétition de l'événement. Attentifs et hypervigilants, ils attendent avec appréhension que la violence reprenne.
L'attente des rendez-vous est une réalité de la vie, certes, mais l'expérience risque de s'avérer particulièrement éprouvante pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle chez qui l'attente éveille encore une certaine dose d'appréhension. C'est pourquoi les participants du projet invitent les praticiens et praticiennes :
- à aménager des salles d'attente chaleureuses et accueillantes ;
- à donner accès à des toilettes et à indiquer clairement où elles se trouvent ;
- à fournir des documents qui traitent de la violence interpersonnelle ;
- à donner des estimations réalistes des délais d'attente.
Protection de la vie privée
La protection de la vie privée est un autre élément du milieu qui exerce une grande influence sur le sentiment de sécurité des personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Ces dernières ne cherchent pas toutes à harmoniser de façon identique la protection de leur vie privée et le maintien de leur sentiment de sécurité. Ainsi, les unes seront plus à l'aise dans une salle particulière alors que d'autres ne considéreront cette option qu'en présence d'un accompagnateur ou d'une accompagnatrice. D'autres encore jugeront plus sûrs les espaces publics. De nombreuses personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet exigent que, lorsqu'ils s'approchent d'un client ou d'une cliente qui attend, les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé cognent ou se présentent et demandent d'avoir la permission avant d'entrer.
Plus précisément, les cliniciens et cliniciennes devraient tenir compte des possibilités qu'offre leur milieu de pratique sur le plan de la protection (ou de l'absence de protection) de la vie privée. À cette fin, ils devraient réfléchir aux questions suivantes :
- Que peut-on voir et entendre à partir de l'aire d'accueil ?
- Les patients ou patientes ont-ils à répondre à des questions personnelles dans une aire d'accueil publique où d'autres personnes pourraient capter l'échange ?
- Que peut-on voir et entendre à partir du couloir ?
- Que peut-on entendre d'un box ou d'une salle d'examen à l'autre ?
Par ailleurs, les praticiens et praticiennes sont priés de prévoir l'accès, en tout temps, à au moins une salle insonorisée pouvant servir aux examens ou aux entrevues. La protection de la vie privée s'avère plus ardue voire impossible en milieu hospitalier. Les cliniciens et cliniciennes sont néanmoins invités à faire preuve de créativité et à envisager le recours à des salles non insonorisées lorsque personne ne s'y trouve, notamment à l'heure des repas ou après les heures d'affluence.
Autres questions liées au milieu physique
Faute d'avoir pu contrôler leur sort pendant l'enfance, de nombreuses personnes ayant survécu à une agression sexuelle tentent de maintenir une emprise sur le milieu physique qu'elles occupent, de façon à s'y sentir en sécurité. Ces personnes formulent les suggestions et commentaires suivants :
- aménager des toilettes distinctes pour les hommes et les femmes ;
- prendre le temps d'aider les clients et clientes à se familiariser avec le milieu physique (y compris la salle d'attente, les toilettes, la salle de traitement des patients ou patientes, l'équipement ainsi que les issues de secours) ;
- partout où c'est possible, offrir aux clients et clientes le choix de s'asseoir dans la salle d'examen, la salle de traitement ou la salle d'attente (p. ex., certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle préfèrent s'asseoir près d'une porte ou maintenir une porte dans leur champ de vision) ;
- vérifier si l'éclairage convient aux clients et clientes, attendu que certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle sont très sensibles à l'éclairage de même qu'à la vue du plafond ou du plancher (cet élément importe tout particulièrement si le traitement impose au patient ou à la patiente de faire face au plafond ou au plancher) ;
- dans le cas de praticiens ou de praticiennes dont les traitements exploitent des musiques, des chandelles ou des arômes, vérifier les préférences des patients et patientes à cet égard afin d'éviter de déclencher des réactions négatives.
Si l'installation ne peut procurer un milieu rassurant pour un client ou une cliente en particulier, discuter de la possibilité d'une recommandation auprès d'une autre installation, d'un autre clinicien ou d'une autre clinicienne.
Préparatifs visant les patients et patientes
On ne peut sous-estimer l'importance que revêt le partage des renseignements sur les formalités de santé avant le début d'un examen, d'un traitement ou d'une admission à l'hôpital. Une préparation préliminaire suffit souvent à atténuer l'anxiété qu'éprouve le client ou la cliente, et ce, même avant sa rencontre avec le clinicien ou la clinicienne. Par conséquent, les praticiens et praticiennes devraient considérer les possibilités suivantes :
- Diffuser de l'information écrite aux clients et clientes avant leur premier rendez-vous ou fournir ces renseignements pendant le délai d'attente qui précède le rendez-vous. Songer également à afficher l'information dans les salles d'attente ou les salles de traitement. Les textes afférents devraient être rédigés dans un langage clair et simple, sans recours au jargon ou au vocabulaire médical. En plus de faire connaître l'organisation et le service aux lecteurs et lectrices, de tels écrits peuvent appeler les personnes ayant survécu à une agression sexuelle à réfléchir aux mesures qu'elles pourraient prendre pour promouvoir leur propre sécurité (p. ex., se faire accompagner aux rendez-vous ou y emporter un petit objet familier symbolisant la sécurité et la protection).
Annexe E Exemple de présentation d'un établissement
- Les clients et clientes ne savent pas tous lire des textes en français ou ne comprennent pas tous cette langue. Le cas échéant, d'autres stratégies sont à envisager pour aviser les personnes du déroulement prévisible de la rencontre de soins de santé (p. ex., recours à des dessins, à des photos ou à des vidéos qui répondent à des questions fréquentes ou qui expliquent de bout en bout les étapes de l'échange).
- Pour aider les clients et clientes à se préparer à une hospitalisation ou à des formalités dans une clinique externe, il faut d'abord évaluer leurs connaissances et cerner les lacunes observées à cet égard. Pour corriger ces dernières, on pourra miser sur un remue-méninges, sur des négociations ou sur un partage de renseignements. Par exemple, au moment de collaborer avec des personnes ayant survécu à de mauvais traitements, il importera d'échanger sur : (a) les approches susceptibles de rendre l'expérience aussi peu traumatisante que possible ; (b) les méthodes pour éviter les éléments déclencheurs reconnaissables ; et (c) les plans visant à offrir un appui soutenu suffisant.
La participation des clients et clientes à l'élaboration de programmes décrivant les soins à dispenser permet d'assurer que toute personne qui collabore avec ces personnes soit consciente de leurs besoins précis.
Présence d'accompagnateurs et d'accompagnatrices ou de personnes exerçant la fonction de « chaperon »
«[En présence de l'assistant ou de l'assistante], je me sentais à l'aise à l'idée qu'il faille peut-être fermer la porte ... ainsi je ne serais pas seul avec l'autre»
(témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).
Pour certains examens et certaines formalités, il est courant de faire appel à une tierce personne agissant comme observateur ou observatrice, qu'il s'agisse d'un accompagnateur ou d'une accompagnatrice choisi par le patient ou la patiente ou encore d'une personne désignée par le clinicien ou la clinicienne pour exercer la fonction de « chaperon ». Lors des consultations réalisées à l'appui du projet, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont expliqué que la présence d'un accompagnateur ou d'une accompagnatrice contribuait souvent à apaiser leurs craintes tout en procurant une ressource additionnelle pour recueillir l'information transmise par le clinicien ou la clinicienne :
«Si on te donne une foule de renseignements et que tu n'arrives pas nécessairement à les comprendre et à les retenir ou si tu souffres d'inquiétude ... et qu'il y a beaucoup de renseignements nouveaux, alors il est utile de compter sur la présence d'une personne capable de t'aider à te remémorer ce qui se dit (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).»
La présence d'un accompagnateur ou d'une accompagnatrice suppose la conciliation de besoins opposés relatifs au secret professionnel, au soutien personnel de même qu'à la protection du patient ou de la patiente ainsi que du praticien ou de la praticienne.
La présence d'un accompagnateur ou d'une accompagnatrice suppose la conciliation de besoins opposés relatifs au secret professionnel, au soutien personnel de même qu'à la protection du patient ou de la patiente ainsi que du praticien ou de la praticienne. En vue de soutenir l'intégrité de leur pratique tout en donnant l'occasion aux patients ou aux patientes de faire appel à des accompagnateurs ou accompagnatrices, les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé sont invités :
- à aviser les patients et patientes de vive voix ou par le biais de brochures et d'affiches dans les salles d'attente de la possibilité de demander la présence de tiers agissant comme observateurs ou observatrices ;
- à ne pas oublier que la présence d'accompagnateurs ou d'accompagnatrices ne sert pas toujours les intérêts des clients ou des clientes (p. ex., s'il s'agit de partenaires violents qui tentent de contrôler les échanges qu'ont ces derniers avec d'autres personnes) ;
- à discuter en tête-à-tête avec les clients ou clientes au début de la rencontre afin de vérifier s'ils souhaitent vraiment la présence d'accompagnateurs ou d'accompagnatrices, d'évaluer la fonction qu'ils voudraient déléguer à ces derniers et d'aborder les questions de secret professionnel attendu que les clients ou clientes pourraient ne pas trop savoir comment manifester leur intention (s'il y a lieu) d'échanger en tête-à-tête avec le praticien ou la praticienne ;
- à définir le rôle des accompagnateurs ou accompagnatrices au début de la rencontre, en présence de toutes les parties accompagnateur ou accompagnatrice, patient ou patiente, clinicien ou clinicienne afin que ces dernières en conviennent clairement ;
- là où des motifs médicaux ou juridiques justifient la présence de tiers, à s'assurer d'abord que les patients ou patientes comprennent et acceptent cette situation, puis à leur offrir la possibilité de convoquer soit leurs propres accompagnateurs ou accompagnatrices, soit des membres du personnel.
Collaboration avec des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et provenant de divers groupes culturels
Les praticiens et praticiennes de la santé et les organismes de soins de santé sont priés de procéder à l'examen continu de leurs pratiques courantes à l'égard de différents groupes.
La société canadienne est constituée de personnes issues de différents groupes raciaux, ethniques et culturels. Il est donc impératif que les soins de santé tiennent compte des différences culturelles. En santé, les thèmes de la sensibilisation aux cultures, de la sensibilisation aux réalités culturelles et du savoir-faire culturel ont inspiré de nombreux auteurs. Cependant, les mentalités continuent d'évoluer en ce qui touche la façon d'aborder le dossier de la culture. En guise de cadre de prestation de soins de santé adaptés aux personnes ayant différents profils culturels ou ethniques, les premières recherches en la matièrep. ex.,17,18,19,35,36 proposaient des modèles de savoir-faire culturel. Plus récemment, les tenants de la perspective culturelle critiquep. ex.,32,74,75 ont lancé un appel aux praticiens et praticiennes pour qu'ils transcendent les fondements des premiers modèles et élargissent leur conception de la culture, de façon à y voir un processus relationnel complexe et dynamique, façonné par des forces historiques, sociales, économiques et politiques. Comme l'expliquent Annette Browne et Colleen Varcoe, professeures en sciences infirmières à l'University of British Columbia :
Privilégiant la dimension relationnelle de la culture, la perspective culturelle critique tourne vers soi le regard auparavant porté sur l'Autre culturel. Cette vision exige l'examen du maillage qui lie chaque personne aux relations et aux processus historiques, sociaux, économiques et politiques. Il en résulte notamment les questions suivantes : Quelle est ma participation au renforcement de certaines normes (vraisemblablement eurocentristes) au sein de la culture des soins de santé ? En quoi certaines croyances et pratiques et certains comportements me paraissent-ils « normaux » alors que d'autres me paraissent « culturels » ? En quoi mes pratiques quotidiennes servent- elles certains intérêts économiques et politiques32p.163 [traduction] ?
De telles idées transparaissent des travaux d'Irihapeti Ramsden sur la sécurité culturelle125,126. Chef de file des services infirmiers du peuple maori de Nouvelle-Zélande, Ramsden a mis au point ce concept pour signaler les répercussions néfastes de la colonisation sur la santé de son peuple, décrire les pressions exercées par la colonisation en faveur de croyances eurocentristes relatives à la santé et aux maladies ainsi que mettre en évidence les inégalités perpétuées par bon nombre de pratiques courantes. Le traitement détaillé de cette question ne relève pas du présent manuel de pratique. Cependant, les praticiens et praticiennes de la santé et les organismes de soins de santé sont priés de procéder à l'examen continu de leurs pratiques courantes à l'égard de différents groupes.
La violence interpersonnelle sévit au sein de tous les groupes culturels et ethniques. Cependant, le présent manuel de pratique porte une attention spéciale aux Autochtones. En effet, en plus de constituer une part importante et grandissante de la population canadienne, ce groupe est encore aux prises avec les répercussions à long terme des sévices généralisés infligés dans les pensionnats. Convaincus que ces individus tireraient assurément parti de la mise en oeuvre universelle des principes pour la pratique sensible, les auteurs espèrent que les praticiens et praticiennes de la santé cultiveront une connaissance à tout le moins fondamentale des mauvais traitements (souvent systémiques) subis par bon nombre d'Autochtones, d'une part, et que ce savoir aidera les praticiens et praticiennes à se montrer plus sensibles à l'endroit des clients et clientes issus de ce groupe et, partant, à avoir avec eux des échanges de santé plus efficaces, d'autre part.
Annexe G Comment collaborer avec les Autochtones
Prestation concertée de services
À en croire les témoignages recueillis dans le cadre du projet, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle sont parfois recommandées à des pourvoyeurs ou pourvoyeuses de soins de santé avec qui elles éprouvent un malaise ou qui éveillent en elles un sentiment d'insécurité. Bien que les choix soient souvent restreints, tout patient ou toute patiente a droit à une recommandation lui permettant de consulter d'autres établissements ou d'autres cliniciens ou cliniciennes. Il arrive que des cliniciens ou cliniciennes soient incapables de satisfaire aux attentes ou aux besoins de santé des personnes ayant survécu à une agression sexuelle. Ce sujet n'est pas facile à aborder, mais les praticiens et praticiennes sont néanmoins invités à donner suite aux demandes de recommandations et à faire preuve de coopération lors d'échanges à propos de dossiers dans lesquels ils ne s'estiment pas en mesure de répondre aux besoins des patients et patientes.
Dans le cas d'un transfert permanent, le praticien ou la praticienne qui passe le dossier devrait s'assurer que son remplaçant ou sa remplaçante s'y connaisse en matière de violence interpersonnelle et de pratique sensible à l'égard des personnes ayant survécu à une agression sexuelle.
S'il survient sans préavis, le transfert de dossiers d'un praticien ou d'une praticienne à l'autre risque d'ébranler la confiance et d'éveiller des sentiments d'abandon. Partout où c'est possible, la personne devrait se voir offrir le choix de plusieurs aidants ou aidantes. Les absences planifiées devraient être annoncées longtemps à l'avance afin de laisser la possibilité aux clients ou clientes de prendre de nouvelles dispositions.
Idéalement, le clinicien ou la clinicienne devrait parvenir à introduire ses clients ou clientes au praticien ou à la praticienne qui prend la relève. Dans le cas d'un transfert temporaire, il serait primordial d'échanger à propos des renseignements sur les sévices passés que la personne consent à transmettre au nouvel aidant ou à la nouvelle aidante. Dans le cas d'un transfert permanent, le praticien ou la praticienne qui passe le dossier devrait s'assurer que son remplaçant ou sa remplaçante s'y connaisse en matière de violence interpersonnelle et de pratique sensible à l'égard des personnes ayant survécu à une agression sexuelle.
Malheureusement, à la suite de démêlés avec le système de santé, certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle pendant l'enfance ont fait état d'un recul en ce qui touche leur rétablissement personnel :
«En tant qu'homme ayant survécu à une agression sexuelle, [je crois que le système de santé actuel] a participé à ma réobjectivation ... au point où maintenant j'existe à peine ... en tant qu'être entier. En effet, la société [a] établi un modèle, fondé sur un processus dissociatif, qui confie mes émotions à un psychiatre ou une psychiatre, mon corps à un omnipraticien ou une omnipraticienne et mes dents à un dentiste ou une dentiste. Personne n'a proposé de modèle susceptible de me réchapper de la dissociation»
(témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).
De leur propre aveu, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ne croient pas qu'une seule ressource qu'il s'agisse ou non d'un praticien ou d'une praticienne de la santé saurait résoudre tous les problèmes. Certains des participants et certaines des participantes consultés ont souligné que l'accès à un ensemble de praticiens et de praticiennes, issus de différentes disciplines de la santé, constituerait un atout en vue de leur guérison. Par ailleurs, les participants ayant déjà eu affaire à des équipes de soins primaires ont formulé des commentaires très favorables à l'égard de telles expériences.
De nombreux participants du projet ont dit reconnaître l'existence de liens entre l'esprit, le corps et le bien-être spirituel et souhaiter que les services de santé adoptent une démarche holistique :
«Je crois qu'on ne peut dissocier la santé mentale de la santé physique ... [Le praticien ou la praticienne] pourrait aider beaucoup plus son client ou sa cliente à s'attaquer aux questions de santé. Il lui suffirait de prendre connaissance des fondements émotionnels de la situation plutôt qu'éviter résolument de poser la question et tenter de peut-être résoudre l'énigme ... Je crois qu'en matière de santé, le rôle [du praticien ou de la praticienne] devrait [laisser] une plus grande place à la santé émotionnelle ... Je crois que ... j'aurais pu en venir à m'attaquer à la portée émotionnelle de l'agression sexuelle beaucoup plus tôt si j'avais reçu un peu d'aide pour « soutirer la chose » en quelque sorte »
(témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).
De leur propre aveu, la plupart des personnes ayant survécu à une agression sexuelle doutent qu'une seule ressource - qu'il s'agisse ou non d'un praticien ou d'une praticienne de la santé - sache résoudre tous les problèmes.
Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle souhaiteraient vivement que les pour-voyeurs et pourvoyeuses de soins de santé songent à consulter officieusement (avec leur permission) d'autres praticiens et praticiennes avec qui ils collaborent, en vue d'aborder à fond leurs ennuis de santé.
Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle souhaiteraient vivement que les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé songent à consulter officieusement (avec leur permission) d'autres praticiens et praticiennes avec qui ils collaborent, en vue d'aborder à fond leurs ennuis de santé. Par exemple, dans le cas d'une personne ayant survécu à une agression sexuelle chez qui un traitement déclenche de fortes émotions négatives, le praticien ou la praticienne discuterait avec un conseiller ou une conseillère pour que celui-ci ou celle-ci formule des suggestions visant à minimiser ces réactions et entreprenne d'aider directement le patient ou la patiente à recourir à des techniques axées sur la conscience de l'ici-maintenant :
«J'ai été ébahi et passablement ravi de constater que je pouvais consulter ma [psycho] thérapeute ... et que dans le courant de la semaine elle discute de mon cas avec le médecin et le psychiatre et que, vous savez, tous se soucient à un certain niveau d'un certain élément»
(témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).
Entretien personnel des praticiens et praticiennes
La bonne alimentation, le repos suffisant, l'activité physique régulière et les moments de détente comptent parmi les ingrédients de l'entretien personnel, une pratique qui représente parfois un défipour bien des gens. L'entretien personnel risque de s'avérer encore plus difficile pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle qui ont appris à croire, pendant l'enfance, que leurs besoins étaient sans importance :
«Depuis trois ans, et pour la première fois de ma vie, je me soucie de mon bien-être physique. Avant je m'en foutais éperdument, car je me portais une très piètre estime personnelle (témoignage d'un »
homme ayant survécu à une agression sexuelle).
L'enseignement sanitaire mise beaucoup sur l'apprentissage, par observation, de la conscience de soi et de l'entretien personnel. Les patients et patientes qui éprouvent des difficultés sur ce plan peuvent apprendre en s'inspirant des praticiens et praticiennes qui veillent à leur propre santé et parviennent à fixer des limites appropriées.
Section 4.2 Sixième principe : respecter les limites
Les préceptes fondamentaux de l'entretien personnel des praticiens et praticiennes s'appuient sur le besoin d'exprimer la même compréhension et la même compassion envers soi qu'envers les patients et patientes. Tout clinicien ou toute clinicienne doit étoffer et exploiter un ensemble de stratégies de promotion et de maintien de la santé, tout particulièrement lors de rencontres stressantes, émotionnellement chargées, avec des patients et patientes. En outre, il ne faut jamais oublier que la capacité de traverser des situations difficiles fluctue sans cesse, même pour des praticiens et praticiennes d'expérience.
Pour discuter de leurs réactions à la divulgation de cas de violence sexuelle pendant l'enfance ou à d'autres situations pénibles vécues avec des patients ou patientes, les praticiens et praticiennes auront peut-être à demander l'appui d'un collègue ou d'une collègue ou d'un conseiller ou d'une conseillère. Pareil appui peut et doit s'obtenir sans trahir le secret professionnel. Loin de constituer une marque de faiblesse, la recherche d'appui témoigne d'un sérieux dans l'exercice des responsabilités professionnelles. Faire fide la détresse ou du malaise que l'on ressent, c'est s'exposer au risque de traumatisme secondaire dû au stress, aussi nommé « traumatisme transmis par personne interposée » ou « usure de compassion »108. Selon Charles Figley, directeur de l'institut de traumatologie de la Florida State University, les symptômes d'un traumatisme secondaire dû au stress s'apparent à ceux du syndrome de stress post-traumatique, « si ce n'est que le traumatisme subi par la victime de l'événement traumatisant devient 42p.11 tout aussi fort pour une deuxième personne » [traduction]. Les cliniciens et cliniciennes souffrant du syndrome de stress post-traumatique ou d'un traumatisme secondaire dû au stress sont sujets à la dépression, à l'anxiété, à la léthargie, à un excès de participation auprès des patients et patientes ainsi qu'à une peur indue de la violence personnelle et familiale. À moins que ces symptômes ne soient décelés et traités, les praticiens et praticiennes risquent de réagir en évitant les clients ou clientes violentés ou en leur faisant comprendre par inadvertance qu'ils ont commis une faute.
Les préceptes fondamentaux de l'entretien personnel des praticiens et des praticiennes s'appuient sur le besoin d'exprimer la même compréhension et la même compassion envers soi qu'envers les patients et patientes.
Praticiens et praticiennes de la santé ayant survécu à une agression sexuelle. Fait à retenir, il n'existe pas de cloison parfaitement étanche entre les groupes que constituent, respectivement, les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé et les personnes ayant survécu à une agression sexuelle pendant l'enfance. Ainsi, un certain pourcentage de cliniciens et de cliniciennes ont eux-mêmes survécu à des sévices sexuels infligés à un jeune âge94. Parfois, les praticiens et praticiennes ayant des antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance démontrent une empathie particulière à l'égard d'autres personnes ayant connu le même sort, surtout s'ils ont réussi à analyser et à panser leurs propres blessures. Par contre, le travail auprès des personnes ayant survécu à une agression sexuelle pourrait leur poser des défis particuliers s'ils traînent encore le poids des mauvais traitements subis pendant l'enfance22,108. Ainsi, il est possible que ce travail déclenche en eux de vives émotions. En outre, ces praticiens et praticiennes risquent d'éprouver des difficultés à gérer certaines limites et d'avoir, par voie de contre-transfert, des réactions préjudiciables à l'endroit de clients ou de clientes maltraités. Il est recommandé que ces individus analysent et essaient de comprendre leurs antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance afin d'éviter de confondre leurs propres ennuis à ceux de leurs patients et patientes.
Ressources communautaires à l'intention des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et des praticiens et praticiennes de la santé
Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle n'exigent certainement pas que les praticiens et praticiennes de la santé fassent tout pour tous. Cela dit, les praticiens et praticiennes peuvent jouer un rôle crucial pour aider leurs patients et patientes à repérer et utiliser des ressources et des services appropriés. Certains organismes centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, centres de femmes, centres de traitement à demeure pour toxicomanes, organismes communautaires de santé mentale et autres diffusent des renseignements auprès des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et auprès des praticiens et des praticiennes. Reconnaissant que bien souvent les organismes déjà établis ciblaient exclusivement les femmes, certaines collectivités se sont dotées d'organismes qui dispensent des services aux hommes ayant survécu à une agression sexuelle. De nombreux centres d'aide aux victimes de violence sexuelle peuvent offrir une formation spéciale ou un appui aux cliniciens et cliniciennes qui collaborent avec des personnes ayant survécu à une agression sexuelle pendant l'enfance. Certaines collectivités comptent des praticiens et des praticiennes qui possèdent des connaissances spécialisées en la matière et qui seraient disposés à consulter ou à encadrer d'autres pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé. Parfois, il y a aussi moyen d'obtenir des suggestions relatives aux autres ressources disponibles en communiquant avec des associations professionnelles ou des organismes de réglementation et d'attribution des permis.
Les praticiens et praticiennes peuvent jouer un rôle crucial en vue d'aider leurs patients et patientes à repérer et utiliser des ressources et des services appropriés.
La pose d'affiches bien en vue et la diffusion de brochures sur des programmes ou des organismes offrant des services aux victimes de violence attestent, auprès des patients et patientes, la conscience que possède le praticien ou la praticienne de la prévalence de la violence sexuelle, physique et psychologique ainsi que des répercussions néfastes à long terme qui y sont associées.
En s'informant sur les caractéristiques suivantes de chaque ressource, les praticiens et praticiennes pourront plus facilement juger de la pertinence d'y recommander des patients et patientes aux fins de counseling :
- le mandat de l'organisme et la nature des services qu'il dispense (p. ex., interventions d'urgence, counseling individuel, thérapie collective, groupes de soutien) ;
- les politiques de l'organisme en ce qui trait à la facturation des services (p. ex., nature des frais, possibilité de tarif dégressif, possibilité de paiement par une seconde partie régime de santé des travailleurs ou autre) ;
- le mode de prestation de services auquel peuvent s'attendre d'éventuels clients ou clientes ainsi que l'obligation de passer ou non par une liste d'attente.
La pose d'affiches bien en vue et la diffusion de brochures sur des programmes ou des organismes offrant des services aux victimes de violence interpersonnelle attestent, auprès des patients et patientes, la conscience que possède le praticien ou la praticienne de la prévalence de la violence sexuelle, physique et psychologique ainsi que des répercussions néfastes à long terme qui y sont associées. De tels outils devraient communiquer des renseignements sur :
- les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, les centres de femmes, les centres de traitement à demeure pour toxicomanes et les organismes communautaires de santé mentale ;
- les services d'aide téléphonique et les services d'écoute téléphonique pour la prévention du suicide ;
- les refuges pour femmes battues ;
- les unités mobiles d'intervention d'urgence.
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