ARCHIVÉ : Chapitre 8 : Manuel de pratique sensible à l'intention des professionnels de la santé : Leçons tirées des personnes qui ont été victimes de violence sexuelle durant l'enfance – Lignes directrices pour la pratique sensible : Divulgation

 

Lignes directrices pour la pratique sensible : divulgation

La divulgation : un défi pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle

«[Le choix de divulguer ou non] dépend du stade atteint dans ton cheminement. Parce qu'à certaines étapes tu ne veux pas que [les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé] sachent [que tu as survécu à une agression sexuelle]» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

L'exposé qui suit traite les personnes ayant survécu à une agression sexuelle comme un ensemble. Cependant, ces hommes et femmes forment un groupe qui n'est pas homogène. De fait, chaque membre du groupe se distingue tant par son individualité que son parcours et ses opinions. Au-delà de la décision de divulguer ou non leur expérience, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle disposent de capacités de se remémorer les mauvais traitements qui agissent de façon constante et déterminante sur le processus de divulgation, au même titre que le point franchi sur la voie menant au rétablissement. Par exemple, la plupart des participants et participantes du projet avaient un souvenir précis des violences infligées par leurs agresseurs ou agresseuses tandis qu'un plus petit nombre commençaient tout juste, à l'âge adulte, à renouer avec cette dimension de leur enfance. Certains, par ailleurs, avaient tenté de se convaincre et de convaincre leur entourage que les mauvais traitements n'avaient jamais eu lieu :

«J'ai simplement enterré la chose et fait comme si elle n'avait jamais existé ... [Je me suis] plus ou moins dit « non, non, comment cela pourrait-il influencer ma vie ? » Et ce n'est que l'an passé que j'ai vraiment commencé à comprendre tout l'effet que cela avait eu sur moi. À l'époque, il y a longtemps, je savais que c'était mal, mais je ne savais que cela aurait pu avoir de telles répercussions» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Par ailleurs, sans jamais effacer le souvenir des violences subies pendant l'enfance, certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont tardé à y voir de mauvais traitements, car elles croyaient que tel était le sort de tous les enfants. Seuls de nouveaux apprentissages, plus tard dans leur vie, ont incité ces hommes et ces femmes à réinterpréter leur expérience :

Ma prise de conscience de la violence sexuelle pendant l'enfance remonte à tout juste neuf ou dix ans. [Pas que] j'avais oublié les mauvais traitements à mon endroit, au contraire ! Mais je ne saisissais pas la dynamique qui les animait. J'y voyais une forme quelconque d'expérience sexuelle précoce et [me] disais « mais n'est-ce pas le lot de tout le monde ? » Puis un jour, j'ai découvert que tout le monde ne passait pas par là ! Un jour, la véritable dynamique m'est apparue d'un seul coup, et ce fut tout un choc (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Les participants et participantes des études ont décrit les facteurs ayant influencé leur décision de dévoiler leur secret à des praticiens et praticiennes de même que l'étendue des renseignements partagés avec ces derniers. Certains ont choisi de divulguer spontanément au début de leurs échanges alors que d'autres ont préféré attendre de se sentir à l'aise avec les cliniciens et cliniciennes. D'autres encore ont choisi de ne rien dire du tout.

Parmi les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, celles qui ont divulgué leur expérience spontanément (c.-à-d. autrement que pour répondre à une question posée par le praticien ou la praticienne) l'ont fait dans l'espoir que l'information aide leur interlocuteur ou leur interlocutrice à mieux les comprendre :

«[J'ai parlé pour que le clinicien ou la clinicienne] acquière une certaine connaissance des sentiments qui sont liés avec cet élément de l'examen physique ... la honte, le sentiment de culpabilité et les choses qui te trottent dans la tête, les flashbacks qui risquent de survenir en plein milieu de l'examen, le fait de ne plus vivre le moment présent » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Parmi les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, celles qui ont divulgué leur expérience spontanément l'ont fait dans l'espoir que l'information aide leur interlocuteur ou leur interlocutrice à bien les comprendre.

Pour bon nombre de personnes ayant survécu à une agression sexuelle, la divulgation est un processus. Certains individus souhaitent en finir d'un seul coup alors que d'autres préfèrent révéler leur parcours progressivement, au fil du temps souvent par souci d'exercer un contrôle sur la cadence et le moment auxquels s'effectue la divulgation :

«[La réaction du médecin ou de la médecin] m'a aidé, peu à peu, à divulguer certains de mes secrets les plus sombres. Cela m'a poussé à m'interroger encore davantage» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Enfin, soucieuses de ne pas avoir à divulguer à maintes reprises leurs antécédents, certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle abordent la question de façon proactive :

«J'en suis à un épisode de ma vie où ma perspective a changé [à propos de la divulgation]. Je veux que le mot « survivante » apparaisse sur ma fiche afin que [les cliniciens et cliniciennes] connaissent et reconnaissent mon désir de recevoir des soins sensibles. Ainsi, cela servira de rappel pour [tout nouvel employé ou toute nouvelle employée de la pratique] qui me croise. D'autres personnes ayant survécu à une agression sexuelle pourraient ne pas faire ce choix, mais je crois qu'il serait merveilleux de ne pas avoir à divulguer mon expérience chaque fois que je rencontre [un nouveau praticien ou une nouvelle praticienne]» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

L'hésitation à divulguer pourrait être liée : (a) aux sentiments que se portent les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ; (b) aux pressions exercées par les parents et parentes, amis ou amies et agresseurs ou agresseuses pour qu'elles gardent le silence ; (c) à la crainte de réactions négatives ; et/ou (d) au sentiment que les praticiens et praticiennes manquent de temps pour écouter ou semblent ignorer les effets à long terme que risque d'avoir la violence sur la santé.

Parmi les participants et les participantes consultés, bon nombre ont expliqué que leur propre sentiment de honte et de culpabilité avait façonné leurs attitudes à l'égard de la divulgation :

«Il y a beaucoup de honte associée [au fait d'avoir été victimisé et] ... à la divulgation de cette situation» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

D'autres ont évoqué leur sentiment de vulnérabilité au moment de la divulgation :

«À chaque divulgation, tu t'exposes» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Les expériences passées en matière de divulgation pèsent grandement sur la décision des personnes ayant survécu à une agression sexuelle de révéler leurs antécédents. Certaines personnes ont dit hésiter à briser le silence par crainte d'une réaction négative, tout particulièrement le rejet :

«J'hésite vraiment beaucoup à en parler autour de moi, surtout ... [à des praticiens ou praticiennes de la santé]. Je ne veux pas évoquer mon histoire ou commencer à la raconter pour ensuite me faire rejeter. Car il n'y a rien de pire. Car alors je me referme et je ... mes maux de tête s'aggraveront sans doute, comme tout le reste » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.258,163p.94.

D'autres personnes ont dit craindre d'être jugées ou blâmées à la suite de mauvais traitements :

«J'ai consulté [un praticien ou une praticienne] ... qui a réagi de façon insensible, me demandant « comment avez-vous pu laisser pareille chose se produire ? » Sur le coup, j'ai eu le sentiment d'être victimisée de nouveau et de porter tout l'odieux des événements. Cela m'a vraiment beaucoup affectée» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Plus que les femmes, les hommes ayant survécu à une agression sexuelle ont dit redouter que la divulgation de sévices passés pousse le clinicien ou la clinicienne à voir en eux des agresseurs :

«J'ai appelé à l'hôpital pour discuter de violence sexuelle. Ils ont cru que j'étais un agresseur et m'ont renvoyé au centre pour victimes d'agressions sexuelles en milieu familial » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Les hommes et femmes ayant survécu à une agression sexuelle commise par une femme ont dit craindre qu'on ne croie pas leur récit :

«Les femmes ayant survécu à une agression sexuelle commise par une autre femme ... se heurtent à l'incrédulité concernant la probabilité que surviennent ces types de sévices » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

«Dans le cas de mauvais traitements infligés par une femme, on nous répond « eh bien, ne croyez- vous pas qu'il s'agissait plutôt d'accompagnement affectif ? »» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Enfin, de l'avis tant des personnes ayant survécu à une agression sexuelle que des praticiens ou praticiennes de la santé consultés dans le cadre du projet, le manque de temps qui semble affliger les praticiens et praticiennes constitue un énorme obstacle à la divulgation :

«J'avais près de soixante ans quand j'ai commencé [à m'attarder aux questions de violence sexuelle]. Auparavant, j'avais franchi un très long chemin [en psychothérapie] ... Il s'agit donc d'enjeux profonds. Autrement dit, la question est fondamentale, et il est difficile de la considérer en fonction d'échanges de quinze minutes [avec un clinicien ou une clinicienne] » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Possibles indicateurs de sévices passés

Aucun indicateur ou groupe de symptômes et/ou de comportements ne suffit à fournir la preuve de sévices passés. Par contre, on compte un nombre croissant de recherches qui décrivent le lien existant entre les événements indésirables pendant l'enfance et certains comportements et/ ou expériences survenant plus tard dans la vie. Parmi ces derniers, notons :

  • l'évitement généralisé des praticiens et praticiennes de la santé et/ou des organismes de santé ;
  • l'annulation répétée de rendez-vous ;
  • le report répété d'examens physiques ;
  • le piètre respect des recommandations formulées par les médecins ;
  • les douleurs chroniques inexpliquées (p. ex., maux de tête et douleurs pelviennes, dorsales ou musculaires) ;
  • les symptômes ou troubles gastro- intestinaux inexpliqués ;
  • les troubles de l'alimentation, l'obésité ou les fluctuations marquées du poids ;
  • les troubles du sommeil (insomnie ou hypersomnie) ;
  • les troubles sexuels (p. ex., évitement, multiplication des partenaires sexuels, pratiques sexuelles à risque) ;
  • la consommation d'alcool et de drogues à mauvais escient ;
  • la déociatifs (passages à vide ou longs silences).

Section 2.5 Effets sur la santé de la violence sexuelle à l'endroit d'enfants

Un clinicien ou une clinicienne qui décèle la multiplication ou l'agencement de certains symptômes et comportements chez un patient ou une patiente et qui remarque que la personne fournit des renseignements incomplets ou discordants devrait y voir la marque possible d'antécédents de violence ou de mauvais traitements.

Un clinicien ou une clinicienne qui décèle la multiplication ou l'agencement de ces symptômes et comportements chez un patient ou une patiente et qui remarque que la personne fournit des renseignements incomplets ou discordants devrait y voir la marque possible d'antécédents de violence ou de mauvais traitements :

«Mais je demandais [aux praticiens et praticiennes] de pousser d'un cran, de [discuter] ... avec les hommes, surtout ceux souffrant de toxicomanie, de troubles de l'alimentation ou du sommeil, de dépression bref, de tout ce qui touche les émotions, les problèmes émotionnels ou les questions de santé mentale. Selon moi, il est important que ces [cliniciens et cliniciennes] ... reçoivent une formation leur permettant ... de reconnaître [les comportements susceptibles d'être liés à des sévices passés] et soient au fait des symptômes réels» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle) .158

Bien qu'ils laissent manifestement entendre que la personne ait pu souffrir de mauvais traitements ou d'un trauma psychologique, de tels indicateurs risquent aussi d'être le produit d'autres facteurs ce dont les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé doivent absolument être conscients. Les mauvais traitements ne sont pas toujours la cause des comportements observés. Il n'en demeure pas moins indispensable de s'informer de possibles antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance.

Les antécédents de santé d'un client ou d'une cliente devraient considérer la violence et les sévices passés sous tous leurs rapports.

Demandes de renseignements sur les sévices passés

Les preuves de l'existence d'un lien entre la violence ou les mauvais traitements, d'une part, et les ennuis de santé, d'autre part, se multiplient. S'ajoutent à ces preuves les études réalisées dans le cadre du projet, qui illustrent tout l'éventail des répercussions nocives que peuvent avoir les violences passées sur les échanges entre praticiens ou praticiennes et personnes ayant survécu à une agression sexuelle. En conséquence, toute collecte de renseignements sur les antécédents de santé d'un client ou d'une cliente devrait considérer la violence et les sévices passés sous tous leurs rapports :

«Selon moi, il importe, au moment d'établir les antécédents médicaux, que [les praticiens et praticiennes de la santé] posent des questions sur les mauvais traitements, surtout s'il s'agit d'une femme. De plus, une personne qui prétend s'attaquer à la douleur des femmes et qui ne s'enquiert pas de la place de la violence dans la vie d'une femme ne fait pas son travail. Ces convictions sont très fortes chez moi» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)163p.93.

Section 2.5 Effets sur la santé de la violence sexuelle à l'endroit d'enfants

En demandant systématiquement aux clients et clientes s'ils ont des antécédents de violence et de mauvais traitements, les praticiens et praticiennes donnent une occasion de divulgation aux personnes qui choisissent de partager leur expérience en ces matières. En procédant de la sorte, les praticiens et praticiennes : (a) démontrent une connaissance du lien qui existe entre la violence interpersonnelle et la santé ; (b) rompent le silence préjudiciable dans lequel s'enveloppent la violence et les mauvais traitements ; (c) indiquent qu'ils reconnaissent la violence interpersonnelle en tant qu'enjeu de santé ; et (d) valident les expériences vécues par leurs patients et patientes. S'informer des antécédents de violence favorise également la prestation de meilleurs de soins de santé et contribue à prévenir ou à atténuer la réitération des traumatismes qui survient souvent en milieu de santé.

Certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle souhaiteraient divulguer leurs antécédents, mais ne peuvent le faire seules, car le sujet leur est trop pénible. Pour elles, l'initiative des praticiens et praticiennes qui s'enquièrent de la question constitue un véritable soulagement :

«J'ai été vivement soulagé d'entendre le médecin me demander « avez-vous déjà subi des violences par le passé ? »» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Je profite de l'interrogatoire pour cultiver de bons rapports avec le patient ou la patiente. À cette étape, la personne qui se sent écoutée et soignée décide souvent de révéler son secret concernant la violence sexuelle pendant l'enfance.

- Un praticien ou une praticienne de la santé -

Par ailleurs, pour les patients et patientes ayant survécu à une agression sexuelle, les demandes de renseignements sur les sévices passés constituent parfois le point de départ d'une démarche propice à la création d'un réseau d'entraide. Certains de ces clients et clientes sont aux prises avec des ennuis de santé chroniques, liés à la violence envers les enfants, qui se traduisent par des hauts et des bas sur le plan de santé. Ainsi, ils connaissent des périodes où leur santé est passablement bonne et d'autres où leurs symptômes s'aggravent (p. ex., douleur, anxiété ou dépression). L'évaluation de ce cycle lors de l'établissement systématique des antécédents de santé permet aux praticiens et praticiennes de développer une collaboration proactive avec ces personnes, au moment où elles sont assez bien portantes, en vue de l'instauration de services adéquats d'appui à la santé. Par contre, si les cliniciens ou cliniciennes prennent initialement connaissance des sévices passés en période de crise, il leur sera peut-être plus difficile d'agir efficacement :

«Si nous soulevons soudainement la question après l'avoir tue pendant des années, il sera difficile de s'adapter au déferlement de réactions qui s'ensuivra» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

D'affirmer l'un des praticiens ou l'une des praticiennes consultés :

«La plupart des patients et patientes qui consultent un chiropraticien ou une chiropraticienne le font en raison de douleurs (cervicalgies, douleurs lombaires ou maux de tête). Lors de l'interrogatoire, je demande s'ils sont en mesure de cerner des facteurs aggravants. Parfois j'obtiens comme réponse le stress. Dans d'autres cas, je demande à la personne de m'indiquer si le stress ou les perturbations affectives pouvaient aggraver ses symptômes. Si elle répond par l'affirmative, je m'enquiers des principales sources de stress (« votre stress provient-il de votre vie de famille, de votre travail, de vos études, de votre situation financière, de problèmes liés à vos proches, et ainsi de suite »). Si le patient ou la patiente confirme que le stress constitue un facteur tout en réussissant à identifier les principaux éléments déclencheurs de réactions de stress, alors je demande si la personne dispose d'un bon système d'entraide (« vous confiez- vous à des amis ou amies, à des êtres chers ou à d'autres membres de votre famille ? »). Ensuite, je lui demande de faire état de son utilisation du réseau d'entraide. À cette étape, bien des individus donnent des réponses comme « je n'utilise pas le réseau autant que je le devrais » ou « j'utilise le réseau, mais je crois que les gens en ont assez de m'écouter ». Je peux alors intervenir en expliquant à la personne que j'entretiens un solide réseau de collègues à qui recommander des patients et patientes, ajoutant qu'elle aurait peut-être avantage à consulter un conseiller ou une conseillère. Je ne demande pas nécessairement de détails relatifs au stress, mais même s'ils le savent déjà, de nombreux patients ou patientes choisissent spontanément de divulguer leurs expériences ... Bref, je profite de l'interrogatoire pour cultiver de bons rapports avec le patient ou la patiente. À cette étape, la personne qui se sent écoutée et soignée décide souvent de révéler son secret concernant la violence sexuelle pendant l'enfance. Tout au long de leur visite, les patients et patientes contrôlent le déroulement de toutes les activités, et je le leur rappelle sans cesse en vue de les rassurer. Le contact s'établit lors de l'interrogatoire et s'approfondit au fil de l'examen et des traitements. »

Conformément aux constats formulés par d'autres chercheurs et chercheuses, les études réalisées dans le cadre du projet montrent clairement que les praticiens et praticiennes de la santé sont tenus, sur le plan professionnel et déontologique, de demander des renseignements sur la violence et les mauvais traitements. Il importe cependant d'inscrire cette affirmation dans l'actuel débat concernant les preuves permettant de justifier le dépistage de la violence interpersonnelle et la cueillette de données afférentes. Force est de reconnaître aussi que les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ne souhaitent pas toutes être interrogées à propos de leurs sévices passés et pourraient fort bien choisir de ne rien divulguer :

«Si je voulais lui dire, je le ferais. Ça ne le regarde pas» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

Pour maints praticiens et praticiennes, les attitudes constituent le point de départ de la formulation systématique de demandes de renseignements sur la violence interpersonnelle.

Tant que les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé respectent la volonté des personnes ayant survécu à une agression sexuelle qui préfèrent ne pas divulguer leurs antécédents de mauvais traitements, il n'y a rien de mal à demander des renseignements sur le sujet. Le Family Violence Prevention Fund Research Committee entérine ce point de vue en affirmant : « Nous n'avons connaissance d'aucune étude qui donne à penser que l'évaluation et/ou les interventions [en matière de violence familiale ou de violence exercée par le partenaire intime] en milieu de santé soient préjudiciables aux patients ou patientes »56p.5 [traduction]. Comme l'explique une personne ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet :

«Je ne sais pas s'il est préjudiciable de demander des renseignements. Je dirais qu'une personne en déni ou qui ne sait trop si l'on compte dévoiler ses secrets choisira sans doute de ne rien dire. À tout le moins, elle aurait l'occasion de rétorquer « mais de quoi parlez-vous ? » ou de ne laisser filtrer que quelques éléments d'information ... Si je ne suis pas prêt à en parler, je vais simplement passer mon tour et répondre que je ne suis au courant de rien » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Annexe I Le débat concernant les preuves relatives aux demandes de renseignements sur la violence interpersonnelle

Pour maints praticiens et praticiennes, les attitudes constituent le point de départ de la formulation systématique de demandes de renseignements sur la violence interpersonnelle. En cette matière, des recherches ont révélé l'existence d'obstacles tels que : (a) la méconnaissance du sujet et le manque de formation quant à la façon de poser des questions pertinentes43,80 ; (b) les contraintes de temps et les carences sur le plan de la protection de la vie privée54 ; (c) la conviction que les sévices passés ne posent aucun problème pour les patients et patientes ; et (d) le sentiment de frustration suscité par l'incapacité d'aider les victimes118. L'expérience personnelle du clinicien ou de la clinicienne à l'égard de la violence risque également d'agir sur son refus d'aborder le sujet avec les patients et patientes109. Cela dit, les demandes systématiques à propos de la violence interpersonnelle n'en demeurent pas moins fondamentales pour la pratique sensible :

«Incontestablement, [les praticiens et praticiennes] comprennent que cela fait partie de moi, qu'il faut le reconnaître et que la stratégie à adopter pour me soigner s'en trouve modifiée» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Les hommes et les femmes ayant pris part au projet ont décrit un ensemble de facteurs qui pourraient s'avérer propices à la divulgation. Ainsi ces personnes sont à l'affût de signaux attestant que le clinicien ou la clinicienne connaît les effets de la violence interpersonnelle, y compris des affiches ou brochures à l'intention des deux sexes, posées ou laissées bien en vue dans les salles d'attente, les salles de bain et les salles d'examen. En outre, il importe aux personnes ayant survécu à une agression sexuelle de se sentir en sécurité et de pouvoir faire confiance à leurs praticiens ou praticiennes :

«Dès le début, mon médecin m'a mis à l'aise, et j'ai reconnu en lui une personne à qui parler. Je suis marié depuis vingt-huit ans et je n'ai jamais réussi à révéler mon secret à mon épouse, mais à lui, je l'ai dit. J'ai beaucoup cheminé sur la voie du rétablissement, mais je ne sais si cela aurait été possible sans cette oreille bienveillante» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

«Il y avait [un praticien ou une praticienne en particulier] qui faisait preuve d'une telle gentillesse ! ... Je n'aurais certainement eu aucun mal à partager avec cette personne, vous savez, mon expérience, les choses qui me sont arrivées» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont fait valoir l'importance du secret professionnel dans leur décision de divulguer ou non leurs antécédents :

«Sans doute que le principal enjeu a trait ... au secret professionnel. [Je dois savoir] si d'autres personnes sont mises au courant ... et ce qu'on va faire avec l'information» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Il existe des lignes directrices et des recommandations visant les demandes de renseignements sur la violence ou les sévices passésp. ex.,4,5,10. Publiés par des associations professionnelles et des organismes de réglementation et d'attribution des permis, ces textes, pour la plupart, omettent d'aborder précisément la façon de considérer la tâche. Comme l'observent les gastro-entérologues Alexandra Ilnyckyj et Charles Bernstein88, cette absence de spécificité contribue au retard qu'accuse l'intégration concrète de telles demandes aux méthodes courantes de prestation des soins de santé, même là où les pourvoyeurs et pourvoyeuses croient en la pertinence des renseignements pour le patient ou la patiente.

La relation thérapeutique et l'établissement de santé sont deux facteurs de la plus haute importance lorsqu'il s'agit de demandes de renseignements sur les sévices passés. Les directives cliniques de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada constituent un précieux aide-mémoire pour les cliniciens et cliniciennes en ce qui touche la relation thérapeutique. On y lit « [qu'il] existe plusieurs questionnaires validés pour la recherche de renseignements au sujet de la [violence exercée par le partenaire intime] ; cependant, la nature de la relation médecin- patiente [ou médecine-patiente] et la façon dont les questions sont posées semblent être plus importantes que l'outil de dépistage utilisé152. » En ce qui concerne l'établissement, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet ont fait valoir que les milieux propices à la protection de la vie privée et où l'on trouve des renseignements accessibles et bien en vue (p. ex., affiches ou brochures) véhiculaient l'image de praticiens et de praticiennes qui connaissent le lien existant entre violence interpersonnelle et santé.

Demandes verbales. Il n'existe pas de méthode universelle pour s'enquérir des antécédents d'une personne en ce qui touche les mauvais traitements subis pendant l'enfance. Les méthodes directes procurent un soulagement à certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle, mais peuvent paraître intrusives à d'autres. Afin de situer le contexte et d'établir le bien-fondé de la démarche, il est utile de présenter les questions d'une façon qui souligne le lien entre les sévices passés et la santé ou la prestation de soins. Les praticiens et praticiennes pourraient s'inspirer des énoncés suivants pour formuler d'éventuelles introductions aux demandes de renseignements sur les antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance :

  • « La recherche nous apprend que la violence sexuelle à l'endroit de filles et de garçons est beaucoup plus répandue qu'on ne l'a déjà cru. Nous savons aussi que cette violence risque d'avoir des effets à long terme sur la santé. »
  • « Y a-t-il, dans votre passé, des événements qui vous posent des difficultés au moment de subir un examen physique ou de consulter un praticien ou une praticienne ? Si oui, je désire en prendre connaissance afin que nous puissions collaborer plus aisément. »
  • « Certaines femmes (ou certains hommes) souhaiteraient aborder des sujets très intimes ou délicats avec leur pourvoyeur ou pourvoyeuse de soins de santé. Si tel est votre cas, je suis à votre écoute. »

De tels énoncés et de telles questions ouvrent la porte à une divulgation qui pourrait survenir sur-le-champ ou à un moment ultérieur. Si la personne hésite ou semble vouloir répondre à contrec ur, le clinicien ou la clinicienne pourrait renchérir efficacement au moyen d'une formule comme celle-ci :

  • « Je sais qu'il est parfois difficile d'aborder ces sujets. Il importe de poser la question, car plus que jamais les preuves démontrent que la violence et les mauvais traitements altèrent la santé humaine et compliquent les échanges avec les praticiens et praticiennes de la santé. Rien ne vous oblige à m'en parler. Si vous voulez le faire, il me fera plaisir de collaborer. Ensemble, nous veillerons à ce que vous soyez à l'aise lors de nos rencontres et receviez tout l'appui et toute l'aide dont vous avez besoin. »

Il n'existe pas de méthode universelle pour s'enquérir des antécédents d'une personne en ce qui touche les mauvais traitements subis pendant l'enfance.

Peu importe la formulation des questions, la décision de divulguer dépend de la confiance qu'inspire le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé comme l'ont fait remarquer les participants et participantes consultés dans le cadre du projet :

«Un jour [un praticien ou une praticienne] m'a demandé « avez-vous, pendant votre enfance ou plus récemment, subi un trauma qui pourrait provoquer ces symptômes ? » J'ai immédiatement pensé « fort bien, je peux en parler, je n'essuierai aucun rejet » » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

La stratégie la plus prudente pour les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé consisterait à toujours recourir aux deux méthodes (écrite et verbale) en vue de s'enquérir des antécédents de santé.

Selon certains hommes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet, il est parfois difficile de cerner le renseignement demandé par les cliniciens et cliniciennes. Ainsi, une question comme « avez-vous des antécédents en matière de violence sexuelle ? » pourrait porter soit sur les sévices sexuels subis par le patient, soit sur les sévices commis par ce dernier. Par conséquent, les praticiens et praticiennes de la santé qui interrogent un homme devraient clairement demander s'il a été la victime de mauvais traitements par le passé.

Lors des consultations relatives au projet, la plupart des hommes ou des femmes ayant survécu à une agression sexuelle ont déclaré ne pas vouloir aborder les détails de cette agression avec les praticiens et praticiennes:

«À la suite d'une divulgation, certaines personnes tentent d'arracher d'autres renseignements. Pareille atteinte à la vie privée est inacceptable» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Demandes écrites. Les personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet ne sont pas toutes du même avis quant au bien- fondé des demandes écrites et verbales. Celles qui prônent le recours aux questionnaires écrits jugent ces derniers moins intimidants que les demandes verbales. Les autres préfèrent la méthode verbale parce qu'elle se prête à une conversation continue. À la lumière des préférences exprimées par les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, la stratégie la plus prudente pour les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé consisterait à toujours recourir aux deux méthodes (écrite et verbale) en vue de s'enquérir des antécédents de santé, attendu cependant que les patients et patientes pourraient choisir de ne rien divulguer.

Comment réagir efficacement en cas de divulgation

«En premier lieu, il importe vraiment de dire [aux personnes ayant survécu à une agression sexuelle] ... que vous les croyez, car vous serez peut-être les premiers à recevoir leurs confidences. De plus, il est très important de les accueillir comme individus. [Par exemple,] peu importe vos propres opinions, vous pouvez dire « ça me désole d'apprendre cela »» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.258,163p.95.

Lorsqu'une personne ayant survécu à une agression sexuelle choisit de divulguer son expérience, il est capital de lui faire savoir qu'elle a été entendue et crue. Sans égard à l'importance du suivi (sujet dont traite la prochaine section), la réaction verbale et non verbale du praticien ou de la praticienne est susceptible d'avoir d'énormes répercussions sur la personne.

Accepter l'information. La personne doit savoir que le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé entend ses propos, accepte l'information et soutient l'idée que les enfants ne peuvent être tenus responsables de mauvais traitements dont ils sont victimes :

«Il a d'abord réagi en prenant acte de mes propos et, vous savez, en montrant l'image d'une bienveillance sincère. Il semblait vouloir me suivre sans rien refuser. Pas de conseils, pas de consignes. Rien d'autre qu'une sorte d'accompagnement progressif, vous savez ? Et j'ai trouvé cela excellent» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

D'ordinaire, une personne ayant survécu à une agression sexuelle qui divulgue ses antécédents de mauvais traitements le fait dans l'espoir d'en tirer un résultat positif. Si le praticien ou la praticienne ne réagit pas, la personne pourrait percevoir ce silence comme un signe de désintérêt et être tentée de ne plus jamais en parler. En outre, la personne risque de cesser de consulter ce praticien ou cette praticienne, voire d'éviter désormais toute forme de service de santé :

«J'ai fait état de mes antécédents de violence [à la pourvoyeuse de soins de santé]. Elle [n'en] a pas pris acte ... Elle a simplement continué de travailler ... Holà ! Si quelqu'un te dit une telle chose, il faut en prendre acte. Sans quoi j'en déduis que la chose n'est pas valide, n'a aucune importance, ne nous concerne en rien » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle) .163p.95

Témoigner de l'empathie et de la compassion. La personne ayant survécu à une agression sexuelle doit aussi savoir que le praticien ou la praticienne se soucie d'elle. De simples témoignages d'empathie et de sollicitude peuvent attester la compassion et l'intérêt portés à la personne :

«Il m'a simplement regardé et dit, vous savez, je suis vraiment désolé d'apprendre ce qui vous est arrivé. Il n'aurait pu trouver meilleurs mots » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)158.

«J'ai souvenir qu'elle m'ait procuré du réconfort, sans doute par ses paroles. Elle a sans doute dit « vous pouvez vous laisser aller à pleurer ». Peut-être m'a-t-elle frotté le bras. Je l'entends encore me dire qu'elle allait me donner un numéro où je trouverais une oreille compatissante, ce qu'elle a d'ailleurs fait. Elle a traité la chose de façon très professionnelle » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Préciser la question du secret professionnel. Pour bon nombre de personnes ayant survécu à une agression sexuelle, le maintien du secret professionnel est un enjeu crucial. Le praticien ou la praticienne qui prend acte de la divulgation faite par un patient ou une patiente doit aviser cette personne de l'étendue du secret professionnel à prévoir, et ce, peu importe que la question ait été abordée ou non auparavant. Par exemple, le clinicien ou la clinicienne pourrait commencer par dire « parce que vous êtes d'âge adulte, je n'ai aucune obligation juridique de signaler le cas à la police ou à une agence de protection de l'enfance », puis enchaîner par « il me semble important d'ajouter à votre fiche une note concernant votre expérience pendant l'enfance. Accepteriez-vous que je le fasse ? »

Section 8.7 Questions d'ordre juridique et questions relatives à la tenue de dossiers

«La phrase qui compte le plus, c'est « quoique vous me disiez, cela restera confidentiel ». Car le secret professionnel revêt une énorme importance» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Reconnaître la prévalence de la violence. Dans bien des cas, en ce qui concerne les sévices subis, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle se sentent seules et très isolées, ce qui ne surprend guère. En démontrant sa conscience de la prévalence et des effets à long terme de la violence sexuelle pendant l'enfance, le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé contribue à normaliser l'expérience du patient maltraité ou de la patiente maltraitée, voire à apaiser sa honte. Par exemple, le clinicien ou la clinicienne pourrait dire « nous savons que jusqu'à une femme sur trois et un homme sur sept auraient survécu à une agression sexuelle pendant l'enfance. Quelle tristesse de voir une telle souffrance imposée à tous ces enfants ! »

Le praticien ou la praticienne de la santé doit valider le courage qu'il a fallu à la personne pour divulguer son expérience et lui faire comprendre que le récit a été cru.

Valider la divulgation. Le praticien ou la praticienne de la santé doit valider le courage qu'il a fallu à la personne pour divulguer son expérience et lui faire comprendre que le récit a été cru. Il importe de reconnaître les marques visibles de détresse (p. ex., « je vois que cela vous fait souffrir [vous stresse, vous perturbe] en ce moment ; comment puis-je vous aider ? » ou « ne vous en faites pas s'il faut plus d'une visite pour procéder à l'examen complet »). Au même titre que le silence ou les jugements catégoriques, le refus de valider l'expérience risque d'attiser la honte que ressent la personne et d'alimenter ses réserves concernant la divulgation future des antécédents de violence sexuelle :

«[Il est important] de valider l'expérience ... car [ce n'est facile] de garder un tel secret pendant vingt ans, puis de le révéler et commencer à en parler pour ensuite reconnaître, dans le regard des autres, des signes qui semblent trahir leur incrédulité. En ton for intérieur, tu commences alors à te tracasser ... Et si j'étais cinglé ? Et si rien de tout cela ne s'était produit ? Et si les événements s'étaient déroulés tout autrement ? T'es censé être un homme ! Ce n'était pas si grave ! Tu dois simplement te débarrasser de cette histoire, non ? Et poursuivre ta route » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle)166p.510.

Aborder les contraintes de temps. Les contraintes de temps comptent parmi les principales entraves à la divulgation. Si le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé n'a que quelques minutes à consacrer à un patient ou une patiente qui vient de divulguer ses antécédents de violence, il importe de présenter cette contrainte d'une façon qui n'éveille pas, chez la personne, le sentiment de se faire écarter ou d'avoir commis une erreur en révélant son expérience (p. ex., « je vous remercie de m'avoir dit que vous aviez subi de mauvais traitements. J'imagine à quel point votre expérience a pu être difficile. Un autre patient m'attend. Que diriez-vous de prendre un rendez-vous plus long, plus tard cette semaine ? »).

Section 4.2 Deuxième principe : prendre le temps

Section 6.5 La question du temps

Section 8.5 Mesures supplémentaires à prendre au moment de la divulgation ou au fil du temps

Section 8.6 Réactions à éviter à la suite d'une divulgation

Rassurer la personne. Parce qu'elles révèlent des renseignements très intimes, les personnes qui divulguent leurs expériences risquent de se sentir vulnérables et exposées, tant au moment de la divulgation que lors de rencontres futures avec le praticien ou la praticienne à qui elles ont fait des confidences. Afin de minimiser ce sentiment de vulnérabilité tout en rassurant la personne, le praticien ou la praticienne peut saluer le courage qu'exige le dévoilement des sévices passés et garantir que ces renseignements s'avéreront précieux en vue de la prestation de soins de santé appropriés.

Collaborer à l'élaboration d'un programme immédiat d'entretien personnel. Certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle et participé au projet ont raconté que, pour elles, la divulgation avait eu pour effet immédiat d'éveiller des sentiments troublants ou de provoquer des flashbacks liés aux sévices passés :

«J'ai été victime de nouveaux éléments déclencheurs, et les flashbacks se sont multipliés [après la divulgation de la violence] » (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

En révélant ses antécédents de violence, la personne ayant survécu à une agression sexuelle ne souhaite peut-être qu'informer le clinicien ou la clinicienne, sans autre attente immédiate qu'un accompagnement de sa part.

En conséquence, le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé devrait d'abord mettre en garde la personne qui vient de divulguer ses expériences contre de telles réactions, puis collaborer avec elle à la mise au point d'un programme précis axé sur l'entretien personnel (p. ex., « parfois, le simple fait de parler des violences passées éveille des souvenirs troublants ; que vous pourriez faire pour vous soigner si cela devait se produire ? »). Lors de la mise au point de ce programme, le clinicien ou la clinicienne devrait inciter le patient ou la patiente à faire ce qui suit :

  • prévoir des activités et des stratégies d'adaptation reconnues pour leurs bons résultats par le passé (parce que aptes à soutenir la personne, à la rassurer ou à lui faciliter la gestion d'émotions stressantes) ;
  • miser sur la précision et le réalisme et inclure des éléments dont la mise en oeuvre est facile, même dans des moments de détresse faute d'ambition, un programme vague (p. ex., ne pas se fatiguer pour quelques jours) risque de ne pas donner lieu à des activités notables ; par contre, un programme ciblé (p. ex., appeler une personne-ressource particulière ou entreprendre une activité bien définie comme aller au gymnase, méditer, prier, remplir un journal de bord ou participer à la réunion d'un groupe d'entraide) fournit une orientation claire à la personne violentée ;
  • réfléchir aux mesures à prendre en cas d'échec des stratégies d'adaptation habituelle (p. ex., consulter un service téléphonique d'assistance-santé, appeler une ligne d'écoute ou se présenter au service des urgences de l'hôpital de la localité) étape particulièrement importante si la personne a souffert de dépression ou commis des actes autodestructeurs par le passé.

Reconnaître qu'il n'est pas toujours nécessaire d'agir. Étant portés à identifier des problèmes, les praticiens et praticiennes de la santé risquent de réagir à la divulgation comme s'il s'agissait d'un problème nécessitant une action ou une solution immédiate. En révélant ses antécédents de violence, la personne ayant survécu à une agression sexuelle ne souhaite peut-être qu'informer le clinicien ou la clinicienne, sans autre attente immédiate qu'un accompagnement de sa part. Il est important de s'enquérir de la volonté du patient ou de la patiente de voir le clinicien ou la clinicienne agir à la suite de la divulgation. Cela dit, il vaut sans doute mieux convenir d'un autre moment pour discuter avec la personne des gestes qu'elle souhaiterait voir le praticien ou la praticienne poser, le cas échéant.

Section 8.5 Mesures supplémentaires à prendre au moment de la divulgation ou au fil du temps

Demander à la personne s'il s'agit de sa première divulgation. En plus de réagir comme indiqué ci-dessus, le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé peut demander au patient ou à la patiente s'il s'agit de sa première divulgation (p. ex., « avez-vous déjà discuté de ceci avec quelqu'un d'autre ? »). Ainsi, le praticien ou la praticienne pourra évaluer si la personne a déjà pris des mesures pour panser les plaies laissées par les mauvais traitements. La suite de la démarche variera selon la réponse obtenue par exemple, « non, je n'en avais jamais parlé à qui que ce soit avant » ou « eh bien, mon conseiller ou ma conseillère est au courant et a suggéré que je vous en parle ». En outre, le clinicien ou la clinicienne pourra vraisemblablement prendre connaissance des besoins éventuels de la personne ainsi que des ressources dont elle dispose pour l'appuyer dans son cheminement.

Mesures supplémentaires à prendre au moment de la divulgation ou au fil du temps

Que ce soit sur-le-champ ou lors de la rencontre suivante, le pourvoyeur ou la pourvoyeuse de soins de santé devrait tenter de comprendre les motifs de la divulgation et déterminer si le patient ou la patiente s'attend à une action quelconque de sa part dans la foulée de cette révélation. En outre, il importe de clarifier les attentes générales du client ou de la cliente à l'égard du clinicien ou de la clinicienne ainsi que d'explorer les répercussions que pourrait avoir la divulgation sur la prestation des soins de santé. Les questions à cette fin devraient être formulées d'une façon qui manifeste un soutien sans équivoque à l'égard de la décision du patient ou de la patiente de divulguer ses sévices passés. Elles pourraient également servir d'amorce à un dialogue axé sur les mesures susceptibles de mettre la personne à l'aise et de maximiser son sentiment de sécurité. De telles discussions demanderont vraisemblablement un certain temps et occuperont peut-être quelques rencontres ; cependant, les renseignements ainsi obtenus serviront d'assise pour les échanges subséquents :

«À mon arrivée, [le clinicien] a dit « je me suis renseigné sur votre état, et voici ce que nous allons faire » ... « nous allons mettre au point un système, d'accord, pour que je puisse savoir si vous éprouvez des difficultés et s'il vous faut interrompre le travail »» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Par exemple, le praticien ou la praticienne pourrait dire « ces renseignements m'aideront à mieux vous soigner ; pourrions-nous discuter des mesures susceptibles de vous mettre à l'aise lors de nos rendez-vous ? » ou « y a-t-il quelque chose que je puisse faire différemment ? ». Le dialogue résultant mènera peut-être à la divulgation d'éléments spécifiques à la tâche, du fait que le patient ou la patiente se sente peu à peu libre de verbaliser ses besoins ou d'exprimer ses préférences. Tout obstacle mis au jour inspirera le clinicien ou la clinicienne à apporter de nouveaux changements aux soins continus dispensés au client ou à la cliente. Cependant, quels que soient les résultats obtenus, le praticien ou la praticienne devra se garder de croire que les enjeux ont tous été abordés au terme d'une ou deux discussions. Au contraire, chaque échange devra donner lieu à une vérification auprès de la personne ainsi qu'à de fréquents appels de rétroaction :

«[Le praticien ou la praticienne pourrait dire] « communiquez simplement [vos besoins] : je suis à l'écoute. Je sais que vous avez subi [ces mauvais traitements], et s'il vous faut en parler ou si vous avez des questions [n'hésitez pas à dialoguer avec moi] »» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

«[Après que je lui ai dit que] j'avais survécu à une agression sexuelle ... il me demandait sans cesse si j'étais à l'aise avec quoi que ce soit ... La communication occupait une place plus [grande] » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle nourrissent l'espoir d'une réaction qui dépasse le cadre de la pratique ou les capacités du clinicien ou de la clinicienne. Il est donc important de préciser les limites de l'aide que sera en mesure d'offrir ce dernier ou cette dernière. Si le praticien ou la praticienne juge que les besoins d'assistance de la personne dépassent ses moyens, il y aurait lieu de proposer une recommandation à une ressource plus habile ou plus qualifiée.

Le praticien ou la praticienne devrait se garder de croire que les enjeux ont tous été abordés au terme d'une ou deux discussions. Au contraire, chaque rendezvous devrait donner lieu à une vérification auprès du patient ou de la patiente ainsi qu'à de fréquents appels de rétroaction.

Lors des consultations menées aux fins du projet, la plupart des personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont reconnu que la divulgation de leurs antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance avait agi de façon importante sur leur santé et sur la prestation de soins connexes. Cependant, bon nombre d'entre elles ont dit craindre qu'à la suite de cette initiative, les praticiens et praticiennes soient tentés d'imputer leurs ennuis de santé aux sévices passés avant même d'examiner à fond d'autres pistes susceptibles d'exposer les racines de leurs maux :

«[Les praticiens et praticiennes] ne devraient présumer de rien. Oui, j'ai été agressée, mais cela ne peut ou ne doit exclure la possibilité que j'éprouve d'autres ennuis physiques graves. C'est l'une des raisons pourquoi je n'aime pas parler des violences que j'ai subies ... aux praticiens et praticiennes de la santé. Ils ont tendance à tout imputer aux troubles nerveux sans même vérifier si le problème pourrait trouver sa source ailleurs » (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Les antécédents de mauvais traitements peuvent favoriser le développement de certaines maladies. Il incombe cependant aux cliniciens et cliniciennes d'examiner à fond les ennuis de santé qui affligent chacun de leurs patients et patientes.

Du fait que la divulgation des antécédents de mauvais traitements ravive leur sentiment de vulnérabilité, certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle et pris part au projet ont dit se méfier des recommandations à d'autres praticiens et praticiennes de la santé. D'ordinaire, les cliniciens et cliniciennes voient en de tels renvois une avenue normale et raisonnable pour assurer l'exactitude du diagnostic et des traitements. Toutefois, aux yeux de certains patients et certaines patientes, il s'agit plutôt d'une échappatoire pour des praticiens ou praticiennes qui ne savent les soigner, eux qui constituent des cas trop « complexes ». De plus, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle risquent d'éprouver malaise et anxiété à l'idée de devoir rencontrer un nouveau clinicien ou une nouvelle clinicienne qu'elles ne connaissent pas et à qui elles n'ont pas encore appris à faire confiance.

Tout patient ou toute patiente a le droit de faire un choix éclairé à propos des praticiens et praticiennes de la santé avec qui travailler. Ainsi, avant de procéder à la recommandation, le praticien ou la praticienne devrait aborder la question avec le client ou la cliente en vue de conclure une entente quant au professionnel ou à la professionnelle qui prendra le relais. Pareil dialogue pourrait revêtir une grande importance pour les personnes ayant survécu à une agression sexuelle qui, par exemple, seraient gênées de traiter avec un clinicien ou une clinicienne du même sexe que leur agresseur ou agresseuse. Si possible, le praticien ou la praticienne devrait recommander le client ou la cliente à un pourvoyeur ou une pourvoyeuse de soins de santé qui connaît les questions de violence interpersonnelle et qui y est sensible. Les registres locaux dressent des listes de ressources locales (dont des praticiens et praticiennes de la santé) qui se spécialisent à intervenir auprès des personnes ayant survécu à une agression sexuelle.

Pour certaines personnes ayant survécu à une agression sexuelle, la décision de divulguer des sévices passés vise à mener à une demande de renvoi à des services de counseling ou de soutien spécialisé. Cependant, il serait faux de croire que toute personne maltraitée qui divulgue ses expériences souhaite ou doive être recommandée à un praticien ou une praticienne de la santé mentale. En proposant une recommandation avant même d'avoir sondé les intentions de la personne, le praticien ou la praticienne risque de passer pour un quelconque « docteur je-sais-tout » ou pour quelqu'un qui refuse d'avoir à s'adapter à la divulgation. Par ailleurs, aux yeux de certains clients et certaines clientes, la recommandation immédiate à un praticien ou une praticienne de la santé mentale pourrait équivaloir à un diagnostic de trouble sans équivoque, et ce, peu importe que la personne éprouve ou non des difficultés liées à ses sévices passés. Dans bien des circonstances, il y aurait lieu d'attendre de futurs échanges avant de soulever la question d'une possible recommandation à un praticien ou une praticienne de la santé mentale, le temps que le clinicien ou la clinicienne affermisse son acceptation de la personne à la suite de la divulgation de ses antécédents de mauvais traitements.

Section 5.10 Ressources communautaires à l'intention des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et des praticiens et praticiennes de la santé

Pour le praticien ou la praticienne, une réaction souhaitable à la divulgation serait de sonder l'existence de personnes-ressources vers qui le client ou la cliente pourrait se tourner (p. ex., ami ou amie, parent ou parente, conseiller ou conseillère, guide spirituel ou spirituelle, groupe d'entraide) ainsi que de s'enquérir de l'efficacité de ces ressources. Pour dresser un tel bilan des ressources existantes, propice à l'identification de possibles lacunes, le praticien ou la praticienne pourrait demander « à qui vous adressez-vous pour obtenir du soutien ? » ou « recevez-vous tout l'appui dont vous auriez besoin dans la vie ? ». En continuant de poser des questions, le clinicien ou la clinicienne aidera peut-être la personne ayant survécu à une agression sexuelle à prendre conscience des organismes qui, dans la collectivité, proposent de l'information, du soutien et d'autres services aux hommes et aux femmes dans sa situation :

«J'avais besoin d'un rappel concernant les ressources disponibles. J'avais besoin de savoir qu'il était souhaitable pour moi de consulter et d'utiliser ces ressources. J'avais besoin qu'on me donne la permission d'obtenir le soutien dont j'avais besoin» (témoignage d'un homme ayant survécu à une agression sexuelle).

Réactions à éviter à la suite d'une divulgation

Il arrive malheureusement que les praticiens et praticiennes de la santé ne réagissent pas de façon sensible à la divulgation des sévices subis par des patients et patientes ayant survécu à une agression sexuelle. Souvent, cet échec aggrave la détresse de ces derniers, qui s'étaient risqués à partager ainsi que des renseignements très intimes.

«[Parfois] quelqu'un [commence] à divulguer son expérience [et le praticien ou la praticienne répond] « vous n'avez pas à me raconter cela si vous vous y objectez ». De tels propos sortent souvent de la bouche de personnes qui réagissent nerveusement à [une divulgation]. Le message qu'ils véhiculent, c'est « je n'ai pas envie d'entendre votre histoire »» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

Ignorer le récit des sévices passés, refuser d'y croire, nier les répercussions néfastes des mauvais traitements ou conseiller « d'en revenir », voilà autant de réactions négatives à la divulgation qui, en plus d'être douloureuses, poussent les personnes maltraitées au silence :

«Il m'a dit que je devrais simplement tourner la page et regarder vers l'avant» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

«Ne bousculez pas la personne et gardez-vous bien d'utiliser le verbe « devoir », par exemple « vous devriez appeler la ligne d'écoute téléphonique »» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle)143p.259.

Par ailleurs, les hommes ayant survécu à une agression sexuelle dénoncent la réaction qui consiste à minimiser les répercussions des sévices si ces derniers ont été commis par une femme. Il est très destructeur de qualifier « d'aubaine » l'initiation précoce d'un homme aux rapports sexuels ou de croire que la jeune victime n'a rien fait d'autre que « jeter sa gourme ».

Questions d'ordre juridique et questions relatives à la tenue de dossiers

Obligations juridiques. Dans le cadre des études réalisées aux fins du projet, le mot divulgation désigne l'action d'une personne ayant survécu à une agression sexuelle qui révèle ses antécédents de violence pendant l'enfance à un praticien ou une praticienne de la santé, par opposition à l'expression divulgation spécifique à la tâche, qui désigne l'action d'une personne qui verbalise une difficulté ou un malaise éprouvé en raison d'un élément précis d'un examen ou d'un traitement, voire de l'examen ou du traitement tout entier. Sauf dans la présente section, toute mention du mot divulgation dans le manuel de pratique vise strictement le dévoilement, par des adultes, d'antécédents de mauvais traitements subis par le passé .

Tableau 5. - Éléments d'une réaction efficace à la divulgation de sévices passés

Après avoir pris connaissance des sévices passés divulgués par la personne, le clinicien ou la clinicienne devrait :

  • Accepter l'information
  • Témoigner de l'empathie et de la compassion
  • Préciser la question du secret professionnel
  • Normaliser l'expérience en reconnaissant la prévalence de la violence
  • Valider la divulgation
  • Aborder les contraintes de temps
  • Rassurer la personne pour faire échec aux sentiments de vulnérabilité
  • Collaborer avec la personne à l'élaboration d'un programme immédiat d'entretien personnel
  • Reconnaître qu'il n'est pas toujours nécessaire d'agir
  • Demander s'il s'agit d'une première divulgation

Au moment de la divulgation ou peu après :

  • Discuter des répercussions des antécédents de violence sur les soins et les échanges à venir
  • S'enquérir des services de soutien social axés sur les questions de violence

Les praticiens et praticiennes de la santé ne sont soumis à aucune obligation juridique de signaler les sévices passés infligés à des enfants, tels que divulgués par une personne adulte, à moins qu'au moment de révéler sa propre expérience la personne adulte identifie un enfant ou une enfant qui pourrait actuellement avoir besoin de protection (p. ex., si un patient ayant été agressé par un parent ou une parente fait savoir au praticien ou à la praticienne qu'il a tout lieu de croire que ledit parent ou ladite parente continue d'agresser des enfants).

Par contre, à l'exception du Yukon, toutes les autorités législatives canadiennes disposent de lois qui entraînent l'obligation de signaler, à la police ou aux agences de protection de l'enfance, tout cas présumé de violence ou de négligence à l'endroit d'enfants103,127. Bien que la définition d' enfant et d' enfant en péril varie quelque peu d'une province à l'autre127, ces lois exigent que tout cas présumé de violence à l'endroit d'enfants (d'âge mineur) fasse l'objet d'une enquête de la part d'un service compétent de l'aide sociale à l'enfance, en vue d'établir le besoin de protection des enfants en cause. Si les soupçons se confirment, les bureaux de protection de l'enfance ont le mandat d'intervenir.

Il incombe à tout praticien ou toute praticienne de la santé de connaître les exigences juridiques formulées par son autorité législative au regard du signalement de cas de violence ou de négligence à l'endroit d'enfants. Pour obtenir de l'information et des conseils à propos de cette obligation, les praticiens et praticiennes peuvent s'adresser aux organismes de réglementation et d'attribution des permis ou aux bureaux locaux de protection de l'enfance (sociétés d'aide à l'enfance ou services à l'enfance et à la famille).

Dossiers de santé. Un dossier de santé est à la fois un document juridique et un outil de communication entre praticiens et praticiennes de la santé. La nature des renseignements consignés au dossier et le mode de collecte et de partage de ces renseignements doivent respecter les lois du Canada, des provinces et des territoires. Les praticiens et praticiennes assument la charge de connaître et de comprendre les exigences relatives au secret professionnel et à la protection de la vie privée édictées par leur autorité législative, en plus d'assumer la charge d'obtempérer à ces exigences.

Réactions à éviter à la suite d'une divulgation

Selon les personnes ayant survécu à une agression sexuelle, les réactions suivantes ne sont d'aucun secours :

  • véhiculer de la pitié (p. ex., « oh, mon pauvre monsieur ! [ma pauvre madame !] ») ;
  • prodiguer des conseils simplistes (p. ex., « voyez le bon côté de la vie », « tournez la page » ou « ne vous accrochez pas au passé ») ;
  • exagérer les éléments négatifs ou s'y attarder indûment (« un tel événement suffit à ruiner une vie ») ;
  • sourire (il vaut mieux présenter une physionomie neutre ou intéressée que sourire dans l'espoir de véhiculer un message de compassion) ;
  • toucher la personne sans permission, même si c'est pour l'apaiser ;
  • couper la parole (attendre plutôt que la personne ait terminé son récit) ;
  • ignorer ou minimiser l'expérience de la personne, les répercussions possibles des sévices passés ou la décision de divulguer les mauvais traitements (p. ex., « est-ce si grave que cela ? », « je connais une femme qui a passé par là et a plus tard décroché un titre olympique », « discutons plutôt de vos douleurs dorsales » ou « je ne vois pas le rapport avec votre entorse ») ;
  • oser des questions intrusives qui n'ont rien à voir avec l'examen, la formalité ou le traitement ;
  • divulguer ses propres antécédents de violence sexuelle ;
  • projeter l'image d'une personne qui connaît tout du sujet.

Si le clinicien ou la clinicienne croit avoir réagi (par mégarde) de façon inopportune ou si la rétroaction non verbale du patient ou de la patiente semble trahir une réponse négative à sa réaction initiale, il faut préciser sur-le-champ le message projeté et vérifier les réactions subséquentes de la personne.

Il incombe à tout praticien ou toute praticienne de la santé de connaître les exigences juridiques formulées par son autorité législative au regard du signalement de cas de violence ou de négligence à l'endroit d'enfants.

Dans l'intérêt de la protection de la vie privée des Canadiens et des Canadiennes, les sous- ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé ont entrepris de mettre au point le Cadre pancanadien de protection de la confidentialité des renseignements personnels sur la santé 137. Ce dernier a pour but d'aborder les besoins des Canadiens et des Canadiennes en matière de confidentialité et de protection de la vie privée ainsi que de formuler « un ensemble de dispositions fondamentales harmonisées quant à la collecte, à l'utilisation et à la communication des renseignements personnels sur la santé dans les secteurs aussi bien public que privé ». Le Cadre pancanadien de protection de la confidentialité des renseignements personnels sur la santé énonce une série de dispositions fondamentales qui visent à garantir la protection de la vie privée et à maintenir la confidentialité des renseignements personnels sur la santé tout en favorisant un partage approprié de l'information, propice à la prestation de soins de santé efficaces. Soucieuses de refléter la réalité du système de santé actuel, ces dispositions fondamentales sont conformes aux exigences de la Charte canadienne des droits et des libertés et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques 38.

Pour satisfaire à la demande d'un client ou d'une cliente de ne pas documenter ses sévices passés, le praticien ou la praticienne devra trouver un juste équilibre entre le respect du droit à la vie privée de cette personne et le respect des exigences juridiques de déclaration.

Selon l'un des principes directeurs sur lequel repose le Cadre 137, la collecte, l'utilisation et la communication des renseignements sur la santé doivent satisfaire au principe d'accès sélectif et s'effectuer aussi anonymement que possible, compte tenu des circonstances. En outre, le Cadre reconnaît que la protection de la vie privée est un droit fondé sur le consentement et que, sauf indication contraire dans la Loi, le consentement d'une personne doit être obtenu avant toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels sur la santé. Par ailleurs, les gouvernements de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Ontario ont promulgué des lois qui encadrent la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels sur la santé par les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé ainsi que par les organismes de soins de santé.

Documentation des antécédents de mauvais traitements. Certaines des personnes ayant survécu à une agression sexuelle et pris part au projet ont expressément demandé à leurs pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins de santé de ne pas documenter leurs sévices passés. Pour satisfaire à une telle demande, le praticien ou la praticienne devra trouver un juste équilibre entre le respect du droit à la vie privée du patient ou de la patiente et le respect des exigences juridiques de déclaration. Le non-signalement d'un cas présumé de violence à l'endroit d'enfants enfreindrait assurément l'esprit de la Loi ; par contre, aucune infraction ne serait commise en cas de non-déclaration de sévices sexuels infligés par le passé à une personne aujourd'hui d'âge adulte. Lors des consultations liées au projet, les praticiens et praticiennes et les personnes ayant survécu à une agression sexuelle ont conclu à l'importance d'un dialogue entre les cliniciens ou cliniciennes et leurs patients ou patientes quant à la marche à suivre pour documenter les violences passées sans contrevenir à la protection de la vie privée. Par exemple, un client ou une cliente pourrait accepter qu'une note soit portée à sa fiche, attestant ses antécédents de mauvais traitements, mais ne communiquant aucun autre détail. Cela dit, la protection de la vie privée pourrait constituer un enjeu dans le cas de patients ou de patientes dont les soins sont défrayés par une tierce partie (p. ex., compagnie d'assurances, programme d'aide aux employés ou régime d'indemnisation des accidentés du travail). Les cliniciens et cliniciennes dont les services sont rémunérés à l'acte devraient porter une attention particulière aux exigences de déclaration qu'ils doivent respecter.

En outre, les praticiens et praticiennes de la santé sont invités à songer aux conséquences que pourrait avoir le partage de renseignements sur les antécédents de violence des patients et patientes lorsque ces derniers sont recommandés à d'autres professionnels et professionnelles de la santé :

«Souvent, lors du renvoi à un spécialiste ou une spécialiste, la lettre ou la formule de recommandation faisait mention de mes antécédents de mauvais traitements. Trop souvent, [le praticien ou la praticienne] faisant le renvoi supposait que ces mauvais traitements étaient d'ordre sexuel, bien que je n'aie jamais fourni de précisions sur la nature de mes sévices. J'ai appris à mes dépens que l'information était consultée non seulement [par le praticien ou la praticienne acceptant la recommandation] ... mais aussi par certains membres du personnel de la clinique que je fréquente. Comme je refuse que mes antécédents de violence soient de notoriété publique, je demande désormais au clinicien ou à la clinicienne faisant le renvoi de ne pas mentionner mes antécédents, mais plutôt d'indiquer le besoin de m'aborder de façon sensible lors de la conduite de tout examen physique. Si le médecin ou la médecin acceptant la recommandation doit savoir quoi que ce soit, je serai en mesure de divulguer ou non l'information, et alors ce ne sera qu'à cette seule ressource» (témoignage d'une femme ayant survécu à une agression sexuelle).

La documentation des sévices passés risque d'avoir des implications juridiques pour les clients ou clientes qui sont en cause dans une poursuite judiciaire ou qui pourraient l'être un jour. Par exemple, si un client ou une cliente choisit d'engager des poursuites au criminel ou au civil contre un agresseur ou une agresseuse ou encore si un accident de véhicule motorisé donne lieu à un procès civil, les dossiers de santé pertinents seront peut-être saisis par ordonnance du tribunal. Dans certains cas, ces dossiers seront cités pour appuyer la cause du client ou de la cliente ; dans d'autres, par contre, ils seront cités pour mettre en doute la crédibilité du client ou de la cliente ou contester sa version des faits. Par ailleurs, si elles ont un jour à consentir à la remise de leur dossier médical à des compagnies d'assurances, les personnes ayant survécu à une agression sexuelle devront savoir qu'elles ont le loisir de ne partager que les éléments de leur choix dans le dossier, par opposition au dossier tout entier. Un praticien ou praticienne de la santé qui reçoit, de la part d'une tierce partie, une demande visant à consulter le dossier de santé d'un client ou d'une cliente devrait certainement songer à consulter un avocat ou une avocate avant d'agir.

Section 5.8 Prestation concertée de services

Questions pour stimuler la réflexion

  • Le milieu dans lequel j'exerce inspire- t-il un sentiment de sécurité en vue de possibles divulgations ?
  • Mes clients et clientes me font-ils assez confiance pour divulguer leurs antécédents de mauvais traitements ? Quelles mesures pourrais-je prendre pour les rassurer et leur inspirer davantage confiance ?
  • Comment voudrais-je intégrer les demandes systématiques de renseignements sur les violences subies pendant l'enfance ? Ai-je établi un « scénario » avec lequel je me sens à l'aise ?
  • Comment me sentirais-je si un client ou une cliente me divulguait ses antécédents de violence sexuelle pendant l'enfance ? Aurais-je la même réaction s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme ? Comment saurais-je que mes réactions s'avèrent utiles à mes clients ou clientes ?

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