Violence familiale et itinérance : Analyse documentaire – Analyse documentaire

Analyse documentaire

Portée des travaux sur le sujet

La recherche sur les liens entre la violence familiale et l'itinérance en est encore à un stade embryonnaire. L'intégration de ces deux sujets se limite surtout à une mention d'association, puisque pratiquement aucune étude empirique n'a examiné de façon explicite les liens qui existent entre ces deux réalités.

Les études sur l'itinérance mentionnent la violence familiale comme un facteur très courant dans les antécédents des personnes sans-abri et certaines études suggèrent même qu'elle provoque l'itinérance. Les recherches sur la violence familiale révèlent que les refuges répondent à un besoin essentiel pour les personnes qui désirent fuir un environnement familial violent. Elles mettent également en lumière le manque de logements abordables comme facteur qui empêche les victimes de partir ou qui contribue à leur décision de retourner vivre avec un conjoint abusif.

Les recherches ont de plus permis de documenter les changements qu'a subis le profil démographique de la population itinérante depuis les années soixante. Même si les hommes célibataires forment toujours le groupe le plus important de personnes manifestement sans-abri, on compte un nombre croissant de femmes, de familles, de jeunes et d'enfants – que l'on appelle les « nouveaux » sans-abri, par comparaison aux « vieux » sans-abri que l'on décrivait généralement comme des hommes socialement déconnectés, dont bon nombre souffrait de problèmes liés à la consommation d'alcool (Rossi 1989).

Devant l'augmentation de l'itinérance visible, un plus grand nombre de chercheurs ont voulu savoir qu'elles étaient les forces sociales qui la provoquaient. Une macro-analyse des changements politiques et structurels a permis d'établir que le manque de logements abordables est la principale cause sous-jacente de l'itinérance. Une micro-analyse a par ailleurs examiné les caractéristiques et les expériences des itinérants. Les explications justifiant l'arrivée de « nouveaux » groupes dans les rangs de la population itinérante ont toutefois évolué et prennent maintenant en compte les taux élevés de violence familiale; on examine également le rôle de l'éclatement de la famille et celui des traumatismes et des expériences négatives vécues durant l'enfance.

La plupart des études sont généralement rétrospectives ou décrivent la situation actuelle et les expériences de personnes qui sont déjà itinérantes. Très peu d'études longitudinales ont observé et suivi des sujets dans le but d'examiner les changements survenant dans leur vie, avec le temps, ou les effets de différents facteurs. Les études qui ont fait un tel suivi visaient généralement à déterminer si la situation de logement des « diplômés » de programmes ciblés demeurait stable après le programme; le suivi était généralement effectué durant une période d'au plus deux ans.

Par exemple, une évaluation américaine de près de 500 programmes de maisons de transition (dont environ 10 % étaient destinées à des femmes violentées) a révélé qu'à la suite des programmes, la stabilité de la plupart des clients sur le plan du logement s'est améliorée; les femmes victimes de violence affichaient toutefois le taux de succès le plus faible. (Novac et coll. 2004)

Même si des études sur la victimisation criminelle des sans-abri ont permis de mesurer l'ampleur des incidents néfastes ou violents dont ils ont été victimes, elles ne fournissent généralement pas suffisamment d'information sur l'agresseur pour déterminer si ce dernier avait un lien familial avec sa victime (Wenzel et coll. 2001). Par exemple, dans le cadre d'une enquête sur la santé menée à Toronto auprès de 450 sans-abri (Ambrosio et coll. 1992), on a posé aux femmes des questions sur les agressions sexuelles dont elles avaient été victimes au cours de la dernière année. Près de la moitié d'entre elles (46 %) ont déclaré avoir été agressées physiquement et un cinquième (21 %) ont indiqué qu'elles avaient été violées. Près de la moitié (43 %) des femmes et 14 % des hommes avaient été victimes d'agression ou de harcèlement sexuel. Les chercheurs n'ont cependant pas essayé d'établir une distinction entre la violence et les agressions commises par des proches et celles commises par des étrangers. Il ne fait aucun doute que le manque d'intimité et de contrôle de l'espace, qui fait partie intégrante de l'itinérance, rend plus difficile le maintien de limites entre les gens, qu'ils soient ou non des proches.

Finalement, un très faible nombre des travaux recensés portent sur les besoins en matière de services destinés aux sans-abri victimes de violence familiale ou sur les implications de tels besoins sur les secteurs des services.

Liens entre la violence familiale et l'itinérance

Dans un grand nombre d'études menées au Canada et ailleurs dans le monde, il a été observé que les antécédents de violence familiale sont très fréquents au sein de la population itinérante – particulièrement chez les jeunes et les femmes – et beaucoup plus communs que chez les populations qui ne sont pas itinérantes (Neal 2004; Novac et coll. 2002b; Farrell et coll. 2000; Gravel 2000; Gaetz et coll. 1999; Poirer et coll. 1999; Novac et coll. 1999; Hagan et McCarthy 1997; Régie régionale de la Santé et des Services sociaux de Montréal-Centre 1998; Groupe de recherche en politiques de santé mentale 1998; Peters et Murphy 1994; Breton et Bunston 1992; Radford et coll. 1989: Janus et coll. 1987; Kufeldt et Nimmo 1987). Après avoir examiné les études sur les familles itinérantes, Rosenheck et coll. (1999, 11) sont parvenus à la conclusion suivante :

[TRADUCTION] « Il est très possible que la violence interpersonnelle soit un élément déclencheur de l'itinérance familiale. La violence et les agressions semblent caractériser les expériences vécues par les mères sans-abri durant leur enfance et leur vie adulte. Les femmes en subissent les conséquences dévastatrices, tant au point de vue médical qu'émotionnel, durant tout le reste de leur vie. »

Dans leur revue approfondie des recherches menées aux États-Unis, Shinn et Baumohl (1999) ont conclu que les études révélaient de façon constante, parmi les antécédents des personnes et des familles itinérantes, des taux élevés de violence physique et d'agressions sexuelles durant l'enfance, de fréquents placements en famille d'accueil ou ailleurs, ainsi que toute une gamme de perturbations familiales. La plupart des études portant sur l'itinérance familiale ou sur les mères itinérantes soulignent également la prévalence de taux plus élevés de violence familiale chez les familles itinérantes que chez d'autres familles démunies.

Burt et coll. (1999) ont mené aux États-Unis une vaste étude auprès d'un échantillon aléatoire comptant près de 4 200 clients de services offerts aux sans-abri. Ils ont déterminé que les expériences de violence familiale vécues durant l'enfance étaient plus fréquentes chez les personnes itinérantes que chez celles qui étaient parvenues à « sortir » de l'itinérance (29 % et 23 % respectivement) et qu'elles étaient beaucoup plus fréquentes au sein de ces deux groupes que chez les personnes qui n'ont jamais été sans-abri, mais qui ont eu recours à des banques alimentaires et à des programmes de halte-accueil (8 %).

La violence familiale est également un antécédent fréquent chez les personnes qui ont été institutionnalisées, dont la présence est d'ailleurs très élevée au sein de la population itinérante. Les jeunes et les adultes sans-abri affichent des taux élevés de fréquentation des organismes de protection de la jeunesse ou de placement durant leur enfance. Chez les adultes célibataires sans-abri, particulièrement chez les femmes, on enregistre des taux élevés d'hospitalisation dans des établissements psychiatriques. Finalement, chez les hommes célibataires sans-abri, les taux d'incarcération sont élevés.

Les enfants qui ont été victimes de violence ont généralement des troubles de comportement durant leur adolescence et leur vie adulte, troubles qui sont également associés à l'itinérance (Gilmartin 1994). Mentionnons entre autres les retards de développement (Yawney 1996), les difficultés d'adaptation à l'école et les comportements perturbateurs en classe (de Paul et Arruabarrena 1995), les grossesses à l'adolescence (Smith 1996), l'absentéisme scolaire et les fugues (Manion et Wilson 1995; Kurtz et coll. 1993), la délinquance et la prostitution (Manion et Wilson 1995), la consommation précoce et à l'âge adulte d'alcool et de drogues illégales et les dépendances (Malinosky-Rummell et Hansen 1993; Chandy et coll. 1996; Downs et coll. 1996), ainsi que le suicide et les tentatives de suicide (Fergusson et Lynskey 1997). Au nombre des effets à long terme de la violence faite aux enfants, Kendall-Tackett (2002) a noté des difficultés à établir des relations interpersonnelles, l'isolement et un faible soutien social, la victimisation à répétition, l'automédication (p. ex., toxicomanie, troubles de l'alimentation et tabagisme), ainsi que les placements en famille d'accueil et les autres formes de séparation familiale, qui sont tous associés à un risque d'itinérance.

Expériences négatives vécues durant l'enfance

Des questions sur les mauvais traitements subis durant l'enfance ont été ajoutées à bon nombre d'études sur les populations itinérantes, mais elles ne sont généralement pas suffisamment précises pour déterminer si l'agresseur était un membre de la famille, une figure parentale ou un proche.

Chez les adultes itinérants

Tel que mentionné précédemment, un grand nombre d'études ont révélé qu'un taux élevé de personnes itinérantes ont été victimes de violence durant leur enfance. Par exemple, Holley et Arboleda-Florez (1997) ont constaté qu'à Calgary, parmi 250 utilisateurs de refuges, 37 % avaient été agressés physiquement lorsqu'ils étaient enfants.

On observe des différences évidentes entre les garçons et les filles en ce qui concerne les taux d'agressions subies par les itinérants durant l'enfance. Dans une étude menée à Ottawa qui regroupait 230 sans-abri, 42 % des hommes et 76 % des femmes avaient été agressés physiquement durant leur enfance (Farrell et coll. 2000). De même, dans une étude menée à Toronto auprès d'un échantillon représentatifFootnote 4 composé de 300 célibataires adultes fréquentant les refuges, 51 % des femmes et 38 % des hommes avaient été agressés physiquement lorsqu'ils étaient enfants (comparativement à 21 % des femmes et à 31 % des hommes dans l'ensemble de la population). Près de la moitié (49 %) des femmes et un sixième (16 %) des hommes qui ont participé à l'étude menée à Toronto avaient également subi des abus sexuels durant leur enfance (comparativement à 13 % des femmes et à 4 % des hommes dans l'ensemble de la population) (Groupe de recherche en politiques de santé mentale 1998).

On constate donc qu'au sein de la population adulte sans-abri, les femmes ont été victimes d'un plus grand nombre d'actes de violence, et particulièrement d'abus sexuels, que les hommes. Cette tendance est également évidente chez les jeunes sans-abri. (Voir ci-dessous).

Herman et coll. (1997) ont effectué des recherches dans le but de déterminer si les expériences négatives vécues durant l'enfance constituaient des facteurs de risque d'itinérance à l'âge adulte. À partir d'une étude sur un échantillon aléatoire de personnes sans-abri et un groupe de comparaison constitué de personnes n'ayant jamais été itinérantes, ils ont déterminé que le manque d'attention de la part d'un parent durant l'enfance augmentait de façon significative la probabilité d'itinérance éventuelle, au même titre que l'agression physique (ibid., 249). Pour sa part, l'abus sexuel n'a pas été associé à l'itinérance de façon significative; toutefois, il a été observé que le manque d'attention parentale combiné à l'un ou l'autre de ces types de violence augmentait de façon radicale les probabilités d'itinérance, comparativement aux personnes qui n'avaient jamais vécu l'une ou l'autre de ces situations. Les chercheurs ont conclu que les expériences négatives vécues durant l'enfance constituaient de puissants facteurs de risque d'itinérance à l'âge adulte.

Chez les jeunes itinérants

En ce qui concerne les jeunes itinérants, certains chercheurs ont mené des études plus approfondies pour mieux connaître la nature, la dynamique et les implications des agressions subies durant l'enfance. Au Canada, les études menées auprès de jeunes de la rue et de jeunes sans-abri révèlent de façon répétée des taux très élevés de perturbations familiales, de conflits et de violence durant l'enfance (Novac et coll. 2002b; Poirier et coll. 1999; Hagan et McCarthy 1997; Caputo et coll. 1997; Peters et Murphy 1994; McCall 1990; Kufeldt et Nimmo 1987; Lamontagne et coll. 1987).

Dans le cadre d'une étude qualitative de petite envergure menée auprès de jeunes sans-abri du centre-ville de Vancouver, on a exploré les premières étapes du processus de vie dans la rue.

[TRADUCTION] « Le chaos et les conflits qui régnaient à la maison, le manque de sentiment d'appartenance au milieu scolaire, le constant déménagement d'un foyer à l'autre et d'une collectivité à l'autre, ainsi que l'absence de liens avec des adultes leur témoignant de la sollicitude, ne sont que quelques-uns des thèmes récurrents énumérés par les jeunes lorsqu'ils parlent de leur ancienne vie. » (McCreary 2002, 33)

La marginalisation de la part de la famille est extrêmement élevée chez les jeunes de la rue. Dans une étude, il a été déterminé que presque tous les adolescents (96 %) entretenaient très peu de liens familiaux, comparativement à seulement 13 % dans un échantillon d'élèves du secondaire (McCreary 2001).

Une étude menée à Toronto auprès de jeunes de la rue a révélé, qu'en moyenne, ils avaient quitté la maison à 13 ans et qu'ils avaient vécu beaucoup de perturbations familiales, dont le chômage, la monoparentalité, la famille reconstituée et le placement (Hagan et McCarthy 1997). Ils étaient également plus nombreux à venir de familles violentes : un certain type de force leur avait été imposé par un membre de leur famille dans 87 % des cas et, pour 60 % des jeunes, les actes de violence infligés par leurs parents avaient donné lieu à des contusions ou à des saignements.

Au Canada, la plus ancienne étude sur les jeunes sans-abri est peut-être celle qui a été réalisée en 1984 auprès de 149 résidants, âgés de 16 et 21 ans, d'un refuge pour jeunes de Toronto (Janus et coll. 1987). Environ les trois quarts des jeunes interrogés avaient été agressés physiquement durant leur enfance. Près des trois quarts des jeunes femmes avaient été agressées sexuellement, dans leur famille ou après leur départ. Ces jeunes femmes étaient plus nombreuses à avoir été impliquées dans des activités délinquantes (participation à des actes de violence physique, arrestation, détention en prison ou dans un établissement correctionnel pour jeunes).

Les résultats d'une enquête ultérieure menée dans le même refuge ont révélé que 81 % des résidants avaient été agressés physiquement. Les agressions physiques et sexuelles avaient débuté en plus bas âge et elles étaient plus fréquentes chez les filles (Welsh et coll. 1995). Les jeunes résidantes avaient quitté la maison plus tôt que les résidants masculins et elles étaient plus nombreuses à avoir été agressées sexuellement par leur père ou leur beau-père (36 % par rapport à 3 %). Par ailleurs, les jeunes femmes étaient également plus nombreuses que les jeunes hommes à avoir été victimes d'agression sexuelle violente (16 % par rapport à 9 %) et de viol (38 % par rapport à 13 %), et elles avaient été agressées sexuellement plus fréquemment et plus gravement (ibid.). Pour les jeunes résidantes, l'agresseur était généralement (84 %) une personne qui s'occupait d'elles, tandis que pour les résidants masculins, il n'y avait pas de différence entre les personnes qui s'occupaient d'eux et les autres.

Gaetz et coll. (1999) ont mené une enquête auprès de 360 jeunes sans-abri de Toronto et ils ont constaté que pour 40 % des jeunes filles et 19 % des jeunes hommes, l'abus sexuel était le facteur premier qui les avait poussés à vivre dans la rue. L'agression physique s'est également avérée un facteur qui a été mentionné par 59 % des femmes et 39 % des hommes.

Parmi un échantillon composé de plus de 500 adolescents très à risque ou vivant dans la rueFootnote 5, dans plusieurs collectivités de la Colombie-Britannique, 87 % des jeunes filles et 65 % des jeunes hommes avaient été agressésFootnote 6 – physiquement ou sexuellement, ou les deux – comparativement à 26 % des filles et à 14 % des garçons d'un échantillon plus vaste d'élèves du secondaire (McCreary 2001). Le taux d'agressions physiques et sexuelles chez les jeunes non hétérosexuels était encore plus élevé (89 % par rapport à 64 % en ce qui a trait aux agressions physiques, et 65 % par rapport à 29 % en ce qui concerne les agressions sexuelles). Seulement entre le tiers et la moitié des jeunes de la rue recensés par le McCreary Centre dans les six collectivités de la Colombie-Britannique ont déclaré être hétérosexuels, comparativement à 85 % dans un échantillon d'élèves du secondaire (McCreary 2001).

Les répercussions négatives liées aux abus sexuels subis durant l'enfance étaient graves. Une proportion plus élevée de ceux qui avaient été victimes d'abus sexuels avaient également été placés, eu des relations sexuelles avant l'âge de 13 ans, échangé des faveurs sexuelles, éprouvé un problème de toxicomanie et fait des tentatives de suicide au cours de l'année précédente. Près de la moitié des filles (46 %) et 18 % des garçons avaient été forcés ou contraints à avoir des relations sexuelles, comparativement à 3 % dans un échantillon d'élèves du secondaire (ibid.).

Dans le cadre d'une évaluation du Programme d'amélioration des maisons d'hébergement de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, qui finançait les réparations et les améliorations à apporter à des refuges existants, une enquête a été menée dans 15 refuges pour jeunesNote de bas de page 7. Le personnel des refuges pour jeunes estime que 79 % de leurs clients sont sans foyer par suite de violence familiale. La plupart des actes de violence ont été perpétrés par des membres de la famille, à la maison, mais dans certains cas, particulièrement chez les jeunes filles, il y avait également des cas de violence subie durant les fréquentations. Le personnel considère que les problèmes de toxicomanie et de consommation abusive de leurs clients sont attribuables à des relations de violence de longue date (SPR Associates 2002b).

La violence familiale s'avère clairement la principale raison de l'itinérance des jeunes et des enfants. La pauvreté n'est toutefois pas aussi fortement associée à l'itinérance des jeunes qu'à celle des adultes. Des taux particulièrement élevés d'agressions physiques et sexuelles chez les filles et les jeunes femmes peuvent expliquer en partie la variation de la proportion garçon-fille en fonction de l'âge. De 25 à 33 % des adultes sans-abri visibles sont des femmes; cette proportion augmente toutefois lorsque l'âge diminue. En effet, la moitié des jeunes adolescents itinérants sont des jeunes filles (Novac et coll. 2002b).

Placement, violence familiale et itinérance

Des études canadiennes sur les jeunes itinérants (p. ex., Clarke et Cooper 2000; Leslie et Hare 2000; Gaetz et coll. 1999; McCarthy 1995) ont révélé des taux élevés de fréquentation, actuelle ou passée, d'organismes de protection de la jeunesse (40 à 49 %). En Colombie-Britannique, 37 % jeunes de la rue avaient été pris en charge par un type ou un autre d'organisme gouvernemental, dont des foyers de groupe ou des familles d'accueil; de plus, 59 % d'entre eux étaient connus du système judiciaire juvénile, ce qui donne un total combiné de 69 % de jeunes ayant eu affaire à différentes institutions (McCreary 2001).

La négligence et les agressions au sein de la famille sont les deux principales raisons de la prise en charge des enfants par le système public; la plupart de ces jeunes ne deviennent cependant pas itinérants (Novac et coll. 2002b). Même s'il est évident que la prise en charge par le système public peut accroître la probabilité que certains jeunes deviennent sans-abri, les études suggèrent que, parmi les jeunes en établissement, les plus à risque de devenir itinérants sont ceux qui ont subi les formes les plus extrêmes de violence familiale.

Dans une étude menée à Montréal en 2002 (Robert et coll. 2002), on a comparé deux groupes comptant plus de 100 adolescents, âgés entre 12 et 17 ans, qui avaient été pris en charge par le système public au cours d'une période de 12 mois, en 1998-1999 – des adolescents qui avaient déjà été itinérants pendant une période d'au moins deux mois et d'autres qui ne l'avaient jamais été. Les jeunes sans-abri avaient vécu plus de conflits dans leurs familles et ils étaient plus nombreux à avoir été maltraités par leurs parents et à avoir subi des actes plus graves de violence familiale (agressions physiques et verbales et punitions excessives), à avoir été placés dans des familles d'accueil et à ressentir un sentiment de rejet de la part de leurs familles. Il semble que le niveau de violence familiale, qui est fortement corrélé au nombre de placements et au rejet de la famille, ait une incidence sur la probabilité d'une itinérance ultérieure chez les jeunes.

L'intervention des organismes de protection de l'enfance peut être liée aux conditions de logement de la famille. À Toronto, dans un nombre important de cas d'aide à l'enfance, les piètres conditions de logement ont été considérées comme un facteur dans la décision de placer temporairement un enfant. Dans certains cas, le retour d'un enfant à la maison a été retardé en raison de problèmes liés au logement Footnote 8 (Cohen-Schlanger et coll. 1995). Pour les familles bénéficiaires de l'aide sociale ou de subventions au logement, les changements apportés à la composition ou à la taille du foyer peuvent remettre en cause leurs prestations et parfois même, faire en sorte qu'elles ne soient plus en mesure de reprendre leur enfant à la maison (Novac et coll. 2002b).

Violence familiale comme facteur déclencheur de l'itinérance

Une récente étude canadienne a désigné la violence familiale comme l'une des principales causes de l'itinérance des familles. Pour plus de 40 % des 59 familles itinérantes interviewées dans 10 grandes villes du Canada, la violence familiale figurait parmi les facteurs les ayant amenés à quitter leur domicile. La violence familiale était souvent associée à d'autres événements les ayant conduits à l'itinérance, dont l'éclatement de la famille et l'expulsion (Social Planning et Research Council of B.C. 2003).

Dans une étude longitudinale des données sur l'utilisation des refuges de Toronto pendant la période allant de 1988 à 1996Footnote 9, on a constaté que les utilisateurs invoquent de plus en plus la violence familiale comme raison de leur itinérance. Le nombre de personnes admises dans des refuges de Toronto en raison de l'éclatement de la famille ou d'actes de violence familiale a presque doublé (passant de 14 à 26 %) au cours de cette période de huit ans (Springer et coll. 1998)Footnote 10. De façon plus précise, le nombre d'utilisateurs de refuges ayant indiqué « agression par le conjoint » ou « agression par un parent » comme raison de leur utilisation du service a doublé (passant de 7,3 à 14 %) entre 1988 et 1996 (Springer et coll. 1998, 32).

D'après un profil statistique sur la violence familiale préparé par Statistique Canada en 2003 (Centre canadien de la statistique juridique, 2003) et une enquête éclair menée le 15 avril 2002, près des trois quarts (73 %) des femmes et plus des quatre cinquièmes (84 %) des enfants accueillis dans des refuges pour victimes de violence familiale d'un bout à l'autre du pays avaient fui des situations d'agression. (Les autres femmes avaient souvent été victimes de violence familiale dans le passé.)

Une étude sur l'itinérance menée à Calgary en 2002 a permis de déterminer « qu'échapper à une relation abusive »Footnote 11 était la raison donnée par 29 % des femmes vivant dans une itinérance absolue, par 5 % des hommes dans une telle situation, par 37 % des femmes vivant dans une itinérance relative et par 5 % des hommes dans la même situation, pour expliquer leur itinéranceFootnote 12 (Gardiner et Cairns 2002).

Violence familiale et itinérance à répétition

La plupart des utilisateurs de refuges y font appel une fois, mais n'y reviennent pas (Springer et coll. 1998). Le cas de ceux qui deviennent des itinérants à répétition est plus préoccupant. La violence familiale est-elle un des facteurs de l'itinérance chronique? Les résultats des recherches varient en fonction du type d'agression et de la situation familiale.

Gardiner et Cairns (2002) ont établi un profil des itinérants à répétition, qu'ils décrivent comme des personnes « moins résilientes », ayant été négligées par leurs parents ou ayant subi d'autres formes de violence familiale.

Une étude menée à Toronto auprès de 300 adultes célibataires sans-abri a révélé que les taux de mauvais traitements subis durant l'enfance étaient aussi élevés chez les itinérants à répétition que chez ceux qui l'étaient pour la première fois (Goering et coll. 2002). Il n'y avait pas non plus de différences statistiquement significatives entre les groupes dans les taux de troubles psychiatriques et de problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie et les hospitalisations antérieures. Les deux groupes diffèrent toutefois en ce qui concerne les placements et les expériences d'itinérance vécues auparavant. Dans le groupe des sans-abri à répétition, 37 % avaient été placés au cours de leur enfance et 49 % avaient connu une période d'itinérance d'au moins une semaine avant l'âge de 18 ans (comparativement à 22 % et 33 % respectivement chez les sujets pour qui il s'agissait du premier épisode d'itinérance). Les chercheurs ont conclu que l'itinérance chronique ou répétée est associée à l'absence d'un milieu de vie sécuritaire et stable durant l'enfance. Il est toutefois possible que d'autres facteurs influencent cette association. Par exemple, il se peut qu'un placement en famille d'accueil et l'itinérance en bas âge soient liés à des expériences plus graves de conflit ou de violence familiale. Pour clarifier cette question, il faudrait obtenir des données plus détaillées sur les mauvais traitements subis durant l'enfance, y compris des données indiquant si l'agresseur était un membre de la famille.

Une étude américaine menée sur une période de deux ans a révélé que les taux d'abus sexuel durant l'enfance étaient plus élevés chez les mères itinérantes à répétition que chez celles qui se retrouvaient sans abri pour la première fois (Bassuk et Perloff 2001). De plus, les mères vivant une première expérience d'itinérance qui avaient été victimes de la violence de leur conjoint après être retournées à la maison étaient au moins trois fois plus nombreuses à connaître un deuxième épisode d'itinérance, même lorsque les effets des abus sexuels subis durant l'enfance étaient pris en considération. Par ailleurs, les mères sans-abri à répétition étaient deux fois plus nombreuses à avoir été agressées sexuellement durant leur enfance et elles étaient également plus nombreuses à avoir été victimes d'accès de colère injustifiée de la part de leurs deux parents et à avoir fait des fugues. (Ces mêmes facteurs sont annonciateurs du syndrome de stress post-traumatique à l'âge adulte.) Il est aussi intéressant de noter que le soutien social offert avant le premier épisode d'itinérance n'a ni contribué à atténuer ni modéré la relation entre les abus sexuels subis durant l'enfance et les épisodes répétés d'itinérance.

Le contraste qui existe entre les résultats de ces deux études peut être attribuable aux différences qui caractérisent les membres de chacun des échantillons. L'étude de Toronto a été menée auprès de personnes célibataires itinérantes tandis que l'étude américaine était axée sur des mères sans-abri. Les résultats différents peuvent entre autres s'expliquer par la présence d'enfants à charge. Par ailleurs, à Toronto, Goering et coll. (2002) ont étudié les effets des agressions subies durant l'enfance, alors qu'aux États-Unis, Bassuk et Perloff (2001) ont examiné les effets des agressions infligées par le conjoint combinés à ceux des abus sexuels subis durant l'enfance.

Dans le cadre d'une étude australienne qui visait à explorer les liens entre la violence familiale et l'itinérance, des interviews ont été menées auprès de 161 intervenants (y compris des membres du personnel de services d'hébergement pour les femmes, de logements sociaux, de services de police et de l'administration des tribunaux) et de 52 femmes victimes de violence familiale. Les résultats mettent en lumière à quel point les perturbations sociales et personnelles ainsi que les désavantages financiers peuvent affecter certaines femmes et leurs enfants. Les délais dans le règlement des causes, les longues périodes de violence et de harcèlement criminel qui font suite à une séparation ainsi que l'absence de statut de résidant permanent peuvent également être des facteurs qui contribuent à une itinérance prolongée (Chung et coll. 2001).

Zappardino et DeBare (1992) ont repéré d'autres facteurs qui peuvent aussi contribuer à une probabilité accrue d'itinérance répétée chez les victimes. Mentionnons entre autres :

  • une itinérance soudaine et non prévue (contrairement à celle que vit la personne qui sait qu'une expulsion est imminente);
  • une crise compliquée par un traumatisme;
  • le recours à la dénégation comme mécanisme d'adaptation, ce qui inhibe souvent la capacité de résoudre les problèmes;
  • les litiges liés à la garde des enfants.

Une analyse longitudinale de l'utilisation des refuges de la Ville de New York a révélé que les probabilités que les mères itinérantes déclarant avoir été victimes de violence familiale aient recours aux refuges à plusieurs reprises étaient très grandes. Il a également été prouvé que certaines dynamiques familiales (dont le fait d'avoir de jeunes enfants à la maison, l'instabilité familiale et la violence) posaient toutes un risque accru qu'il y ait d'autres épisodes d'utilisation des refuges. La violence familiale et le fait d'avoir de jeunes enfants rendaient moins probable une sortie réussie du refuge (Metraux et Culhane 1999).

À l'aide d'un plan de recherche rigoureux, Shinn et coll. (1998) ont étudié les facteurs permettant de prédire l'itinérance et la stabilité en matière de logement chez les familles de New York vivant leur première expérience d'itinérance. La présence de liens sociaux positifs ne constituait pas un facteur prédictif, mais les expériences perturbatrices en bas âge et la violence familiale à l'âge adulte étaient clairement des facteurs de risque de l'itinérance. Les chercheurs ont surtout déterminé que – malgré la pauvreté, les troubles de comportement, des réseaux sociaux anémiques et la perte d'un logement abordable – l'accès à un logement subventionné était le principal facteur permettant de prédire la stabilité en matière de logement pendant une période pouvant aller jusqu'à cinq ans.

Intersectionalité

Il est important que notre étude du lien entre la violence familiale et l'itinérance se fasse également sous l'angle de l'intersectionalité, c'est-à-dire que nous ayons une bonne compréhension des situations et des expériences uniques et particulières des groupes selon l'âge, le sexe, l'identité sexuelle, le contexte ethnoculturel et l'invalidité. À l'exception des différences entre les sexes et de la situation particulière des jeunes, il est rare que les travaux de recherche atteignent ce degré de spécificité, bien que certaines distinctions aient été notées ou commencent à être explorées.

Autochtones

Les Autochtones ont des taux plus élevés de violence familiale et d'itinérance que les non-Autochtones. Selon les résultats de l'Enquête sociale générale (1999), les femmes autochtones sont trois fois plus nombreuses à être victimes de violence conjugale que les femmes non-autochtones, et elles sont deux fois plus nombreuses à avoir été victimes de violence conjugale que les hommes autochtones (Besserer et coll. 2001). Selon des études menées dans plusieurs villes canadiennes, notamment à Calgary, Edmonton, Winnipeg, Vancouver et Toronto, les Autochtones sont également surreprésentés au sein de la population itinérante.

Immigrants et membres des minorités ethniques

Les immigrants et les membres de certains groupes ethnoculturels peuvent avoir des identités sociales et subir de multiples oppressions qui affectent leurs points de vue sur la violence familiale et leurs réactions face à une telle situation. Leurs antécédents culturels et leur statut d'immigrant peuvent également avoir une incidence sur leur recours à des organismes de services et aux traitements qu'ils offrent. Une récente étude sur les causes de violence conjugale entendues par les tribunaux à Montréal a révélé que les femmes appartenant à des minorités raciales et ethniques qui étaient récemment immigrées étaient surreprésentées et que, dans près du quart des cas, la victime ne parlait ni français ni anglais (Oxman-Martinez et coll. 2002). Certaines femmes immigrantes qui ont quitté la demeure conjugale et fondé un foyer indépendant pour fuir la violence familiale courent le risque d'être ostracisées et isolées socialement par leurs communautés.

Les réfugiés nouvellement arrivés semblent plus vulnérables aussi bien à la violence familiale qu'à l'itinérance. Les ménages des minorités raciales, particulièrement les ménages de la population noire, qu'il s'agisse ou non d'immigrants, sont souvent victimes de discrimination en matière de logement et sur le marché du travail, des situations qui engendrent du stress et font en sorte que les victimes éprouvent encore plus de difficulté à fonder et à conserver des ménages indépendants (Novac et coll. 1996; Novac et coll. 2002a).

Collectivités rurales et isolées

Étant donné que des refuges d'urgence ne sont généralement offerts que dans les villes, l'itinérance est souvent considérée comme un problème urbain. Selon Daly (1996), comme elle est cachée, on assume à tort qu'il n'y a pas d'itinérance rurale au Canada. À part emménager avec des amis ou des parents ou déménager dans un centre plus important, peu de possibilités en matière de logement s'offrent aux résidants des collectivités rurales, isolées et du Nord. Les sans-abri sont toutefois, par nécessité, plutôt mobiles et il serait faux de croire qu'il existe une différence entre la population itinérante « urbaine » et « rurale » (Cloke et coll. 1999).

Les victimes de violence familiale des régions rurales du Canada ne sont pas différentes de celles des milieux urbains (Scott 1995), et il n'y a pas raison de croire que la violence familiale est moins fréquente en zones rurales (Hornosty et Doherty 2002). Il est toutefois indéniable qu'en milieu rural, les services sont plus rares ou tout au moins plus difficiles d'accès. Martz et Sarauer (2000) ont souligné la concentration en milieu urbain de services spécialisés relatifs à la violence familiale, qui découle de décennies de décisions liées aux coûts en faveur d'une centralisation des services dans les centres urbains pour des raisons monétaires. Les victimes déménagent également dans les villes, car l'environnement urbain leur procure un plus grand anonymat; le maintien de la confidentialité est très difficile dans de petites collectivités.

Dans un rapport sur leur étude des victimes de violence conjugale dans le secteur rural de la Saskatchewan, Martz et Sarauer (2000) ont indiqué que certaines femmes qui souhaitaient quitter leur agresseur n'avaient pas les moyens ou n'étaient pas prêtes à subir des pertes économiques importantes en renonçant à leur domicile et à la ferme familiale. Les moyens de transport limités représentaient un autre obstacle au départ. Peu de victimes étaient au courant des solutions juridiques qui permettent de retirer l'agresseur du milieu et d'avoir la possession exclusive de leur demeure, grâce à l'obtention d'une ordonnance pour intervention urgente en vertu de la Victims of Domestic Violence Act, 1995 de la Saskatchewan. La plupart des femmes qui ont quitté leur foyer se sont rendues dans des refuges de Saskatoon et de Moose Jaw. Le refuge le plus près était un appartement où il n'y avait pas de personnel ou autre forme de soutien, et la seule femme qui a eu recours à cette option durant la période visée par l'étude a eu peur et s'est sentie isolée.

Une situation similaire s'applique aux conjointes de militaires, particulièrement celles qui habitent sur les bases militaires, loin des services urbains. En raison de fréquents déménagements, il est possible que ces femmes se retrouvent dans des collectivités où la langue parlée leur est inconnue (Family Violence and the Military Community Research Team 2000).

Personnes âgées

Une proportion relativement restreinte des travaux sur la violence familiale porte sur les agressions que subissent les personnes âgées et leurs épisodes d'itinérance. Même si la violence faite aux personnes âgées est maintenant un phénomène reconnu, les professionnels qui cherchent à la prévenir déclarent qu'elle se produit généralement en milieu clos où la victime est « prisonnière de son milieu ». Ils rapportent très peu de cas où une personne âgée victime de violence a choisi de quitter son milieu. Dans les cas où une personne âgée se trouve dans un environnement familial violent, mais qu'elle n'est pas considérée comme en pleine possession de ses facultés mentales, elle peut être retirée et placée dans un milieu protégé, notamment dans un foyer pour personnes âgées.

À Toronto, de 1988 à 1996, seulement 15 % des personnes qui ont eu recours à des refuges avaient plus de 45 ans, et un très petit nombre (1,8 %) avaient plus de 65 ans (Springer et coll. 1998). À Ottawa, un recensement des personnes qui avaient eu recours aux services offerts aux itinérants au cours du mois de décembre 2001 a également révélé une très faible proportion de personnes âgées (2 %) (Aubry 2002).

Dans les petites collectivité inuites, des cas de surpeuplement de logement, particulièrement lorsque s'installe un ressentiment latent chez des enfants adultes forcés de demeurer dans la maison de leurs parents, ont été liés à des agressions physiques et à une exploitation financière à l'endroit des personnes âgées (Pauktuutit Inuit Women's Association 1994).

Hightower et coll. (2001) ont étudié la situation des femmes âgées victimes de violence familiale. Dans de nombreux cas, il y avait de longs antécédents de voies de fait contre la femme; certaines d'entre elles avaient quitté le foyer familial à plusieurs reprises pour ensuite y retourner. La majorité des agresseurs étaient leurs maris et leur agression était moins souvent de nature financière que celle infligée par leurs fils, leurs filles et même leurs petits-enfants. Lorsqu'elles quittent leur milieu, les répercussions ne sont pas les mêmes pour ces femmes que pour les plus jeunes; au cours d'une longue vie conjugale, une femme accumule généralement de nombreux biens et possessions, y compris des objets et des souvenirs qui lui sont chers et auxquels elle tient de plus en plus à la fin de sa vie. Pour une femme qui a passé sa vie à s'occuper de son entourage, quitter une maison qui contient autant de biens personnels peut être dévastateur et équivaloir à une perte d'identité.

Maladies mentales graves

La tendance récente à la désinstitutionnalisation et à l'élimination des services offerts aux personnes souffrant de handicaps intellectuels et de maladie mentale constitue un autre important facteur dans l'itinérance, particulièrement chez les femmes célibataires sans-abri chroniques. La relation entre ces facteurs semble être dynamique, c'est-à-dire que les femmes souffrant de troubles psychiatriques qui vivent dans la pauvreté sont très exposées aux agressions et à l'itinérance, deux conditions qui par ailleurs exacerbent, pour ne pas dire provoquent, des problèmes de santé mentale.

Goodman et coll. (1995) ont déterminé que le risque durant la vie de victimisation avec violence chez les femmes périodiquement sans-abri et souffrant de maladies mentales graves est si élevé que le viol et l'agression physique sont des expériences normales. Seulement trois des 99 répondantes ont déclaré ne pas avoir été agressées physiquement ou sexuellement durant leur enfance ou à l'âge adulte, et pour la plupart d'entre elles, les agressions étaient sévères. Le risque d'agressions répétées était également extrêmement élevé. Un tiers des femmes ont affirmé avoir été victimes d'une agression physique ou sexuelle durant un épisode d'itinérance.

Davies-Netzley et coll. (1996) ont examiné les taux de mauvais traitements subis durant l'enfance par les femmes itinérantes souffrant de maladies mentales graves. Ils ont découvert que plus de 75 % des femmes avaient été victimes de violence physique ou sexuelle entre l'âge de 6 ans et de 18 ans. Les femmes qui avaient subi de mauvais traitements durant leur enfance étaient beaucoup plus nombreuses à avoir été itinérantes durant leur enfance, et celles qui avaient été agressées physiquement et sexuellement durant l'enfance étaient au moins 15 fois plus nombreuses que les femmes non agressées à avoir connu des épisodes d'itinérance avant l'âge de 18 ans. Les mauvais traitements subis durant l'enfance combinés à l'absence de soutien extérieur, social et financier, posent des risques élevés d'itinérance pour les jeunes femmes et s'avèrent également des précurseurs de problèmes de santé mentale.

Dynamique de la violence familiale et de l'itinérance

La violence familiale est, de façon disproportionnée, un phénomène de la jeunesse. Autant comme victimes que comme agresseurs, les personnes de 18 à 30 ans présentent les taux les plus élevés. Les hommes sont plus nombreux que les femmes à être des agresseurs, et les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être victimes d'agressions causant des blessures. Dans les sociétés du monde entier, plus l'inégalité entre les hommes et les femmes est prononcée et le niveau de désorganisation sociale important, plus le taux d'agressions contre les conjointes est élevé. Même si la violence familiale est présente dans tous les groupes économiques et sociaux, le risque de violence faite aux enfants, aux conjointes et aux personnes âgées est plus élevé chez les personnes pauvres et sans emploi ou qui occupent des postes peu prestigieux. Par ailleurs, les personnes qui disposent de moins de ressources et qui subissent beaucoup de stress sont plus susceptibles de recourir à la violence (Gelles 1993).

L'itinérance et l'incapacité à trouver un logement abordable constituent également des problèmes qui touchent principalement les jeunes (Novac et coll. 2002b); ce sont des résultats de la pauvreté et de ressources sociales inadéquates. De telles conditions engendrent un niveau élevé de stress et accroissent les probabilités de victimisation.

Comme l'indiquent les résultats de recherches mentionnés précédemment, la relation entre la violence familiale et la situation sur le plan du logement est complexe. Il est évident que les problèmes de logement, notamment le surpeuplement et les coûts exorbitants, engendrent un stress à l'intérieur du foyer et ils peuvent contribuer à l'apparition d'un comportement agressif au sein de la famille (Pauktuutit Inuit Women's Association 1994). Il n'est donc pas surprenant que les femmes qui vivent dans des logements sociaux en milieu urbain subissent des taux plus élevés de violence de la part de leurs proches que les autres femmes (DeKeseredy et coll. 1999). Le rôle du logement est fondamental dans la prévention ou la réduction de la violence familiale, et il comporte plusieurs volets (Weisz et coll. 1996). L'inégalité du pouvoir — économique, physique et social — dans la société et au sein de la famille ou des ménages, est un facteur déterminant dans l'apparition de la violence et des conflits familiaux, et c'est ce qui déterminera qui sera l'agresseur et qui sera la victime, et quelles seront les possibilités d'accès à un autre logement.

Diverses politiques et institutions contribuent à cette dynamique. Bufkin et Bray (1998) soutiennent que la faible réponse du système de justice pénale en matière de violence familiale est un facteur critique dans l'itinérance. Cumberland (2001) laisse entendre que les personnes devenues sans-abri par suite de la violence vécue dans leur famille devraient former une classe distincte, puisque leur itinérance est le résultat d'un crime commis contre elles et que les gouvernements devraient se préoccuper de cette situation et la considérer comme un impératif judiciaire distinct.

Gardiner et Cairns (2002) proposent plusieurs orientations en matière de politiques et diverses pratiques institutionnelles qui pourraient contribuer à réduire l'itinérance. Mentionnons entre autres les services de protection de l'enfance et de garderie (un accès à des services de garde de qualité, une intervention précoce dans les cas d'agression et de négligence ainsi qu'une efficacité accrue du système de placement en familles d'accueil) ainsi qu'un renforcement de la législation sur la violence envers les conjoints (dans le but de faciliter le retrait du conjoint violent du foyer, et d'assurer une application uniforme de la loi). Les organismes de santé et les services du logement jouent également un rôle crucial dans l'itinérance chez les victimes de violence familiale et dans la manière dont les victimes retrouvent un sentiment de sécurité, se rétablissement et atteignent la stabilité en matière de logement.

Dans leur examen des recherches canadiennes sur la violence faite aux femmes, DeKeseredy et Hinch (1991) mentionnent que les logements subventionnés et les refuges d'urgence à court terme sont des éléments essentiels qui permettent d'éviter que les femmes demeurent des victimes aux mains de leurs conjoints masculins et de promouvoir la sécurité, l'autonomie et l'auto-suffisance des femmes.

Étant donné que l'accès des femmes au logement est fortement tributaire de leur place dans la famille (Novac 1995), lorsqu'il y a rupture de la relation de couple, les conséquences économiques sont plus importantes pour elles que pour les hommes. À la suite d'un divorce, le taux de pauvreté chez les femmes devient presque trois fois plus élevé. Le revenu de leur ménage chute de plus de 40 %, alors que celui des hommes augmente légèrement (Finnie 1993). Les femmes célibataires et les mères monoparentales représentent près de la moitié des ménages qui n'ont pas les moyens de se loger convenablement (SCHL 2000). La discrimination en matière d'emploi et de logement n'a pas été éliminée, particulièrement pour les femmes autochtones et les femmes appartenant à d'autres minorités raciales. Ces inégalités socioéconomiques ont une incidence sur la dynamique du pouvoir au sein des relations familiales. Les membres à charge sont forcés de rester en raison de leur incapacité à assumer un autre logement, ce qui peut générer encore plus de conflits.

Depuis le début des années 1970, au Canada et dans d'autres pays, le mouvement des femmes violentées soutient que le manque de logements abordables représente un obstacle qui empêche les femmes victimes de violence et leurs enfants de reprendre leur vie en main après un séjour dans un refuge (OAITH 1989, 1990, 1998; Walker 1990; Schechter 1982). L'incapacité économique des femmes d'établir un ménage indépendant joue clairement un rôle dans leur décision de demeurer ou de retourner vivre avec un conjoint violent.

[TRADUCTION]
« [...] Pour les femmes, le fait d'avoir un toit sur la tête ne résout pas le
problème de l'itinérance, à moins que ce toit ne soit accompagné d'un
sentiment de sécurité. » (Neal 2004, 1)

Breton et Bunston (1992) observent une réduction significative des taux d'agressions physiques et sexuelles chez les femmes itinérantes par rapport à celles qui occupent encore leurs anciennes situations de vie. Une itinérance temporaire et des refuges sécuritaires et réceptifs à leurs besoins peuvent fournir un répit temporaire indispensable aux femmes et aux enfants sans cesse confrontés à la dure réalité de la pauvreté, de la violence du conjoint, de la victimisation et des traumatismes (Styron et coll. 2000).

Il est clair que la violence familiale constitue un déclencheur ou une raison immédiate de l'itinérance pour une importante proportion des femmes, des jeunes et des enfants qui ont recours aux refuges (c'est-à-dire une très forte proportion des personnes qui utilisent les refuges pour victimes de violence familiale et les refuges pour jeunes, ainsi qu'une plus faible proportion, mais probablement en croissance, des personnes qui trouvent asile dans les refuges pour sans-abri).

La dynamique de la violence familiale peut contribuer à la pauvreté ainsi qu'à la vulnérabilité financière et sociale. Les hommes qui violentent leurs femmes ou leurs conjointes restreignent généralement aussi leurs relations sociales avec des amis et d'autres membres de la famille et contrôlent leur capacité à travailler à l'extérieur de la maison; de ce fait, la femme violentée dispose de ressources économiques et sociales plutôt limitées pour l'aider à traverser un épisode d'itinérance.

[TRADUCTION] « Lorsque les femmes n'ont pas d'autres choix que de rester, les hommes sont souvent capables de resserrer leur contrôle sur la vie de leur conjointe, augmentant souvent ainsi les occasions de violence. Lorsque les femmes ont d'autres choix en matière de logement, qu'elles y aient recours ou non, leur contrôle sur leur vie augmente ce qui contribue à renforcer leur message selon lequel la violence conjugale ne sera pas tolérée. » (Weisz et coll. 1996, 14)

Implications de la prestation des services

La plupart des victimes de violence familiale n'ont pas recours à des services d'aide. Les résultats d'une enquête menée par Statistique Canada révèlent que la plupart des victimes cherchent un soutien informel plutôt qu'une forme d'aide officielle. La majorité (80 %) des hommes et près de la moitié (48 %) des femmes victimes de violence conjugale au cours des cinq années qui ont précédé la tenue de cette étude n'ont demandé de l'aide à aucun type d'organisme de services sociaux. Seulement 11 % des femmes et aucun des hommes victimes de violence n'ont eu recours à un refuge (Centre canadien de la statistique juridique 2003). Ils demeurent généralement chez des amis ou des membres de leur famille et joignent ainsi les rangs de l'itinérance cachée.

La littérature est avare de recherches abordant explicitement les implications de ce phénomène pour la prestation de services liés à la violence familiale et à l'itinérance ou les types de services qui sont les plus appropriés et les plus efficaces.

Habitudes d'utilisation des refuges

La tendance qu'ont un grand nombre de femmes à aller vivre chez des amis ou des membres de leur famille immédiatement après une séparation semble marquer le début d'une spirale descendante vers l'itinérance (McCarthy et Simpson 1991). Il arrive souvent qu'une femme se résigne à utiliser un refuge seulement après avoir épuisé la bonne volonté de sa famille et de ses amis ou après avoir été expulsée d'un logement dont elle n'arrivait pas à payer le loyer. Autrement dit, la violence familiale peut déclencher toute une série de déplacements, sans toutefois être la raison immédiate de l'utilisation d'un refuge. Les jeunes itinérants ont également l'habitude d'effectuer des séjours temporaires chez des amis ou des membres de la famille (« vivre d'un sofa à l'autre »)(Novac et coll. 2002b). De tels comportements sont souvent suivis d'une utilisation de refuges et d'épisodes intermittents d'itinérance publique et cachée.

À Toronto, de 1988 à 1996, la plupart des personnes qui ont été accueillies dans des refuges à la suite d'actes de violence conjugale y sont demeurées de cinq jours à six mois. Un très petit nombre (9 %) n'y ont séjourné qu'une ou deux journées; une autre faible proportion (11 %) de gens sont restés dans le réseau au moins un an. Avec le temps, de moins en moins de personnes ont réussi à obtenir un logement subventionné après avoir quitté un refuge (ce chiffre s'établissait à 32 % en 1988 et il n'était plus que de 14 % en 1996). Un très petit nombre d'utilisatrices (2,4 %) ont déclaré qu'elles retournaient vivre avec leur conjoint (Springer et coll. 1998).

On définit les sans-abri cycliques ou à répétition comme ceux qui ont recours au réseau de refuges plus de cinq fois par année. Les femmes qui fuient un conjoint violent représentent le tiers de ce groupe (Toronto 2001, 7).

Une enquête menée d'un bout à l'autre du pays auprès de personnes quittant des refuges pour victimes de violence familiale révèle que 25 % d'entre elles sont déménagées dans un logement d'un réseau « parallèle » et que 19 % sont parties dans un « autre » logement; 12 % sont allées demeurer chez des amis ou des membres de leur famille; un pourcentage similaire de victimes sont retournées vivre avec leur conjoint; et 8 % sont revenues à la maison sans leur conjoint. On ne sait pas où sont allées les autres (25 %) (Centre canadien de la statistique juridique 2003). Ces données semblent indiquer que près du tiers des victimes qui avaient fui un milieu violent demeurent sans logement ou ont un logement instable (c'est-à-dire qu'elles emménagent avec des amis ou des parents ou que le personnel ne sait pas où elles vont) et qu'environ 10 % redeviennent des « sans-abri à la maison ».

Sans surprise, il a été observé que la corrélation entre l'utilisation des refuges et la sévérité de la violence était très forte. Un nombre deux fois plus grand d'utilisateurs de refuges avaient subi des blessures – 80 %, comparativement à 45 % pour les personnes qui n'avaient pas eu recours à un refuge – et 63 % avaient à un moment donné été assez sérieusement blessées pour nécessiter des soins médicaux (comparativement à 19 % pour l'ensemble des femmes violentées). Par ailleurs, les utilisatrices de refuges sont au moins deux fois plus nombreuses que les autres femmes victimes de violence à avoir déjà craint pour leur vie (85 % par rapport à 39 %).

En ce qui concerne les jeunesNote de bas de page 13, ceux qui sont retournés chez leurs parents ont généralement quitté rapidement le réseau des refuges. Toutefois, dans le cas des jeunes qui avaient été agressés par leurs parents, la durée des séjours en refuge la plus fréquemment observée allait d'un mois à deux ans (Springer et coll. 1998).

Questions liées aux services offerts dans les refuges

À Toronto, les femmes et les enfants qui sont victimes de violence familiale ont de plus en plus recours aux refuges pour sans-abri. En 2001, la Ville de Toronto a évalué qu'autant de femmes et d'enfants victimes de violence ont séjourné dans des refuges pour sans-abri que dans des refuges pour victimes de violence familiale (Toronto 2001). À Vancouver, au cours de cette même année, 26 % des quelque 2 100 personnes qui ont eu recours à des refuges d'urgence durant une période de onze mois ont déclaré que la violence au foyer ou l'éclatement de la famille était la principale cause de leur itinérance (Comité directeur régional sur l'itinérance de l'agglomération urbaine de Vancouver 2002).

Cette tendance peut être en partie attribuable au fait que les membres du personnel de certains refuges collaborent entre eux pour accueillir le surplus de clientèle des autres refuges, et en partie au fait que certaines victimes de violence familiale préfèrent utiliser des refuges pour sans-abri. Plusieurs raisons viennent à l'esprit pour expliquer une telle préférence : les personnes ne se voient peut-être pas comme des victimes de violence familiale; elles peuvent craindre la stigmatisation qui s'y rattache; elles cherchent peut-être un refuge dans lequel les règles et les politiques sont moins nombreuses et moins restrictives; s'il s'agit d'une mère, elle peut craindre de faire l'objet d'un signalement à un organisme de protection de la jeunesse ou elle veut éviter d'être séparée de ses enfants adolescents de sexe masculin, qui sont généralement exclus des refuges pour victimes de violence familiale.

En revanche, un grand nombre de victimes de violence familiale peuvent avoir besoin de services qui ne sont offerts que dans des refuges pour victimes de violence familiale – mentionnons notamment la sécurité accrue contre les membres violents de la famille que fournissent de tels refuges, ainsi que le counselling individualisé dont elles ont besoin pour faire face à leurs expériences traumatisantes.

Les refuges pour sans-abri ne sont probablement pas en mesure d'offrir le même niveau de sécurité aux victimes de violence familiale. (Il existe des cas documentés où les agresseurs – des membres de la famille ou des « fréquentations » – ont pourchassé les jeunes femmes jusque dans les refuges pour jeunes où elles demeuraient [Novac et coll. 2002b].) Il s'agit un facteur primordial, puisque pour certaines femmes qui quittent leur agresseur, il existe une probabilité accrue d'agression et d'escalade de la violence de la part du conjoint. Après avoir analysé plus de 1 200 cas de femmes ayant été tuées par leurs conjoints entre 1974 et 1994, Gartner et Crawford (1998) ont décelé plusieurs marqueurs de risque liés à l'événement, le premier étant la séparation récente. Ce risque doit être sérieusement pris en considération lorsque vient le temps de planifier la sécurité et de fournir des services. Le fait que, pour un grand nombre de femmes, devenir itinérante est une solution plus sécuritaire que de demeurer dans une relation violente n'amoindrit en rien un tel risque.

Dans le même ordre d'idées, en l'absence de counselling et d'autres services appropriés qui visent à aider les femmes et les enfants à surmonter leurs traumatismes, les personnes violentées ont tendance à devenir à nouveau des victimes, et plus particulièrement les femmes qui ont été agressées sexuellement durant leur enfance (Wyatt et coll. 1993).

Voici d'autres caractéristiques des refuges pour sans-abri qui pourraient dissuader les victimes de violence familiale de les utiliser :

  • présence de résidants de sexe masculin,
  • absence de personnel qualifié et capable de s'occuper de questions relatives à la violence familiale,
  • absence de services aux enfants,
  • absence de mesures précises visant à assurer la confidentialité,
  • absence de planification de la sécurité des femmes violentées,
  • sécurité inadéquate de l'édifice,
  • règles selon lesquelles les résidants doivent passer la journée à l'extérieur du refuge (Novac et coll. 2002b).

Browne (1993a) souligne que, parce qu'une forte proportion de femmes itinérantes ont été victimes d'agressions physiques ou sexuelles à plusieurs reprises au cours de leur vie, les refuges qui accueillent des femmes doivent être en mesure de leur offrir un soutien continu dans un environnement sûr, à l'abri de leurs agresseurs. Le personnel doit de plus connaître la dynamique relative à la violence familiale et à l'itinérance.

Quant aux jeunes sans-abri, ils préfèrent généralement utiliser les refuges et autres services conçus pour les jeunes plutôt que pour les adultes. Chez les jeunes itinérants, la violence familiale a pour conséquences un fort sentiment d'aliénation et de méfiance, et un isolement auto-imposé. Tous ces facteurs peuvent engendrer des problèmes psychosociaux, un syndrome de stress post-traumatique et de la dépression. Ils empêchent également les jeunes sans-abri d'aller demander de l'aide à des adultes. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d'offrir aux jeunes des services qui leur sont propres. Pour l'instant, de tels services ne sont toutefois disponibles que dans les grandes villes (Novac et coll. 2002b).

De plus, la plupart des refuges pour jeunes accueillent autant des garçons que des filles, ce qui soulève d'autres problèmes de sécurité. Les jeunes femmes hétérosexuelles itinérantes sont exposées à d'importants niveaux d'exploitation sexuelle et de violence durant les fréquentations lorsqu'elles résident dans des refuges qui accueillent des membres de deux sexes (ibid.).

Rétablissement et santé mentale

Dans ses études sur les traumatismes, Herman souligne que le rétablissement des victimes de violence familiale est un lent processus, un passage graduel d'une situation où le danger est imprévisible à une situation sécuritaire, d'un traumatisme dissocié à un souvenir accepté et d'un isolement stigmatisé à une connexion sociale restaurée (Herman 1992, 155). Un refuge sécuritaire et des relations encourageantes sont deux éléments essentiels au rétablissement.

Certains chercheurs pressent les fournisseurs de services d'être à l'affût des effets de la violence familiale au sein de leur clientèle. Par exemple, Bassuk et Perloff (2001, 137) font remarquer que les fournisseurs de services et les décideurs doivent être conscients de l'omniprésence des abus sexuels à l'endroit des enfants et de la violence récente infligée par un conjoint, et de leur lien avec l'utilisation de refuges de façon répétée. Les chercheurs ne proposent toutefois que rarement des moyens visant à modifier les pratiques professionnelles.

En pratique, le personnel et les résidants ne s'entendent pas nécessairement sur les besoins en matière de services des victimes de violence familiale, y compris celles qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique. Gorde et coll. (2004, 702) soutiennent que les membres du personnel des refuges et des maisons de transition accordent plus d'importance à la santé mentale des résidants et à leurs besoins thérapeutiques que ne le font les résidants eux-mêmes. Ces derniers font preuve d'un évitement défensif, ce qui peut nuire à leur participation au traitement. La priorité des résidants porte plutôt sur la recherche d'un endroit sûr et sécuritaire où ils pourront s'établir et gérer leur propre vie. Cela signifie que même pour les victimes ayant subi de graves traumatismes, la production d'un logement abordable et permanent est une condition préalable au processus de rétablissement.

Lorsque les victimes sont prêtes à entreprendre le processus de guérison, l'insuffisance des services de santé mentale financés par l'État est un obstacle majeur au rétablissement tant des jeunes itinérants que des adultes itinérants.

Syndrome de stress post-traumatique (SSPT)

Tel que mentionné précédemment, les résidantes des refuges pour femmes battues ont été soumises à des actes plus graves de violence physique, sexuelle et psychologique et elles sont plus nombreuses que les autres femmes agressées à avoir subi une blessure grave et à avoir craint pour leur vie (Trainor 1999). Des taux élevés durant la vie d'actes violents subis aussi bien durant l'enfance que de la part du conjoint (Browne 1993b) sont associés à une prévalence élevée du SSPT par la suite (North et Smith 1992) et à de l'itinérance à long terme (Goodman et coll. 1995). Le syndrome du stress post-traumatique est l'une des manifestions les plus fréquentes d'une victimisation traumatisante et il est souvent lié à la dépression et à la toxicomanie (Bassuk et coll. 1998; Davis 1998; Browne 1993b).

Comparativement aux femmes pauvres qui ont un logis, les itinérantes victimes de violence familiale qui souffrent du SSPT éprouvent plus de problèmes de santé chroniques et ont des relations plus problématiques avec les fournisseurs de soins de santé (Bassuk et coll. 2001). Les épisodes de violence sexuelle peuvent avoir une incidence sur la capacité des femmes à établir un lien de confiance et à souscrire par la suite à des programmes de soins de santé axés sur la prévention et le suivi (Goodman et coll. 1997).

Services offerts aux adultes plus âgés

Selon certains chercheurs, les personnes âgées victimes de violence familiale ne sont généralement pas à leur place dans des refuges pour victimes de violence familiale, et ce, pour plusieurs raisons : les refuges ne sont pas structurellement conçus pour répondre aux besoins de personnes plus âgées; le bruit et le niveau d'activités sont trop élevés et stressants pour ces dernières; il n'y a pas de soutien de la part de leurs pairs; et finalement, les refuges ne sont pas conçus pour satisfaire aux besoins des couples qui fuient ensemble un environnement violent (Bergeron 2000 cité par le Centre canadien de la statistique juridique 2003, 26).

Services offerts aux enfants sans-abri

La plupart des enfants qui accompagnent leurs mères dans un refuge pour victimes de violence familiale ont entre un an et quatre ans. Selon le personnel des refuges, une faible estime de soi est le problème le plus fréquent de ces enfants; viennent ensuite les troubles du comportement, de piètres aptitudes sociales, des résultats scolaires médiocres (SCHL 2001), ainsi que des problèmes de santé mentale, des problèmes chroniques de santé, une consommation abusive d'alcool et d'autres drogues, la malnutrition ainsi que des maladies connexes (Social Planning and Research Council of B.C. 2003). En raison de ressources limitées, seulement quelques refuges sont en mesure d'offrir aux familles des services de suivi (SCHL 2001).

Services offerts aux jeunes sans-abri

Plusieurs chercheuses et chercheurs américains ont exploré les conséquences psychosociales des mauvais traitements subis par les jeunes sans-abri. Les jeunes qui ont été agressés à la maison par leurs parents sont plus susceptibles d'être à nouveau des victimes durant un épisode d'itinérance que ceux qui ne l'ont pas été (Whitbeck et Simons 1990). Les adolescentes et les adolescents qui avaient été agressés à la fois physiquement et sexuellement au sein de leur famille manifestaient de plus graves problèmes psychologiques et couraient un plus grand risque d'être de nouveau des victimes (Ryan et coll. 2000). Whitbeck et Hoyt (1999) ont constaté que les jeunes femmes sans abri ayant été agressées sexuellement par un adulte qui en avait la charge étaient deux fois plus nombreuses que les jeunes hommes à être victimes d'un nouvel acte de violence.

Les adolescents qui fuguent pour échapper à l'agression sexuelle et à la brutalité physique au sein de leur famille éprouvent des besoins émotifs particuliers qui les distinguent des jeunes qui fuient des parents trop sévères ou qui fuguent pour d'autres raisons. Ils éprouvent de plus graves problèmes de séparation, il leur reste davantage de problèmes à régler avec leurs parents et ils connaissent des difficultés dans leurs relations après avoir quitté la maison (Powers et coll. 1990).

Selon le modèle « d'amplification du risque » élaboré par Whitbeck et Hoyt (1999), les effets négatifs des torts psychologiques causés à un jeune âge par des familles violentes sont amplifiés lorsque les adolescents sont laissés à eux-mêmes. Lorsque la séparation avec les parents est plus difficile sur le plan affectif, les adolescents doivent compter davantage sur leurs pairs, qui leur fournissent l'information et le soutien nécessaires à leur socialisation et à leur survie dans la rue. Les réseaux sociaux marginaux et les comportements à risque élevé les rendent plus vulnérables à une victimisation grave, et ils peuvent se trouver de nouveau agressés et exploités. Cette nouvelle victimisation ainsi que des relations agressives ou coercitives viennent renforcer ce que les adolescents ont appris au sein de leur famille. Il est très difficile de renverser ce processus. Les tentatives de les obliger à se soumettre ne font que renforcer leur vision du monde comme un lieu agressant et coercitif. Les démêlés inévitables avec le système judiciaire font de même.

Kurtz et coll. (1991) ont soutenu qu'une protection temporaire, des interventions en cas de crise et des services de consultation ne sont pas suffisants dans le cas des jeunes qui ont été victimes de violence ou dans le cas des « doublement sans-abri » qui se sont enfuis de foyers ou de centres. Pour ces jeunes, il faut des services plus approfondis d'évaluation, de traitement et de placement, lesquels devraient être fournis par l'entremise d'une coordination et d'une gestion de services « souples et indulgents » entre les organismes. De tels services devraient entre autres permettre aux jeunes d'accéder à des conditions de logement qui diffèrent des familles d'accueil ou des foyers collectifs, dont bon nombre d'entre eux se sont enfuis.

Les programmes de formation et l'employabilité ne s'adressent pas à tous les jeunes sans-abris. Certains jeunes qui ont été traumatisés par la violence familiale ne seront peut-être pas en mesure de chercher ou de conserver un emploi jusqu'à ce que leur processus de rétablissement soit bien enclenché. Novac et coll. (2002b) ont établi qu'il existait un besoin en matière de refuge, particulièrement pour les jeunes femmes, afin de les aider à faire face aux agressions survenues dans le passé et à aborder leur faible estime de soi et leurs problèmes en matière de sexualité et de relations interpersonnelles.

Besoin de logements permanents, de transition et de soutien

Au cours d'une journée précise en 2002, près du quart des refuges pour victimes de violence familiale au Canada (115 sur 482) ont dû refuser à des personnes qui en avaient besoin, généralement parce que le refuge était rempli à pleine capacité (Centre canadien de la statistique juridique 2003). Dans une enquête menée dans 391 refuges pour femmes battues, le quart des répondantes ont mentionné qu'il devrait y avoir un plus grand nombre de refuges. Un tiers des répondantes ont également souligné la nécessité d'avoir un plus grand nombre d'unités de logement de transition ou de résidences de seconde étape (SPR Associates 2002a).

Un grand nombre de programmes de logements de transition ont été mis sur pied dans le but d'aider les personnes et les familles itinérantes. Même si les modèles des programmes varient, ils offrent généralement un logement temporaire pour une période pouvant aller de trois mois à trois ans, ainsi que toute une gamme de services de soutien. Une évaluation de plus de 500 programmes de logements de transition faite aux États-Unis a révélé que les familles qui participaient à de tels programmes jusqu'à la fin affichaient un taux élevé de stabilité en matière de logement (90 %). Le taux de succès était toutefois significativement inférieur chez les femmes battues (41 à 61 %) et, généralement, leur situation d'emploi ne s'améliorait pas (Novac et coll. 2004).

Que les programmes de logements de transition constituent ou non une réponse appropriée à l'itinérance, particulièrement pour les familles avec enfants à charge, leur efficacité est liée à l'existence de logements de deuxième étape abordables (ibid.). Dans un rapport sur l'itinérance publié en 2003, la ville de Toronto a constaté qu'il fallait un plus grand nombre d'unités de logement de soutien (des logements subventionnés, assortis de services de soutien et sans limite quant à la durée du séjour) pour plusieurs sous-groupes d'itinérants, notamment les femmes qui fuient des relations violentes (Toronto 2003).

Une importante étude menée dans neuf villes américaines a permis de déterminer que la prestation de logements permanents subventionnés était plus efficace, du moins pour les familles itinérantes, que les programmes de logements de transition. La majorité (88 %) des 781 familles itinérantes chroniques avaient toujours une demeure 18 mois après avoir obtenu un logement permanent et des services de soutien à court terme, malgré le fait qu'une très forte proportion des mères présentaient des facteurs de risque liés à des mauvais traitements durant leur enfance, avaient un faible niveau de scolarité, éprouvaient des problèmes de santé, avaient été victimes de violence familiale et souffraient de dépendance à l'alcool et aux autres drogues (Rog et coll. 1995).

Un autre programme américain qui visait à prévenir la violence familiale ainsi qu'à réduire la victimisation répétée offrait toute une gamme de services afin d'aider les femmes à fuir des relations violentes. De tous les services offerts—éducation, soutien juridique, services de garde d'enfants, logement autonome, formation professionnelle, développement d'aptitudes à vivre de façon indépendante, aide pour s'y retrouver dans le système d'aide sociale, etc. —, la prestation d'un logement s'est avérée un élément essentiel pour réduire la probabilité d'autres épisodes de violence. De toutes les femmes qui ont obtenu un logement autonome permanent, 98 % ont déclaré n'avoir subi aucune autre victimisation. Au nombre des femmes qui sont retournées vivre dans leur ancienne demeure, avec leur ancien agresseur, 86,3 % ont affirmé avoir à nouveau été victimes de mauvais traitements. Même si le fait d'être employée protège aussi les femmes, le logement est le facteur qui a été le plus fortement associé à la sécurité à long terme de ces dernières; il a été jugé plus efficace que les solutions offertes par la justice pénale (Webscale et Johnson 1998 cités dans Pascall et coll. 2001).

Protection de l'enfance

Raychaba (1993) a critiqué le système canadien de prise en charge qui, selon lui, engendre trop de changements dans les placements et, surtout, trop d'instabilité dans les relations. Il a soutenu que des relations stables et à long terme, empreintes de confiance, avec les intervenantes et les intervenants donnent de meilleurs résultats pour les jeunes confiés à la garde de l'État, mais ce sont celles qui sont le plus rares. En Ontario, les pupilles de l'État changeaient en moyenne une fois l'an de placement ou de travailleuse ou travailleur social.

Les deux tiers d'un groupe d'anciens pupilles de l'État habitant dans un grand refuge pour jeunes de Toronto ont affirmé qu'on ne les avait pas préparés à la vie autonome. Ils étaient moins nombreux que les autres jeunes sans-abri à avoir un réseau de soutien composé de proches et d'amies ou amis. Ce groupe comprenait les jeunes femmes qui avaient de nouveau des rapports avec les organismes de protection de l'enfance à titre de parents (Leslie et Hare 2000). Leslie et Hare (2000) ont recommandé de réviser la limite d'âge imposée par ces organismes et ont proposé que les anciens pupilles de l'État puissent se prévaloir de contrats de services jusqu'à ce qu'ils aient atteint 21 ans.

Par ailleurs, dans le système de placement en familles d'accueil, les enfants n'ont pas souvent accès à des séances de thérapie pour les aider à faire face aux mauvais traitements et à la négligence dont ils ont été victimes au sein de leurs familles. Dans un certain nombre de cas, des enfants ont subi d'autres mauvais traitements au sein de leurs familles d'accueil ou de leurs foyers de groupe (Roman et Wolfe 1997; Downing-Orr 1996; Zlotnick et coll. 1998).

Politiques spéciales en matière de logement prioritaire

Des politiques spéciales en matière de logement pour les victimes de violence familiale sont en vigueur dans plusieurs provinces et territoires. Elles visent à reloger rapidement les victimes de violence familiale devenues itinérantes en leur accordant en priorité un accès à des logements subventionnés. Il n'existe cependant aucune mesure de leur efficacité à atteindre leur objectif premier ou à prévenir l'itinérance.

En Ontario, où une telle politique a été adoptée en 1986, on a signalé que certaines agences locales de logement ont multiplié leurs demandes de vérification et de renseignements sur les mauvais traitements subis, dans le but d'établir l'admissibilité des clients, et qu'elles ont ignoré des demandes qui portaient sur des cas de violence autres que physique (OAITH 1998). En Australie et en Grande-Bretagne, certains fournisseurs de services ont déclaré que de telles politiques leur avaient causé des difficultés similaires (Dillon 2001; Malos et Hague 1997). Davis (2003) a attribué ces problèmes à différents facteurs, notamment le manque de consultation avec le personnel des agences de logement au moment de l'élaboration des politiques et la formation inadéquate du personnel en ce qui a trait à la dynamique de la violence envers une conjointe.

En 2002, le bureau du coroner de l'Ontario a mené une enquête sur la mort de Gillian Hadley. Cette dernière a été tuée par son mari après qu'il eut été reconnu coupable de l'avoir agressée et qu'il lui était interdit de se présenter à leur domicile pendant qu'elle attendait d'être relogée. L'enquête a mis en lumière les lacunes de la politique de priorité – plus particulièrement l'exigence selon laquelle la demande de logement doit être présentée dans les trois mois suivant la séparation de la requérante de son agresseur. Étant donné que bien des hommes violents continuent à harceler, à menacer et à attaquer leurs anciennes conjointes plusieurs années après une séparation, et compte tenu du fait que les femmes sont exposées à un risque plus élevé au cours de la première année de séparation, la limite de trois mois constitue un obstacle dont pourraient se passer les femmes violentées ou celles qui sont menacées de l'être.

Parmi les nombreuses recommandations qu'elle a présentées au coroner, l'Ontario Association of Interval and Transition Houses (Association des maisons de transition et d'hébergement de l'Ontario) a demandé la levée de la restriction de trois mois, une vérification des institutions et des agences de logement dans le but d'assurer une application uniforme de la politique, ainsi que la mise en place d'un processus de plaintes transparent destiné aux demandeurs de logements subventionnés.

Violence familiale et prévention de l'itinérance

Malgré les taux élevés de violence familiale parmi les antécédents des personnes qui deviennent itinérantes, Shinn et Baumohl (1999) se sont demandé à quoi pourrait ressembler un programme visant à prévenir une éventuelle violence. Ils ont soutenu qu'il serait plus efficace, comme moyen de prévenir l'itinérance, de s'occuper du problème de logement dès le début que de déployer des efforts pour empêcher la violence familiale. Ils ont reconnu qu'il serait possible de réduire les facteurs de risque de l'itinérance grâce à l'adoption de stratégies universelles qui viseraient à prévenir la violence familiale (en modifiant les normes de comportement acceptable, en punissant les agresseurs et en offrant soutien et éducation aux parents) ainsi qu'à diminuer la nécessité de recourir à des placements en famille d'accueil et à accroître la qualité des services qui y sont offerts. La grande majorité des enfants maltraités et placés en familles d'accueil ne deviennent toutefois pas des itinérants, et les retombées positives de la prévention de l'itinérance seraient donc très graduelles.

Le repérage des familles où il existe un risque de violence et la détermination des interventions appropriées soulèvent des défis de taille. Même si les programmes qui visent à prévenir la violence familiale sont, en soi, utiles, ces chercheurs ne soutiennent pas l'application de tels programmes comme moyens de prévention de l'itinérance. Dans les cas où la violence est déjà présente dans les foyers, ils se sont prononcés contre toute tentative de maintien du foyer. Il affirment plutôt que les refuges d'urgence et des logements subventionnés permanents sont les seules mesures de prévention efficaces. Ils ont répété les résultats d'une importante étude menée à New York (Shinn et coll. 1998) dans laquelle il avait été observé que les familles qui avaient accès à des logements subventionnés parvenaient à atteindre une stabilité résidentielle à long terme, sans égard à leurs antécédents de mauvais traitements, de placements et de pauvreté durant l'enfance ainsi que de violence familiale à l'âge adulte.

Relogement des victimes

Sur la voie qui mène à l'itinérance, il existe des différences entre les hommes et les femmes. Les femmes itinérantes ont plus souvent été victimes de violence familiale et présentent des taux plus élevés de maladie mentale, tandis que les hommes sans-abri ont plus souvent connu des périodes de chômage, d'incarcération et de consommation abusive d'alcool et de drogues. Brown et Capponi (1993) ont recommandé d'étudier avec soin les risques éventuels que pourraient présenter de nouveaux projets d'habitation qui regrouperaient des hommes et des femmes anciennement sans-abri, sans tenir suffisamment compte de leurs différents antécédents.

De nombreux projets s'adressant autant aux hommes qu'aux femmes ont été mis sur pied à Toronto à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Il s'agissait en grande partie de petits logements autonomes; il y avait également quelques appartements partagés. Une enquête menée auprès de femmes habitant dans de tels logements a révélé que même si elles étaient plutôt satisfaites de leurs nouvelles unités résidentielles, elles subissaient un niveau élevé de harcèlement et d'agression de la part des résidants masculins. Les femmes ne signalaient généralement pas les incidents de harcèlement sexuel aux administrateurs, mais lorsqu'elles le faisaient, elles étaient souvent très déçues des résultats. Les promoteurs immobiliers, les administrateurs et d'autres membres du personnel doivent recevoir de la formation afin qu'ils soient en mesure d'anticiper les risques, de prévenir le harcèlement sexuel et de proposer des solutions efficaces (Novac et coll. 1996). Tout comme les employeurs ont dû apprendre à composer avec les problèmes de harcèlement sexuel en milieu de travail, les administrateurs d'immeubles résidentiels devront faire de même dans leur propre environnement.

Lacunes sur le plan de la recherche

Il y a plus de dix ans, Fischer (1992, 237) faisait remarquer que les chercheurs tardaient à reconnaître le rôle occupé par la violence familiale dans les habitudes d'itinérance.

[TRADUCTION] « Les chercheurs, généralement à la suite d'études secondaires à partir de résultats antérieurs, ont réalisé plutôt tardivement le rôle crucial que joue la victimisation dans l'apparition et le maintien de l'itinérance. En examinant les voies qui mènent à l'itinérance, ils ont commencé à soupçonner qu'une telle situation pouvait être le résultat direct de certaines formes de victimisation — principalement d'une violence conjugale qui force les femmes à fuir leur domicile [...]. Toutefois, l'effet peut-être le moins attendu de la victimisation a été révélé presque fortuitement par les résultats d'anciennes études, dans lesquelles ont été observés des taux excessivement élevés de différents indicateurs de dysfonctionnement familial durant la tendre enfance, particulièrement en ce qui a trait au placement en famille d'accueil et aux actes d'agression physique et sexuelle. »

Les recherches liant la violence familiale à l'itinérance ont beaucoup progressé depuis ce temps, mais elles n'en sont encore qu'aux premières étapes. Un grand nombre de questions demeurent sans réponse. Au cours de leur évaluation des implications des liens entre la violence familiale et l'itinérance, Braun et Black (2003) ont souligné l'existence de lacunes en matière de recherche dans les deux domaines suivants :

  • les réalités complexes et ignorées des femmes itinérantes victimes de violence familiale,
  • les pratiques exemplaires en matière de prestation de services.

Les chercheurs ont recommandé de mener des enquêtes qui pourraient combler les lacunes dans ces deux domaines, comme en fait foi la liste qui suit.

Réalités complexes

  • Bassuk et Perloff (2001, 316) ont demandé la tenue de recherches supplémentaires afin de clarifier l'impact de la victimisation violente sur l'itinérance à répétition, plus particulièrement pour comprendre dans quelle mesure les agressions sexuelles subies durant l'enfance permettent de prédire une itinérance chronique, par opposition à des actes récents de violence infligés par un conjoint, lesquels peuvent être des marqueurs d'une itinérance épisodique.
  • Certaines données indiquent une fluctuation cyclique chez les jeunes femmes itinérantes ayant vécu durant leur enfance de traumatisants épisodes de conflits et de violence familiale, une prise en charge par le système de protection de la jeunesse et des grossesses à l'adolescence (Novac et coll. 2002b). Il peut également exister un facteur intergénérationnel. Aucune étude empirique, menée au Canada ou ailleurs, n'a cependant examiné cette dynamique.
  • Plusieurs analystes ont souligné que nous ne savons pratiquement rien sur les causes intermédiaires de l'itinérance, ni sur les mécanismes de protection qui pourraient les atténuer. [TRADUCTION] « Une analyse des réseaux pourrait nous permettre d'en savoir plus sur le fonctionnement des familles, des amis, des réseaux informels, des voisins, des pairs et des groupes sous-culturels et sur la manière dont ils peuvent prévenir ou exacerber l'itinérance » (Avramov 1998, 20). Existe-t-il des mécanismes de protection informels qui permettent de prévenir l'itinérance chez les victimes de violence familiale? Et si oui, peuvent-ils être renforcés par des appuis publics ou offerts de manière plus officielle par l'entremise de ressources publiques?
  • Il semble que des antécédents de violence familiale soient un facteur qui contribue à augmenter les probabilités d'itinérance à répétition, mais nous n'avons en réalité rien de tangible qui permette d'expliquer une telle situation. Des études longitudinales sur les personnes itinérantes victimes de violence familiale pourraient nous permettre de repérer les facteurs qui contribuent à l'itinérance à répétition et de proposer des interventions efficaces.
  • Des recherches visant à étudier les facteurs qui contribuent à la surreprésenta-tion des femmes autochtones au sein de la population itinérante seraient particulièrement justifiées dans ce contexte.
  • Le lien entre la pauvreté et l'itinérance est un sujet qui justifierait d'autres recherches ciblées, pouvant nous fournir des statistiques fiables. Il faudrait également se pencher sur la relation entre ce problème et le nombre de logements sociaux disponibles et de logements abordables.
  • Bufkin et Bray (1998) ont cherché à savoir si les femmes itinérantes éprouvaient les mêmes problèmes par rapport à leurs agresseurs que les femmes ayant un logement permanent, c'est-à-dire des incidents de harcèlement, de harcèlement criminel et de violence physique.

Services et prévention

  • Nous manquons d'information sur l'utilisation, par les femmes battues, des refuges pour sans-abri et sur les expériences qu'elles y vivent, comparativement aux refuges pour victimes de violence familiale. Par exemple, Krishnan et Hilbert (1998) préconisent une collaboration entre les refuges pour sans-abri et les refuges pour victimes de violence familiale afin de pouvoir mieux répondre aux besoins des femmes qui utilisent les refuges pour sans-abri. Des recherches permettraient de déterminer dans quelle mesure ce phénomène se produit et de savoir si cette utilisation est appropriée.
  • Étant donné que le système de protection de la jeunesse ne recueille aucun renseignement sur ce qu'il advient de ses clients après leur départ (p. ex., deviennent-ils itinérants lorsqu'ils quittent le système?), des projets devront être menés pour établir la dynamique du chemin qui mène du système public à l'itinérance et pour déterminer l'ampleur du problème ainsi que les facteurs qui permettent de différencier ceux qui deviendront itinérants de ceux qui ne le deviendront pas, en portant une attention toute particulière au rôle joué par la violence familiale.
  • Tel qu'indiqué précédemment, comparativement aux autres femmes battues, les femmes qui demeurent dans des refuges pour victimes de violence familiale ont été soumises à des actes de violence physique, sexuelle et psychologique plus fréquents et plus graves, et elles sont plus nombreuses à avoir subi une blessure grave et à avoir craint pour leur vie (Trainor 1999). Cette situation pourrait également s'appliquer à leurs enfants. Si nous pouvions établir que leur risque d'itinérance future est plus grand que celui des victimes de violence familiale qui utilisent des refuges pour sans-abri, nous pourrions conclure que l'octroi de plus de ressources aux refuges pour victimes de violence familiale serait un investissement minimal avisé.
  • Nous ne savons presque rien des besoins des victimes de violence familiale en ce qui a trait au logement à long terme et aux services de soutien.
  • Au Canada, aucune étude n'a été réalisée sur l'efficacité des recours judiciaires visant à retirer l'agresseur du domicile familial ou à protéger les victimes de pertes financières. Des recherches menées au Royaume-Uni ont révélé que les juges hésitaient à obliger des maris violents à quitter leur foyer. Une étude menée auprès de 656 femmes vivant dans des refuges pour victimes de violence familiale a permis de déterminer que seulement 8 % d'entre elles comptaient sur une loi qui les protégeraient en leur permettant de retourner à leur domicile, duquel l'agresseur serait banni. Par ailleurs, après un an, seulement 4 % des femmes demeuraient encore là (Binney et coll. cité par Pascall 1986, 154-6). En Australie, des travailleuses féministes du domaine de l'habitation ont exercé des pressions en faveur d'une réforme de la loi s'appliquant aux propriétaires et aux locataires afin que les femmes qui quittent leur domicile pour des raisons de violence puissent rompre leur bail et qu'ainsi elles n'aient pas à assumer le paiement de leur loyer après leur départ (Dillon 2001).

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