ARCHIVÉ - Augmentation de la sensibilité de Streptococcus pneumoniae à la pénicilline - Providence Health Care, Vancouver, Colombie-Britannique, 1998-2003

 

Introduction

Depuis son apparition il y a plus de 40 ans, Streptococcus pneumoniae résistant à la pénicilline s'est répandu dans le monde entier; de fait, c'est probablement le mode de résistance qui a été le plus documenté du point de vue épidémiologique et microbiologique(1,2,3). Au Canada, on a observé une augmentation alarmante du nombre signalé d'isolats non sensibles à la pénicilline (résistance intermédiaire et résistance de haut niveau) au cours des 10 dernières années(4,5). Nous présentons dans ce rapport le résumé de 6 années de surveillance de la sensibilité de S. pneumoniae à la pénicilline dans un grand centre de soins secondaires, tertiaires et quaternaires de l'Ouest du Canada.

Méthodologie

Une surveillance en laboratoire de la sensibilité de S. pneumoniae à la pénicilline a été exercée du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2003. Toutes les souches de S. pneumoniae isolées dans les échantillons cliniques qui ont été signalées officiellement par le laboratoire de microbiologie au médecin prescripteur ont été incluses dans la base de données. Les échantillons provenaient d'un grand centre universitaire de référence (St. Paul's Hospital), de deux hôpitaux communautaires (Mount St. Joseph's Hospital et St.Vincent's Hospital) de même que d'un certain nombre de centres communautaires de consultations externes et de résidences de soins. Tous les isolats accompagnés d'un rapport final ont fait l'objet de l'analyse, peu importe le site de prélèvement.

Les colonies alpha-hémolytiques soupçonnées de contenir S. pneumoniae ont fait l'objet de sous-cultures sur des plaques de gélose à 5 % de sang de mouton et ont été incubées pendant 18 à 24 h à 35 °C dans du CO2 à 5 % à 10 %. Les organismes ont été identifiés à l'aide d'un certain nombre de techniques, notamment la coloration de Gram, la morphologie des colonies et les caractéristiques de croissance, la sensibilité à l'optochine et le test de coagglutination Phadebact® pour les pneumocoques. Des analyses supplémentaires de la solubilité dans la bile ont été effectuées au besoin.

Pour étudier la résistance à la pénicilline, nous avons utilisé un disque de 1 µg d'oxacilline, et tous les isolats comportant des zones d'inhibition de >= 20 mm ont été jugés sensibles conformément aux recommandations du NCCLS (anciennement connu sous le nom de National Committee for Clinical Laboratory Standards)(6). La concentration minimale inhibitrice (CMI) pour S. pneumoniae sensible à la pénicilline a été établie à 0,06 mg/L(6).

Des données cumulatives annuelles sur la sensibilité de S. pneumoniae à la pénicilline ont été extraites du système informatique du laboratoire de microbiologie. Un test du chi carré pour la tendance a été effectué pour calculer la signification statistique à l'aide du logiciel Epi-Info 6 (édition 6.04d, CDC, Atlanta et OMS, Genève).

Résultats

En tout, 1 218 isolats de S. pneumoniae ont été récupérés au cours de la période de surveillance de 6 ans. De ce nombre, 793 (65 %) provenaient du St. Paul's Hospital. Le tableau 1 présente les données cumulatives sur la sensibilité de S. pneumoniae ainsi que le nombre annuel d'isolats identifiés et analysés chaque année. Entre 1998 et 2003, la proportion d'isolats de S. pneumoniae sensibles à la pénicilline n'a cessé de progresser, passant de 77 % à 88 % (p = 0,001).

Tableau 1. Données cumulatives sur la sensibilité à la pénicilline des isolats de Streptococcus pneumoniae, Providence Health Care, 1998-2003 (n = 1 218)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Pourcentage d'isolats sensibles*

77

80

85

85

86

88

Nombre d'isolats analysés

136

260

208

199

236

179

*Exclut les isolats présentant une résistance intermédiaire (CMI 0,12-1 mg/L) et les isolats résistants (CMI >= 2 mg/L)


La figure 1 donne un aperçu du nombre d'isolats selon le type d'échantillon. La majorité des streptocoques ont été isolés dans les expectorations, 664 (54,5 %). Par ailleurs, 252 (20,7 %) provenaient de sites stériles (sang, liquide céphalorachidien et liquide articulaire). S. pneumoniae a également été isolé dans divers autres prélèvements : oeil, oreille, plaie et urine.


Figure 1. Isolats de Streptococcus pneumoniae selon le type d’échantillon, Providence Health Care, 1998-2003 (n = 1 218)

Figure 1. Isolats de
            Streptococcus pneumoniae selon le type d’échantillon,
            Providence Health Care, 1998-2003 (n = 1 218)

Analyse

Les souches de S. pneumoniae affichant une sensibilité réduite à la pénicilline représentent un important problème pour les cliniciens et les autorités sanitaires dans tout le Canada et le reste du monde. Bien que la prévalence de S. pneumoniae présentant une sensibilité réduite à la pénicilline varie grandement selon la géographie, des rapports faisant état de taux anormalement élevés de résistance à la pénicilline ont été largement diffusés et ont ainsi influé sur les lignes directrices nationales relatives au traitement des pneumonies extrahospitalières et d'autres manifestations pneumococciques(7,8). Les médecins qui traitent des patients atteints d'une infection qu'ils présument être due à S. pneumoniae subissent de plus en plus de pressions en vue de prescrire des antibiotiques à large spectre, tels que les fluoroquinolones de dernière génération et la vancomycine.

Contrairement aux résultats de programmes multicentriques et nationaux de surveillance au Canada et à l'étranger(4,9), le présent rapport décrit une augmentation de la sensibilité de S. pneumoniae à la pénicilline dans un grand centre de santé de Vancouver pour la période de 1998 à 2003. Cette inversion apparente de la tendance à la hausse de la résistance du pneumocoque a d'importantes répercussions cliniques. Tout d'abord, les cliniciens qui soignent des patients atteints d'une infection à S. pneumoniae doivent examiner soigneusement les profils locaux de résistance aux antimicrobiens lorsqu'ils prennent une décision concernant le traitement empirique. Les lignes directrices nationales en matière de traitement jouent un rôle important en guidant les médecins dans le choix de la modalité thérapeutique la plus indiquée; toutefois, ces lignes directrices se fondent souvent sur des données nationales de surveillance et peuvent être moins utiles lorsque les taux de résistance varient grandement d'une région à l'autre. Il est encore moins recommandable de suivre les lignes directrices d'autres pays, car ces recommandations se fondent inévitablement sur des données de surveillance recueillies en terrain encore plus éloigné.

Deuxièmement, le recours à des fluoroquinolones «respiratoires» à très large spectre comme antibiotiques de première intention pour les pneumonies extrahospitalières dans les régions où la résistance à la pénicilline est rare peut être inutile, voire excessif(7). Il peut être plus prudent de réserver ces agents aux patients qui sont infectés par un micro-organisme qu'on sait être porteur d'une résistance franche à la pénicilline.

Troisièmement, par suite de l'introduction et de l'usage accru du vaccin conjugué heptavalent contre le pneumocoque, on doit s'attendre à une réduction possible du nombre de porteurs et de souches en circulation de S. pneumoniae non sensible à la pénicilline chez les enfants immunisés et leurs contacts(10). Les données fournies dans le présent rapport ont cependant été recueillies avant l'adoption généralisée du vaccin conjugué en Colombie-Britannique, ce qui veut dire que d'autres facteurs peuvent être à l'origine de l'augmentation de la sensibilité.

Conclusions

Bien que l'augmentation de la résistance de S. pneumoniae à la pénicilline ait été bien documentée dans la littérature médicale, la surveillance en laboratoire exercée par Providence Health Care met en évidence une tendance à la hausse de la sensibilité à la pénicilline pour la période de 1998 à 2003. Les études de la CMI n'ont pas été effectuées systématiquement sur tous les isolats de S. pneumoniae; nous n'avons donc pas pu inclure des taux exacts de résistance intermédiaire et de résistance de haut niveau dans l'analyse. Ce rapport souligne néanmoins l'importance d'examiner les données locales sur la sensibilité au moment de prendre une décision concernant le traitement empirique. Les médecins devraient y penser à deux fois avant de prescrire systématiquement des fluoroquinolones «respiratoires» aux patients souffrant d'une infection pneumococcique non compliquée comme médicaments de première intention lorsque l'administration de pénicillines standard pourrait suffire.

Remerciements

L'auteur aimerait remercier Catherine Haynes pour son aide dans l'extraction des données. Kate Cummings a également contribué aux calculs statistiques. Il convient également de souligner le travail effectué par le personnel de laboratoire de la Division of Medical Microbiology, Providence Health Care.

Références

  1. Low DE. The era of antimicrobial resistance - implications for the clinical laboratory. Clin Microbiol Infect 2002;8:9-20.

  2. Goldstein FW, Garau J. 30 years of penicillin-resistant S. pneumoniae: myth or reality? Lancet 1997;350:233-4.

  3. Forward KR. The epidemiology of penicillin resistance in Streptococcus pneumoniae. Semin Respir Infect 1999;14:243-54.

  4. Zhanel GG, Palatnick L, Nichol K et coll. Antimicrobial resistance in respiratory tract Streptococcus pneumoniae isolates: results of the Canadian Respiratory Organism Susceptibility Study, 1997 to 2002. Antimicrob Agents Chemother 2003;47:1867-74.

  5. Greenberg D, Speert DP, Mahenthiralingam E et coll. Emergence of penicillin-nonsusceptible Streptococcus pneumoniae invasive clones in Canada. J Clin Microbiol 2002;40:68-74.

  6. NCCLS. Performance standards for antimicrobial susceptibility testing; fourteenth informational supplement, NCCLS document M100-S14. 2004, Wayne, Pennsylvania.

  7. Mandell LA, Marrie TJ, Grossman RF et coll. Canadian guidelines for the initial management of community-acquired pneumonia: an evidence-based update by the Canadian Infectious Diseases Society and the Canadian Thoracic Society. Clin Infect Dis 2000;31:383-421.

  8. Mandell LA, Bartlett JG, Dowell SF et coll. Update of practice guidelines for the management of community-acquired pneumonia in immunocompetent adults. Clin Infect Dis 2003;37:1405-33.

  9. Feldman C. Clinical relevance of antimicrobial resistance in the management of pneumococcal community-acquired pneumonia. J Lab Clin Med 2004;143:269-83.

  10. Klugman KP. Efficacy of pneumococcal conjugate vaccines and their effect on carriage and antimicrobial resistance. Lancet Infect Dis 2001;1:85-91.

Source : M Romney, MD, FRCPC, DTM&H, Providence Health Care, Vancouver (C.-B.)


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