Note internationale - Surveillance de la paralysie flasque aiguë : plateforme mondiale pour le dépistage des maladies infectieuses prioritaires et la riposte
Généralités
Suite à la résolution de 1988 de l'Assemblée mondiale de la santé d'éradiquer la poliomyélite, le nombre de pays dans lesquels cette maladie est considérée comme endémique est passé de plus de > 125 en 1988 à six seulement à la fin de l'année 2003. Dans le cadre des stratégies d'éradication, on a mis en place un réseau mondial de surveillance sensible, qui détecte une forte proportion des cas de paralysie flasque aiguë (PFA) chez les enfants de <= 15 ans, en soumettant des échantillons coprologiques à des examens virologiques visant à détecter les cas de poliomyélite paralytique. À mesure que les réseaux de surveillance de la PFA parvenaient à maturité, les pays ont de plus en plus utilisé les structures mises en place pour surveiller ce syndrome afin de dépister d'autres maladies prioritaires, dans la plupart des cas, la rougeole et d'autres maladies évitables par la vaccination. Dans la région de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) des Amériques, on a ajouté la surveillance de la fièvre et de l'éruption cutanée au dépistage de la rougeole et de la rubéole. Dans la région OMS de l'Afrique, la surveillance de la PFA a fourni le noyau à partir duquel s'est développé un réseau de «Surveillance intégrée de la maladie et de riposte» (IDSR), visant les maladies infectieuses prioritaires. Le présent rapport décrit l'état actuel de la surveillance de la PFA dans le monde et son développement pour prendre en charge le signalement de la rougeole et d'autres maladies évitables par la vaccination. Il examine également dans quelle mesure les réseaux de surveillance de la PFA élargis pourraient être utilisés comme plateforme pour un réseau mondial de détection des maladies et de riposte.
Le réseau de surveillance de la PFA
Toute initiative d'éradication d'une maladie s'appuie sur une surveillance hautement sensible pour guider les actions programmatiques. Cette surveillance est particulièrement importante pour l'éradication de la polio dans la mesure où seule une contamination sur 200 par le poliovirus se traduit par une maladie paralytique cliniquement apparente. Pour identifier et éliminer les poches restantes de transmission du poliovirus sauvage, la surveillance doit détecter et investiguer le plus grand nombre possible de cas de poliomyélite paralytique.
La surveillance de la PFA repose sur une définition de cas normalisée du syndrome de «paralysie flasque aiguë», qui, par définition, couvre tous les cas de poliomyélite paralytique. La qualité de la surveillance de la PFA est suivie à l'aide d'indicateurs normalisés, qui sont destinés à évaluer la sensibilité du signalement des PFA, l'adéquation des conditions de collecte des échantillons (moment et quantité), ainsi que la qualité et la professionnalité de l'appui apporté par les laboratoires. Le taux de PFA non poliomyélitique (tableau I), une spécificité de la surveillance de la PFA, permet de comparer l'exhaustivité du signalement des cas de PFA d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays, étant donné qu'un cas ou plus de PFA non poliomyélitique pour 100 000 enfants de < 15 ans indique une surveillance sensible.
La surveillance de la PFA est tributaire des principaux éléments suivants : (i) signalement et investigation immédiats des cas de PFA, (ii) signalement négatif mensuel de routine (signalement «zéro cas» même si aucun cas de PFA n'est observé) de la part de l'ensemble des établissements de santé et (iii) visites hebdomadaires de surveillance active aux établissements de santé prioritaires et autres sites de notification susceptibles d'observer des cas de PFA. Dans les pays industrialisés ou à revenus moyens, les réseaux de surveillance de la PFA sont intégrés à des réseaux de surveillance des maladies existants et sont gérés par du personnel de santé national. Les pays en développement disposant de ressources plus réduites reçoivent un appui technique et financier externe considérable pour la surveillance de la PFA. Dans ces pays, un réseau de responsables médicaux de la surveillance a été mis en place pour garantir un fonctionnement adéquat du réseau de surveillance. Des liens entre les agents de santé publics et les cliniciens sont instaurés grâce à de fréquentes interventions pour informer et sensibiliser les cliniciens. Dans les pays ne disposant pas d'un système de santé solide, des efforts sont consentis pour impliquer le secteur médical informel (guérisseurs traditionnels), les communautés et les informateurs des communautés dans le signalement des cas de PFA.
Des réseaux de surveillance de la PFA ont été mis en place même dans les pays et les zones touchés par des conflits ou dans une situation post-conflictuelle ou autre situation d'urgence complexe, tels que l'Afghanistan, l'Angola, la République démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan méridional.
À partir du milieu de l'année 2004, les réseaux de surveillance de la PFA ont été opérationnels dans 198 des 215 pays et territoires du monde, les données de surveillance faisant l'objet d'un rapport hebdomadaire auprès de l'OMS de la part de l'ensemble des pays au niveau régional et mondial. Les activités de surveillance de la PFA sur le terrain bénéficient de l'appui d'un réseau de laboratoires polio à trois niveaux (carte 1), qui fonctionne dans l'ensemble des six régions de l'OMS et se compose de 145 laboratoires: 123 établissements de niveau régional, 15 laboratoires de référence régionaux et sept laboratoires spécialisés mondiaux. Les laboratoires du réseau soumettent les échantillons coprologiques provenant des cas de PFA à un isolement du virus, à un sérotypage, à une différentiation intratypique et à un séquençage du génome. Un programme d'accréditation des laboratoires patronné par l'OMS permet de garantir des résultats analytiques de grande qualité et 96 % des laboratoires du réseau étaient totalement accrédités par l'OMS en 2003. Le réseau de surveillance est capable de faire face à des charges de travail très lourdes. En 2003, prés de 35 000 cas de PFA ont été notifiés dans le monde entier et pour 86 % de ces cas, les laboratoires du réseau ont analysé des échantillons coprologiques adéquats (tableau 1).
La Commission mondiale de certification de l'éradication de la poliomyélite a stipulé qu'on ne peut certifier l'interruption de la transmission du poliovirus sauvage dans une région de l'OMS qu'une fois écoulée une période de 3 ans sans qu'aucun poliovirus sauvage provenant d'un cas de PFA n'ait été isolé; qu'en présence d'une surveillance de la PFA de haute qualité, conforme à la «norme de certification», dont toutes les régions de l'OMS ont réussi à satisfaire et à maintenir les exigences; et enfin, grâce à un suivi continu et à un ajustement fin de la qualité de la surveillance. Parmi les six régions de l'OMS, trois ont déjà été certifiées comme exemptes de polio : la région OMS des Amériques en 1994, celle du Pacifique occidental en 2000 et de l'Europe en 2002. Une surveillance de la PFA conforme à la norme de certification a été maintenue dans tous les pays d'endémie et dans la plupart des pays non endémiques de la région Afrique, de la région Méditerranée orientale et de la région Asie du Sud-Est (tableau 1).
Tableau 1. Organisation et résultats des réseaux mondiaux de surveillance de la paralysie flasque aiguë (PFA) et de la rougeole, par région de l'OMS, 2003
Le partenariat international pour l'éradication de la poliomyélite fournit un appui technique et financier externe à la surveillance de la PFA. Sur les plus de 98 millions de dollars des États-unis apportés en 2003 par le Partenariat pour la surveillance de la PFA, US $ 47 millions ont couvert les coûts des activités de surveillance (et notamment le réseau de laboratoires, le transport et les communications, les réunions) et US $ 51 millions ont servi à payer plus de 2,700 employés nationaux et internationaux (tableau 1), chargés d'appuyer la surveillance de la PFA et, si nécessaire, des activités de vaccination supplémentaires.
Développement de la surveillance de la PFA
Surveillance de la rougeole. À l'échelle mondiale, plus de deux tiers des pays dotés de réseaux de surveillance de la PFA indiquent que cette surveillance a bénéficié de manière considérable à la surveillance de la rougeole (tableau 1). Cependant, l'ampleur du signalement de la rougeole, mesurée par la proportion de cas suspects faisant l'objet d'un examen, et la façon dont les réseaux de surveillance de la PFA influent sur le signalement de la rougeole varient d'une région à l'autre selon les objectifs programmatiques (à savoir l'élimination de la rougeole ou la réduction de la mortalité).
Constitué de 690 laboratoires, le Réseau mondial de laboratoires pour la rougeole (carte 1) a été développé selon les mêmes principes que le Réseau mondial de laboratoires pour la polio. Les principales fonctions de ce réseau sont la confirmation des cas suspects de rougeole par dosage des IgM et la caractérisation génétique des virus rougeoleux. Les laboratoires pour la rougeole ont utilisé une grande partie des infrastructures des laboratoires pour la polio. Hébergés dans les mêmes établissements, ils font appel à des réseaux similaires pour le transport des échantillons, la gestion des données, la communication et la notification des résultats. Les laboratoires du réseau testent couramment les sérums négatifs pour la rougeole à la recherche de la rubéole et ont traité, en 2003, plus de 60 000 échantillons de sérum provenant de cas suspects de rougeole. Les laboratoires pour la rougeole effectuent aussi le diagnostic sérologique de la fièvre jaune dans des pays d'Afrique et d'Amérique du Sud où cette maladie est prévalente (carte 1).
Figure 1. Réseau mondial de laboratoires pour la surveillance des maladies évitables par la vaccination

La surveillance de la rougeole à partir des signalement de cas, avec confirmation en laboratoire des cas suspects, est pleinement mise en oeuvre dans la région OMS des Amériques, où elle a contribué au suivi de l'interruption réussie de la transmission endémique du virus rougeoleux. Ce réseau est en cours de réorganisation pour prendre en charge la surveillance de la rubéole et soutenir l'objectif régional qui est d'éliminer la rubéole et le syndrome de rubéole congénitale d'ici 2010. Dans l'ensemble des Amériques en 2003, 95 % des cas suspects de rougeole avaient fait l'objet d'un examen sanguin. Dans les autres régions de l'OMS, la proportion de cas de rougeole testés allait de 1,2 % à 29 %.
Dans 28 des 46 pays de la région Afrique de l'OMS, on a introduit la surveillance de la rougeole à partir des signalements de cas, avec confirmation en laboratoire, à la suite de campagnes de vaccination antirougeoleuse à l'échelle nationale, visant tous les enfants de 9 mois à 14 ans et ayant pour objectif de réduire la mortalité globale due à la rougeole. Les activités de surveillance de la rougeole ont été intégrées au mandat des responsables médicaux de la surveillance rémunérés par les fonds de lutte contre la polio.
Dans le cadre de la stratégie mondiale de réduction de la mortalité par rougeole, la surveillance de cette maladie à partir des signalements de cas a bénéficié du soutien d'une coalition internationale de partenaires : l'Initiative contre la rougeole.
Autres maladies. Outre la surveillance de la rougeole et de la rubéole, les réseaux de surveillance de la FPA ont également été utilisés pour notifier d'autres maladies évitables par la vaccination, telles que le tétanos néonatal (TN). Dans les pays où le TN représente un problème de santé publique, on estime que les signalements actuels détectent < 5 % des cas de TN. À la différence de la rougeole, il n'existe pas d'examen de confirmation en laboratoire pour cette maladie. L'efficacité du signalement du TN s'est considérablement améliorée avec l'inclusion de cette maladie dans la liste des pathologies dépistées lors de la recherche active des cas de PFA dans les établissements de santé. Cette amélioration permet au programme de suivre les progrès vers la réduction du TN et de cibler les activités de vaccination organisées en riposte.
En Afrique occidentale et centrale et dans les zones d'endémie d'Amérique latine, le réseau de surveillance de la PFA prend maintenant en charge le signalement et le dépistage en laboratoire de la fièvre jaune (carte 1).
La surveillance de la PFA a fourni le noyau autour duquel le réseau de surveillance intégrée de la maladie et de la riposte (IDSR) de la région Afrique s'est construit. Plusieurs pays dans le monde ont élargi le rôle de leurs responsables médicaux de la surveillance de la PFA en y adjoignant le soutien au renforcement des services de vaccination systématique, l'investigation des flambées et la riposte aux situations d'urgence. En 2003, les responsables médicaux de la surveillance et les membres du personnel des laboratoires pour la polio et la rougeole ont aidé à la détection et à l'investigation de flambées de choléra, de dengue, de fièvre hémorragique, de paludisme, de méningite, de fièvre de la Vallée du Rift et de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).
Note de la rédaction. L'adoption de l'objectif d'éradication mondiale de la poliomyélite suppose la mise en place d'un réseau de surveillance de la PFA véritablement planétaire dans l'ensemble des pays et des unités de notification, et notamment dans les pays se trouvant dans des situations difficiles et dans ceux touchés par des conflits.
À mesure que le réseau de surveillance de la PFA parvenait à maturité, les pays et les régions se sont de plus en plus intéressés à son utilisation pour notifier d'autres maladies prioritaires. Dans le monde, actuellement deux tiers des pays dotés de réseaux de surveillance de la PFA (tableau 1) s'en servent pour surveiller d'autres maladies évitables par la vaccination, et en particulier pour notifier les cas de rougeole. Le personnel et les infrastructures de surveillance de la PFA continuent d'apporter un soutien essentiel à l'investigation d'autres maladies à tendance épidémique et à leur riposte.
La flambée de SRAS de 2003, la possibilité de récurrence des pandémies de grippe et l'importance de la détection précoce des flambées d'autres maladies émergentes ou réémergentes et de la riposte à ces flambées font ressortir la nécessité d'un réseau mondial de détection des maladies plus complet. Le besoin urgent d'un tel réseau est également souligné par les efforts permanents pour restructurer le Règlement sanitaire international en tant que cadre pour la maîtrise des risques sanitaires menaçant la population mondiale. Actuellement, il existe divers réseaux pour la détection planétaire de maladies existantes, telles que la grippe, les infections à Haemophilus influenzae de type B (HiB), l'hépatite, les infections à VIH, et de maladies infectieuses émergentes, telles que le SRAS. Cependant, aucun des réseaux en place - lesquels s'appuient souvent sur des sites sentinelles et visent une maladie unique - n'approche la portée mondiale ou l'efficacité de signalement du réseau de surveillance de la PFA.
Les spécificités suivantes de la surveillance de la PFA autorisent un suivi fiable des progrès vers l'éradication et facilitent la riposte vaccinale, en temps utile, à la détection du virus : (i) une démarche normalisée au niveau mondial, notamment les mécanismes centralisés et transparents de contrôle qualité (par exemple, la surveillance des indicateurs de sensibilité et de spécificité, l'accréditation des laboratoires pour la polio), (ii) le signalement d'un syndrome, la PFA, plutôt que d'une maladie, (iii) la confirmation rapide et fiable des cas par les laboratoires, ainsi que la caractérisation génétique des souches virales identifiées, (iv) le signalement hebdomadaire à tous les niveaux, jusqu'à celui du district et même de la communauté si besoin est, (v) un signalement «zéro cas» de routine par les installations lorsqu'aucun cas n'est détecté, associé à des visites de surveillance active sur les sites de signalement prioritaires, (vi) la formation permanente du personnel à l'investigation des cas, à la gestion des données et à l'épidémiologie de base (vi) la surveillance et l'évaluation régulières du réseau au niveau national, régional et mondial, (viii) des liens efficaces entre les domaines relevant des compétences nationales et internationales et entre les épidémiologistes et le personnel de laboratoire, afin de fournir un retour d'information hebdomadaire sur les performances et les résultats en matière de surveillance, du niveau subnational au niveau national ou international, et (ix) une riposte et une lutte contre la maladie s'appuyant sur une stratégie de vaccination efficace et normalisée.
À ce jour, les maladies prises en charge avec succès par les réseaux de surveillance de la PFA ou utilisant les infrastructures mises en place pour ce syndrome, telles que la rougeole, avaient certaines caractéristiques en commun : une présentation syndromique bien définie, une relative facilité de collecte des échantillons pour confirmation en laboratoire et un fort engagement international en faveur de leur maîtrise et de leur élimination, débouchant sur un financement externe suffisant pour assurer une surveillance de haute qualité et un effort soutenu pour employer les données de surveillance à l'organisation d'activités de lutte ciblées. La façon la plus évidente de préserver et d'étendre les réseaux de signalement de la PFA et de la rougeole existants est de les rendre également responsables de la notification d'autres maladies évitables par la vaccination, bien qu'il faille veiller à ne pas compromettre les objectifs d'éradication de la polio en surchargeant le réseau.
La plupart des caractéristiques majeures de la surveillance de la PFA font du réseau qu'elle utilise une plateforme très intéressante, sur laquelle il serait possible de mettre en place un réseau rapide et véritablement mondial de détection et de riposte pour d'autres maladies infectieuses prioritaires. Le réseau mondial de laboratoires pour la polio et la rougeole pourrait s'élargir pour former un réseau mondial de laboratoires de santé publique permettant de faire face aux maladies infectieuses prioritaires. Les réseaux de surveillance de la PFA, notamment dans les pays et les zones à faibles ressources et mal desservis, ont contribué à plusieurs reprises à la détection de flambées d'autres maladies et à la riposte à ces flambées. Cette possibilité de s'appuyer sur la surveillance de la PFA constitue également une occasion unique en raison de l'engagement à long terme de la communauté internationale dans l'éradication de la polio : le soutien actuellement apporté au réseau PFA représente une composante importante d'un investissement beaucoup plus large de la part du Partenariat international contre la poliomyélite dans l'éradication de cette maladie, considérée comme un bien pour la population mondiale. Afin de protéger cet investissement et compte tenu de l'état actuel du programme et des délais prévus pour l'interruption à l'échelle planétaire de la transmission du poliovirus et sa certification, des réseaux de surveillance de la PFA de qualité et convenablement financés continueront de fonctionner pendant au moins 5 ans.
Pour que l'élargissement du réseau en vue de dépister d'autres maladies prioritaires soit un succès, il faudrait (i) : une démarche ciblée dans la sélection des maladies, (ii) une prise en compte soigneuse des besoins spécifiques à chaque maladie en matière de collecte des échantillons et de signalement, et (iii) un maintien durable de l'engagement international en faveur de la surveillance de la maladie choisie, afin de garantir le financement du renforcement des moyens humains, et des capacités de laboratoire éventuellement nécessaires.
Source : Relevé épidémiologique hebdomadaire de l'OMS, vol 79, no 48, 2004.
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