ARCHIVÉ - Surveillance active en milieu hospitalier des effets indésirables associés au vaccin polysaccharidique contre le méningocoque après un programme de vaccination de masse d'urgence, à Edmonton (Alberta)

Les programmes d'immunisation de masse par le vaccin polysaccharidique contre le méningocoque constituent des mesures de lutte recommandées en cas d'éclosion de méningococcie(1). Des effets indésirables associés au vaccin ont été observés dans des essais cliniques de faible envergure(2,3) ou ont été signalés de manière passive dans le cadre de programmes de vaccination à grande échelle(4-7). Ces effets indésirables consistent principalement en des réactions localisées, de la fièvre et des symptômes neurologiques localisés (p. ex., paresthésies). Il est rare que l'on signale des effets indésirables plus graves, comme une anaphylaxie ou une réaction allergique généralisée(4,5,7,8). Des hospitalisations associées sur le plan temporel à l'administration du vaccin antiméningococcique ont été liées à des atteintes neurologiques plus graves. On a signalé des cas de syndrome de Guillain-Barré survenus jusqu'à un mois après la vaccination(7).

Il n'y a pas eu jusqu'à présent de surveillance active en milieu hospitalier des effets indésirables associés sur le plan temporel à l'administration du vaccin polysaccharidique contre le méningocoque. Nous présentons les résultats d'une telle surveillance dans une collectivité où est survenue une éclosion de méningococcie à laquelle a fait suite un programme de vaccination de masse. Comme il s'agit d'une collectivité relativement isolée sur le plan géographique, il est fort probable qu'on a pu repérer tous les vaccins administrés et toutes les hospitalisations attribuables à des effets indésirables graves durant la surveillance régionale active en milieu hospitalier.

Éclosion

Neisseria meningitidis est une cause courante et redoutée de septicémie et de méningite; au Canada, l'incidence annuelle des infections par cet agent pathogène est d'environ 1/100 000(9). Vers la fin de 1999 et le début de 2000, la Capital Health Region (CHR), région sanitaire englobant la ville d'Edmonton (Alberta) et les environs (population d'environ 900 000 habitants), a connu son propre « bogue de l'an 2000 » : le taux d'infection chez les 15 à 19 ans dépassait les 10/100 000 en date du 11 février 2000. L'éclosion était causée par Neisseria meningitidis de sérogroupe C, type électrophorétique 15, sérotype 2a. Ce clone spécifique n'avait pas été décrit avant cette éclosion, et ses caractéristiques ont été consignées ailleurs(10).

Les ressources en santé publique de la collectivité ont réagi rapidement en mettant en œuvre un programme de vaccination de masse le 15 février. Le vaccin polysaccharidique quadrivalent contre le méningocoque a été envoyé à 11 établissements de la CHR. Le programme visait au départ le groupe à risque élevé des 15 à 19 ans; mais, le 17 février, on a étendu le programme à toutes les personnes de 2 à 19 ans. Au cours du programme de vaccination, 168 000 personnes de 2 à 19 ans sur les 207 000 que compte la CHR (81 %) ont été vaccinées en 14 jours (du 15 au 28 février).

Méthodologie

Nous avons examiné le dossier d'hospitalisation de tous les patients de 2 à 16 ans admis au Stollery Children's Hospital entre le 14 février 2000 et le 30 mars 2000. En 2000, les enfants de 2 à 16 ans représentaient 83 % de la population âgée entre 2 et 19 ans de la région. Le Stollery Children's Hospital reçoit plus de 90 % des patients pédiatriques de la région et est le seul centre de soins tertiaires. Les effets indésirables observés chez les 17 à 19 ans auraient été signalés de manière passive aux autorités sanitaires et ne faisaient pas l'objet d'une surveillance régionale active en milieu hospitalier.

Nous avons appliqué des critères d'exclusion en deux étapes. Premièrement, nous avons exclu les patients hospitalisés dont le diagnostic-congé n'avait clairement rien à voir avec la vaccination. Parmi ces patients, on comptait des enfants hospitalisés pour une infection confirmée, une intervention chirurgicale urgente ou non, le diagnostic ou le traitement d'un cancer, le traitement de troubles psychiatriques connus ou des soins médicaux non urgents. Deuxièmement, nous avons vérifié si les patients avaient reçu le vaccin contre le méningocoque. Pour ce faire, nous avons d'abord examiné les dossiers d'hospitalisation, puis, en l'absence d'indications à l'égard de la vaccination, les dossiers de santé publique. En raison de l'ampleur et du caractère nouveau du programme de vaccination, les seuls dossiers dont nous disposions étaient des listes manuscrites produites dans les centres temporaires de vaccination d'urgence. Ainsi, il n'était pas toujours possible de confirmer s'il y avait eu administration du vaccin contre le méningocoque. Pour les patients admis, lorsque l'administration du vaccin était consignée ou que le statut vaccinal était inconnu, nous avons évalué, pour chaque patient, la possibilité que l'hospitalisation ait été liée à la vaccination contre le méningocoque en nous fondant sur le moment auquel les patients s'étaient présentés à l'hôpital, les résultats des évaluations et le diagnostic final.

Résultats

Il y a eu 297 hospitalisations (261 patients) au Stollery Children's Hospital au cours de la période d'étude. Nous avons examiné le dossier d'hospitalisation de toutes ces personnes. Comme nous l'avons indiqué au tableau 1, 220 hospitalisations sur les 297 (74 %) n'avaient clairement aucun lien avec un quelconque effet indésirable associé au vaccin et ont été exclues du reste de l'analyse. En ce qui concerne les 77 autres hospitalisations, nous avons considéré qu'elles pouvaient être liées à la vaccination et avons poursuivi leur étude.

Nous avons évalué le statut à l'égard du vaccin contre le méningocoque des 77 cas hospitalisés et les avons classés comme suit : « vacciné », « non vacciné » ou « inconnu ». Le tableau 1 présente la distribution des trois catégories de diagnostic : syndrome neurologique, état pathologique aigu et évolution d'une maladie chronique. Il n'y avait aucune différence significative dans la distribution de ces trois catégories de diagnostic pour les divers statuts vaccinaux. L'analyse est toutefois limitée par la faible taille de l'échantillon.

Tableau 1. Lien entre la catégorie de diagnostic et le statut à l'égard de la vaccination contre le méningocoque (VM)

Aucun lien avec la VM

Lien possible avec la VM

Catégorie de diagnostic

Nbre (% du nombre total)

Catégorie de diagnostic

Nbre (% du nombre total)

Statut vaccinal

Non vacciné

Vacciné

Inconnu

Chirurgie

93 (42 %)

Syndrome neurologique

12 (16 %)

2

3

7

Infection

63 (29 %)

Oncologie

40 (18 %)

État pathologique aigu

32 (40 %)

20

4

8

Psychiatrie

6 (3 %)

Soins non urgents

18 (8 %)

Évolution d'une maladie chronique

33 (44 %)

13

4

16

Total

220

Total

77

35

11

31


Nous avons déterminé que, chez 27 des 31 cas (40 %) pour lesquels le statut vaccinal était inconnu, il n'y avait aucun lien avec l'administration du vaccin, essentiellement parce que la maladie était apparue avant le début de la campagne de vaccination. Les quatre autres cas pour lesquels nous n'avons pu a affirmer l'absence de lien avec la vaccination faisaient tous partie de la catégorie « syndrome neurologique ». Trois de ces cas ont été hospitalisés entre le 10 et le 18 mars, soit longtemps après la fin du programme de vaccination. Quant au quatrième cas, il s'agissait d'un enfant atteint d'un syndrome neurologique chronique qui, au moment de son hospitalisation, le 22 février, était déshydraté et avait des convulsions dont la fréquence augmentait régulièrement. Il est à noter que, le 15 mars, on a hospitalisé un enfant atteint du syndrome de Guillain-Barré dont le dossier indiquait qu'il n'avait pas reçu le vaccin contre le méningocoque.

Il y a eu 11 hospitalisations après une vaccination antiméningococcique avérée. Toutes ces hospitalisations sauf une sont survenues > 2 jours après la vaccination (moyenne : 10,4; intervalle : 0 à 21 jours). Nous avons déterminé que chez quatre cas, l'hospitalisation n'était pas liée à l'administration du vaccin : deux enfants atteints de troubles neurologiques chroniques qui présentaient une congestion respiratoire 3 jours après avoir été vaccinés, un enfant qui présentait une exacerbation de l'asthme 15 jours après la vaccination et un enfant présentant souffrant de douleurs abdominales 21 jours après la vaccination. Nous avons déterminé, en ce qui concerne six cas d'hospitalisa- tion, que le lien avec la vaccination était inconnu; ces cas ont été admis à des moments différents après la vaccination, et le diagnostic de chacun était différent : syndrome néphrotique 3 jours après la vaccination; éruptions cutanées et fièvre sept jours après la vaccination; convulsions récurrentes après 11 jours, crise de drépanocytose après 12 jours; syncope après 19 jours; et pancréatite après 20 jours. Finalement, un seul cas d'hospitalisation découlait directement d'effets indésirables survenus après l'administration du vaccin contre le méningocoque. On en trouvera une description détaillée dans le rapport de cas qui suit.

Rapport de cas

Une réaction survenue peu après l'administration du vaccin contre le méningocoque a provoqué l'hospitalisation d'un patient. Il s'agit d'un enfant de 14 ans accusant un retard du développement qui a présenté un premier épisode de type convulsif 45 minutes après l'administration du vaccin. L'enfant souffrait de céphalées chroniques depuis 3 ans. La céphalée s'est aggravée juste avant le début des convulsions. On a noté de multiples mouvements toniques généralisés. Le patient était conscient à son arrivée et ne présentait aucun déficit neurologique à l'examen physique. Les résultats de l'électroencéphalographie, de la tomographie cérébrale par ordinateur et de l'examen du liquide céphalorachidien étaient tous normaux. On a donné son congé à l'enfant après une journée d'hospitalisation; ce dernier ne présentait alors aucun signe de déficit neurologique, et on ne lui a prescrit aucun anticonvulsivant. Le diagnostic-congé était le suivant : convulsions vraisemblablement consécutives à une migraine. Cependant, après un suivi à long terme, on a déterminé que le diagnostic final était plutôt celui d'« hystérie de conversion », et l'enfant fait maintenant l'objet d'un suivi psychiatrique.

Analyse

Nous estimons que la méthode de surveillance nous a permis de repérer tous les effets indésirables graves ayant pu nécessiter l'hospitalisation d'enfants de 2 à 16 ans, puisque nous avons examiné le dossier de tous les patients hospitalisés et que l'hôpital reçoit normalement > 90 % des patients pédiatriques, dont 100 % des enfants présentant des maladies graves ou des symptômes neurologiques. La fin de la période de recherche a été fixée à 30 jours après la fin du programme de vaccination, afin de permettre la détection d'éventuelles conséquences tardives de la vaccination, plus particulièrement l'apparition du syndrome de Guillain-Barré, qui peut être déclenché par le vaccin contre le méningocoque. La plupart des hospitalisations survenues pendant cette période n'avaient clairement aucun lien avec l'administration du vaccin.

L'une des limites de la méthodologie était la proportion importante de patients hospitalisés dont nous n'avons pas pu déterminer le statut vaccinal après avoir examiné les dossiers d'hospitalisation et les dossiers de santé publique, soit 40 % des 77 hospitalisations ayant fait l'objet d'une étude approfondie. Ces enfants n'ont vraisemblablement pas été vaccinés; le fait que chez 27 patients (87 %), la maladie ayant nécessité l'hospitalisation a débuté avant la mise en œuvre du programme de vaccination tend à confirmer cette hypothèse. Des trois cas dont on ignorait le statut vaccinal qui ont été hospitalisés longtemps après la vaccination en raison de symptômes neurologiques, aucun n'était lié à une affection normalement associée à une apparition tardive. Il aurait été plus facile d'établir le statut vaccinal des patients si on avait entamé une surveillance prospective dès le début du programme de vaccination; cependant, vu le caractère nouveau du programme de vaccination de masse, il aurait été difficile de le faire.

Parmi les 11 cas dont on savait qu'ils avaient été vaccinés contre le méningocoque, il y a eu six hospitalisations pour des maladies de cause inconnue. On a considéré qu'il était possible, mais peu probable, que ces hospitalisations aient été liées à la vaccination à cause du moment où elles se sont produites (p. ex., trop tôt pour le syndrome néphrotique, qui était probablement préexistant, et trop tard pour les convulsions récurrentes et la syncope) et de l'improbabilité, sur le plan biologique, d'un lien de cause à effet (crise de drépanocytose et pancréatite). Il n'y avait aucun groupement de diagnostics laissant croire à un lien avec l'administration du vaccin. La seule hospitalisation survenue peu après la vaccination était vraisemblablement le résultat d'une réaction psychosomatique provoquée par l'injection du vaccin. Nous croyons que l'hospitalisation du patient découle de l'anxiété vis-à-vis de l'injection, qui a provoqué la grave migraine et l'hystérie de conversion associée à des pseudoconvulsions. Il est improbable que les composants du vaccin aient été l'élément déclencheur.

Conclusion

Ce premier rapport de surveillance active en milieu hospitalier des effets indésirables associés au vaccin polysaccharidique contre le méningocoque confirme l'innocuité de ce vaccin. Il faudrait exercer une surveillance active continue en milieu hospitalier durant les programmes de vaccination ultérieurs par le vaccin polysaccharidique contre le méningocoque afin de confirmer l'absence de liens entre la vaccination et l'apparition de maladies de cause inconnue. Même au cours d'un programme de vaccination de masse d'urgence, il est essentiel de tenir soigneusement des dossiers sur l'administration des vaccins afin d'évaluer exactement les effets indésirables associés au vaccin.

Remerciements

Nous tenons à remercier pour leur aide le Dr M. Johnson, médecin hygiéniste adjoint de la Capital Health Region d'Edmonton (Alberta), et le Dr G. Tyrrell, directeur du National Centre for Streptococcus, Provincial Laboratory of Public Health for Northern Alberta, Edmonton (Alberta). L'étude a été réalisée grâce à une subvention du ministère de la Santé et du Mieux-être de l'Alberta.

Références

  1. Centers for Disease Control and Prevention. Control and prevention of serogroup C meningococcal disease: Evaluation and management of suspected outbreaks: Recommendations of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP). MMWR 1997;46(RR-5):13-21.

  2. Lepow ML, Beeler J, Randolph M et coll. Reactogenicity and immunogenicity of a quadrivalent combined meningococcal polysaccharide vaccine in children. J Infect Dis 1986;154:1033-36.

  3. Scheifele DW, Bjornson G, Boraston S. Local adverse effects of meningococcal vaccine. Can Med Assoc J 1994;150:14-15.

  4. Roberts JS, Bryett KA. Incidence of reactions to meningococcal A & C vaccine among U.K. schoolchildren. Public Health 1988;102:471-76.

  5. Yergeau A, Alain L, Pless R et coll. Adverse events temporally associated with meningococcal vaccines. Can Med Assoc J 1996;154:503-7.

  6. Hood DA, Edwards IR. Meningococcal vaccine - do some children experience side effects? NZ Med J 1989;102:65-7.

  7. Ball R, Miles Braun M, Mootrey GT, and the Vaccine Adverse Event Reporting System Working Group. Safety data on meningococcal polysaccharide vaccine from the Vaccine Adverse Event Reporting System. Clin Infect Dis 2001;32:1273-80.

  8. Centers for Disease Control and Prevention. Prevention and control of meningococcal disease: Recommendations of the Advisory Committee on Immunization Practices (ACIP). MMWR 2000;49(RR-7):1-10.

  9. Comité consultatif national de l'immunisation. Déclaration sur l'utilisation recommandée des vaccins antiméningococciques. RMTC 2001;27(DCC-6):2-36.

  10. Tyrrell G, Chui L, Johnson M et coll. Outbreak of Neisseria meningitidis, in Edmonton, Alberta, Canada. Emerg Infect Dis 2002;8(5):519-21.

Source : Dr W Vaudry, A Roth, IA, Dr BE Lee, Dr D Spady, Department of Pediatrics, University of Alberta, Edmonton.


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