ARCHIVÉ - Éclosion d'infections dues à Streptococcus pneumoniae dans une collectivité rurale de la région de Regina

 

Relevé des maladies transmissibles au Canada

le 15 août 2006

Volume 32
Numéro 16

M Hennink, MB ChB, M Med (1), Z Abbas, MBBS, MPH (1), RR McDonald, MSc (2), E Nagle (2), KL Montgomery, BSc (2), T Diener, MB ChB, DCH, M Med, MPA (1), GB Horsman, MD, FRCPC (2), PN Levett, PhD, ABMM, FCCM (2)

  1. Région sanitaire de Regina Qu'Appelle, Regina (Saskatchewan)

  2. Laboratoire provincial du ministère de la Santé de la Saskatchewan, Regina
    (Saskatchewan)

Introduction

La conjonctivite bactérienne est causée par une variété d'organismes Gram positifs et Gram négatifs, notamment Streptococcus pneumoniae, Staphylococcus aureus, Haemophilus influenzae, Neisseria gonorrhoeae et Chlamydia trachomatis1. Des souches non sérotypables de Streptococcus pneumoniae seraient une cause fréquente de la conjonctivite bactérienne2.

Un pharmacien d'une petite collectivité rurale (Collectivité A) de la région sanitaire de Regina Qu'Appelle (RSRQ) a contacté les services de santé de la population et de santé publique le 9 mars 2005, pour les informer qu'un grand nombre de personnes s'étaient présentées à la pharmacie, souffrant de symptômes de conjonctivite. Il a indiqué avoir vendu plus de 40 produits ophtalmiques en vente libre au cours des 2 semaines précédentes, alors qu'il en écoulait en moyenne un, en l'espace de 4 semaines.

Une enquête visant à déterminer l'ampleur de l'éclosion, à en confirmer la cause, à établir le mode de transmission et à instaurer les mesures de lutte nécessaires a été entreprise le 9 mars 2005. Elle a mis en évidence la nécessité de recourir à un sous-typage moléculaire afin de repérer les cas de conjonctivite présentant un lien épidémiologique.

Méthodologie

Les cas de conjonctivite étaient définis comme suit : résidants de la Collectivité A et de la région environnante, ayant reçu un diagnostic clinique de conjonctivite ou ayant présenté un épisode de l'un des symptômes suivants : rougeur ou démangeaisons oculaires, douleur aux yeux, oedème palpébral, encroûtement des yeux au réveil ou écoulement oculaire unilatéral ou bilatéral, les symptômes étant apparus après le 1er janvier 2005.

Afin de détecter d'autres cas de conjonctivite, la RSRQ a communiqué avec les médecins de la région, leur demandant de rechercher des patients symptomatiques, de recueillir des prélèvements sur écouvillon en vue de les soumettre à des cultures virales et bactériennes et de signaler tous les cas à la RSRQ. Les écoles primaires et secondaires locales ont aussi été invitées à signaler la présence de tout élève ou membre du personnel atteint de conjonctivite. Les pharmaciens de la région ont été priés de conseiller aux clients symptomatiques de soumettre des échantillons sur écouvillon en vue d'une culture bactérienne et virale.

Le personnel de la RSRQ a interrogé toutes les personnes dont les symptômes de conjonctivite sont apparus entre le 9 mars et la mi-avril 2005. Le questionnaire comprenait des questions sur le profil démographique des sujets et sur les signes et les symptômes de l'infection, ainsi que des questions sur l'exposition à d'autres sujets symptomatiques, aux eaux de baignade et à des lieux de rassemblement.

Tous les cas repérés ont été invités à faire prélever des échantillons sur écouvillon à des fins de culture bactérienne et virale au laboratoire provincial. Des prélèvements ont été faits chez les personnes se présentant chez les médecins de la région après le 9 mars 2005, et ils ont aussi été envoyés au laboratoire provincial en vue d'une culture.

Le 24 mars 2005, un questionnaire destiné à repérer les élèves et les membres du personnel atteints de conjonctivite a été adressé aux écoles primaires et secondaires de la Communauté A et de la région environnante. Les écoles ont été invitées à signaler les cas de conjonctivite observés chez les élèves et les membres du personnel depuis janvier 2005.

Afin de limiter la transmission de l'infection, la RSRQ a émis les recommandations suivantes :

  • Les patients ont été encouragés à se laver les mains soigneusement et souvent avec de l'eau et du savon.

  • Les membres de la famille et les autres contacts des sujets atteints ont été encouragés à appliquer les règles d'hygiène des mains et à éviter de s'échanger des produits de maquillage pour les yeux et des produits ophtalmiques.

  • Les écoles de la région ont été encouragées à nettoyer à fond et à désinfecter les articles et surfaces d'utilisation commune, comme les poignées de portes et le matériel de gymnase.

  • Les établissements ont aussi été encouragés à exclure de l'école les élèves symptomatiques jusqu'à ce qu'ils aient été évalués par un professionnel de la santé et aient obtenu l'autorisation de retourner en classe.

  • Les élèves fréquentant les écoles locales ont aussi été incités à se faire soigner en cas de symptômes de conjonctivite.

Les écoles ont reçu des fiches de renseignements sur la conjonctivite.

Après avoir isolé S. pneumoniae chez les sujets atteints de conjonctivite, on a procédé au sous-typage de certains isolats au moyen d'une analyse du polymorphisme de longueur de fragments amplifiés en fluorescence (technique fAFLP)3. Huit autres isolats non sérotypables, dans les échantillons prélevés entre 1997 et 2005 (et présumés être sans lien épidémiologique), ont été inclus dans l'analyse fAFLP, avec les isolats associés à l'éclosion. Quatre isolats liés à l'éclosion ont été envoyés au National Centre for Streptococcus Reference Laboratory pour y être sérotypés.

Résultats

Répondants de ≥ 19 ans et plus

Au total, 47 cas de conjonctivite, dont les symptômes sont apparus entre le 9 mars et le 14 avril 2005 (figure 1), ont été repérés dans la Collectivité A et la région environnante. Parmi les symptômes figuraient la rougeur oculaire (36/47, 77 %), la douleur aux yeux (19/47, 40 %), l'oedème palpébral (26/47, 55 %) et l'écoulement oculaire (31/47, 66 %). L'âge médian était de 16 ans (intervalle : 3 mois à 58 ans), et 27 cas (57 %) étaient de sexe féminin. Chez environ 60 % des cas, l'atteinte était au départ, ou est devenue, bilatérale. La présence de purulence a été observée chez plus de 60 % des cas. La durée moyenne des symptômes était de < 10 jours. On n'a pas noté de pneumonie concomitante. On n'a enregistré ni hospitalisations, ni décès. Tous les cas ont été traités par la pénicilline topique.

Figure 1. Cas de conjonctivite dont la date d'apparition est connue, Collectivité A et régions environnantes, du 9 mars au 14 avril 2005

Figure 1. Cas de conjonctivite dont la date d'apparition est connue, Collectivité A et régions environnantes, du 9 mars au 14 avril 2005

Les écoles primaires et secondaires de la région ont repéré rétrospectivement 65 autres cas : 59 cas chez les élèves et six cas chez les membres du personnel.

Des échantillons devant faire l'objet de cultures ont été recueillis auprès de 47 sujets atteints de conjonctivite. S. pneumoniae a été isolé dans les cultures de prélèvements conjonctivaux de 18 (38 %) des résidents de la Collectivité A. Tous les isolats de S. pneumoniae étaient sensibles à la pénicilline, à l'érythromycine, à la clindamycine, au chloramphénicol et aux fluoroquinolones. On a isolé Haemophilus influenzae chez trois cas, et on décelé la présence concomitante de S. pneumoniae chez deux de ces cas. Les cultures virales étaient toutes négatives.

Tableau 1. Résumé des cas de conjonctivite chez les résidants de la Collectivité A, du 9 mars au 14 avril 2005

Catégorie

Nombre de cas

Nombre total de cas de conjonctivite signalés

47

Culture positive à l'égard de Streptococcus pneumoniae

18

S. pneumoniae seulement

12

S. pneumoniae et staphylocoques à coagulase négative

4
S. pneumoniae et Haemophilus influenzae et diphtéroïdes 1

S. pneumoniae et Haemophilus influenzae

1

Staphylocoques à coagulase négative

7

Haemophilus influenzae seulement

1

Aucune croissance

21

Quatre isolats représentatifs soumis au National Centre for Streptococcus étaient non sérotypables. D'après les empreintes moléculaires mises en évidence par l'analyse du polymorphisme de longueur de fragments amplifiés en fluorescence, 27 isolats de S. pneumoniae ont été répartis en deux grappes distinctes : trois isolats, dans la grappe B et 24, dans la grappe A (figure 2). Deux isolats n'ont pas permis d'obtenir d'empreintes satisfaisantes et n'ont pu être comparés. Chaque grappe comprenait au moins un isolat non sérotypable. Aucun des huit autres isolats non sérotypables n'était étroitement apparenté à ceux de l'une ou l'autre des deux grappes associées à l'éclosion.

Figure 2. Représentation graphique de l'analyse fAFLP d'isolats de S. pneumoniae. Les grappes A et B renvoient aux cas associés à l'éclosion

Non-serotypable = Non sérotypable; Blood = Sang; Ear = Oreille; Eye = Oeil

Analyse

Cette éclosion de conjonctivite s'est poursuivie pendant environ 3 mois et a touché des résidents de la Collectivité A et des régions environnantes. Les cas ont été repérés et des cultures réalisées après que les médecins locaux furent informés de l'éclosion. Il ressort des entrevues menées auprès des cas à un stade avancé de l'éclosion que la transmission avait eu lieu tant en milieu familial qu'en milieu scolaire. L'écoulement mucopurulent était le symptôme le plus couramment signalé au cours de cette éclosion. Dans plus de la moitié des cas, l'atteinte était bilatérale. Les analyses en laboratoire effectuées à un stade avancé de l'éclosion ont révélé que la majorité des cas étaient attribuables à S. pneumoniae. H. influenzae était le seul autre agent pathogène potentiel qui a été détecté, mais il n'a été isolé que chez trois cas.

Une souche non sérotypable de S. pneumoniae était à l'origine de la majorité des cas de conjonctivite. Le sous-typage moléculaire a révélé que la plupart des isolats associés à l'éclosion d'infections à S. pneumoniae étaient génétiquement très semblables. Il semble qu'une seconde souche circulait au même moment, dans la même région; elle a été retrouvée chez trois patients.

Les éclosions de conjonctivite à pneumocoques sont presque invariablement associées à des souches non typables de S. pneumoniae, qui sont généralement des souches non encapsulées2. Une variété de techniques de typage moléculaire ont été appliquées aux souches non typables associées à des cas sporadiques et à des éclosions, notamment l'électrophorèse sur gel en champ pulsé4, le typage génomique multilocus1,5 et le typage au moyen de la technique de BOX-PCR6. En gros, toutes les approches utilisées dans le cadre de cette enquête, y compris la technique fAFLP, confirment que les souches en cause dans l'éclosion d'infections à S. pneumoniae sont clonales et génétiquement non apparentées aux isolats associés aux cas sporadiques.

Le nombre de nouveaux cas signalés de conjonctivite a nettement diminué à la mi-avril. On ignore si les mesures de prévention des infections recommandées par la RSRQ ont contribué à juguler cette éclosion ou si le début du congé de Pâques a aidé à freiner la propagation de la conjonctivite à pneumocoques.

En résumé, nous signalons une éclosion de cas de conjonctivite à pneumocoques, au cours de laquelle la majorité des isolats se sont révélés clonaux, selon le typage moléculaire réalisé au moyen de la technique fAFLP.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier le personnel des services de santé de la population et de santé publique de la région sanitaire de Regina Qu'Appelle, du laboratoire provincial du ministère de la Santé de la Saskatchewan et du National Centre for Streptococcus à Edmonton.

Références

  1. Crum NF, Barrozo CP, Chapman FA et al. An outbreak of conjunctivitis due to a novel unencapsulated Streptococcus pneumoniae among military trainees. Clin Infect Dis 2004;39:1148-54.

  2. Shayegani M, Parsons LM, Gibbons WE et al. Characterization of nontypable Streptococcus pneumoniae-like organisms isolated from outbreaks of conjunctivitis. J Clin Microbiol 1982;16:8-14.

  3. Antonishyn NA, McDonald RR, Chan EL et al. Evaluation of fluorescence-based amplified fragment length polymorphism analysis for molecular typing in hospital epidemiology: Comparison with pulsed-field gel electrophoresis for typing strains of vancomycin-resistant Enterococcus faecium. J Clin Microbiol 2000;38:4058-65.

  4. Martin M, Turco JH, Zegans ME et al. An outbreak of conjunctivitis due to atypical Streptococcus pneumoniae. New Engl J Med 2003;348:1112-21.

  5. Berron S, Fenoll A, Ortega M et al. Analysis of the genetic structure of nontypeable pneumococcal strains isolated from conjunctiva. J Clin Microbiol 2005;43:1694-8.

  6. Barker JH, Musher DM, Silberman R et al. Genetic relatedness among nontypeable pneumococci implicated in sporadic cases of conjunctivitis. J Clin Microbiol 1999;37:4039-41.

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