Éclosion de tuberculose, région des Laurentides, 2005

Relevé des maladies transmissibles au Canada

le 1er octobre 2006

Volume 32
Numéro 19

D Décarie, MD (1), J-L Grenier, MD (1), A Allard, MD (1)

  1. Équipe des maladies infectieuses, Direction de santé publique des Laurentides,
    Saint-Jérôme (Québec)

Introduction

Le 3 juin 2005, la Direction de santé publique des Laurentides recevait un appel d'un pédiatre d'un hôpital pour enfants à l'effet qu'un bébé âgé de 2 mois était hospitalisé avec un tableau de méningite. Le pédiatre suspectait une méningite tuberculeuse car le père, originaire d'Haïti, toussait depuis près de 1 an et présentait des cavités à la radiographie pulmonaire. Les auramines étaient fortement positives sur les expectorations du père et le diagnostic a été confirmé par PCR et par culture; cependant, le diagnostic n'a pu être confirmé chez l'enfant ni sur le liquide céphalo-rachidien, ni sur les tubages gastriques. Tous deux ont bien répondu au traitement usuel.

Enquête

Une enquête a été amorcée auprès de la famille immédiate du cas-source, soit les personnes vivant ou ayant vécu récemment sous le même toit (cercle 0) : conjointe actuelle, ex-conjointe et mère du bébé malade ainsi que la fille de cette dernière conçue d'une union antérieure. Tous avaient des TCT significatifs. Le dépistage a ensuite été étendu à la famille élargie, demi-frères, famille du cas-source et familles des deux conjointes, puis aux amis intimes (cercle 1). La majorité de ces personnes étaient jeunes et nées au Québec : le taux de TCT significatifs chez ces contacts dépassait largement la prévalence attendue. Parmi ces derniers, une jeune fille a reçu un diagnostic de tuberculose probable fondé sur une toux d'apparition récente, une image radiologique compatible avec une tuberculose active et une réponse adéquate au traitement anti-tuberculeux; de plus, l'un des demi-frères a reçu un diagnostic de tuberculose pulmonaire suite à l'investigation qui a suivi le dépistage. Il devenait donc justifié d'élargir l'enquête au milieu de travail, en l'occurrence un établissement de restauration embauchant environ 150 personnes. L'étude de ce milieu basée sur l'inspection, le questionnaire des employés et l'analyse du système de ventilation a permis d'identifier trois niveaux d'exposition. La méthode habituelle d'investigation par cercles concentriques a été appliquée et l'enquête a été débutée auprès des personnes travaillant dans la même pièce que le cas-source, soit le bar (cercle 2). Le taux de TCT significatifs étant aussi très élevé, l'investigation a été élargie au personnel oeuvrant dans la pièce voisine, la salle à manger (cercle 3), puis à l'ensemble du personnel (cercle 4) pour terminer avec quelques clients réguliers qui visitaient l'établissement au moins deux fois par mois (cercle 5).

Les génotypages des souches de Mycobacterium tuberculosis du cas-source et de son demi-frère ont été demandés au Laboratoire de santé publique du Québec et se sont révélés identiques. De plus, le génotypage d'une souche de Mycobacterium tuberculosis provenant d'une biopsie pleurale effectuée quelques mois auparavant chez un jeune Québécois résidant dans la même ville que le cas-source a été demandé et s'est aussi avéré identique. Cependant, aucun lien n'a pu être établi entre ce cas non contagieux, dont l'origine demeurait inconnue, et les précédents, si ce n'est la fréquentation occasionnelle d'une salle de billard. Devant ce fait, le dépistage des neuf employés travaillant dans cette salle de billard ainsi que des 11 employés travaillant dans une seconde salle de billard fréquentée assidûment par le cas-source a été recommandé : seuls huit employés de la première salle de billard se sont soumis au dépistage et aucun TCT n'était significatif (cercle 6).

Tableau 1. Résultat des TCT par cercle

Cercle

TCT effectués

TCT significatifs

(%)

Famille

4

4

100

Famille élargie et amis

55

27

49

Employés du bar

23

8

35

Employés de la salle à manger

48

13

27

Employés de la cuisine et du service à l'auto

78

8

10

Clients réguliers

20

6

30

Employés du salon de billard

8

0

0

Total

236

66

28


En centres hospitaliers, une enquête auprès des membres du personnel ayant été en contact avec le cas-source lors de la naissance de son enfant ainsi que lors des hospitalisations de ce dernier dans deux centres hospitaliers régionaux avant le transfert à l'hôpital pour enfants a été effectuée. Dans le premier centre hospitalier, 28 personnes ont été dépistées : six personnes ont eu un TCT significatif dont une présentait une conversion récente. Dans le second centre hospitalier, un dépistage élargi de toutes les personnes ayant travaillé sur les unités concernées a été effectué et 187 personnes ont été dépistées : sept personnes avaient un TCT significatif dont deux, une conversion récente documentée.

Tableau 2. Résultat des TCT par groupe d'âge

Groupe d’âge

TCT effectués

TCT significatifs

(%)

0 à19 ans

80

21

26

20 à 29 ans

77

18

23

30 à 49 ans

49

20

41

50 ans et plus

28

7

11

Inconnu

2

0

0

Total

236

66

28


Cette investigation s'est échelonnée sur une période de près de 1 an. Elle a exigé plusieurs rencontres des professionnels de la Direction de santé publique avec les gérants, le propriétaire et la firme de relations publiques de l'établissement. Quatre sessions d'information auprès des employés ont eu lieu au cours des semaines qui ont suivi le début de l'investigation, et des lettres accompagnées de dépliants sur la tuberculose et le TCT ont été remis à chacun. Du personnel infirmier du Centre de santé du territoire concerné s'est rendu à l'établissement à cinq reprises pour effectuer les TCT; les personnes absentes lors de ces séances étaient invitées à se présenter au Centre de santé. Les personnes qui avaient un TCT significatif recevaient une lettre les enjoignant de prendre rendez-vous à la clinique de pneumologie du même Centre de santé. Des 275 personnes ciblées dans le cadre de cette enquête, 236 se sont soumises au test de dépistage pour un taux de participation de 86 %. Un questionnaire d'enquête spécifique a permis de déterminer le type de contacts qu'avaient eu les clients réguliers et chacun des employés avec le cas-source; de nombreux appels téléphoniques ont dû être faits afin de rejoindre, outre les clients réguliers, chacun des employés au service de l'établissement au moment de l'investigation ainsi que ceux ayant quitté leur emploi au cours de 6 mois précédents. De plus, de nombreuses relances téléphoniques visant à informer et inciter les quelques personnes qui ne s'étaient pas présentées, principalement au premier TCT, ont dû être faites, avec un succès mitigé.

Il faut noter que le cas-source avait consulté à trois reprises dans les 5 mois précédant le diagnostic; sur la foi des symptômes ainsi que des radiographies pulmonaires démontrant des infiltrats importants, un diagnostic de pneumonie a été posé à chaque visite et une antibiothérapie a été prescrite. Enfin, en 2002, le cas-source avait subi une exérèse d'une masse cervicale. Le diagnostic du pathologiste à ce moment était une lymphadénite granulomateuse nécrosante; l'examen direct ainsi que les cultures n'ont pu mettre en évidence aucune mycobactérie et la radiographie pulmonaire effectuée était normale.

Tableau 3. Description des cinq cas de tuberculose active

Date du diagnostic

Âge

Sexe

Commentaires

28 février 2005

21

M/H

TB pleurale confirmée; client d'une salle de billard fréquentée par le cas-source. Aucune source identifiée au moment du diagnostic.

2 juin 2005

2 mois

M/H

TB méningée probable. Cas-index; fils du cas-source.

3 juin 2005

32

M/H

TB pulmonaire confirmée; cas-source, père du cas-index et travailleur d'un établissement de restauration.

22 juin 2005

23

M/H

TB pulmonaire confirmée; demi-frère du cas-source.

18 août 2005

17

F

Cas secondaire probable; amie du cas-source ayant travaillé occasionnellement dans le même établissement de restauration que le cas-source.

Conclusion

Le nombre impressionnant de jeunes Québécois infectés parmi les contacts confirme que certains cas de tuberculose pulmonaire non diagnostiqués peuvent atteindre un niveau élevé de contagiosité. Cette investigation démontre que, malgré la rareté de la maladie au Québec, la tuberculose doit faire partie du diagnostic différentiel chez les patients de tout âge présentant une toux persistante, particulièrement chez les personnes originaires de régions endémiques telles que les Antilles, ainsi que chez les personnes ayant présenté des pneumonies ne répondant pas à l'antibiothérapie.

Remerciements

La Direction de santé publique des Laurentides tient à remercier madame Françoise Claessens, madame Johanne Bourque ainsi que le personnel infirmier du Centre de santé qui ont collaboré à cette enquête. Leur précieuse collaboration a facilité l'investigation en simplifiant l'accès au test de dépistage et la référence à la clinique de pneumologie lorsque nécessaire. La Direction de santé publique des Laurentides tient aussi à remercier les professionnels de la clinique de pneumologie du Centre de santé qui ont reçu et évalué, sans délai, la majorité des personnes ayant eu un test de dépistage significatif. Les auteurs tiennent aussi à remercier les personnes suivantes qui ont collaboré à cette enquête : Dre Panagiota Macrisopoulos, Dre Blandine Piquet-Gauthier, madame Hélène Franc et madame Martine Barette, infirmières, et monsieur Gilles Chaput, agent d‘information, Direction de santé publique des Laurentides (Qc).


Détails de la page

Date de modification :