ARCHIVÉ - Expansion rapide des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) chez les enfants et les adolescents du nord du Manitoba, 2003-2006

Relevé des maladies transmissibles au Canada

le 15 janvier 2007

Volume 33
Numéro 02

L Larcombe, PhD (1), J Waruk, BSc (1), J Schellenberg, MSc (1), M Ormond, IA (2)

1 Département de microbiologie médicale, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba)
2 Ormond Consulting Inc., Winnipeg (Manitoba)

Depuis le milieu des années 90, la propagation, partout dans le monde, des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline d'origine communautaire (SARM-C), représente un enjeu de taille en santé publique. L'épidémiologie de l'infection à SARM-C diffère de celle de l'infection à SARM d'origine nosocomiale (SARM-N), ce que traduit le profil génétique des bactéries1. La cassette chromosomique staphylococcique (CCS) est porteuse du gène mecA codant pour la résistance aux bêta-lactamines, ainsi que des déterminants de la résistance à d'autres antibiotiques. SARM-C possède généralement une CCS de type IV, qui est plus petite et code pour la résistance à moins d'antibiotiques que la CCS de clones de SARM-N(1). Ce phénomène pourrait contribuer à expliquer la capacité de transmission de l'infection à SARM-N en milieu communautaire et faciliter le transfert horizontal de la CCS de type IV à d'autres souches sensibles à la méthicilline1.

L'infection à SARM-C est un phénomène répandu dans de nombreuses collectivités urbaines et rurales des États-Unis. Elle a été associée à des cas de pneumonie nécrosante mortelle chez quatre enfants du Minnesota et du Dakota du Nord2, à 13 cas de septicémie grave (dont trois décès) chez des adolescents du Texas3 et à 14 cas de fasciite nécrosante à Los Angeles4. L'incidence accrue des infections à SARM dans les collectivités autochtones et nordiques du Canada a retenu l'attention des responsables de la santé publique1,5,6, même si une stratégie complète en vue de déterminer la dynamique de l'infection et d'empêcher sa propagation n'a pas encore été mise en place.

Le profil génétique complet des souches de SARM-C isolées dans le nord du Manitoba et de la Saskatchewan a été établi au moyen de la technique de l'électrophorèse sur gel en champ pulsé1,6. Le profil génétique de la plupart des souches visées par ces études ne pouvait être différencié de celui de la souche responsable des décès d'enfants survenus au Minnesota et dans le Dakota du Nord1,6. La majorité des souches de SARM-C sont porteuses des gènes lukF-PV-lukS-PV codant pour la leucocidine de Panton-Valentine, un facteur de virulence associé à des infections primaires graves de la peau et à la pneumonie nécrosante7. Comme le nombre d'infections à SARM-C dans ces régions est à la hausse, le risque de séquelles parfois mortelles est aussi plus élevé. Cette situation est particulièrement inquiétante dans les collectivités éloignées où l'accès à des soins de santé d'urgence peut être considérablement retardé.

Méthodologie

Devant les cas d'infections à SARM en milieu clinique observés par le personnel infirmier de plusieurs communautés autochtones en 2005 et 2006, on a procédé à une analyse des rapports mensuels sur les maladies infectieuses8. Les rapports ont apporté des éléments d'information sur le nombre total d'infections à SARM, sans établir de distinction entre SARM-C et SARM-N. Les données ont été ventilées selon l'âge, le sexe et l'office régional de la santé (ORS; voir la figure 1A). Les taux bruts d'infection à SARM pour 10 000 personnes ont été calculés à la lumière de données tirées du rapport sur la population du ministère de la Santé du Manitoba, publié en 20049.

Figure 1A. Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba au cours des 3 dernières années – profil géographique et taille de la population des offices régionaux de la santé (ORS) du Manitoba

Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba

*Les résultats du troisième trimestre de 2006 (T3) renvoient à la moyenne de juillet et d'août seulement.

Résultats

Le nombre de cas de SARM signalés dans les ORS des régions nordiques de Burntwood et de Norman (figure 1A) a considérablement augmenté depuis 2003, les taux bruts signalés atteignant des sommets au cours de la saison estivale (figure 1B). Cette courbe ascendante et ces tendances saisonnières s'appliquent à tous les groupes d'âge, surtout aux jeunes de ≤ 19 ans (figure 1C). Il est difficile d'interpréter les tendances observées puisque les données accessibles ne distinguent pas l'infection à SARM-C de l'infection à SARM-N, et que l'on ignore dans quelle mesure la déclaration est uniforme. Quoi qu'il en soit, si l'on se fie aux éléments d'information que l'on possède, la récente expansion des infections à SARM concerne surtout des sujets âgés de < 20 ans vivant dans les collectivités autochtones de Burntwood et de Norman.

Analyse

D'après la hausse du nombre de cas de SARM chez les jeunes vivant dans des régions sanitaires du Nord, observée au cours des 4 dernières années et les pics saisonniers enregistrés annuellement, ces nouvelles tendances de l'infection pourraient être attribuables à un ensemble unique de facteurs. Si les taux enregistrés par les offices régionaux de la santé du Sud, y compris à Winnipeg, sont demeurés relativement constants, les hausses constatées chez les enfants et les adolescents au cours de l'été méritent une étude approfondie. La fluctuation saisonnière n'a pas jusqu'ici été signalée comme étant une caractéristique de l'infection à SARM, et on ignore si les tendances observées sont liées à la génétique de l'agent pathogène, aux comportements de l'hôte ou aux types d'activités qui se déroulent dans la collectivité et/ou les postes de soins infirmiers. Le nombre de cas associés aux piqûres d'insectes et aux éraflures, dans une collectivité, pourrait expliquer en partie les tendances saisonnières relevées.

Figure 1B. Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba au cours des 3 dernières années – taux bruts moyens (3 mois) d'infections à SARM déclarés au ministère de la Santé du Manitoba, par ORS

Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba

*Les résultats du troisième trimestre de 2006 (T3) renvoient à la moyenne de juillet et d'août seulement.

Figure 1C. Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba au cours des 3 dernières années – nombre moyen (3mois) de cas d'infection à SARM déclarés au Manitoba par groupe d'âge

Hausse des taux d'infection à SARM déclarés dans le nord du Manitoba

*Les résultats du troisième trimestre de 2006 (T3) renvoient à la moyenne de juillet et d'août seulement.

Les facteurs de risque de l'infection à SARM-C suscitent encore beaucoup d'interrogations, mais des considérations socio-économiques, les logements surpeuplés et l'accès limité aux soins de santé ont été incriminés1. Une étude cas-témoins menée auprès d'une population autochtone de l'Alaska a mis en évidence une corrélation et une relation dose-effet entre la fréquence de consommation d'antibiotiques au cours des 12 mois précédant l'étude et la survenue de l'infection à SARM10. Selon une récente étude sur les infections à SARM chez des patients sans facteurs de risque établis à Baltimore, à Atlanta et au Minnesota, une forte proportion de cas étaient associés à des problèmes de santé sous-jacents (tabagisme, diabète, asthme et affections cutanées non infectieuses comme l'eczéma), aux logements surpeuplés (terme qui, dans cette étude, désigne un logement où l'on compte plus d'une personne par chambre à coucher), à la consommation d'antibiotiques au cours de l'année précédente et aux contacts avec le milieu des soins de santé (consulter un médecin, travailler dans un milieu médical ou vivre avec quelqu'un qui est en contact avec le milieu des soins de santé)11. Ces constats indiquent qu'un éventail de facteurs pourraient être en cause dans les communautés autochtones, où les taux de diabète sont élevés, les logements sont surpeuplés et les postes de soins infirmiers sont le seul point de contact avec un système de soins de santé structuré. La prise en charge d'éclosions d'infections à SARM en milieu hospitalier passe nécessairement par des données épidémiologiques exactes, des lignes directrices en matière de sécurité, des données sur les contacts, des données démographiques, un diagnostic, l'identification des souches et le traitement12,13; or, les ressources permettant de mener ce genre d'activités dans les communautés autochtones sont limitées. Un bon point de départ vers la définition des éclosions d'infections à SARM consisterait à déclarer séparément les infections à SARM-C et les infections à SARM-N, ainsi qu'il a déjà été recommandé1. D'autres mesures pourraient être envisagées, comme l'a préconisé récemment la Société canadienne de pédiatrie, notamment une diminution du recours aux antibiotiques, l'optimisation de l'approvisionnement en eau et une observation plus rigoureuse des règles d'hygiène des mains chez les dispensateurs de soins de santé14.

Une étude cas-témoins est en cours dans la province voisine de la Saskatchewan (M. Mulvey, chef, Infections en milieu hospitalier, Laboratoire national de microbiologie : communication personnelle, 2006). L'initiative pourrait s'étendre aux communautés du Manitoba et devrait mettre l'accent sur des facteurs de risque présumés être associés à l'infection à SARM-C, comme l'emploi récent d'antibiotiques, les contacts avec le milieu des soins de santé (postes de soins infirmiers, évacuation médicale par avion, fréquentation des hôpitaux de The Pas, Thompson et Winnipeg), les logements surpeuplés (selon la définition acceptée au Canada, soit la présence de > 0,4 personne par pièce15), les affections cutanées non infectieuses, le tabagisme et les affections chroniques telles que le diabète. Entre-temps, il faut informer les membres des collectivités et les dispensateurs de soins de santé pour qu'ils puissent intervenir rapidement en cas de situations d'urgence découlant d'infections invasives à SARM, surtout chez les jeunes vivant dans des régions éloignées.

Remerciements

Les auteurs tiennent à souligner la précieuse contribution des personnes suivantes : le Dr M. Mulvey, chef, Infections en milieu hospitalier, Laboratoire national de microbiologie, Agence de santé publique du Canada, Winnipeg (Manitoba), le Dr J. Wylie, ministère de la Santé du Manitoba, laboratoire provincial Cadham, Winnipeg, le Dr P. Orr, département de microbiologie médicale, Université du Manitoba et les responsables du programme national de formation en maladies infectieuses mis en oeuvre à l'Université du Manitoba à l'instigation des IRSC/de l'ICID. Toute erreur contenue dans ce rapport n'engage que les auteurs.

Références

1. Wylie J, Nowicki D. Molecular epidemiology of community- and health care-associated methicillin-resistant Staphylococcus aureus in Manitoba, Canada. J Clin Microbiol 2005;43:2830-6.

2. Centers for Disease Control and Prevention. Four pediatric deaths from community-acquired methicillin-resistant Staphylococcus aureus – Minnesota and North Dakota, 1991-1999. MMWR 1999;48:701-10.

3. Gonzalez BE, Martinez-Aguilar G, Hulten KG et coll. Severe staphylococcal sepsis in adolescents in the era of community-acquired methicillin-resistant Staphylococcus aureus. Pediatrics 2005;115:642-8.

4. Miller LG, Perdreau-Remington F, Rieg G et coll. Necrotizing fasciitis caused by community-associated methicillin-resistant Staphylococcus aureus in Los Angeles. N Engl J Med 2005;352:1445-53.

5. Ofner-Agostini M, Simor AE, Mulvey M et coll. Methicillin-resistant Staphylococcus aureus in Canadian Aboriginal people. Infect Control Hosp Epidemiol 2006;27:204-7.

6. Mulvey MR, MacDougall L, Cholin B et coll. Community-associated methicillin-resistant Staphylococcus aureus, Canada. Emerg Infect Dis 2005;11:844-50.

7. Chambers HF. Community-associated MRSA – resistance and virulence converge. N Engl J Med 2005;352:1485-7.

8. Communicable Disease Control Unit, Manitoba Health,Winnipeg. Surveillance & epidemiology: Monthly summary of communicable diseases. URL: <http://www.gov.mb.ca/health/publichealth/cdc/ surveillance/ index.html#summary>. Accédé le 21 février, 2006.

9. Manitoba Health. Population report: June 1, 2004. URL: <http://www.gov.mb.ca/health/population/2004/index.html>. Accédé le 21 février, 2006.

10. Baggett HC, Hennessy TW, Rudolph K et coll. Community-onset methicillin-resistant Staphylococcus aureus associated with antibiotic use and the cytotoxin Panton-Valentine leukocidin during a furunculosis outbreak in rural Alaska. J Infect Dis 2004;189:1565-73.

11. Fridkin SK, Hageman JC, Morrison M et coll. Methicillin-resistant Staphylococcus aureus disease in three communities. N Engl J Med 2005;352:1436-44.

12. Centers for Disease Control and Prevention. Community-associated MRSA: Information for clinicians. URL: <http://www.cdc.gov/ncidod/ dhqp/ar_mrsa_ca_clinicians.html#4>. Accédé le 24 février, 2006.

13. Harbarth S, Pittet D. Methicillin-resistant Staphylococcus aureus. Lancet Infect Dis 2005;5:653-63.

14. Canadian Paediatric Society. Methicillin-resistant Staphylococcus aureus in First Nations communities in Canada. Position Statement: FNIH 2005-02. Paediatr Child Health 2005;10:557-9.

15. Indian and Northern Affairs Canada. Highlights from the report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples: People to people, nation to nations. URL: < http://www.ainc-inac.gc.ca/ch/rcap/rpt/index_e.html>. Accédé le 3 octobre, 2005.

Éclosion de gastro-entérite à Escherichia coli O157:H7 associée à la consommation de donairs au boeuf à Edmonton (Alberta), mai et juin 2006

L Honish, MSc, CPHI(C) (1), I Zazulak, CPHI(C) (1), R Mahabeer, BA, BEH(AD), CPHI(C) (1), K Krywiak, BSc, CPHI(C) (1), R Leyland, BSc, CPHI(C) (1), N Hislop, MSc CPHI(C) (1), L Chui, PhD (2)

1 Capital Health - Public Health Division, Edmonton (Alberta)
2 Public Health Laboratory, Edmonton (Alberta)

Douze cas d'infection intestinale à Escherichia coli O157:H7 confirmés en laboratoire ont été signalés en mai 2006 dans le cadre des activités de surveillance des maladies à déclaration obligatoire dans la Capital Health Region (agglomération d'Edmonton, en Alberta). Au cours des 5 dernières années, l'incidence annuelle moyenne dans la région était de 51 cas, et l'incidence moyenne en mai était de 5,2 cas. Un suivi initial (c.-à-d. réponses à un questionnaire standard rempli par les cas sur l'exposition à E. coli O157:H7) effectué par les Services de santé publique environnementaux de la région (Capital Health-Environmental Public Health Services – EPHS) n'a révélé l'existence d'aucun lien épidémiologique entre les cas. L'utilisation de méthodes de surveillance accrue a cependant permis de déterminer qu'il s'agissait d'une éclosion associée à la consommation de « donairs » au boeuf (voir la section Analyse) dans une chaîne de restaurants locale. On trouvera dans le présent document un résumé des méthodes de surveillance accrue utilisées et de l'enquête épidémiologique qui a suivi.

Méthodes

Une analyse démographique des cas d'infection à E. coli O157:H7 signalés dans la région en mai et en juin 2006 a révélé que la plupart des cas étaient des hommes âgés de 19 à 26 ans. Un questionnaire exploratoire approfondi, comportant notamment des postes sur les types d'exposition jugées courantes chez les hommes de ce groupe d'âge, a été remis aux cas. Au moment de l'éclosion, une équipe locale de hockey professionnel participait à des séries éliminatoires. Après les matchs, des milliers de partisans se retrouvaient pour célébrer dans un secteur d'environ 10 pâtés de maisons comptant de nombreux restaurants et bars. On a demandé aux cas s'ils avaient participé à ces festivités; pour les aider à se rappeler les faits, on s'est servi du calendrier des matchs de l'équipe locale diffusé sur Internet. Plusieurs des cas ont affirmé avoir participé aux célébrations. Lorsqu'on leur a demandé de préciser ce qu'ils avaient alors consommé, ils ont indiqué avoir mangé des donairs au boeuf dans un restaurant spécialisé d'Edmonton. D'autres cas liés à l'éclosion se sont également rappelé avoir consommé des donairs dans un autre restaurant de la même chaîne, à Edmonton, pendant la période d'incubation.

À la lumière de cette information, on a mené une enquête sur les restaurants de la chaîne en cause et sur une usine de transformation de la viande qui approvisionnait ces restaurants. L'enquête prévoyait l'inspection des installations de l'usine concernée et des entretiens avec les exploitants, la collecte d'échantillons de nourriture représentatifs et l'obtention d'échantillons des selles des employés de l'un des restaurants en cause. Les échantillons de nourriture et les échantillons de selles ont été envoyés au Laboratoire provincial de santé publique de l'Alberta (PPHL) à des fins d'analyse microbiologique. (Tous les isolats d'E. coli O157:H7 prélevés chez l'humain dans la Capital Health Region sont soumis au PPHL en vue d'un profilage par électrophorèse sur gel en champ pulsé.) Les analyses effectuées sur les isolats d'E. coli O157:H7 associés à l'éclosion de mai et juin ont mis en évidence un profil électrophorétique prédominant, dont on s'est servi pour améliorer la définition de cas. Ce profil a été comparé à ceux d'une base de données du PPHL qui contient tous les profils électrophorétiques d'E. coli O157:H7 observés dans la province depuis 1998. On a informé de l'éclosion d'autres organismes provinciaux et fédéraux dont les activités sont liées à la santé et à la salubrité des aliments afin qu'ils puissent contribuer à l'enquête.

Résultats

Définition de cas

La définition de cas a été limitée aux résidents ou aux visiteurs de la Capital Health Region chez qui l'on avait isolé E. coli O157:H7 présentant le profil électrophorétique national ECXAI 0.1455 (ou un autre profil s'il existait un lien épidémiologique avec un cas présentant le profil ECXAI 0.1455) dans des échantillons de selles obtenus entre le 1er mai et le 30 juin 2006. Au total, neuf cas correspondaient à cette définition : huit étaient infectés par un isolat présentant le profil électrophorétique provincial ECXAI 0.1455, et un, par un isolat présentant le profil ECXAI 0.1468. Ces deux profils électrophorétiques n'avaient jamais encore été observés en Alberta. On a signalé, au cours de la même période, neuf autres cas d'infection à E. coli O157:H7 confirmés en laboratoire dans la Capital Health Region, qui ne correspondaient pas à la définition de cas.

Données démographiques

Six cas (67 %) étaient de sexe masculin. L'âge moyen et l'âge médian des cas étaient de 23,7 ans et de 22,0 ans, respectivement, l'intervalle étant de 2 à 45 ans. Six cas (67 %) étaient âgés de 19 à 26 ans. Tous étaient domiciliés dans la Capital Health Region, à l'exception d'un sujet, qui résidait dans une autre région sanitaire de l'Alberta.

Tableau clinique

Les principaux symptômes signalés étaient une diarrhée (100 %) et une diarrhée sanglante (56 %). Aucun des cas n'a été hospitalisé, et il n'y a eu aucun cas connu de syndrome hémolytique et urémique. Les symptômes sont apparus entre le 13 mai et le 19 juin 2006. Tous les cas sauf un ont indiqué que leurs symptômes avaient débuté en mai (voir le tableau 1). On a établi une période d'incubation approximative (3, 5 et 9 jours) pour trois cas, qui connaissaient la date exacte à laquelle ils avaient consommé l'aliment en cause. Les autres cas pouvaient tout au plus indiquer une période pendant laquelle ils avaient vraisemblablement consommé l'aliment en cause.

Tableau 1. Cas d'infection à Escherichia coli O157:H7 associés à l'éclosion de mai et juin 2006 liée à la consommation de donairs dans la Capital Health Region, date d'apparition des symptômes, dates/période de consommation et restaurants en cause

* Toutes les dates sont pendant l'année 2006.

Cas

Date d'apparition des symptômes*

Date/période de consommation des donairs*

Restaurant en cause

1

13 mai

6-13 mai

Location B

2

27 mai

19-21 mai

Location A

3

28 mai

25 mai

Location A

4

28 mai

18-27 mai

Location A

5

28 mai

19 mai

Location A

6

29 mai

19-27 mai

Location B

7

19 juin

14 juin

Location A

Antécédents de consommation alimentaire/d'exposition

Sur les neuf cas, 7 (78 % ) ont indiqué avoir consommé un donair au boeuf pendant la période d'incubation. Les produits avaient été achetés dans deux restaurants de la chaîne spécialisée en question (voir le tableau 1). Les deux cas qui n'ont pas consommé de donair n'ont pas rempli le questionnaire approfondi (cas perdus de vue). Il y avait en tout six restaurants de la chaîne en cause dans la Capital Health Region au moment de l'éclosion (désignés par les lettres A à F). Parmi les cas qui ont indiqué avoir consommé un donair, cinq (71 %) avaient acheté l'aliment au restaurant A, et deux (29 % ), au restaurant B. Le restaurant A est situé dans le secteur dont il était question précédemment. On n'a établi l'existence d'aucun autre lien épidémiologique significatif entre les cas.

Enquête sur la chaîne de restaurants en cause

Dans les restaurants en cause, on prépare la viande utilisée dans les donairs en ajoutant des épices à du boeuf haché, en mélangeant le tout dans un robot culinaire jusqu'à ce que la viande soit hachée plus finement, puis en embrochant la viande et en lui donnant une forme conique. Les « cônes » de viande sont ensuite recouverts d'un emballage en cellophane puis congelés. Tous les restaurants de la chaîne ont dit placer les cônes de boeuf congelé directement dans une rôtissoire, sans décongélation, et les chauffer jusqu'à ce que la viande semble cuite. Lorsqu'un client commande un donair au boeuf, les employés coupent des tranches de viande à la surface du cône et les déposent dans un pain pita avec du fromage fondu, des tomates, de la laitue et de la sauce (lait évaporé en conserve, sucre, vinaigre) puis servent le tout. À l'exception du restaurant B, tous les restaurants ont indiqué que la viande tranchée subissait une étape de cuisson supplémentaire sur un gril avant d'être servie aux clients (le restaurant A et trois autres restaurants de la chaîne ont dit toujours poursuivre la cuisson de la viande tranchée sur un gril, et un autre restaurant de la chaîne a indiqué que la viande tranchée était mise à cuire sur un gril seulement si elle semblait insuffisamment cuite); dans le restaurant B, la cuisson de la viande ne se faisait que dans la rôtissoire. Pour déterminer le degré de cuisson de la viande, on se fiait surtout à la couleur de la viande; on n'utilisait que rarement, sinon jamais, un thermomètre. Dans tous les restaurants, les portions inutilisées des cônes étaient habituellement rangées au réfrigérateur ou au congélateur à la fin de la journée, puis remises dans la rôtissoire le lendemain.

Dans les restaurants A et B, les épicées utilisées pour préparer les donairs provenaient de fournisseurs différents, mais les légumes et le fromage venaient du même fournisseur. Un même fournisseur de viande spécialisé, soit une petite entreprise de la région d'Edmonton, approvisionnait les restaurants A, B, C et D en boeuf haché. Les restaurants A et D recevaient des cônes préparés au restaurant C, mais le restaurant B préparait ses cônes sur place. Les restaurants E et F préparaient également leurs cônes sur place, mais faisaient affaire avec deux fournisseurs de boeuf haché différents, distincts du fournisseur des restaurants A, B, C et D.

Résultats des analyses effectuées sur les échantillons de nourriture

Il ne restait plus de boeuf appartenant au même lot que celui qui avait été servi aux cas. On a tout de même prélevé cinq échantillons de boeuf en vue de l'enquête : trois dans le restaurant A (deux échantillons de viande cuite, prélevés à la surface des cônes, et un échantillon de viande insuffisamment cuite, prélevé en réalisant une incision plus profonde), un dans le restaurant B (un échantillon de boeuf cru utilisé pour préparer les donairs) et un chez le fournisseur qui approvisionnait en boeuf haché les restaurants A, B, C et D (un échantillon de boeuf haché cru). Selon les résultats des analyses, aucun des échantillons de boeuf n'était contaminé par E. coli O157:H7.

Résultats des analyses effectuées sur les échantillons de selles des employés

Le dernier cas de l'éclosion a indiqué avoir consommé un donair au boeuf du restaurant A le 14 juin, soit 18 jours après l'avant-dernier cas, et après l'inspection des méthodes de cuisson effectuée par les EPHS. On a supposé que les deux employés du restaurant A qui manipulaient les aliments pouvaient constituer une source possible, et on a obtenu des échantillons de leurs selles (le 29 juin) afin d'y rechercher E. coli O157:H7. Les résultats des analyses effectuées sur les échantillons des deux employés étaient négatifs. Selon les renseignements obtenus, aucun employé ne travaille à la fois au restaurant A et au restaurant B.

Recherche des cas

Pour faciliter la recherche des cas, on a envoyé, le 9 juin, un avis au Centre canadien de renseignements et de surveillance des éclosions (CCRSE), un système Web sécurisé permettant la diffusion d'avis d'éclosions aux professionnels canadiens spécialisés dans la surveillance de maladies entériques à l'échelle nationale, provinciale et locale. Le PPHL a également transmis le profil électrophorétique prédominant à PulseNet USA et à PulseNet Canada, le réseau national de sous-typage moléculaire pour la surveillance des toxiinfections alimentaires. Les méthodes de recherche de cas utilisées ont permis de trouver un cas à l'extérieur de la Capital Health Region.

Analyse

Les donairs (et autres produits semblables appelés kebabs, gyros, shawirmas et chawarmas) sont une spécialité du Moyen-Orient que l'on retrouve dans des restaurants canadiens depuis plus de 30 ans. On les prépare normalement en cuisant de la viande (habituellement du boeuf haché épicé auquel on a donné une forme conique) dans une rôtissoire, puis en tranchant des morceaux de viande et en les déposant dans un pain pita avec des légumes et des condiments 1. Au cours d'une éclosion semblable survenue en 2004, à Calgary (Alberta), on a dénombré 43 cas d'infection à E. coli O157:H7 associés à la consommation de donairs au boeuf 2. Des denrées alimentaires semblables ont également été associées à des éclosions de cas de salmonellose 3,4. Une étude turque menée en 2006 a révélé que plus de 25 % des échantillons de viande de boeuf cuite (kebab) servant à la préparation de donairs étaient contaminés par E. coli O157:H75. On sait depuis longtemps que la manipulation inadéquate de tels produits est associée à des risques de toxi-infection alimentaire6,7.

La présente enquête confirme qu'il y a eu une éclosion de cas d'infection à E. coli O157:H7 dans la Capital Health Region en mai et en juin 2006 : huit cas ont été infectés au cours de cette période par une variante de cet agent pathogène dont le profil électrophorétique n'avait jamais été enregistré en Alberta, et un cas présentait un lien épidémiologique avec ces huit personnes. Le profil électrophorétique associé à tous les cas d'infection à E. coli O157:H7 survenus pendant l'éclosion s'est révélé crucial à l'élaboration d'une définition de cas précise. Les chercheurs ont ainsi pu éliminer les cas qui n'étaient pas associés à l'éclosion en cause et se concentrer sur les cas liés à l'éclosion. La découverte d'un profil électrophorétique prédominant concorde également avec la consommation d'un aliment précis par tous les cas de l'éclosion : l'isolement, chez des personnes différentes, d'organismes dont le profil électrophorétique se confond évoque une exposition à une même source8.

Les données épidémiologiques établissant l'existence d'un lien entre la consommation de donairs au boeuf dans l'un de deux restaurants d'une même chaîne et l'éclosion en cause sont solides : sept cas sur neuf ont indiqué avoir consommé un donair au boeuf, et l'on n'a établi l'existence d'aucun autre lien épidémiologique significatif entre les cas. Les deux restaurants en question s'approvisionnaient en boeuf haché chez le même petit fournisseur spécialisé, ce qui concorde avec l'hypothèse selon laquelle le boeuf haché (souvent associé à des éclosions de cas d'infection à E. coli O157:H7 au Canada9) aurait été la source de la contamination. Les échantillons de nourriture (boeuf haché) prélevés dans le cadre de l'enquête se sont tous révélés exempts d'E. coli O157:H7 de sorte que la source de l'éclosion n'a pu être confirmée en laboratoire. La viande de boeuf échantillonnée ne provenait toutefois pas du même lot que la viande servie aux cas, aussi a-t-il été impossible de déterminer si la viande servie à ces personnes était effectivement contaminée, ni si les autres ingrédients (laitue, tomates, etc.) avaient été contaminés ou si les employés pouvaient avoir contaminé les aliments (on ignorait s'ils excrétaient eux-mêmes le pathogène au moment de la préparation des aliments). Si l'éclosion avait été attribuable aux employés, il aurait fallu que plusieurs d'entre eux aient été infectés pendant l'éclosion puisque aucun employé ne travaillait à la fois au restaurant A et au restaurant B.

Les résultats de l'enquête montrent que les méthodes de manipulation du boeuf haché laissaient à désirer dans les restaurants en cause, ce qui peut avoir contribué à la survenue de l'éclosion. L'utilisation de méthodes inadéquates pour déterminer le degré de cuisson du boeuf haché et le fait de réchauffer et servir des cônes gardés dans une rôtissoire puis réfrigérés ou congelés la veille peuvent avoir favorisé la survie ou la croissance de l'agent pathogène dans la viande. L'hypothèse selon laquelle la viande aurait été insuffisamment cuite est renforcée par l'affluence élevée de clients signalée pendant les célébrations d'après-match dans les environs de l'un des restaurants en cause, ce qui a vraisemblablement entraîné une réduction du temps de cuisson dans les rôtissoires pour répondre à la demande accrue.

Conclusion

Les risques associées à la manipulation inadéquate de donairs ont déjà été établis au Canada. Au moment de l'éclosion, les organismes locaux, provinciaux et fédéraux dont les activités sont liées à la santé et à la salubrité des aliments s'employaient à élaborer des stratégies d'atténuation des risques1. Cette éclosion a bien montré l'importance de poursuivre ces travaux, afin que la consommation de ce type d'aliment au Canada se fasse sans risques.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes de leur aide : D. Everett, Alberta Health and Wellness, Edmonton (Alberta); C. Assen, Agence canadienne d'inspection des aliments - Food Safety and Fair Labeling (Alberta North), Edmonton; C. Munroe, Alberta Agriculture, Food and Rural Development-Regulatory Services Division, Edmonton; A. Jessome, Northern Lights Health Region, Fort McMurray (Alberta); J. Fuller, Provincial Public Health Laboratory, Edmonton; V. Mah, C. Galbraith, D. Langier-Blythe, P. Wagner, K. Shaw et G. Predy, Capital Health - Public Health Division, Edmonton.

Références

1. Health Canada. Issue identification paper: Donairs (and similar products), June 2006 draft. Ottawa: Health Canada, 2006.

2. Currie A. Outbreak of E. coli O157:H7 infections in Calgary Health Region, September to October, 2004: Summary report. Calgary: Calgary Health Region, 2005.

3. Evans MR, Salmon RL, Nehaul L et coll. An outbreak of Salmonella typhimurium DT170 associated with kebab meat and yogurt relish. Epidemiol Infect 1999;122:377-83.

4. Synnott M, Morse DL, Maguire H et coll. An outbreak of Salmonella mikawasima associated with doner kebabs. Epidemiol Infect 1993;111:473-81.

5. Ulukanli Z, Cavli P. Detection of Escherichia coli O157:H7 from beef doner kebabs sold in Kars. G U J Sci 2006;19:99-104.

6. Todd ECD, Szabo R, Spiring F. Donairs (gyros) – potential hazards and control. J Food Prot 1986;49:369-77.

7. Bryan FL, Standley SR, Hendersen WC. Time-temperature conditions of gyros. J Food Prot 1980;43;346-53.

8. Harrington SM, Bishai WR. Molecular epidemiology and infectious diseases. Dans : Nelson KE,Willams CM, Graham NMH, éds. Infectious disease epidemiology: Theory and practice. Gaithersburg, MD: Aspen Publishers Inc., 2001;205.

9. Todd ECD. Lutte contre les infections dues à Escherichia coli O157:H7 associées au boeuf haché au Canada. RMTC 2000;26(13):111-6.


Détails de la page

Date de modification :