Relevé des maladies transmissibles au Canada
Enquête sur la deuxième vague (phase 2) du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS)à Toronto (Canada). Que s'est-il passé?
M. Ofner-Agostini, PhD(1), T. Wallington, MD(2), B. Henry, MD(2), D. Low, MD(3), L.C. McDonald, MD(4), L. Berger, MD(2), B. Mederski, MD(5), l'Équipe d'enquête sur le SRAS et T. Wong, MD(1)
- Centre de prévention et de contrôle des maladies infectieuses, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)
- Bureau de santé publique de Toronto, Toronto (Ontario)
- Mount Sinai Hospital, Toronto (Ontario)
- Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta (Géorgie)
- North York General Hospital, Toronto (Ontario)
Membres de l'équipe d'enquête sur le SRAS : S. Kormin, A. Saunders, R. Stuart, B. Yafee, Bureau de santé publique de Toronto, Toronto (Ontario); M. Christian, Mount Sinai Hospital, Toronto (Ontario); M. Loutfy, D. White, V. Nankoosing, North York General Hospital, Toronto (Ontario); L. Hansen, Santé Canada, Ottawa (Ontario).
Résumé
Contexte : Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a été introduit à Toronto le 23 février 2003. Au début de mai, après que deux périodes d'incubation se furent écoulées sans que de nouveaux cas apparaissent, on a cru que l'éclosion était terminée. Toutefois, le 20 mai 2003, plusieurs cas de maladies respiratoires sont survenus dans un établissement de réadaptation de Toronto. On a plus tard déterminé qu'il s'agissait de cas de SRAS, mais seulement après qu'un hôpital communautaire où l'un de ces cas avait antérieurement séjourné (Hôpital X) eut déjà signalé la transmission d'une infection nosocomiale. Le rapport que voici décrit l'enquête sur l'éclosion qui a suivi la transmission nosocomiale du SRAS à l'Hôpital X.
Méthodologie : On a réalisé une enquête sur 90 cas suspects et probables de SRAS associés à une éclosion dans un hôpital. L'enquête a comporté l'examen de certificats de décès, de dossiers médicaux, la recherche de cas et la recherche des contacts. On a examiné les dossiers du personnel infirmier ayant travaillé dans le service où était survenue la transmission nosocomiale pour connaître les quarts de travail de chaque soignant et les patients dont chacun s'était occupé afin de déterminer la source de l'infection.
Résultats : Le plus grand nombre de cas d'infection est survenu chez les employés de l'hôpital (42,5 %); 69 % des personnes atteintesétaient de sexe féminin et la moyenne d'âge était de 51 ans. La période d'incubation moyenne était de 6,3 jours (intervalle de 4 à 10 jours) chez les patients n'ayant subi qu'une exposition. Douze (13,8 %) des cas sont décédés. Cinq des sept infirmières qui avaient soigné un patient particulier atteint de SRAS pendant cette période ont contracté la maladie. Douze des 17 membres du personnel infirmier qui ont contracté le SRAS (70,6 %) avaient travaillé avec un ou une collègue qui présentait les symptômes du SRAS. Les employés qui avaient travaillé pendant le quart de soir ou le quart du matin et qui avaient donc probablement participé à un déjeuner d'appréciation du personnel infirmier étaient cinq fois plus nombreux à avoir contracté le SRAS que ceux qui n'y avaient pas assisté.
Interprétation : Croyant que l'éclosion de SRAS à Toronto était terminée, le Centre provincial des opérations a émis une directive autorisant l'assouplissement des mesures de prévention des infections au début de la deuxième phase de l'éclosion. Ce relâchement des précautions est associé dans le temps avec la transmission nosocomiale du SRAS à certains employés, à d'autres patients et aux visiteurs de l'Hôpital X. Par suite de cette éclosion, on a profondément modifié les pratiques de lutte contre les infections au Canada.
Introduction
Au début de 2003, une nouvelle forme de pneumonie, particulièrement virulente, aujourd'hui connue sous le nom de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) s'est propagée de la Chine à plusieurs pays du monde(1). Cette affection respiratoire fébrile, causée par un nouveau coronavirus (CoV-SRAS) a depuis été bien décrite(2,3). La plus importante éclosion de SRAS à l'extérieur de l'Asie est survenue à Toronto, au Canada. De février à juin 2003, 228 résidents de la ville de Toronto ont fait l'objet d'un diagnostic confirmé de SRAS et 38 d'entre eux en sont décédés. On a identifié 26 000 contacts, dont 14 000 ont été mis en quarantaine(4). Dans l'ensemble de l'Ontario, on a recensé 351 cas de SRAS, qui ont entraîné 44 décès, ce qui correspond à un taux de létalité global de 12,5 %(5). L'éclosion de SRAS à Toronto s'est déroulée en deux phases distinctes : la première, du 23 février au 19 avril, et la deuxième, du 21 avril au 12 juin. La première phase a suivi l'introduction du virus à Toronto par un voyageur rentrant de Hong Kong. Le virus s'est tout d'abord propagé parmi les membres de sa famille immédiate, puis dans un hôpital communautaire de Toronto vers la mi-mars 2003.
Le 26 mars, le premier ministre de l'Ontario a décrété que le SRAS était une urgence provinciale de santé publique. Le ministère provincial de la Santé, les professionnels de la santé et les services de santé publique locaux ont pris des mesures pour endiguer sa propagation : isolement des personnes exposées, restriction des visites aux patients hospitalisés et adoption de mesures plus rigoureuses de prévention des infections dans l'ensemble du système de santé. L'éclosion a été maîtrisée et le dernier cas signalé a été diagnostiquéà la mi-avril. Après avoir attendu l'équivalent de deux périodes d'incubation après le diagnostic et l'isolement de ce cas, le Centre provincial des opérations a jugé qu'on pouvait, sans danger, assouplir les précautions rigoureuses de prévention des infections qui avaient été instaurées dans les hôpitaux (entre le 8 et le 22 mai).
Le 20 mai, on a déterminé que plusieurs cas d'affections respiratoires signalées dans un hôpital de réadaptation étaient des cas de SRAS. Le 22 mai, on a établi un lien entre cette grappe de cas et une éclosion plus importante survenue dans un hôpital communautaire de Toronto Hôpital X). Les hôpitaux de la région de Toronto ont rétabli les mesures plus rigoureuses de prévention des infections le 26 mars, et la propagation de la maladie a été rapidement maîtrisée. L'article que voici décrit l'enquête menée sur la deuxième phase de l'éclosion et en présente un compte rendu plus détaillé que les rapports antérieurs(6).
Vers la mi-mai, conformément aux protocoles provinciaux en vigueur, on a signalé au Bureau de la santé publique de Toronto une éclosion d'infections respiratoires dans un hôpital de réadaptation de Toronto. L'enquête a mis au jour des cas d'infection respiratoire fébrile (IRF) chez trois patients, dont l'un avait été transféré récemment d'un hôpital communautaire de soins de courte durée situé à proximité (Hôpital X) au centre de réadaptation. Le 22 mai 2003, on a identifié le CoV-SRAS chez l'un des patients, par une épreuve de réaction en chaîne de la polymérase pratiquée sur un échantillon de lavage broncho-alvéolaire. Le retraçage des cas survenus au centre de réadaptation a permis de faire le lien avec l'Hôpital X et une enquête approfondie a été amorcée à l'hôpital le 23 mai.
Méthodologie
Recherche des cas. Une fois l'éclosion connue, les médecins et les intervenants chargés de la prévention des infections à l'Hôpital X ont procédé à une surveillance active des IRF chez les patients, les visiteurs et les employés de l'hôpital. Le Bureau de la santé publique de Toronto et Santé Canada ont formé sur place une équipe de chercheurs spécialisés en maladies transmissibles chargés de collaborer avec l'Hôpital pour faire enquête sur l'éclosion et la contenir. Les mesures prises au chapitre de la prévention des infections, de l'aménagement des locaux, des installations techniques, de la dotation et des politiques ont été décrites ailleurs(7).
Les cas probables et suspects de SRAS ont été inclus dans l'analyse s'ils correspondaient à la définition de cas(8) de Santé Canada et si l'exposition à la maladie et l'apparition ultérieure du SRAS pouvaient être reliées de façon épidémiologique à l'Hôpital X le ou après le 17 avril 2003. Les enquêteurs ont réalisé des entrevues et examiné les dossiers médicaux des cas pour recueillir des données démographiques et cliniques ainsi que des renseignements sur l'exposition à la maladie. Plusieurs renseignements précis ont été recueillis, notamment : date de l'apparition des symptômes, données cliniques (p. ex., radiographies pulmonaires, analyses de laboratoire), maladies préexistantes, antécédents de voyages, contextes d'exposition, profession (p. ex., travailleur de la santé), contacts avec d'autres établissements de soins de santé ou avec des cas connus de SRAS, activités menées après l'apparition des symptômes et participation à des activités ou à des événements communautaires. On a demandé aux personnes interrogées de décrire leurs activités au cours des 10 jours précédant l'apparition des symptômes afin de déterminer les sources d'exposition possibles. Au besoin, on a recueilli d'autres renseignements auprès de membres de la famille des cas ou de personnes avec lesquelles les cas avaient eu des contacts étroits. On a établi la progression des symptômes ainsi que les taux de létalité, d'admission à une unité de soins intensifs et d'intubation chez les cas.
Pour déterminer et décrire l'ampleur de l'éclosion, on a examiné les taux de mortalité dans chaque service de l'Hôpital X de janvier à mai 2003. On a également examiné le dossier médical de tous les patients décédés à l'hôpital entre le 1er mars et le 23 mai 2003.
Dans le cas d'un service (Service A), on a comparé les dates d'admission et les numéros de chambre de tous les patients aux affectations du personnel infirmier, par patient et par date. Tous les membres du personnel infirmier ayant travaillé au Service A entre le 1er avril et le 24 mai ont été inclus dans une analyse visant à déterminer les facteurs de risque d'acquisition du SRAS chez le personnel infirmier. Le fait d'avoir travaillé avec un ou une collègue malade a été défini en fonction des critères suivants : avoir fait le même quart de travail, avoir échangé des renseignements avec un collègue au moment de commencer ou de terminer son quart de travail, avoir donné des médicaments à un des patients d'un collègue, ou s'en être occupé, pendant que celui-ci était en pause.
On a établi les chaînes de transmission de la maladie en se fondant sur les antécédents d'exposition connus, l'analyse des dossiers médicaux et des listes d'affectation des employés. Dans le cas des personnes n'ayant été exposées qu'une fois à la maladie, on a calculé la durée d'incubation en comptant le nombre de jours écoulés entre l'exposition et l'apparition des premiers symptômes.
Résultats
L'hôpital (l'Hôpital X) qui a été le foyer d'infection pendant la deuxième phase de l'éclosion du SRAS à Toronto était un hôpital communautaire d'enseignement d'environ 425 lits, doté d'installations à plusieurs endroits. En tout, 90 personnes répondant aux critères de la définition de cas du SRAS ont été associées à la transmission nosocomiale; la plupart des cas étaient associés au même service (Service A). On a recueilli assez de données pour pouvoir procéder à l'analyse dans 87 cas de SRAS (85 cas probables et deux cas suspects). La figure 1 présente la courbe épidémique pour l'Hôpital X pendant la deuxième phase. L'âge moyen des cas était de 51,0 ans (âge médian : 49 ans; intervalle : de 11 à 96 ans); 60 cas (69 %) étaient de sexe féminin (tableau 1). Le type d'exposition le plus fréquent était le fait de travailler à l'hôpital (42,5 %). Sept des 87 cas n'avaient été exposés qu'une fois à un cas connu de SRAS, et la durée d'incubation moyenne dans ces cas était de 6,3 jours (médiane : 5,3 jours; intervalle : 4 à 10 jours).
Figure 1 : Nombre de cas probables et suspects de SRAS à l'Hôpital X pendant la deuxième phase
Caractéristique
|
N bre (%) de cas
|
---|---|
Sexe | |
Masculin Féminin |
27 (31,0) |
Âge | |
Moyen (ans) Médian (ans) Intervalle (ans) |
51,0 49,0 11 à 96 |
Type d'exposition | |
Travailleur de la santé Patient Visiteur Membre du ménage |
37 (42,5) 28 (32,2) 14 (16,1) 8 (9,2) |
Symptôme
|
N bre (%) à
l'apparition |
N bre (%) pendant le
cours de la maladie |
---|---|---|
Fièvre
Toux Essoufflement Saturation en oxygène < 94 % Céphalée Myalgie Diarrhée Nausées Vomissements |
70 (80,4)
24 (27,6) 10 (11,5) 4 (4,6) 32 (36,8) 29 (33,3) 5 (5,7) 2 (2,3) 1 (1,1) |
86 (93,8)
73 (83,9) 59 (67,8) 46 (52,9) 43 (49,4) 43 (49,4) 26 (29,9) 19 (21,8) 8 (9,2) |
Le tableau 2 énumère les signes et symptômes initiaux et subséquents des cas de SRAS. Il y avait comorbidité dans 56,3 % des cas, la maladie cardiovasculaire étant l'affection concomitante la plus fréquente (23,0 %) (tableau 3). Vingt-cinq patients (28,7 %) ont été admis à l'unité de soins intensifs et 19 (76 %) d'entre eux ont dû être intubés. La durée moyenne du séjour à l'unité de soins intensifs était de 22,2 jours (médiane : 14 jours; intervalle : 1 à 68 jours). Le taux de létalité était de 36 % chez les patients admis à l'unité de soins intensifs. Il y a eu 12 décès pendant la deuxième phase de l'éclosion de SRAS (taux de létalité: 13,8 %); âge moyen des cas décédés : 84,3 ans (médiane : 90 ans; intervalle : 44 à 96 ans); sept cas (58,3 %) étaient de sexe masculin (tableau 4). Il y a eu huit décès chez les malades hospitalisés (66,7 %), trois chez les visiteurs de l'hôpital (25,0 %) et un chez le personnel infirmier. Chez les patients qui ont contracté le SRAS, le taux de létalité était de 28,6 %, tandis qu'il était de 2,7 % chez le personnel soignant et de 2,1 % chez les visiteurs. Aucun décès n'a été observé chez les patients qui avaient contracté la maladie par l'entremise d'une personne du même ménage. C'est chez les personnes de > 65 ans qu'on a constaté le plus fort taux de létalité (42,1 %), alors qu'il était de 6,1 % chez les personnes de 18 à 64 ans. Aucun décès n'a été enregistré chez < 18 ans. La durée moyenne d'évolution de la maladie, de l'apparition des symptômes jusqu'au décès, était de 24 jours (médiane : 20 jours; intervalle : 3 à 76 jours).
Affections concomitantes | N bre (%) |
---|---|
Maladie cardiaque (y compris l'hypertension)
Maladie pulmonaire Diabète Cancer Maladie rénale |
20 (22,9) 10 (11,5) 9 (10,3) 6 (6,9) 4 (4,6) |
Caractéristique
|
N bre (%)
|
---|---|
Sexe | |
Masculin
Féminin |
7 (58,3)
5 (41,7) |
Âge | |
Moyen (ans)
Médian (ans) Intervalle (ans) |
84,3
90 44-96 |
Durée de la maladie (de l'apparition des symptômes jusqu'au décès) | |
Moyenne (jours)
Médiane (jours) Intervalle (jours) |
24
20 3-76 |
Épidémiologie. Notre enquête rétrospective à l'Hôpital X a permis d'identifier deux cas de SRAS (le Patient A, un cas suspect, et le Patient B, un cas confirmé) qui pourraient avoir été à l'origine de la deuxième phase de l'éclosion de SRAS à Toronto. Le Patient A a été admis à l'hôpital à la fin mars et transféré au Service A au début d'avril 2003. À plusieurs occasions pendant son séjour à l'hôpital, il a présenté des épisodes fébriles, et la radiographie a confirmé la présence d'une pneumonie; au début, il a bien répondu à l'antibiothérapie, mais il a contracté une diarrhée à Clostridium difficile et est décédé au début de mai. On n'a jamais prélevé d'échantillon sur lui pour effectuer des épreuves de dépistage du CoV-SRAS. Après sa mort, plusieurs membres de sa famille qui lui avaient rendu visite fréquemment ont présenté une IRF, et les analyses sérologiques ont par la suite confirmé le diagnostic de SRAS. Au début d'avril, le Patient B a été placé dans la même chambre à quatre lits que le Patient A; il présentait de la fièvre, une cellulite et un abcès à la jambe. Le Patient B a contracté une pneumonie nosocomiale, et l'analyse sérologique a confirmé le diagnostic de SRAS. Ces deux patients n'avaient jamais voyagé dans d'autres pays frappés par le SRAS et ils ne s'étaient jamais rendus, que l'on sache, dans un autre hôpital ou un lieu communautaire touché par le SRAS. Ils n'avaient pas non plus eu de contacts étroits avec d'autres patients atteints du SRAS, sauf entre eux.
En tout, 41 membres du personnel infirmier ont travaillé au Service A entre le 1er avril et le 24 mai 2003; de ce nombre, 17 (41,5 %) ont contracté le SRAS. L'examen des symptômes et du moment de leur apparition a révélé que cinq de ces personnes avaient fait au moins un quart de travail alors qu'elles présentaient les symptômes du SRAS et travaillé pendant un à sept jours dans cet état.
Les infirmières et infirmiers qui (pendant la période de resserrement des précautions) s'étaient occupés des sept premiers patients chez qui on a par la suite diagnostiqué le SRAS (d'après la date de l'apparition des symptômes) ont été comparés à leurs collègues qui s'étaient vu attribuer des patients « non atteints du SRAS ». Aucun cas de SRAS n'a été observé chez les infirmières qui avaient soigné les quatre premiers cas de SRAS (tous placés dans la même chambre à quatre lits). Cependant, cinq des sept membres du personnel infirmier qui s'étaient occupés d'un patient dont les symptômes sont apparus à la mi-mai sont tombés malades dans les 10 jours suivants.
Le fait d'avoir travaillé avec un autre membre du personnel infirmier présentant les symptômes du SRAS a été associé à l'acquisition de la maladie (RR 1,88; IC à 95 % 1,03 - 3,43 : p = 0,04). Douze des 17 employés (70,6 %) qui ont contracté le SRAS avaient travaillé avec un collègue présentant des symptômes et sont tombés malades dans les 10 jours suivant ce quart de travail.
Un déjeuner d'appréciation du personnel s'est tenu un matin de la mi-mai 2003. Le personnel des quarts du soir et du matin était présent. Les employés qui avaient fait le quart du soir précédent ou celui du matin le jour où a eu lieu ce déjeuner ont été plus nombreux à contracter le SRAS que ceux qui n'avaient pas travaillé pendant ces deux quarts (RR 5,63; IC à 95 % 1,10 - 31,37; p = 0,01). Deux employés dont on sait maintenant qu'ils avaient déjà la maladie ont également été affectés à l'un de ces deux quarts de travail et ont assisté au déjeuner.
Analyse
Il ressort de notre analyse de la cohorte de personnel infirmier du Service A qu'aucun membre de ce groupe n'est tombé malade après avoir été en contact avec les patients qui composaient la première grappe de cas dans ce service (et, à l'époque, on ne savait pas que ces patients avaient le SRAS). Cela s'explique probablement par le respect strict des mesures rigoureuses de prévention des infections qu'on avait instaurées. Ce fait vient confirmer ce qu'on a constaté ailleurs, c'est-à-dire que le risque de transmission du SRAS est faible lorsque des mesures de prévention des infections sont en vigueur et strictement observées(9-12). Cependant, lorsqu'on a cessé de suivre les mesures plus rigoureuses de prévention des infections, l'exposition à un malade atteint du SRAS qui a eu besoin de soins supplémentaires, notamment de kinésithérapie de drainage, d'être alimenté et de tous les soins d'hygiène, a probablement provoqué la transmission de la maladie à cinq membres du personnel infirmier et une nette amplification de l'éclosion. Ignorant qu'ils avaient le SRAS, plusieurs membres du personnel infirmier ont continué à travailler après l'apparition des symptômes et le virus s'est propagé à d'autres employés. La tenue d'un déjeuner d'appréciation du personnel infirmier a contribué à amplifier encore davantage le phénomène.
L'absence d'antécédents de voyage ou de contacts avec des personnes infectées de même que l'inexistence d'une épreuve diagnostique rapide et validée pour le SRAS ont retardé la reconnaissance de cas de SRAS dans cet hôpital. Cette éclosion fait ressortir l'importance d'une surveillance des IRF, de la prévention des infections et d'une étroite liaison avec les responsables de la santé publique et de la santé au travail pour contenir les éclosions. Dès qu'on a compris qu'il s'agissait bien du SRAS, la mise en oeuvre d'un protocole de surveillance active des IRF a permis d'identifier rapidement les personnes malades. Ces mesures, alliées au rétablissement de protocoles plus stricts de prévention des infections, a permis de maîtriser rapidement l'éclosion.
Pour combattre une éclosion nosocomiale, il importe d'adopter une approche systématique en matière de prévention des infections, comportant notamment des contrôles techniques, des contrôles administratifs et l'utilisation par tous les employés de l'équipement de protection individuelle approprié. Une étroite communication avec les autorités de santé publique permet d'élargir la perspective et d'être mieux renseigné sur ce qui se passe dans le milieu. Les services de santé au travail sont essentiels pour recenser et signaler aux autorités sanitaires les cas de maladie chez le personnel et pour sensibiliser les employés. Il faut par ailleurs favoriser la mise en place d'un climat dans lequel les employés ne craignent pas d'être pénalisés ou d'alourdir la charge de travail de leurs collègues s'ils rentrent chez eux quand ils sont malades.
Notre rapport est limité dans la mesure où nous sommes concentrés uniquement sur le personnel infirmier et n'avons pas examiné la situation des médecins, des porteurs, des préposés à l'entretien ménager ni des autres employés de l'hôpital. D'autres employés ont contracté le SRAS et peuvent avoir contribué à propager la maladie, mais dans leur cas, nous n'avions pas de rapports aussi détaillés sur les déplacements dans l'hôpital, les quarts de travail et les patients soignés que dans le cas du personnel infirmier. L'analyse portant sur le personnel infirmier a toutefois permis de tirer d'importants enseignements de l'éclosion survenue dans le Service A de l'Hôpital X et, à notre avis, ses conclusions, en ce qui concerne le comportement et les politiques sur les congés de maladie, s'appliquent également à tous les autres employés d'hôpitaux.
Même si nous n'avons pas réussi à identifier avec certitude la source du virus du SRAS à l'Hôpital X pendant la deuxième phase de l'éclosion survenue à Toronto, il nous a semblé évident qu'une source non reconnue était présente dans l'hôpital au début de mai, au moment où l'on a cru l'éclosion terminée. Le virus s'est probablement transmis à bas bruit entre des patients qui avaient d'autres maladies, lesquelles sont venues brouiller les cartes. La transmission du SRAS a été masquée par l'application de mesures plus rigoureuses de prévention des infections, mais l'éclosion s'est rapidement amplifiée, surtout chez le personnel infirmier, quand ces mesures ont été abandonnées. Cette phase de l'éclosion s'est concentrée à l'Hôpital X et ses conséquences tragiques ont amené le gouvernement à faire un effort concerté pour augmenter les ressources consacrées à la prévention des infections, à la santé au travail et à la santé publique, tout en améliorant la coordination et la communication entre ces trois secteurs, afin d'être mieux préparé à faire face dans l'avenir aux menaces que présentent les infections émergentes.
Références
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