Relevé des maladies transmissibles au Canada

 

1 avril 2008

Volume 34
numéro 04

Éclosion de cas d'infection invasive à streptocoque A dans deux hôpitaux de l'Ontario en 2003

L Nolan, MD, MHSc, FRCPC (1), R Schertzberg, MLT, ART, CIC (2), S Wilson-Clark, BScN MHSc (3), A McGeer, MD, FRCPC (4), R Pellizzari, MD, MSc, CCFP, FRCPC (5), C Steingart, MD, FRCPC (2)

  1. Service de santé publique de la région de Waterloo (Ontario)
  2. Grand River Hospital, Kitchener (Ontario)
  3. Programme canadien d'épidémiologie de terrain, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)
  4. Mount Sinai Hospital, Toronto (Ontario)
  5. Bureau de santé publique de Toronto, Toronto (Ontario)

L'infection invasive à streptocoque A est causée par Streptococcus pyogenes. Habituellement, le streptocoque A cause chez l'humain des maladies bénignes, comme la pharyngite et la cellulite. Toutefois, cet agent pathogène peut causer des maladies invasives, constituant parfois un danger de mort, comme la fasciite nécrosante, la méningite ou le syndrome de choc toxique streptococcique. On dénote une hausse marquée des cas d'infection graves à streptocoque A depuis les années 1980(1). En Ontario, on observe actuellement chaque année environ deux à trois cas d'infection invasive à streptocoque A pour 100 000 habitants, dont environ 13 % présentent un syndrome de choc toxique streptococcique(2). Le taux de létalité lié à l'infection invasive à streptocoque A est de 13 %; dans le cas du syndrome de choc toxique streptococcique toutefois, des taux de létalité pouvant atteindre 81 % ont été signalés(2).

Le streptocoque A se transmet par contact direct avec les secrétions provenant du nez ou de la gorge d'une personne infectée, ou par contact avec des plaies cutanées infectées. Les cas sont contagieux lorsqu'ils présentent des symptômes, mais la transmission par des porteurs asymptomatiques est possible. Les cas graves sont plus courants chez les sujets très jeunes ou très âgés et chez les personnes immunodéprimées. Les personnes ayant des contacts étroits avec des cas d'infection invasive à streptocoque A sont plus à risque de contracter la maladie que la population générale(2). Par conséquent, le recours à une chimioprophylaxie a été envisagé pour éradiquer la colonisation nasopharyngée et prévenir la transmission de la maladie.

En février 2003, on a observé une hausse du nombre de cas d'infection invasive à streptocoque A dans la région de Waterloo. Dix cas ont été déclarés au service de santé publique au cours d'une période de 5 semaines, alors qu'on n'enregistre habituellement que de 15 à 25 cas par année (figure 1). Sur le plan épidémiologique, aucun lien n'a été observé entre les cas ayant contracté l'infection dans la communauté.

Figure 1. Nombre de cas déclarés d'infection invasive à streptocoque A par mois, Région de Waterloo, 1996-2004

Figure 1. Nombre de cas déclarés d'infection invasive à streptocoque A par mois, Région de Waterloo, 1996-2004

Le 5 février 2003, le personnel de prévention des infections de deux hôpitaux a signalé au service de santé publique de la région de Waterloo une grappe de cinq cas d'infection à streptocoque A postopératoire. Il a été déterminé que trois de ces cas faisaient partie de la grappe d'infections à streptocoque A et que leurs symptômes étaient apparus dans la collectivité.

Il est à noter que certains cas initiaux n'ont pas été maintenus dans le dénombrement final, car l'infection s'était avérée non invasive ou acquise à l'extérieur de la région de Waterloo.

Méthodologie

Une équipe comprenant des membres du personnel des deux hôpitaux – y compris un administrateur, un infectiologue, du personnel de santé publique et des experts externes – a été formée pour discuter des cas d'infection nosocomiale postopératoire invasive à streptocoque A décelés dans les deux hôpitaux au cours des 2 semaines précédentes. Une enquête a été menée du 5 au 28 février 2003 pour déterminer l'ampleur et la source de l'éclosion et pour mettre au point des interventions.

Définitions

Aux fins de l'enquête de terrain, l'expression « cas confirmé en laboratoire » s'entend d'une personne vivant dans la région de Waterloo (cas d'infection communautaire) ou ayant subi une chirurgie dans un hôpital de la région (cas d'infection nosocomiale) dont les symptômes sont apparus entre le 1er janvier et le 28 février 2003 et qui répondait à l'une des conditions suivantes :

  • isolement d'un streptocoque du groupe A dans un échantillon normalement stérile (p. ex., sang, liquide céphalorachidien, liquide synovial);

OU

  • isolement d'un streptocoque du groupe A dans un échantillon non stérile, avec signes cliniques graves.

Par signes cliniques graves, on entend une fasciite nécrosante, une myosite, une méningite ou une hypotension, accompagnée d'au moins deux des atteintes suivantes : dysfonction hépatique, insuffisance rénale, coagulopathie, syndrome de détresse respiratoire aiguë et éruption maculaire érythémateuse généralisée.

Les cas d'infection communautaire étaient ceux dont les symptômes étaient apparus avant l'admission à l'hôpital, tandis que les cas d'infection nosocomiale étaient ceux dont les symptômes étaient apparus > 72 heures après l'admission ou la chirurgie.

Enquête sur l'éclosion

La recherche de cas a commencé le 5 février 2003. On a alors procédé à une surveillance active des plaies dans les deux hôpitaux, à une surveillance active dans la collectivité des infections à streptocoque A survenant dans les sites opératoires avec l'aide des médecins communautaires, et à une surveillance active, après leur congé, de tous les patients ayant subi une intervention chirurgicale. Plus particulièrement, le personnel de prévention des infections a téléphoné à chaque patient dans les 48 heures suivant le congé de l'hôpital afin de remplir un questionnaire normalisé. On a examiné tous les patients opérés et tous les patients admis au cours des 2 semaines précédant le 5 février. On a aussi surveillé les admissions à l'hôpital et les services des urgences pour déceler d'éventuels cas additionnels. Le coroner a été prévenu de la situation, et tous les décès ont été étudiés pour écarter les cas reliés. On a procédé à un sérotypage M et à un séquençotypage du gène sic (inhibiteur streptococcique du complément) sur les souches de S. pyogenes disponibles(3).

Tous les cas d'infection nosocomiale ont été étudiés pour déceler d'éventuels liens épidémiologiques, c'est-à-dire des points communs liés à des personnes, à des lieux ou à des périodes, y compris les mouvements du personnel et des patients. Le passage des patients et des travailleurs de la santé d'un hôpital à l'autre est courant.

Mesures préventives

Le 9 février, un cas mortel de fasciite nécrosante postopératoire a été signalé. Le patient avait été opéré le 5 février, soit avant la mise en place des mesures de prévention. Après le constat du décès, les mesures de prévention ont été rehaussées. L'équipe d'intervention voulait s'assurer d'empêcher la transmission de la maladie dans l'hôpital pendant la tenue de l'enquête. Les mesures de prévention, mises en place le 5 février et accrues le 9 février, incluaient l'administration périopératoire d'antibiotiques (avant et après les interventions) et la suspension des interventions chirurgicales non urgentes. On a aussi sensibilisé les travailleurs de la santé, en insistant sur l'importance des mesures courantes de prévention des infections. L'équipe d'enquête a procédé à l'inspection immédiate des salles d'opération pour relever les sources environnementales potentielles et s'assurer que toutes les salles du bloc opératoire étaient ventilées adéquatement. On a entrepris un nettoyage minutieux des salles d'opération, en mettant ensuite l'accent sur les endroits où les résultats du contrôle environnemental étaient positifs. On a accru la fréquence de ramassage du linge souillé.

Les enquêtes environnementale et épidémiologique ont permis de mieux comprendre l'ampleur et la source de l'éclosion. Les résultats de ces enquêtes ont continué d'éclairer les mesures de prévention tout au long de l'éclosion.

Dépistage auprès des travailleurs de la santé

On a procédé à un dépistage auprès du personnel hospitalier et des médecins pour déterminer s'ils étaient porteurs du streptocoque A. Pour ce faire, on a effectué des prélèvements dans la gorge et des prélèvements vaginaux et périanaux. Les personnes dont les tests étaient positifs ont été traitées au moyen des antibiotiques appropriés (céphalexine) et ont subi d'autres tests 14 jours et 28 jours après le traitement pour confirmer l'éradication du streptocoque. On a prescrit de la rifampicine et de la céphalosporine de deuxième génération aux personnes dont les résultats du dépistage de suivi étaient positifs. Tous les contacts familiaux du personnel hospitalier ayant obtenu des résultats positifs ont aussi été soumis à un dépistage et ont été traités lorsque les résultats étaient positifs. Le dépistage initial visait les employés et les médecins qui avaient prodigué des soins aux cas positifs en salle de réveil, en salle d'opération, en clinique d'intervention invasive et en unité pour malades hospitalisés, et s'est échelonné sur une période d'une semaine. Le 9 février, le dépistage a été élargi pour inclure le personnel ayant un lien quelconque avec le cercle des soins, y compris le personnel des soins intensifs, de la pharmacie, de l'entretien et de l'imagerie médicale. Cette mesure a été prise pour accélérer l'identification des porteurs potentiels.

Le processus de dépistage a été effectué en prolongeant les heures d'ouverture du Centre d'hygiène du travail. Des séances de sensibilisation individuelles ou en groupe ont été tenues. Les échantillons ont été identifiés par des codes numériques, et on a garanti aux employés que les résultats seraient traités en toute confidentialité. Un plan de communication a été élaboré pour dissiper les craintes, répondre aux questions et assurer la transparence de l'enquête.

Contrôle environnemental

Le 9 février, on a entrepris des tests au moyen de plaques de collecte de microorganismes atmosphériques. Au moins deux plaques par 24 heures (soit une par quart de travail de 12 heures) ont été placées dans toutes les salles d'opération et dans toutes les salles de déshabillage et salles de repos attenantes pour détecter une contamination par le streptocoque A. À la détection de la première plaque positive, on a placé des feuilles en guise de registre sur les portes de toutes les salles de déshabillage et salles de repos, afin que les employés inscrivent leur nom à l'entrée.

Résultats

Au total, six cas d'infection nosocomiale invasive à streptocoque A ont été confirmés parmi la grappe de cas. Deux cas présentaient une fasciite nécrosante, dont un s'est révélé mortel. Un total de six cas d'infection invasive à streptocoque A acquise dans la collectivité ont été relevés (figure 2). En bout de ligne, un lien épidémiologique a été établi entre quatre des six cas d'infection nosocomiale (figure 3). Aucun lien n'a été établi entre les deux autres cas d'infection nosocomiale sur le plan épidémiologique. Aucune infection nosocomiale n'a été observée chez les patients opérés après la mise en place des mesures de prévention.

Dépistage auprès du personnel hospitalier

Grâce à la participation de tous les employés et des responsables de l'administration des hôpitaux, le dépistage auprès du personnel hospitalier a été une réussite. Au total, 737 employés ont subi des tests (100 % des personnes ciblées). De ce nombre, sept (1 %) ont obtenu des résultats positifs. Tous les contacts familiaux des employés positifs ont obtenu des résultats négatifs. Deux des sept employés positifs travaillaient à la fois dans les deux hôpitaux. Un employé a dû subir plusieurs séries de traitement avant que le streptocoque ne soit éradiqué, mais ces traitements se sont finalement avérés efficaces. Ce cas, qui faisait partie des quatre cas épidémiologiquement liés, était asymptomatique et ne présentait aucune lésion cutanée.

Figure 2. Nombre de cas associés d'infection invasive à streptocoque A, Région de Waterloo, janvier - février 2003

Figure 2. Nombre de cas associés d'infection invasive à streptocoque A, Région de Waterloo, janvier - février 2003

 

Figure 3. Quatre cas d'infection nosocomiale à streptocoque A par date de survenue, Région de Waterloo, janvier - février 2003

Figure 3. Quatre cas d'infection nosocomiale à streptocoque A par date de survenue, Région de Waterloo,

Enquête épidémiologique

L'enquête épidémiologique a révélé que les cas d'infection nosocomiale avaient subi une chirurgie après le parage des plaies des deux premiers cas de fasciite nécrosante acquise dans la collectivité. On a supposé au départ que l'éclosion était peut-être liée au parage des plaies de ces personnes, mais les données probantes disponibles n'ont pas corroboré cette hypothèse.

Les résultats de l'enquête épidémiologique n'ont pas permis à eux seuls de clarifier les liens entre les cas. Pour ce qui est des infections nosocomiales, trois cas avaient subi une chirurgie dans un des hôpitaux, deux cas avaient subi une chirurgie dans l'autre hôpital, et un cas avait été opéré dans les deux hôpitaux. Plus d'un travailleur de la santé a obtenu un résultat positif au dépistage. Les analyses de laboratoire, y compris des échantillons prélevés dans l'environnement, ont joué un rôle essentiel dans la compréhension de l'éclosion. Ces résultats, combinés à l'enquête épidémiologique, ont permis d'établir des liens entre quatre des six cas d'infection nosocomiale et un travailleur de la santé porteur.

Résultats du contrôle environnemental

Aucune source potentielle de contamination n'a été relevée au cours du contrôle du bloc opératoire. Des services de buanderie quotidiens ont été mis en place pour éviter l'éventuelle accumulation de linge souillé au cours du week-end et pour réduire la probabilité d'une transmission par l'entremise d'un environnement contaminé.

Au total, 412 plaques de collecte de microorganismes atmosphériques ont été placées avant que le porteur en lien avec les cas ne soit identifié et traité. Trois des 412 plaques placées dans les salles de déshabillage et salles de repos attenantes aux salles d'opération des deux hôpitaux se sont avérées positives pour le streptocoque A. Tous les isolats provenant de ces plaques étaient du type M1. Aucune des plaques placées dans les salles d'opération n'était positive. Les registres placés sur les portes des salles de déshabillage ont permis d'établir un lien entre deux des trois plaques positives et un membre du personnel hospitalier. Une des trois plaques positives placées avant le traitement du porteur n'a pu être clairement reliée, sur le plan épidémiologique, à ce porteur, qui, selon les faits consignés et les registres, ne s'était pas trouvé dans la même salle 24 heures ou plus avant que l'on ne place la plaque.

Des analyses additionnelles, décrites plus en détail ci-dessous, ont été effectuées sur les plaques après le traitement du porteur. Trois autres plaques (type M1) se sont révélées positives, pour un total de six plaques positives.

Résultats des analyses de laboratoire et dépistages additionnels

Les résultats des analyses de laboratoire sont résumés au tableau 1. Trois cas de fasciite nécrosante acquise dans la collectivité et les six cas d'infection nosocomiale étaient du type M1. Deux des cas de fasciite nécrosante acquise dans la collectivité et un des cas d'infection nosocomiale étaient infectés par un isolat portant un gène sic de type SIC1.02. Un cas de fasciite nécrosante acquise dans la collectivité et un cas d'infection nosocomiale étaient dus à un isolat portant un gène sic de type SICA. Trois autres cas d'infection nosocomiale et deux membres du personnel hospitalier colonisés par le streptocoque A du groupe M1 présentaient des souches portant un gène sic de type SICB. Au total, on a relevé six plaques positives, dont cinq ont été soumises à un typage. Les cinq isolats prélevés sur ces plaques portaient un gène sic du même type (SICB). Les isolats provenant d'un des cas d'infection nosocomiale et d'une des plaques en lien avec le porteur n'étaient pas disponibles pour un typage.

Après le traitement du porteur, trois autres plaques se sont avérées positives, toutes pour des périodes où l'on sait que le porteur se trouvait dans la salle de déshabillage. La première de ces plaques (soit la quatrième plaque positive relevée dans l'ensemble du processus) avait été placée 36 heures après le début du traitement du porteur épidémiologiquement lié. Les deux autres plaques (soit la cinquième et la sixième plaque positive) avaient été placées plus de 4 jours après le début du traitement du porteur.

Lors de la détection des plaques positives additionnelles, les personnes auparavant positives ont été soumises de nouveau à un dépistage; tous les résultats ont été négatifs. Le 20 février (9 jours après le début des traitements), on a demandé au porteur épidémiologiquement lié aux cas de placer des plaques chez lui pendant 24 heures. Le streptocoque A a été décelé sur l'une de ces plaques, et ce, même si les cultures effectuées à partir de prélèvements réalisés au niveau du nez, de la gorge et du rectum de cet employé se sont avérées négatives. On a par conséquent administré une deuxième série d'antibiotiques à cette personne. Les prélèvements de suivi sont demeurés négatifs, et toutes les plaques placées par la suite se sont avérées négatives.

Tableau 1. Résumé de l'analyse des isolats de streptocoques du groupe A

 

Typage du gène emm

Typage du gène sic* – spécimens de type M1

 

M1

Autre

 

Cas

     

Acquis dans la collectivité

3

3

SICA (n = 1)

SIC1.02 (n = 2)

Nosocomiaux

6

0

SICA (n = 1)

SIC1.02 (n = 1)

SICB (n = 3)

Non typé (n = 1)

Personnel hospitalier

2

5

SIC1.94 (n = 1)

SICB (n = 1)

Plaques de collecte de microorganismes atmosphériques

6

0

SICB (n = 5)

Non typé (n = 1)

*Les isolats n'étaient pas tous disponibles en vue d'un typage du gène sic.

Il y avait un lien épidémiologique entre la grappe de trois cas nosocomiaux de type SICB, le cas nosocomial non typé, le porteur de type SICB parmi le personnel hospitalier, quatre plaques de collecte sur cinq de type SICB et l'isolat non typé de la plaque de collecte.

Aucun lien épidémiologique précis n'a pu être établi entre le cas de type SICA acquis dans la collectivité et le cas nosocomial de type SICA ni entre le cas de type SIC1.02 acquis dans la collectivité et le cas nosocomial de type SIC1.02.
_________________

Analyse

Tandis que l'infection invasive à streptocoque A acquise dans la collectivité est courante, 12 % des cas en Ontario sont nosocomiaux(4). Selon les recommandations des experts, l'identification d'un cas nosocomial d'infection invasive à streptocoque A chez un patient opéré devrait donner lieu à une enquête, et lorsqu'on relève au moins un cas en lien possible au cours du mois suivant, la situation devrait être traitée comme une éclosion jusqu'à l'obtention des résultats du typage. Un dépistage auprès des travailleurs de la santé devrait être entrepris si le personnel semble lié à la transmission du streptocoque A(2). Dans la plupart des éclosions (mais pas toutes les éclosions) associées à des cas postopératoires(5), un porteur asymptomatique sera identifié parmi le personnel hospitalier.

En ce qui concerne cette éclosion, la rapidité d'apparition de la maladie et sa gravité ont fait en sorte que l'on a dû intervenir avant que les liens épidémiologiques ne soient entièrement étudiés. En raison de l'augmentation simultanée de cas d'infection communautaire, en particulier des sérotypes M1, les résultats du typage étaient essentiels pour comprendre l'épidémiologie de l'éclosion. Le lien définitif entre les membres du personnel et les cas n'a pas été établi clairement avant l'obtention de tous les résultats du sous-typage. Bien qu'il ait été recommandé que seuls les employés ayant un lien épidémiologique avec les cas ne soient soumis à un dépistage, traités et exclus du travail(2), la vitesse et la complexité de cette éclosion ont fait en sorte que l'on a dû, pendant le déroulement de l'enquête, demander à tous les membres du personnel ayant pu être en contact avec l'un des cas de se soumettre à un dépistage avant de pouvoir reprendre leur travail. Tous les contacts familiaux des porteurs ont été évalués pour déceler les infections asymptomatiques avant l'obtention de données probantes permettant de déterminer qui pouvait être en lien avec les cas.

Il est parfois difficile d'obtenir une pleine participation du personnel au dépistage lors d'une éclosion de cas d'infection à streptocoque A(6). Ce processus a nécessité un travail énorme, le dépistage devant être fait auprès de 737 employés, dans deux hôpitaux. Le taux élevé de participation peut être lié à la mise en œuvre rapide d'un dépistage élargi, au soutien apporté par les cadres supérieurs et à l'adoption de protocoles clairs visant à garantir la confidentialité des résultats. Le fait d'avoir mené des activités de sensibilisation et d'avoir répondu à toutes les questions a grandement favorisé l'obtention de la confiance du personnel. Le nombre d'employés (sept) identifiés comme étant colonisés par le streptocoque A concorde avec le taux attendu (1 %), soit la même proportion de porteurs observée chez les adultes dans la collectivité(7,8).

Bon nombre des membres du personnel hospitalier travaillaient dans les deux hôpitaux, y compris dans les salles d'opération, dans les salles de réveil et aux soins intensifs. Aucun élément commun – que ce soit une personne, un lieu ou un moment – permettant de relier tous les cas de cette grappe n'a été décelé, quoique certains cas étaient liés par des contacts avec un même employé ou par le fait de s'être trouvé dans une même salle d'opération. Les éclosions postopératoires sont presque invariablement liées à un porteur se trouvant dans une salle d'opération au moment d'une chirurgie(4). Dans cette grappe, les quatre cas d'infection nosocomiale dont les isolats ont été reliés par le typage du gêne sic étaient associés à un porteur se trouvant dans la salle d'opération au cours de la chirurgie. Toutefois, plusieurs des autres employés colonisés par le streptocoque A se trouvaient aussi dans la salle d'opération lorsque le dernier cas a été opéré. Aucun lien épidémiologique n'a été décelé entre les porteurs et les deux cas de fasciite nécrosante acquise dans la collectivité ayant précédé les cas d'infection nosocomiale.

Les plaques de collecte de microorganismes atmosphériques ont été extrêmement utiles pour déceler en continu le risque de transmission et déterminer les mesures de prévention nécessaires. Elles ont aussi joué un rôle important dans le cadre de l'enquête épidémiologique. De telles plaques ont déjà été utilisées par le passé pour déterminer si l'identification et le traitement des porteurs étaient suffisants(2,9). Le sous-typage des échantillons prélevés dans l'environnement a été un volet essentiel de notre enquête, car il a permis d'établir un lien entre un membre du personnel et certains des cas et de s'assurer que l'excrétion asymptomatique avait cessé avant l'interruption des mesures de prévention. On ignore pourquoi les cultures de suivi n'ont pas permis de détecter la colonisation persistante du travailleur de la santé en lien avec l'éclosion. L'excrétion asymptomatique par le cuir chevelu est une hypothèse envisagée.

Les chirurgies non urgentes ont repris une fois le dépistage auprès de tous les employés terminé et après l'obtention de résultats négatifs pour toutes les plaques pendant une semaine. Il y a un certain nombre d'explications possibles en ce qui concerne la seule plaque qui semblait ne pas être liée au porteur. Deux excréteurs concomitants n'avaient pas été signalés auparavant; toutefois, un deuxième employé a peut-être été colonisé transitoirement. Il est aussi possible que les registres n'aient pas été remplis minutieusement; on sait que l'auto-déclaration des endroits où s'est rendu le personnel est sujette à l'inexactitude.

Dans cette éclosion, le sous-typage des souches M1 a été utile pour confirmer les liens épidémiologiques significatifs. Étant donné que les souches M1 sont responsables de 20 % à 30 % de tous les cas d'infection invasive à streptocoque A(2,10), le fait que deux cas soient du sérotype M1 ne signifie pas qu'ils soient étroitement liés(11). Le sous-typage a facilité l'identification des liens épidémiologiques et des traitements additionnels nécessaires afin d'éradiquer le portage asymptomatique, et nous a permis de distinguer les cas d'infection à streptocoque A qui n'étaient pas reliés. La présence de plus d'un sous-type dans une grappe donnée a déjà été signalée auparavant(12).

Lors d'éclosions précédentes, l'administration périopératoire d'antibiotiques s'est avérée efficace en vue de protéger les patients contre une infection des plaies par le streptocoque A(9). Dans ce cas-ci, des antibiotiques ont été administrés avant et après toutes les chirurgies, dans les deux hôpitaux et tout au long de l'éclosion. On a déjà observé que l'adoption rapide de mesures de prévention, y compris une surveillance active, peut interrompre la transmission de l'infection et prévenir la morbidité et la mortalité(13). Aucun cas additionnel n'a été décelé une fois que le porteur en lien avec l'éclosion a été exclu des salles d'opération et que les traitements aux antibiotiques ont été entrepris pour éradiquer le streptocoque A. Il pourrait être intéressant de déterminer laquelle des mesures de prévention (administration périopératoire d'antibiotiques ou dépistage rapide auprès du personnel avec retrait des porteurs) a joué un rôle prépondérant dans l'arrêt de la transmission. Étant donné qu'il est impossible d'interrompre les activités de l'hôpital et qu'il faut 24 heures pour obtenir les résultats d'analyse des échantillons prélevés auprès du personnel hospitalier, la prophylaxie périopératoire au moyen d'antibiotiques pourrait bien être une mesure de prévention fondamentale.

Conclusion

Cette grappe de cas d'infection nosocomiale chez des patients opérés est survenue au même moment où l'on enregistrait une hausse de l'infection invasive à streptocoque A acquise dans la collectivité. Pendant cette période, un membre du personnel des salles d'opération a été colonisé et a par la suite causé une éclosion associée à quatre cas d'infection nosocomiale. Aucune source n'a été établie en ce qui concerne deux cas postopératoires d'infection nosocomiale non reliés. L'identification rapide de l'éclosion, le dépistage auprès du personnel hospitalier, l'usage de plaques de collecte de microorganismes atmosphériques, la prophylaxie et le traitement au moyen d'antibiotiques et l'exclusion des porteurs ont été des outils essentiels en vue de maîtriser l'éclosion et de stopper efficacement la transmission.

Remerciements

Nous souhaitons remercier Naideen Bailey et Nadine Parsons du service de santé publique de la région de Waterloo pour leur participation au sein de l'équipe d'intervention, Greg Tyrrell du National Centre for Streptococcus pour le typage des isolats, ainsi que les nombreux employés des deux hôpitaux.

Aucun financement externe n'a été obtenu pour cette recherche.

Références

  1. Santé Canada. La présention et la lutte contre les infections professionnelles dans le domaine de la santé. RMTC 2002;28(S1):123-29.

  2. Agence de la santé publique du Canada. Lignes directrices pour la prévention et le contrôle de la maladie invasive due au streptocoque du groupe A. RMTC 2006;32(S2):1-28.

  3. Tyrrell G, Lovgren M, Forwick B et coll. M types of group A streptococcal isolates submitted to the National Centre for Streptococcus (Canada) from 1993 to 1999. J Clin Microbiol 2002;40(12):4466-71.

  4. Daneman N, McGeer A, Low D et coll. Hospital acquired invasive group A streptococcal infections in Ontario, Canada, 1992-2000. Clin Infect Dis 2005;41:334-42.

  5. Prevention of Invasive Group A Streptococcal Infections Workshop Participants. Prevention of invasive group A streptococcal disease among household contacts of case patients and among postpartum and postsurgical patients: Recommendations from the Centers for Disease Control and Prevention. Clin Infect Dis 2002;35:950-59.

  6. Balram C. Report on the group A streptococcal disease investigation in Saint John, April-June 2004. Fredericton: Health and Wellness, New Brunswick, October 2004.

  7. Ejlertsen T, Prag J, Pettersson E et coll. A 7 month outbreak of relapsing postpartum Group A Streptococcus infections linked to a nurse with atopic dermatitis. Scand J Infect Dis 2001;33:734-37.

  8. Ontario Nursing Home Association GAS Task Force. Guidelines for the management of residents with group A streptococcal infection in long term care facilities. October 1997.

  9. Mastro TD, Farley TA, Elliot JA et coll. An outbreak of surgical -wound infections due to group A Streptococcus carried on the scalp. N Engl J Med 1990;323(14):968-72.

  10. Centers for Disease Control. Nosocomial group A streptococcal infections associated with asymptomatic health-care workers – Maryland and California, 1997. MMWR 1999;48(08):163-66.

  11. Kakis A, Gibbs L, Eguia J et coll. An outbreak of group A streptococcal infection among health care workers. Clin Infect Dis 2002; 35:1353-59.

  12. Arnold KE, Schweitzer JL, Wallace B et coll. Tightly clustered outbreak of group A streptococcal disease at a long-term care facility. Infect Control Hosp Epidemiol 2006;27(12):1377-84.

  13. Hoe N, Nakashima K, Grigsby D et coll. Rapid molecular genetic subtyping of serotype M1 group A Streptococcus strains. Emerg Infect Dis 1999;5(2):254-62.

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