Relevé des maladies transmissibles au Canada

mai 2008

Volume 34
numéro 05

Rapport mensuel

Enquête sur Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline d'origine communautaire dans une communauté éloignée du Nord, Nunavut, Canada

A Dalloo, MSc (1, 2); I Sobol, MD, CCFP, MHSc (3); C Palacios (3); M Mulvey, PhD (4); D Gravel, BScN, MSc (5); L Panaro, MD (1)

  1. Programme canadien d'épidémiologie de terrain, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario) Canada
  2. Centre de l'immunisation et des maladies respiratoires, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario) Canada
  3. Nunavut Department of Health and Social Services, Iqaluit (Nunavut) Canada
  4. Laboratoire national de microbiologie, Winnipeg (Manitoba) Canada
  5. Centre de la lutte contre les maladies transmissibles et les infections, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario) Canada

Introduction

Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline d'origine communautaire (SARM-C) cause de plus en plus souvent des infections cutanées qui sont résistantes aux antibiotiques couramment prescrits(1-3). On dit qu'une infection à SARM-C est d'origine communautaire lorsqu'elle apparaît dans une collectivité chez un individu qui ne présente aucun facteur établi de risque de SARM, comme une hospitalisation, une chirurgie ou un séjour dans un établissement de soins de longue durée récemment ou encore la présence d'instruments médicaux effractifs(1-3). Au Canada, SARM-C a été signalé pour la première fois dans une communauté autochtone en Alberta à la fin des années 80(4). Comme l'infection à SARM n'est pas une maladie déclarable à l'échelle nationale au Canada, la prévalence de SARM-C dans la population générale demeure un mystère, mais elle est considérée comme faible.

Le Nunavut Department of Health and Social Services (NDHSS) a détecté une augmentation du nombre de cas confirmés en laboratoire d'infection à SARM depuis décembre 2006 dans une communauté inuite éloignée de plus de 2 000 habitants. C'est dans cette communauté que résidaient 80 % des cas d'infection à SARM décelés au Nunavut en 2007. Le présent rapport résume les résultat de l'enquête initiale sur l'éclosion.

Méthodologie

Un cas d'infection à SARM-C était défini comme la survenue dans la communauté, entre le 10 août 2006 et le 16 août 2007, d'une infection à SARM, diagnostiquée en consultation externe ou dans les 48 heures suivant l'hospitalisation et confirmée en laboratoire. Cette personne avait aucun antécédent de dialyse, de pose d'un instrument percutané ou d'un cathéter à demeure, de chirurgie, d'hospitalisation, de séjour dans un établissement de soins de longue durée ou de culture positive pour SARM au cours de l'année précédant l'apparition de la maladie.

Le diagnostic de l'infection à SARM-C a été posé par culture de SARM dans un échantillon prélevé dans un site normalement stérile. Des échantillons prélevés par écouvillonnage chez des patients symptomatiques ont été mis en culture à l'Hôpital régional de Baffin. Des lots d'isolats de S. aureus ont ensuite été expédiés au Kasper Dynacare Laboratories à Edmonton pour des tests de confirmation ainsi qu'au Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg pour une caractérisation moléculaire. Le typage moléculaire a été effectué par électrophorèse sur gel en champ pulsé (PFGE), technique qui a déjà été décrite(5). Le gène mecA et le gène de la leucocidine de Panton-Valentine ont été détectés par PCR(6).

Un questionnaire standardisé (adapté d'une étude canadienne existante portant sur l'éclosion actuelle d'infection à SARM-C dans les communautés des Premières nations en Saskatchewan(7,8)) a été rempli par toutes les personnes dont la culture s'est révélée positive pour SARM entre août 2006 et août 2007. Le questionnaire a permis de recueillir des renseignements démographiques, cliniques, biologiques et de l'information sur les facteurs de risque.

L'analyse des données a porté sur les cas qui répondaient à la définition de cas et a été réalisée à l'aide de la version 1.1 du logiciel EpiData Analysis et de Microsoft Office Excel 2003.

Résultats

Sur les 52 rapports d'enquête envoyés par le NDHSS, 43 (83 %) concernaient des cas qui répondaient à la définition de cas. La courbe épidémique pour ces cas d'infection à SARM-C est présentée à la figure 1.

 

Figure 1 : Courbe épidémique des cas d'infection à SARM-C confirmés en laboratoire dans une communauté nordique éloignée du Nunavut, selon la semaine de prélèvement des échantillons, du 10 août 2006 au 16 août 2007 (n = 43)

Figure 1 : Courbe épidémique des cas d'infection à SARM-C confirmés en laboratoire dans une communauté nordique éloignée du Nunavut, selon la semaine de prélèvement des échantillons, du 10 août 2006 au 16 août 2007 (n = 43)

Cinquante-huit pour cent des cas étaient de sexe masculin, et l'âge médian était de 18 ans (intervalle : 2 à 60 ans). Quatre-vingt-treize pour cent des cas avaient moins de 40 ans, et ceux âgés de 5 à 9 ans et de 20 à 29 ans présentaient la plus forte incidence cumulative d'infection selon l'âge, soit 26 cas pour 1 000 habitants. Les patients de 40 à 59 ans affichaient l'incidence cumulative selon l'âge la plus faible, soit deux cas pour 1 000 habitants. Aucun cas n'a été hospitalisé et aucun décès n'a été signalé.

Des antibiotiques ont été prescrits à 36 cas (84 %), et la majorité d'entre eux (98 %) souffraient d'infections de la peau et des tissus mous (IPTM). Parmi ces IPTM, 55 % étaient des abcès, localisés pour la plupart au niveau de l'abdomen et des fesses.

Les facteurs de risque les plus courants étaient l'exposition à des travailleurs de la santé au cours de l'année écoulée (83 %), la prise d'antibiotiques au cours de l'année écoulée (65 %), l'eczéma, le psoriasis et des affections chroniques de la peau (37 %), des voyages à l'extérieur de la province (26 %), des contacts familiaux avec une personne infectée par SARM (24 %) et l'exposition à des personnes présentant une affection/infection cutanée (21 %).

Vingt isolats ont pu être étudiés plus à fond. Le typage moléculaire a révélé que 95 % (= 19) appartenaient à la souche CMRSA7 (USA400) alors que l'autre souche était du type CMRSA2. Tous les isolats de la souche CMRSA7 contenaient la toxine de la LPV, mais pas ceux de la souche CMRSA2.

Analyse

L'augmentation du nombre de cas d'infection à SARM-C signalée dans cette communauté canadienne éloignée n'est pas comparable aux éclosions communautaires américaines. La plupart des études font état d'éclosions chez des utilisateurs de drogues illicites, des équipes sportives ou des détenus dans des prisons ou des centres correctionnels(2). Les éclosions d'infections à SARM-C au Canada ont touché jusqu'à présent des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, des populations carcérales marginalisées ou des communautés éloignées des Premières nations dans les Prairies(9-12).

L'infection à SARM est une maladie déclarable dans un certain nombre de provinces ou territoires au Canada; elle n'est pas cependant déclarée à l'échelle nationale. La prévalence de ce micro-organisme a été mesurée dans un certain nombre d'établissements de soins tertiaires dans le cadre du Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales (PCSIN), qui présente des rapport sur l'incidence annuelle des infections à SARM chez les patients admis dans les hôpitaux sentinelles participant au réseau du PCSIN. Les hôpitaux sentinelles font état d'une incidence cumulative de 7,4 cas pour 1 000 hospitalisations(13). L'incidence dans cette communauté éloignée dépasse d'environ 60 % l'incidence des infections nosocomiales selon le PCSIN, mais elle se compare à ce qui a été signalé dans les communautés nordiques de la Saskatchewan et du Manitoba(7,14,15). Cette statistique est probablement une sous-estimation de la prévalence véritable de ce micro-organisme, car les systèmes de surveillance en laboratoire ne comptabilisent pas les patients symptomatiques chez lesquels on ne prélève pas d'échantillon ni ceux qui sont colonisés mais demeurent asymptomatiques.

La comparaison des cas d'infection à SARM-C dans cette commu-nauté inuite avec ceux associés à l'éclosion chez les Premières nations des Prairies fait ressortir un profil épidémiologique similaire (p. ex., groupes d'âge plus jeunes et facteurs de risque comme l'exposition à des travailleurs de la santé au cours de l'année écoulée, la prise d'antibiotiques au cours de l'année écoulée, l'eczéma, le psoriasis et des affections cutanées chroniques, des contacts familiaux avec une personne infectée par SARM)(15). Le questionnaire a facilité la comparaison entre ces deux éclosions, et aucun facteur de risque ni symptomatologie inhabituels n'ont été mis au jour.

Les mesures de contrôle adoptées jusqu'à maintenant (p. ex., pratiques élémentaires d'hygiène personnelle, éducation; accent mis sur les mesures appropriées de lutte contre l'infection; promotion de l'usage approprié d'antibiotiques) respectent les lignes directrices canadiennes établies pour la prévention et la lutte contre SARM-C(2). Toutefois, en juin 2007, près d'un an après que l'augmentation de l'incidence eut été constatée, les travailleurs de la santé ont adopté un traitement optimal contre les abcès (incision et drainage plutôt que prescription d'antibiotiques). Sans une infrastructure adéquate (p. ex., logements surpeuplés et accès limité à de l'eau potable) dans cette communauté nordique isolée, il demeure difficile de lutter efficacement contre l'infection.

La principale limitation de cette enquête réside dans le fait qu'on se soit fondé sur des données déjà recueillies (de nombreux questionnaires comportaient des données illisibles, incomplètes ou manquantes qui ont compliqué l'interprétation). Il reste maintenant à mieux définir l'ampleur de l'éclosion (p. ex., cas cliniques et cas confirmés en laboratoire) et à examiner les facteurs de risque de transmission à l'intérieur de la communauté.

La souche CMRSA7 a d'abord causé des éclosions communautaires dans le Sud du Manitoba à la fin des années 90 et s'est par la suite propagée au Nord de la province au début des années 2000(16). Des taux élevés continuent à être signalés dans certaines communautés nordiques du Manitoba(15). Cette souche a également été mise en cause dans des éclosions communautaires dans le Nord de la Saskatchewan(14). Il semblerait que CMRSA7 continue de se propager vers le nord, peut-être à la faveur des déplacements des résidents d'une communauté à l'autre.

Conclusion

L'épidémiologie descriptive des cas d'infection à SARM-C dans cette communauté inuite éloignée présentait des caractéristiques similaires à celles des éclosions des communautés éloignées des Premières nations au Canada. Le présent rapport sert de point de départ pour une enquête plus approfondie. D'autres efforts sont actuellement déployés en vue d'améliorer les mesures de lutte.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes de leur aide : Dr G. Osborne, Nunavut Department of Health and Social Services, Iqaluit, Nunavut; D. Boyd et G. Golding, Laboratoire national de microbiologie, Winnipeg, Manitoba; M. Ofner-Agostini, F. Bergeron et C. Weir, Division de la pharmacovigilance et des infections acquises en milieu de soins de santé, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario).

Références

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  8. Mulvey M, Embil JM, Horsman G et coll. Identification of risk factors for the acquisition of community-acquired methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA) associated infections versus methicillin-sensitive Staphylococcus aureus(MSSA) infections: Community-associated MRSA case control investigation form. Northern Antibiotic Resistance Partnership, 2006. <http://www.narp.ca/ccs.htm>.
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