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Recommandations canadiennes pour la prévention et le traitement du Paludisme (Malaria) chez les voyageurs internationaux - 2009
5. Prévention - Chez certains hôtes
Prévention du paludisme chez les enfants
Il faut bien informer les voyageurs des risques qu'ils courent en se rendant avec de jeunes enfants dans des régions où sévit le paludisme à P. Falciparum. Bien d'autres maladies infectieuses qui surviennent chez les enfants peuvent ressembler au paludisme et retarder le diagnostic, mais le paludisme demeure une cause importante de fièvre chez les enfants et les adolescents qui reviennent de voyage(83,84). De 20 % à 25 % des cas déclarés de paludisme chez les Canadiens depuis 1999 sont âgés de 19 ans ou moins(85) alors que seulement 9,9 % des voyageurs internationaux appartiennent à ce groupe d'âge(86). De graves complications du paludisme, notamment un paludisme cérébral, une anémie grave, un état de choc, voire la mort peuvent apparaître plus rapidement chez les enfants(87). Selon les données recueillies par le Réseau canadien sur le paludisme entre juin 2001 et juin 2006, 34 % des cas compliqués de paludisme au Canada qui requièrent un traitement intraveineux par la quinine étaient des enfants. La majorité d'entre eux étaient nés à l'étranger(12).
Afin de réduire le risque d'infection lorsqu'on ne peut éviter de voyager dans des zones impaludées, il faut que tous les enfants, y compris ceux qui sont allaités, soient bien protégés contre les piqûres de moustiques et, au besoin, reçoivent un traitement chimioprophylactique approprié contre le paludisme(37) si le risque le justifie. Les nourrissons allaités ne reçoivent pas dans le lait de leur mère une quantité de médicaments suffisante pour les protéger; il faut donc leur administrer des antipaludéens, même si leur mère en prend(88,89). Il peut être difficile de donner des antipaludéens aux jeunes enfants, parce qu'il n'existe pas de préparations pour enfants et que ces médicaments ont mauvais goût. On peut toutefois écraser les comprimés et les mélanger à une sauce au chocolat, à de la confiture, à des céréales, à des bananes ou à une préparation lactée pour en masquer le goût. Une quantité suffisante de comprimés devrait être prescrite pour compenser les quelques doses qui peuvent être vomies ou crachées, et des instructions claires devraient être données quant au moment où les doses doivent être répétées. Pour que le dosage soit plus exact et facile, on peut demander au pharmacien de couper au préalable les comprimés ou de les écraser et les insérer dans des capsules. Des décès par surdosage accidentel d'antipaludéens ont été signalés; il faut donc garder ces médicaments hors de la portée des nourrissons et des enfants et les remiser dans des contenants à l'épreuve des enfants(90). Les familles qui prévoient séjourner longtemps à l'étranger devraient recevoir de l'information pour les aider à ajuster la dose de médicaments en tenant compte du gain de poids de leurs enfants avec le temps.
La chloroquine demeure l'agent privilégié pour la chimioprophylaxie dans les régions où sévit le paludisme sensible à la chloroquine. Bien qu'il ne soit pas vendu au Canada, le sulfate de chroroquine (p. ex. Nivaquine) est facile à obtenir sous forme de sirop dans les régions impaludées. Le sirop est souvent plus facile à administrer que les comprimés. Si les parents prévoient utiliser ce sirop, on devrait les aviser que la dose doit être soigneusement établie en fonction du poids de l'enfant et qu'il y a un risque de surdosage.
La méfloquine est un des médicaments de choix dans les zones de chloroquinorésistance, mais il n'existe aucune étude qui porte spécifiquement sur sa biodisponibilité et sa vitesse d'absorption chez les enfants. Bien que le fabricant déconseille l'administration de méfloquine aux enfants pesant moins de 5 kg, il faut néanmoins envisager d'en donner à titre prophylactique à tous les enfants qui courent un grand risque de contracter le paludisme à P. Falciparum résistant à la chloroquine, la posologie étant de 5 mg base/kg une fois par semaine(91). Les jeunes enfants sont moins nombreux à présenter des effets neuropsychiatriques importants après avoir reçu de la méfloquine(92), mais ils risquent davantage d'être pris de vomissements(93). Même s'il est possible que la chloroquine et la méfloquine exacerbent des troubles convulsifs et que d'autres agents devraient être utilisés dans ces cas, rien n'indique que des convulsions fébriles chez des enfants soient une contre indication de ces médicaments.
L'association atovaquone proguanil (MalaroneMD) est homologuée pour la prophylaxie et le traitement du paludisme chez les enfants pesant au moins 11 kg (25 lb) ou âgés de plus de 3 ans(68). Des essais cliniques de l'atovaquone/proguanil pour traiter le paludisme chez les enfants qui pèsent 5 kg ou plus semblent indiquer que cette association peut être sûre chez les nourrissons de cette taille lorsque cette solution est requise(94). Les doses quotidiennes pour les petits bébés ont été extrapolées à partir de celles utilisées dans les essais de traitement (le quart de la dose thérapeutique, ou 5 et 2 mg/kg/dose d'atovaquone et de proguanil, respectivement). Le comprimé pour enfants contient 62,5 mg d'atovaquone et 25 mg de proguanil; les doses quotidiennes sont donc de ½ comprimé pour enfants chez les nourrissons de 5 à 8 kg et de ¾ de comprimé pour enfants chez ceux de plus de 8 à 10 kg(94).
L'usage de la doxycycline comme médicament prophylactique chez les enfants a été étudié(95) et une dose quotidienne de 2 mg/kg (max. de 100 mg/j) peut être utilisée chez les enfants de 8 ans ou plus (≥ 25 kg)(88,96). Bien que la primaquine ne soit pas homologuée au Canada pour cette indication, elle peut être envisagée chez les enfants de 9 ans et plus qui sont incapables de prendre aucun des agents prophylactiques de première intention(58). Comme il n'existe aucune limite d'âge lorsque la primaquine est employée pour une cure radicale du paludisme à P. vivaxou à P. ovale, ce médicament peut être une option raisonnable pour les enfants de tout âge tant et aussi longtemps qu'il y a eu un dépistage pour s'assurer que le niveau de G-6-PD est adéquat. Il est recommandé de consulter un spécialiste en médecine des voyages ou en maladies infectieuses à moins que le prescripteur connaisse bien l'utilisation de ce médicament chez les enfants.
Recommandations dans le cadre d'une approche de la médecine fondée sur les preuves
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Catégorie MFP |
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Il faut éviter aux jeunes enfants les voyages dans des régions de transmission intense du paludisme, surtout si la maladie est résistante à la chloroquine(88). | C III |
Il est fortement recommandé de prendre des mesures de protection individuelle efficaces pour protéger tous les enfants qui se rendent dans les régions impaludées(38). | A I |
Pour les enfants qui voyagent ou séjournent dans des zones de chloroquinorésistance, la méfloquine, la doxycycline (≥ 8 ans) et l'atovaquone/proguanil (≥ 5 kg) sont les médicaments de choix pour la chimioprophylaxie(68,91,95,97). | A I |
Il convient d'envisager une chimioprophylaxie à la primaquine chez les enfants qui ne peuvent prendre aucun des agents prophylactiques de première intention(58). | B II |
Prévention du paludisme chez les femmes enceintes
Le paludisme accroît le risque de décès chez la femme enceinte et le nouveau né, ainsi que le risque de fausse couche et de mortinaissance. De plus, les femmes qui suivent une prophylaxie inefficace sont proportionnellement plus nombreuses à accoucher d'un bébé de faible poids(98) . Les femmes enceintes devraient autant que possible reporter leur voyage dans des régions impaludées, surtout dans les régions où elles risquent de contracter le paludisme à P. Falciparum pharmacorésistant. Les femmes enceintes sont deux fois plus à risque d'être piquées par des moustiques; on pense que cela est dû à une augmentation de la température à la surface du corps, à une production accrue de CO2 et au fait qu'elles risquent davantage la nuit de quitter la protection assurée par la moustiquaire de lit(99). Si un voyage ne peut être évité, une attention spéciale devrait être portée aux mesures pour prévenir les piqûres de moustiques, notamment l'emploi de DEET, produit qui s'est avéré sûr durant la grossesse(100). En outre, une chimioprophylaxie efficace devrait être utilisée conformément aux lignes directrices ci dessous.
La doxycycline est contre indiquée pour la prophylaxie du paludisme chez les femmes enceintes parce qu'elle peut avoir des effets indésirables sur le foetus (altération de la couleur des dents, dysplasie dentaire, inhibition de la croissance osseuse, etc.). Il faut éviter de tomber enceinte pendant la semaine qui suit l'arrêt de la prophylaxie par la doxycycline afin de permettre l'excrétion complète de cette dernière. La primaquine est aussi contre indiquée durant la grossesse (catégorie C - http://www.perinatology.com/exposures/Drugs/FDACategories.htm) , parce qu'on ne peut doser la G-6-PD chez le foetus et que le médicament peut être transmis par voie placentaire(96). Si un traitement radical ou une prophylaxie finale par la primaquine est indiqué chez une femme enceinte, il faut lui donner de la chloroquine une fois par semaine jusqu'à l'accouchement; par la suite, on pourra lui prescrire de la primaquine (voir la prochaine section sur l'allaitement).
On sait depuis longtemps que le proguanil est sûr durant la grossesse; on ne dispose pas par contre de données sur l'atovaquone. De petits essais de traitement du paludisme ont étudié l'association atovaquone/proguanil (MalaroneMD), administrée seule ou avec de l'artésunate, chez des femmes à leur deuxième ou à leur troisième trimestre de gestation. Les médicaments étaient bien tolérés et l'issue de la grossesse a été favorable(93,101). Tant que ces données n'auront pas été étayées par d'autres essais ou expériences, l'atovaquone/proguanil ne sera pas couramment recommandé durant la grossesse. Lorsque d'autres solutions ne peuvent être utilisées et que les avantages potentiels l'emportent sur le risque potentiel pour le foetus, cette association peut cependant être envisagée après le premier trimestre.
La méfloquine peut être employée en toute sécurité pour la chimioprophylaxie pendant une bonne partie de la grossesse. Bien que les doses de traitement (≥ 5 fois la dose pour la prophylaxie) puissent être associées à une augmentation du risque de mortinaissance(102) , la majorité des données d'observation et des données d'essais cliniques ont conclu que le médicament n'amplifie pas le risque de mortinaissance ni de malformations congénitales à des doses prophylactiques durant le deuxième et le troisième trimestre(102-104). Des données de surveillance portant sur plus de 1 500 femmes enceintes n'ont mis en évidence aucune augmentation du risque de tératogénicité ou d'avortement spontané lorsque le médicament était pris à n'importe quel moment avant la conception jusqu'au troisième trimestre inclusivement( 105). Bien que cet usage ne semble pas problématique en début de grossesse, les données sont limitées en ce qui concerne la prise avant le deuxième trimestre. Il n'y a pas lieu toutefois d'interrompre la grossesse chez une femme qui a pris de la méfloquine au moment de la conception ou durant le premier trimestre de sa grossesse( 103,106). Par contre les voyageuses très peu enclines à courir un risque peuvent décider d'éviter de devenir enceintes jusqu'à 3 mois après l'arrêt d'un traitement par la méfloquine, étant donné la longue demi-vie de ce médicament (~3 semaines). Dans le cas des expatriées ou des voyageuses qui séjourneront longtemps dans des zones impaludées, il est plus sûr tant pour la mère que pour le foetus d'utiliser une chimioprophylaxie efficace, compte tenu du risque persistant de maladie et du risque accru de maladie grave et de décès durant la grossesse(98).
Bien que la chloroquine et le proguanil soient tous les deux sûrs durant la grossesse, leur association est inefficace pour prévenir l'infection à P. Falciparum résistant à la chloroquine et n'est pas recommandée.
Recommandations dans le cadre d'une approche de la médecine fondée sur les preuves
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Catégorie MFP |
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Dans la mesure du possible, les femmes enceintes devraient éviter de voyager dans des régions de transmission intense du paludisme(98). | C III |
Il est fortement recommandé à toutes les femmes enceintes qui se rendent dans des régions impaludées de prendre des mesures de protection individuelle, notamment utiliser du DEET et des moustiquaires de lit imprégnées de pyréthroïde(108). | A I |
Les femmes enceintes qui voyagent ou habitent dans des régions où le paludisme est sensible à la chloroquine devraient prendre de la chloroquine à titre prophylactique. | A I |
La méfloquine est recommandée lorsqu'on ne peut éviter l'exposition au paludisme à P. Falciparum résistant à la chloroquine de la conception au premier trimestre (A II) de même que durant le deuxième et le troisième trimestre de grossesse (A I)(102-104). | A II, A I |
Il n'existe actuellement aucun médicament approuvé pour prévenir le paludisme chez les femmes enceintes qui voyagent dans des régions où le paludisme est résistant à la méfloquine. Chez les femmes qui ne peuvent éviter de voyager dans des zones de résistance à la méfloquine (p. ex. frontière entre la Thaïlande et le Cambodge/Myanmar), l'administration d'atovaquone/proguanil (MalaroneMD) peut être envisagée après le premier trimestre après avoir bien soupesé les avantages et les risques(93,101). | B II |
Bien qu'ils puissent pris sans danger durant la grossesse, la chloroquine et le proguanil sont inadéquats et ne peuvent être recommandés dans les zones de chloroquinorésistance(107). | E I |
Prophylaxie chez les femmes qui allaitent
La quantité d'antipaludéens présents dans le lait maternel est insuffisante pour protéger les nourrissons contre le paludisme; il faut donc administrer aux bébés nourris au sein qui ont besoin d'une chimioprophylaxie les antipaludéens indiqués, selon la posologie recommandée. L'allaitement n'est pas une contre indication de l'emploi de médicaments qui sont sûrs durant la première année de vie (chloroquine, méfloquine, atovaquone/ proguanil chez les nourrissons de ≥ 5 kg). Il n'existe pas de données sur la quantité de primaquine qui passe dans le lait maternel; par conséquent, il faut vérifier si le nourrisson a un déficit en G-6-PD avant de prescrire de la primaquine à une femme qui allaite.
Comme on ne dispose pas encore de données sur l'innocuité et l'efficacité de l'atovaquone chez les nourrissons de moins de 5 kg, l'association atovaquone/ proguanil ne devrait pas être administrée à une femme qui allaite un nourrisson de cette taille à moins que les avantages potentiels pour la mère ne l'emportent sur les risques pour l'enfant. Les données sur l'innocuité de la doxycycline durant l'allaitement sont limitées, mais l'American Academy of Pediatrics affirme qu'aucun effet n'a été observé chez les nourrissons allaités dont la mère prenait des tétracyclines, et l'absorption du médicament par les nourrissons est négligeable(108).
Recommandations dans le cadre d'une approche de la médecine fondée sur les preuves
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Catégorie MFP |
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Les nourrissons qui courent un risque de paludisme et qui sont nourris au sein devraient recevoir leur propre traitement chimioprophylactique adapté(94) . | A III |
L'association atovaquone/proguanil devrait être évitée le plus possible chez une femme qui allaite un enfant de < 5 kg(94). | C II |
Des données limitées semblent indiquer que l'absorption de la doxycycline via le lait maternel est négligeable et que l'allaitement n'est pas une contre indication absolue de l'usage de la doxycycline par la mère(108). | C III |
Prévention du paludisme chez les personnes qui voyagent ou séjournent longtemps à l'étranger
Les stratégies modernes de prévention du paludisme ont eu un effet positif marqué sur le risque de mortalité chez les personnes qui résident longtemps à l'étranger, risque qui pouvait atteindre 60 % chez les missionnaires en Afrique occidentale pendant le 19e siècle(109). Cependant, l'établissement de recommandations fondées sur des preuves, qui s'adresseraient expressément aux personnes qui voyagent ou résident longtemps (> 6 mois) à l'étranger, est une tâche difficile, vu qu'il existe peu de publications médicales sur le sujet.
La prévention du paludisme chez les personnes qui voyagent ou séjournent longtemps à l'étranger soulève plusieurs problèmes, notamment l'innocuité des médicaments utilisés à des fins chimioprophylactiques, la crainte des effets toxiques découlant d'un usage prolongé de médicaments, les conseils contradictoires concernant la chimioprophylaxie et l'auto traitement, ainsi que la non observance du régime prophylactique et des mesures de protection individuelle.
L'avis des conseillers en matière de santé entre en concurrence avec l'opinion de ceux qui présument que les événements indésirables qu'ils ont personnellement vécus sont représentatifs de ce qui pourrait arriver à tous et chacun(110). Certains chercheurs ont observé que l'incidence du paludisme peut être plus élevée chez les expatriés de longue date que chez leurs homologues installés depuis moins longtemps. Ces premiers peuvent avoir une confiance injustifiée en leur auto diagnostic clinique(111) qui est renforcée par des résultats de laboratoire faussement positifs(112). Les médicaments de contrefaçon peuvent aussi donner l'impression que l'échec de la réponse au traitement est attribuable à une pharmacorésistance.
Événements indésirables
Pour le moment, rien n'indique que les traitements prolongés qui sont actuellement recommandés pour les courts séjours à l'étranger entraîneront un risque additionnel d'événements indésirables graves. La chloroquine peut faire exception à la règle, mais ce médicament est rarement indiqué, car la résistance à la chloroquine est très répandue. La rétinopathie chloroquinique est un événement indésirable signalé chez jusqu'à 16 % des personnes qui prennent de la chloroquine contre la polyarthrite rhumatoïde à une dose qui dépasse de beaucoup celle utilisée pour prévenir le paludisme(113). Il reste que la dose cumulative peut prédisposer néanmoins la personne à un risque de rétinopathie(114,115). Lange et coll. ont examiné la corrélation entre la charge corporelle totale de chloroquine et le développement d'une rétinopathie chez 53 missionnaires qui avaient pris une dose cumulative médiane de 300 g(116). Cette étude n'a pas mis au jour d'association entre la prise hebdomadaire de chloroquine et la rétinopathie; on a cependant fait état d'un cas de rétinopathie chez un expatrié après une dose cumulative sur 8 ans de 125 g(117). Bien que les données à l'appui de l'usage prolongé de la doxycycline à des fins prophylactiques soient limitées, il convient de signaler que ce médicament est aussi utilisé pendant de longues périodes pour d'autres indications.
On a observé que la tolérance à la méfloquine s'améliorait avec le temps, peut être parce que les événements indésirables apparaissent relativement tôt chez les personnes qui prennent de la méfloquine à des fins prophylactiques(112) .
Méthode actuelle de prévention du paludisme chez les expatriés
Les études ont clairement montré que l'utilisation de la chimioprophylaxie du paludisme chez les expatriés est sous-optimale. Un sommaire des moyens de prévention du paludisme utilisés, établi d'après les déclarations de 1 192 personnes ayant séjourné à l'étranger pendant une longue période et représentant un vaste éventail d'organisations gouvernementales et non gouvernementales en Afrique subsaharienne(121), a mis en évidence un taux d'observance d'environ 60 % (K. Gamble, donnée non-publiée). Parmi les personnes ayant suivi une chimioprophylaxie, 54 % ont déclaré avoir modifié leur traitement, 22 % d'entre elles à cause d'effets indésirables. La gravité des effets indésirables n'a pas été associée à un médicament en particulier. On a observé par contre un taux d'effets neuropsychiatriques de 10 % chez les personnes qui prenaient de la chloroquine et du proguanil, contre 17 % chez celles qui prenaient de la méfloquine. Les participants qui avaient pris de la méfloquine étaient les seuls à avoir modifié leurs habitudes à cause de l'influence des médias. Un petit nombre seulement de participants ont indiqué que l'accessibilité et le coût des médicaments avaient influencé leur choix d'un traitement prophylactique. Les participants qui n'ont pas suivi de prophylaxie ont justifié leur décision avant tout par la crainte de réactions indésirables et d'effets à long terme. Les précautions individuelles prises par les participants laissaient à désirer : seulement 38 % d'entre eux avaient des portes et des fenêtres munies de moustiquaires et seulement 53 % utilisaient des moustiquaires de lit (20 % de ces moustiquaires étant imprégnées d'insecticide).
Sur 336 expatriés canadiens qui couraient un risque de paludisme dans des pays tropicaux, seulement 56 % ont observé les lignes directrices canadiennes, 6,7 % n'ont pas suivi de traitement prophylactique et 3 % ont affirmé qu'ils ne pouvaient tolérer les modalités thérapeutiques existantes (K. Gamble, Donnée non-publiée) . Ces pourcentages se comparent à ceux obtenus dans une enquête anonyme effectuée après le déploiement de Rangers de l'Armée américaine en Afghanistan, où les taux d'observance auto déclarés étaient de 52 % pour la chimioprophylaxie hebdomadaire, 41 % pour la chimioprophylaxie finale (post déploiement), 31 % pour la chimioprophylaxie tant hebdomadaire que finale, 82 % pour le traitement des uniformes à la perméthrine et 29 % pour l'application d'insectifuge(73).
Appui à l'égard des lignes directrices établies
De façon générale, les recommandations relatives à la prévention du paludisme chez les personnes qui voyagent ou qui séjournent longtemps à l'étranger ne devraient pas différer sensiblement de celles qui s'appliquent dans le cas d'un court séjour, mais le coût limitera probablement l'utilisation de l'association atovaquone/proguanil.
On dispose de peu de données sur l'incidence du paludisme et sur l'efficacité et la tolérabilité des régimes actuellement recommandés dans le cas des longs séjours à l'étranger. Les études effectuées auprès de membres du Corps des volontaires de la paix et celles menées dans des régions de résistance à la chloroquine ont toutes démontré que l'usage prolongé de la méfloquine est bien toléré et est plus efficace que la prise de chloroquine et de proguanil(57,77,112,118). Certaines données indiquent qu'une meilleure éducation des voyageurs comporte des avantages sur le plan de l'observance thérapeutique. L'incidence du paludisme dans une cohorte d'expatriés au Ghana variait de 1/50 à 1/25 par mois entre 1993 et 1999 (2-4 %). Un programme de prévention du paludisme a été instauré; il comportait entre autres de l'information sur les lignes directrices canadiennes, les mesures de protection individuelle ainsi que l'auto-traitement lorsque des tests de diagnostic rapide auto-administrés étaient positifs. Selon des données de surveillance, l'incidence mensuelle du paludisme a diminué entre 2000 et 2002, passant de 4/1000 à 1,7/1000 (0,4 0,17 %)(K. Gamble, Donnée non-publiée).
Moustiquaires de lit imprégnées d'insecticide
Les problèmes liés à la protection individuelle ne sont pas les mêmes dans le cas des séjours de longue durée ou de courte durée (dont il est question au chapitre 3). Il faut s'efforcer d'informer les voyageurs au sujet des changements saisonniers dans la température et du risque de paludisme. Durant la saison des pluies, il faut renouveler l'insecticide sur les moustiquaires parce que la plupart des voyageurs qui séjournent longtemps à l'étranger utilisent des moustiquaires imprégnées d'un insecticide qui perd son effet après 6 mois d'usage. La perméthrine liquide n'est pas vendue au Canada; on doit l'acheter à l'étranger. Les moustiquaires imprégnées d'insecticide à longue durée d'action, qui sont disponibles dans certains pays d'Europe, sont une solution à envisager(119).
Tests de diagnostic rapide (TDR)
Si une formation n'est pas offerte, rien ne permet de croire que ces tests seraient plus utiles chez les personnes qui voyagent ou séjournent longtemps à l'étranger que chez l'ensemble des voyageurs(120,121) (voir le chapitre 7 pour des renseignements sur le diagnostic du paludisme et les TDR). Les expatriés font souvent partie d'une communauté assez stable, de sorte que des membres clés pourraient recevoir une formation adéquate sur l'utilisation des TDR et l'administration d'un autotraitement. Il faut user de prudence parce qu'il n'existe aucune donnée provenant d'études contrôlées sur l'utilisation des TDR dans les populations d'expatriés ou de voyageurs qui séjournent longtemps à l'étranger.
Médicaments de contrefaçon
La production, la distribution et la vente d'antipaludéens, d'antirétroviraux et d'autres médicaments de contrefaçon sont répandues dans bien des régions de l'Orient, de l'Asie et de l'Afrique(122,123,124). On a constaté que le tiers à la moitié des comprimés d'artésunate en Asie du Sud Est ne contenaient aucun ingrédient actif. Un grand nombre d'expatriés achètent leurs antipaludéens en vente libre et ne sont pas en mesure d'évaluer l'authenticité de ces médicaments. La recommandation d'acheter des médicaments de marque déposée peut ne pas être suffisante(122-124).
Tous les voyageurs, et en particulier ceux séjournant longtemps à l'étranger, les expatriés et les missionnaires devraient être mis en garde contre les médicaments de contrefaçon. Le Coartem® n'est pas encore homologué au Canada mais est recommandé par l'OMS comme traitement de première intention contre le paludisme à P. Falciparum en Afrique. Si ce médicament doit être recommandé aux personnes qui voyagent ou séjournent longtemps à l'étranger, il devrait être acheté dans les pays (p. ex. Europe) où une contrefaçon est peu probable. Bien que la prophylaxie par l'atovaquone/proguanil soit trop coûteuse pour la majorité des personnes qui voyagent ou séjournent longtemps à l'étranger, la plupart pourraient se permettre d'acheter une ou deux cures afin de s'assurer d'y avoir accès rapidement à des fins d'auto-traitement.
Le problème des médicaments de contrefaçon est particulièrement vital pour les voyageurs qui partent pour une longue période parce qu'ils devront renouveler leur prescription d'antipaludéens utilisés à des fins prophylactique et de médicaments pour l'autotraitement de réserve du paludisme dans des pharmacies situées dans des pays où la contrefaçon constitue un problème(122-124).
De nombreux expatriés achètent leurs antipaludéens en vente libre et ils ne sont pas en mesure d'évaluer l'authenticité des médicaments qu'on leur vend. La recommandation d'acheter des médicaments de marque déposée peut ne pas suffire. Il convient de mettre en garde toutes les personnes qui voyagent ou séjournent à long terme à l'étranger contre les médicaments de contrefaçon et de les encourager à acheter une provision de médicaments dans des pays qui ont mis en place des mesures strictes de contrôle de la qualité.
Prophylaxie finale
La prophylaxie finale est plus problématique lors d'un long séjour que d'un court séjour. Une attention particulière doit être portée aux expatriés et aux militaires. Consulter le chapitre 4, Prévention – Régimes chimioprophylactiques, pour avoir plus de détails.
Recommandations dans le cadre d'une approche de la médecine fondée sur les preuves
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Catégorie MFP |
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Les recommandations relatives à la prévention du paludisme chez les personnes qui voyagent ou qui séjournent longtemps à l'étranger ne devraient pas différer sensiblement de celles qui s'appliquent aux courts séjours(125). | B III |
Il est raisonnable d'apprendre aux voyageurs qui partent pour une longue période à se servir des tests de diagnostic rapide(120,125). | C III |
Il est important que les voyageurs qui séjourneront longtemps à l'étranger et qui risquent d'acheter des médicaments dans des pays où il n'y a pas de contrôle soient informés au sujet des antipaludéens de contrefaçon(122,123,124). | C II |
La primaquine devrait être considérée comme le médicament de choix pour la prophylaxie finale (voir le chapitre 8) chez les militaires, les voyageurs partis pour une longue période ou les expatriés qui reviennent de régions de transmission de P. vivax(73,125,126). | A I |
Prévention du paludisme chez les voyageurs souffrant d'autres maladies
Les voyageurs ayant des problèmes de santé présentent un défi particulier, pour différentes raisons. Ils peuvent contracter plus facilement le paludisme et en présenter une forme plus grave. Par ailleurs, le paludisme peut venir aggraver une maladie existante. Enfin, on peut redouter les effets d'interactions complexes entre les antipaludéens et les médicaments pris pour traiter d'autres maladies.
Sujets immunodéprimés
i. VIH/sida : Des données récentes semblent indiquer l'existence d'une interaction entre le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et P. Falciparum, chacun ayant un effet délétère sur l'autre. L'infection palustre stimule la réplication du VIH-1, ce qui augmente les charges virales, qui persistent pendant des semaines après l'infection, bien que les répercussions sur la progression de la maladie ne soient pas encore très claires(127,128). Par contre, on a établi que ceux qui étaient infectés par le VIH couraient un plus grand risque de parasitémie et de paludisme clinique que les personnes séronégatives pour le VIH. Des modèles mathématiques laissent entrevoir une grande surincidence de l'infection à VIH et de l'infection palustre, peut-être à cause de ces interactions. Le risque d'infection palustre et la densité parasitaire augmentent au fur et à mesure que l'état immunitaire se détériore(128) et semblent plus graves chez les personnes non enceintes qui ne sont pas immunes que chez celles qui ont une immunité partielle(21). Bien que le risque d'issues défavorables de la grossesse chez les femmes partiellement immunes soit habituellement à son plus haut niveau durant la première grossesse, le risque chez celles qui sont co infectées par le VIH s'étend à toutes les grossesses(129).
Le risque de transmission verticale du VIH peut être plus élevé chez les femmes qui sont co infectées par le VIH en raison d'une perturbation de l'architecture placentaire(130). Malheureusement, l'échec du traitement antipaludique semble plus fréquent chez les adultes infectés par le VIH que chez ceux qui sont séronégatifs pour le VIH(131). Le traitement de l'infection à VIH comporte souvent l'administration de nombreux antirétroviraux, dont plusieurs (particulièrement les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse et les inhibiteurs de la protéase) peuvent avoir des interactions avec les antipaludéens, l'un ou l'autre médicament pouvant exercer des effets toxiques ou avoir une efficacité réduite(132). Les profils d'effets indésirables se chevauchent, ce qui peut également causer des problèmes(133). Divers antirétroviraux peuvent avoir une activité antipaludique directe ou indirecte, mais leur utilité clinique n'a pas encore été établie(134). La consultation d'un spécialiste de la médecine des voyages ou des maladies tropicales parallèlement au spécialiste du VIH du voyageur est recommandée.
ii. Asplénie : La rate facilite la phagocytose et favorise l'élimination des érythrocytes parasités. On a observé un retard de la clairance des parasites chez les patients aspléniques malgré le recours à un traitement antipaludique efficace(135). La splénectomie accroît le risque et l'ampleur de la parasitémie, même chez les personnes partiellement immunes dans les pays impaludés(136), et des cas de paludisme grave ont été signalés chez des voyageurs souffrant d'asplénie(137). Il faut envisager, en plus des mesures prophylactiques, un auto-traitement de réserve, si le sujet doit se rendre dans des régions isolées ou dans des régions où l'accès aux soins médicaux est limité (voir le chapitre 6). La survenue d'une fièvre chez un sujet asplénique peut être un signe de paludisme ou d'une infection par une bactérie encapsulée, de sorte qu'il faut également discuter du traitement antibactérien de réserve(132).
iii. Autres déficits immunitaires : Il existe peu de données sur l'histoire naturelle du paludisme chez les sujets présentant d'autres déficits immunitaires. On peut cependant présumer que l'évolution clinique du paludisme chez ces personnes est semblable ou pire que ce que l'on voit chez d'autres sujets. Le professionnel de la santé doit aussi tenir compte de tout immunodépresseur pris par son patient, car beaucoup de ces médicaments sont métabolisés dans le foie par les enzymes microsomales et pourraient donc interagir avec certains antipaludéens. Un spécialiste en médecine des voyages ou en maladies tropicales devrait travailler en étroite collaboration avec le spécialiste qui prend soin de tels voyageurs de façon à pouvoir dispenser des conseils appropriés.
Autres affections
i. Maladies cardiovasculaires : Bien qu'on ait signalé que la méfloquine cause des arythmies lorsqu'elle est utilisée à des fins prophylactiques(138), ce problème n'a pas été confirmé dans de petites études du médicament chez des volontaires(139). Selon des rapports, la méfloquine, la doxycycline et le proguanil peuvent potentialiser la warfarine, ce qui entraîne des problèmes de coagulation et parfois des hémorragies(139-143).
Si ces médicaments sont utilisés (y compris le proguanil comme constituant du MalaroneMD), un essai de la médication devrait cependant être effectué plusieurs semaines à l'avance afin qu'on puisse mener des dosages en série du Rapport international normalisé (RIN) et qu'on puisse ajuster la dose d'anticoagulants.
ii. Troubles neuropsychiatriques : Comme la chloroquine et la méfloquine peuvent exacerber certains troubles convulsifs, il faut prescrire d'autres agents. Rien n'indique que les convulsions fébriles chez les enfants soient une contre-indication de ces médicaments. L'usage concomitant d'anticonvulsivants qui stimulent les enzymes des microsomes hépatiques (p. ex. barbituriques, phénytoïne, carbamazépine) peut réduire les concentrations sériques et la demi-vie de la doxycycline, et la posologie peut devoir être ajustée (voir le chapitre 8)(143). La méfloquine peut être associée à une augmentation du risque de troubles psychiatriques, notamment de dépression et de troubles anxieux; il importe donc de faire un interrogatoire soigneux pour écarter ces affections avant la prise de méfloquine(144). Aucune donnée ne démontre que le trouble déficitaire de l'attention (TDA) amplifie le risque d'effets secondaires neuropsychiatriques; cependant il est prudent de s'assurer que le sujet ne souffre pas de types des troubles psychiatriques mentionnés ci-dessus(93).
iii. Troubles hépatiques ou rénaux : Une altération modérée ou grave de la fonction hépatique ou de la fonction rénale peut entraîner une importante modification des concentrations sériques d'antipaludéens. Si la fonction hépatique ou rénale est altérée, il faut faire preuve de prudence au moment de choisir les médicaments pour la prophylaxie et le traitement du paludisme et d'en déterminer la posologie. Si la conduite à tenir n'est pas claire après l'examen d'une source de référence standard, il est recommandé de consulter un spécialiste en médecine des voyages.
Recommandations dans le cadre d'une approche de la médecine fondée sur les preuves
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Catégorie MFP |
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Les personnes qui sont immunodéprimées ou souffrent d'autres maladies concomitantes devraient consulter un spécialiste en médecine des voyages ou en maladies infectieuses en plus du principal médecin qui les soigne pour leur maladie sous-jacente(20). | B III |
Avant de prescrire des antipaludéens à une personne infectée par le VIH, il convient d'examiner soigneusement les interactions médicamenteuses potentielles(133). | A I |
Avant qu'une personne traitée à la warfarine prenne de la méfloquine, de la doxycycline ou du proguanil (y compris dans l'association atovaquone/proguanil), un essai préalable avec dosage du RIN devrait être effectué(140-143). | A II |
Avant qu'on envisage l'utilisation de la méfloquine, il faut soigneusement vérifier l'existence de problèmes de santé mentale pour s'assurer que le patient ne souffre pas de troubles psychotiques, dépressifs ou anxieux(144). | A I |
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