La résistance aux antimicrobiens de Neisseria gonorrhoeae au Canada : 2009-2013

RMTC

Volume 41-2, le 5 février 2015 : Infections transmissibles sexuellement et mois de la sensibilisation à la santé sexuelle

Surveillance

La résistance aux antimicrobiens de Neisseria gonorrhoeae au Canada : 2009-2013

Martin I1,*, Sawatzky P1, Liu G1, Mulvey MR1

Affiliation

1 Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Winnipeg (Manitoba)

Correspondance

Irene.Martin@phac-aspc.gc.ca

DOI

https://doi.org/10.14745/ccdr.v41i02a04f

Résumé

Contexte : L'infection gonococcique est en expansion au Canada. Le traitement a été compliqué par le fait que la bactérie Neisseria gonorrhoeae a acquis une résistance à de nombreux antibiotiques, y compris la pénicilline, la tétracycline, l'érythromycine et la ciprofloxacine. L'émergence d'isolats présentant une sensibilité réduite aux céphalosporines de troisième génération et le signalement d'échecs de traitement au Canada et partout dans le monde sont préoccupants.

Objectif : Évaluer les niveaux de résistance de N. gonorrhoeae aux antibiotiques communs et observer les tendances de sa résistance ou de sa sensibilité réduite à la ciprofloxacine, aux céphalosporines de troisième génération et à l'azithromycine.

Méthodologie : On a comparé les données de surveillance en laboratoire d'isolats de N. gonorrhoeae présentées par des laboratoires provinciaux de microbiologie au Laboratoire national de microbiologie (LNM) de 2009 à 2013.

Résultats : Depuis 2009, on a observé une augmentation globale de bactéries N. gonorrhoeae résistantes aux antibiotiques. En 2013, 24,3 % des isolats étaient résistants à l'érythromycine, 18,9 % étaient résistants à la pénicilline, 33,0 % étaient résistants à la tétracycline et 29,3 % étaient résistants à la ciprofloxacine. Le pourcentage des isolats présentant une sensibilité réduite à la ceftriaxone (= 0,125 mg/L) ou à la céfixime (= 0,25 mg/L) était de 3,9 % en 2013. Ce nombre représente une baisse par rapport au pourcentage de 2012 qui était de 5,9 % et à celui de 2011 qui était de 7,6 %. La proportion d'isolats de N. gonorrhoeae résistants à l'azithromycine (CMI = 2 mg/L) a augmenté, passant de 0,4 % en 2009 à 1,2 % en 2013.

Conclusion : La résistance à l'érythromycine, à la pénicilline, à la tétracycline et à la ciprofloxacine est courante. La sensibilité réduite à la ceftriaxone et à la céfixime est maintenant à une valeur de près de 4 % et la résistance à l'azithromycine est émergente, mais elle demeure faible à 1,2 %. Ces résultats ont éclairé les recommandations en matière de traitement de l'infection gonococcique formulées dans les lignes directrices canadiennes sur les infections transmissibles sexuellement.

Introduction

N. gonorrhoeae, agent causal de l'infection gonococcique, est la deuxième infection bactérienne transmissible sexuellement la plus couramment déclarée au Canada et les taux de cas déclarés ont plus que doublé entre 1997 et 2012Note de bas de page 1.

Le traitement et le contrôle de l'infection gonococcique sont compliqués par la capacité de N. gonorrhoeae à évoluer rapidement et à développer une résistance à de nombreux antibiotiques utilisés pour la traiterNote de bas de page 2Note de bas de page 3. L'émergence des isolats présentant une sensibilité réduite aux céphalosporinesNote de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 7 ainsi que le signalement d'échecs de traitement au CanadaNote de bas de page 8 et dans le monde entier soulèvent la possibilité que l'infection gonococcique devienne impossible à traiter à l'avenir. L'émergence de N. gonorrhoeae présentant une résistance élevée à l'azithromycine (= 256 mg/L) a été signalée à l'échelle internationaleNote de bas de page 9 et des isolats présentant ce haut niveau de résistance à l'azithromycine ont maintenant été signalés au Canada.

Le nombre de cultures disponibles pour les tests de sensibilité aux antimicrobiens est à la baisse en raison du remplacement de l'utilisation de cultures par des tests d'amplification des acides nucléiques (TAAN) pour le diagnostic de l'infection gonococcique. Cette situation est préoccupante, car des cultures de N. gonorrhoeae sont nécessaires pour effectuer des tests de sensibilité aux antimicrobiens, et certaines provinces et certains territoires au Canada n'ont plus la capacité de maintenir la mise en culture de cet organisme. En fait, plus de 70 % des infections gonococciques au Canada sont maintenant diagnostiquées au moyen de TAAN. Par conséquent, les données sur la sensibilité aux antimicrobiens dans ces provinces et territoires ne sont pas disponibles. Le Laboratoire national de microbiologie (LNM), en collaboration avec les laboratoires provinciaux, a effectué le suivi de la sensibilité aux antimicrobiens de N. gonorrhoeae depuis 1985.

L'objectif du présent relevé est de résumer les tendances en matière de résistance aux antimicrobiens des infections gonococciques au Canada entre 2009 et 2013. Il est fondé sur le Rapport sommaire annuel de 2013 Surveillance nationale de la sensibilité aux antimicrobiens de Neisseria gonorrhoeae préparé par le LNM, Agence de la santé publique du Canada (ASPC)Note de bas de page 10.

Méthodologie

Collecte de données

Les laboratoires provinciaux de santé publique ont soumis un total de 5 518 isolats viables de N. gonorrhoeae au LNM aux fins de tests de sensibilité aux antimicrobiens dans le cadre du Programme national de surveillance passive de Neisseria gonorrhoeae entre 2009 et 2013 (2009, N = 913; 2010, N = 1 233; 2011, N = 1 158; 2012, N = 1 031; 2013, N = 1 183). Les isolats de N. gonorrhoeae sont soumis au LNM si les laboratoires provinciaux décèlent une résistance à au moins un antibiotique ou s'ils n'effectuent aucun test de sensibilité aux antimicrobiens. La soumission d'isolats est volontaire et n'est pas uniforme dans l'ensemble du pays. L'interprétation globale des résultats est difficile en raison des limites liées aux isolats disponibles pour les tests. Par conséquent, le nombre total d'isolats mis en culture dans toutes les provinces a été utilisé comme dénominateur pour calculer la proportion de résistance (2009, N = 3 106; 2010, N = 2 970; 2011, N = 3 360; 2012, N = 3 036; 2013, N = 3 195).

Les CMI ont été déterminées par dilution en géloseNote de bas de page 11 et la résistance a été définie selon le Clinical and Laboratory Standards InstituteNote de bas de page 11 à l'exception de l'érythromycineNote de bas de page 12 et de l'azithromycineNote de bas de page 13. Les valeurs seuils de la sensibilité réduite à la ceftriaxone et à la céfixime étaient fondées sur les définitions de l'OMSNote de bas de page 14. On a mis au point des abréviations communes pour les différents types de résistance (Tableau 1).

Tableau 1 : Abréviations et définitions pour les différents types de résistance antimicrobienne de Neisseria gonorrhoeae
Abréviation Expression au long Définition
NGPP N. gonorrhoeae produisant une pénicillinase CMI Pén = 2,0 mg/L, positif pour ß-lactamase, plasmide ß-lactamase (plasmide de 3,05, 3,2 ou 4,5 Md)
NGRT N. gonorrhoeae résistant à la tétracycline (médiation plasmidique) CMI Tét = 16,0 mg/L, plasmide de 25,2 Md, positif pour réaction de polymérisation en chaîne de Tét M
NGRMC N. gonorrhoeae résistant à médiation chromosomique CMI Pén = 2,0 mg/L, CMI Tét = 2,0 mg/L mais = 8,0 mg/L et CMI Éry = 2,0 mg/L
NGRMC probable N. gonorrhoeae présentant une résistance à médiation chromosomique probable Une des valeurs de CMI de Pén, Tét, Éry = 1 mg/L, les deux autres = 2,0 mg/L
RTét N. gonorrhoeae résistant à la tétracycline (médiation chromosomique) MIC Tét = 2,0 mg/L mais = 8,0 mg/L
RCip N. gonorrhoeae résistant à la ciprofloxacine CMI Cip = 1,0 mg/L
RAz N. gonorrhoeae résistant à l'azithromycine CMI Az = 2,0 mg/L
RSpec N. gonorrhoeae résistant à la spectinomycine R Spec = 128 mg/L
SRCx N. gonorrhoeae ayant une sensibilité réduite à la ceftriaxone CMI Cx = 0,125 mg/L
SRCe N. gonorrhoeae ayant une sensibilité réduite à la céfixime CMI Ce = 0,25 mg/L

Résultats

La Figure 1 illustre les tendances de la sensibilité aux antimicrobiens des isolats de N. gonorrhoeae testés au Canada de 2009 à 2013.

Figure 1 : Tendances de la sensibilité aux antimicrobiens des isolats de Neisseria gonorrhoeae testés au Canada de 2009 à 2013

Figure 1 : Tendances de la sensibilité aux antimicrobiens des isolats de <em>Neisseria gonorrhoeae</em> testés au Canada de 2009 à 2013

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Tendances de la sensibilité aux antimicrobiens des isolats de Neisseria gonorrhoeae testés au Canada de 2009 à 2013

Sensibilités aux antimicrobiens des isolats de Neisseria gonorrrhoeae Année
2009 2010 2011 2012 2013
Résistance à la pénicilline 18.7 25.05 22.2 20.26 18.94
Résistance à la tétracycline 24.7 34.61 29.4 30.3 32.99
Résistance à l'érythromycine 21.3 31.52 26.6 23.12 24.32
Résistance à la ciprofloxacine 25.5 35.93 29.3 28.52 29.33
Résistance à l'azithromycine 0.35 1.25 0.39 0.86 1.16
Diminution de la sensibilité à la céfixime 1.19 3.3 4.2 2.24 1.75
Diminution de la sensibilité à la ceftriaxone 3.12 7.34 6.2 5.53 3.51

Des 3 195 isolats de N. gonorrhoeae mis en culture dans les laboratoires de santé publique partout au Canada en 2013, 1 183 isolats résistants présumés ont été soumis au LNM. De ce nombre, on a confirmé la résistance de 1 153 isolats à au moins un antibiotique et 30 étaient sensibles, ce qui correspond à un taux de 36,1 % de tous les cas diagnostiqués par culture de N. gonorrhoeae résistant.

Les données sur l'âge et le sexe étaient disponibles pour 99,5 % des isolats testés par le LNM en 2013. De ce nombre, 83,1 % étaient des hommes dont l'âge variait de 1 mois à 74 ans. Un total de 16,9 % des isolats ont été prélevés chez des femmes âgées de 2 à 71 ans.

Céphalosporines de troisième génération

En 2013, selon les définitions de l'OMS, 1,8 % des isolats présentaient une sensibilité réduite à la céfixime et 3,5 %, une sensibilité réduite à la ceftriaxone. Ces taux sont plus élevés qu'en 2009 (1,2 % présentaient une sensibilité réduite à la céfixime et 3,1 %, une sensibilité réduite à la ceftriaxone), mais plus faibles qu'en 2011 (4,2 % présentaient une sensibilité réduite à la céfixime et à 6,2 %, une sensibilité réduite à la ceftriaxone). En 2013, 3,9 % des isolats ont été identifiés comme présentant une sensibilité réduite à la ceftriaxone ou à la céfixime, ce qui représente une diminution par rapport au taux de 5,9 % en 2012 et de 7,6 % en 2011.

Azithromycine

Le taux de N. gonorrhoeae résistant à l'azithromycine a augmenté, passant de 0,4 % en 2009 à 1,2 % en 2013. De 2009 à 2012, cinq isolats présentant une résistance élevée à l'azithromycine (CMI = 256 mg/L) ont été recensés au Canada. La CMI modale pour l'azithromycine est demeurée à 0,5 mg/L chaque année de 2009 à 2012. En 2013, la modale a diminué à 0,25 mg/L.

En 2012, on a déterminé sept isolats présentant une sensibilité réduite combinée aux céphalosporines et une résistance à l'azithromycine (0,2 %). En 2013, on a déterminé huit (0,3 %) de ces isolats. Il s'agit des premiers isolats à se manifester au Canada avec une sensibilité réduite aux céphalosporines et une résistance à l'azithromycine, menaçant donc la réussite des options de traitement à double modalité actuellement recommandées.

Autres antibiotiques

Le pourcentage d'isolats résistants à la ciprofloxacine a augmenté, passant de 25,5 % en 2009 à 29,3 % en 2013. La résistance à la ciprofloxacine a augmenté, passant de 1,3 % en 2000 à un sommet de 36,0 % en 2010. La CMI modale pour la ciprofloxacine est passée de façon radicale de 0,004 mg/L en 2004 à 16,0 mg/L en 2013 (données non indiquées).

En 2009, on a déterminé que 21,3 % des isolats étaient résistants à l'érythromycine. Ce pourcentage a augmenté jusqu'à 31,5 % en 2010, puis a diminué à 24,3 % en 2013. La résistance à la pénicilline a augmenté, passant de 18,7 % en 2009, à 25,1 % en 2010, puis elle a diminué à 18,9 % en 2013. La résistance à la tétracycline a augmenté, passant de 24,7 % en 2009 à 34,6 % en 2010, puis a diminué à 33,0 % en 2013. Des 5 518 isolats viables testés par le LNM de 2009 à 2013, aucun n'a présenté de résistance à la spectinomycine.

En 2013, 13,5 % des isolats ont été classés dans la catégorie de N. gonorrhoeae présentant une résistance à médiation chromosomique (NGRMC), une légère baisse par rapport au taux de 15,3 % observé en 2009. Les isolats de N. gonorrhoeae produisant une pénicillinase (NGPP) représentaient 4,3 % en 2013, une légère augmentation par rapport au taux de 2,5 % en 2009. Le taux d'isolats de N. gonorrhoeae présentant une résistance à la tétracycline (NGRT) à médiation plasmidique a augmenté, passant de 3,2 % en 2009 à 8,8 % en 2013 (Figure 2).

Figure 2 : Tendances en matière de résistance antimicrobienne de Neisseria gonorrhoeae à médiation chromosomique et plasmidique au Canada de 2009 à 2013

Figure 2 : Tendances en matière de résistance antimicrobienne de Neisseria gonorrhoeae à médiation chromosomique et plasmidique au Canada de 2009 à 2013

Description textuelle : Figure 2

Figure 2 : Tendances en matière de résistance antimicrobienne de Neisseria gonorrhoeae à médiation chromosomique et plasmidique au Canada de 2009 à 2013

Résistance antimicrobienne de Neisseria gonorrhoeae à médiation chromosomique et plasmidique Année
2009 2010 2011 2012 2013
NGPP 0.9 0.71 0.54 0.59 0.88
NGRT 1.64 1.72 2.56 3.39 5.48
NGPP/NGRT 1.54 1.41 3.1 2.70 3.13
NGPP/NGRMC 0.09 0.1 0.27 0.40 0.25
NGRT/NGRMC 0.06 0.07 0.12 0.20 0.19
NGRMC 15.19 21.82 17.68 15.28 13.08
NGRMC Probable 4.67 7.64 3.75 4.61 6.35

Discussion

L'évolution de la résistance de l'infection gonococcique aux antimicrobiens est complexe et la propagation d'isolats résistants est une menace reconnue pour la santé publique mondiale. La surveillance et le suivi de la sensibilité de N. gonorrhoeae aux antimicrobiens continuera à orienter les efforts visant à atténuer les répercussions de la résistance de l'infection gonococcique aux antimicrobiens et de guider les recommandations thérapeutiques.

Le signalement d'échecs de traitements à la céfixime et l'augmentation lente et progressive de la CMI observée de 2001 à 2010, tant pour la céfixime (de 0,016 mg/L à 0,125 mg/L) que pour la ceftriaxone (de 0,016 mg/L à 0,063 mg/L), ont mené à des modifications du traitement de l'infection gonococcique. En 2011, les lignes directrices canadiennes sur les ITS ont mis à jour les recommandations sur l'utilisation d'un traitement combiné de l'infection gonococcique par 250 mg de ceftriaxone par voie intramusculaire et 1 g d'azithromycine par voie orale comme traitement de première intention chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HARSAH) et chez les personnes atteintes de pharyngiteNote de bas de page 15.

Depuis les modifications apportées en 2011 aux recommandations de traitement de l'infection gonococcique au Canada, on a observé une diminution de la proportion d'isolats présentant une CIM élevée aux céphalosporines. En 2011, 7,6 % des isolats présentaient une sensibilité réduite à la ceftriaxone ou à la céfixime, selon la définition de l'OMS. Cette proportion est passée à 5,9 % en 2012, puis a diminué encore pour atteindre 3,9 % des isolats testés en 2013.

Heureusement, des taux décroissants de sensibilité réduite à la céfixime sont également observés ailleurs. Par exemple, les États-Unis ont signalé une diminution de la sensibilité réduite à la céfixime qui est passée de 3,9 % en 2010 à 2,9 % au cours de la première moitié de 2012Note de bas de page 16. Le Royaume-Uni a signalé une chute de la prévalence d'isolats présentant une diminution de la sensibilité à la céfixime qui est passée de 17,1 % en 2010 à 10,8 % en 2011Note de bas de page 17.

L'amélioration de la surveillance pour inclure les liens entre les données épidémiologiques et les données de laboratoire permettra de contrer les limites du système actuel de surveillance passive en ce qui concerne la représentativité et l'interprétation des données. Ces améliorations du programme de surveillance gonococcique sont prévues dans le cadre du programme de système de surveillance accrue de la gonorrhée aux antimicrobiens (SARGA) qui sera lancé en 2014.

Remerciements

Le relevé dans son intégralité a été préparé par le Laboratoire national de microbiologie et le Centre de la lutte contre les maladies transmissibles et les infections de la Direction générale de la prévention et du contrôle des maladies infectieuses de l'Agence de la santé publique du Canada. Sa publication n'aurait pas été possible sans les données fournies par l'ensemble des provinces et territoires par l'intermédiaire du Réseau des laboratoires de santé publique du Canada (RLSPC). Nous leur sommes très reconnaissants de leur contribution continue au programme de surveillance nationale de Neisseria gonorrhoeae.

Conflit d’intérêts

Aucun

Financement

Ce travail a été appuyé par l'Agence de la santé publique du Canada.

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