Dépistage de l'ARN du virus de la grippe A dans le lait vendu au détail en Ontario

Résumé

Contexte : En avril 2024, des études menées aux États-Unis ont mis en évidence la présence d'ARN viral de la grippe A(H5N1) dans 20 à 40 % du lait pasteurisé offert dans le commerce aux États-Unis, suggérant que les infections bovines étaient répandues dans tout le pays.

Méthodes : Pour une première évaluation de la situation en Ontario, 117 échantillons de lait de vache pasteurisé achetés dans des points de vente au détail en Ontario en avril et mai 2024 ont été testés pour déceler la présence d'ARN viral de la grippe A.

Résultats : Aucun ARN du virus de la grippe A n'a été détecté.

Conclusion : L'Agence canadienne d'inspection des aliments a ensuite mis au point un système de surveillance continue pour analyser le lait pasteurisé offert dans le commerce et le lait cru dans les usines de transformation au Canada.

Introduction

Les infections bovines par le virus H5N1 de la grippe aviaire hautement pathogène (IAHP) ont été identifiées pour la première fois aux États-Unis en mars 2024, dans le cadre d'une panzootie du clade 2.3.4.4b H5Nx, qui a infecté plusieurs espèces de mammifères sur les six continents ^{Note de bas de page 1}. Fin avril, plusieurs études ont identifié la présence d'ARN viral (ARNv) de l'IAHP H5N1 dans le lait pasteurisé offert dans le commerce aux États-Unis, suggérant que les infections chez les vaches laitières étaient beaucoup plus largement disséminées qu'on ne l'avait cru au départ ^{Note de bas de page 2}. L'analyse génomique a suggéré que les éclosions bovines provenaient d'un seul effet de débordement interespèces à partir d'oiseaux sauvages, suivi d'une transmission soutenue de vache à vache pendant plusieurs mois avant l'identification initiale ^{Note de bas de page 3}.

En avril, un cas humain d'IAHP H5N1 a été identifié chez un ouvrier laitier qui avait été présumé exposé à du bétail infecté, ce qui indique un nouveau facteur de risque d'infection chez l'homme ^{Note de bas de page 4}.

Identification des problèmes

L'Ontario possède le deuxième plus grand nombre d'exploitations laitières et de vaches laitières au Canada ^{Note de bas de page 5} et est limitrophe de plusieurs États américains où des éclosions sont actives, notamment le Michigan. Des mouvements transfrontaliers de bétail ont lieu régulièrement. Comme les analyses commerciales du lait aux États-Unis suggèrent fortement que les éclosions bovines sont beaucoup plus nombreuses que celles qui ont été détectées, et que l'analyse génomique suggère qu'elles se produisent depuis plusieurs mois, il n'est pas certain que des infections cryptiques et une contamination du lait puissent également se produire au Canada.

Méthodes

Une étude pilote a été entreprise pour évaluer la présence de l'ARNv de la grippe A dans les produits laitiers pasteurisés disponibles dans le commerce dans la province de l'Ontario. Cette étude a porté sur du lait de vache pasteurisé acheté auprès de vendeurs commerciaux. Les produits à base de crème (5 % de matières grasses ou plus), les produits laitiers aromatisés (e.g., le lait au chocolat), le fromage et les autres produits laitiers ont été exclus. Le lait ultra-haute température et le lait microfiltré ont été inclus. Les échantillons proviennent du personnel des laboratoires de microbiologie et d'autres chercheurs de l'Ontario. Ils sont transportés dans des récipients propres ou stériles, puis aliquotés et congelés à −80 °C en attendant les tests.

Les échantillons ont été décongelés et mis dans un mélangeur vortex, puis dilués dans une proportion 1:4 (vol/vol) dans une solution saline dans un tampon phosphate (PBS) ^{Note de bas de page 6}. L'extraction de l'acide ribonucléique (ARN) a été réalisée à l'aide de NucliSENS^MD easyMAG^MD en suivant le protocole générique 2.0.1 avec un volume d'entrée de 140 μL et un volume d'élution de 40 μL. Le dopage de l'Armored RNA enterovirus (arm-ent) (Asuragen) a été utilisé comme contrôle interne de l'extraction. Les échantillons ont été testés par réaction de polymérisation en chaîne quantitative (PCR quantitative) sur la plateforme QuantStudio 3 avec la trousse Luna^MD Universal One-Step RT-qPCR Kit (NEB n^o E3005). Les échantillons ont été testés en double avec 5 μL de matrice d'ARN et les conditions de cyclage suivantes avec des conditions de PCR quantitative rapides : une étape de maintien à 55 °C pendant 10 minutes et 95 °C pendant 1 minute, suivie d'une étape PCR avec 44 cycles d'amplification à 95 °C pendant 10 secondes et 60 °C pendant 30 secondes. Le test PCR multiplex comprenait l'ensemble d'amorces et de sondes du gène universel de la matrice de la grippe A des Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis ^{Note de bas de page 7} (ci-dessous) et l'ensemble d'amorces et de sondes d'arm-ent.

1. CDC_FluA (sonde) : 5' d FAM-TGCAGTCCTCGCTCACTGGGCACG-BHQ-1 3'
2. CDC_FluA_Forward : 5' d GACCRATCCTGTCACCTGAC 3'
3. CDC_FluA_Reverse : 5' d AGGGCATTYTGGACAAAKCGTCTA 3'

Résultats

Le seuil de détection du dosage de l'ARNv dans les échantillons de lait a été déterminé en ajoutant au lait à 2 % des dilutions du virus de la grippe A H3N2 10 fois supérieures, de 10⁵ unités formant plage (ufp)/mL à 10¹ ufp/mL. Les échantillons ont ensuite été pasteurisés à 72 °C pendant au moins 16 secondes, ce qui est la pratique la plus courante en Ontario ^{Note de bas de page 8} et s'est avéré efficace pour l'inactivation du virus de la grippe A H5N1. Une étude a montré une inactivation complète dans sept des huit échantillons et une dilution de 4,44 log₁₀ dans le huitième échantillon avec cette méthode de pasteurisation ^{Note de bas de page 9}. Le seuil de détection du test avec le protocole ci-dessus est une concentration virale de 10² ufp/mL avant la pasteurisation. Les expériences d'optimisation n'ont pas montré de différence significative dans la récupération de l'ARNv de la grippe A entre le lait entier et le lait à 2 % après dilution dans du PBS. Les procédés suivants ont été testés lors de l'optimisation du dosage et n'ont apporté aucune amélioration significative au seuil de détection : centrifugation des échantillons de lait avant l'extraction à 4 °C et 6 000 fois la gravité (xg) pendant cinq minutes, filtrage des échantillons de lait avant l'extraction avec un filtre de 0,45 μm, augmentation du volume de l'extraction à 600 μL ou 200 μL, ajout d'étapes de lavage supplémentaires à l'extraction (protocole easyMAG specific B 2.0.1), réalisation d'un nettoyage par billes magnétiques sur la matrice d'ARN avant la PCR et diminution du volume de la matrice d'ARN à 3 μL, 2,5 μL, 2 μL ou 1 μL.

L'institut de recherche Sunnybrook a reçu 117 échantillons de lait de vache pasteurisé offert dans le commerce, prélevés entre le 24 avril 2024 et le 6 mai 2024, dans 17 municipalités de l'Ontario (figure 1). Dans l'ensemble, 28 marques ont été échantillonnées, avec la répartition suivante des types de produits : 6 pour le lait écrémé, 24 pour le lait à 1 %, 56 pour le lait à 2 % et 31 pour le lait entier (3 %–3,25 %), avec des dates de péremption allant du 15 avril 2024 au 28 août 2024. Deux échantillons ont été fournis comme contrôles à partir de lait qui avait été congelé à −20 °C pendant environ 18 mois. Tous les échantillons ont été déclarés négatifs pour la cible du virus de la grippe A par PCR quantitative avec le contrôle d'extraction interne (arm-ent), les valeurs seuils du cycle cible étant comprises entre 31 et 40.

Figure 1 : Équivalent textuel

Figure 1

Municipalité	Nombre d'échantillons de lait
Toronto	39
York	22
Greater Sudbury	11
Peel	10
Wellington	8
Frontenac	6
Dufferin	4
Ottawa	3
Halton	3
Elgin	3
Durham	2
Middlesex	1
Lennox and Addington	1
Oxford	1
Waterloo	1
Hastings	1
Simcoe	1

Note de bas de page figure 1

Figure 1 note de bas de page a

Cette carte de la province de l'Ontario, au Canada, indique les municipalités de niveau supérieur et de niveau inférieur où les échantillons de lait commercial ont été achetés pour cette étude. Les villes de Toronto, d'Ottawa et du Grand Sudbury sont à un seul niveau; les autres municipalités sont à un niveau supérieur, ce qui signifie qu'elles comprennent plus d'une ville. La couleur indique le nombre d'échantillons achetés dans chaque municipalité. La ville de Toronto est marquée

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Discussion

Limites

L'ARNv de la grippe A n'a été détecté dans aucun des produits laitiers pasteurisés de l'Ontario offerts dans le commerce et inclus dans cette étude. L'échantillonnage de cette étude présente des limites. Le lait de toutes les régions de la province n'a pas pu être inclus et l'absence de données publiques sur la transformation et la distribution du lait en Ontario n'a pas permis de collecter du lait auprès d'un échantillon représentatif d'exploitations agricoles; bien que la quasi-totalité du lait vendu en Ontario provienne d'exploitations agricoles et d'usines de transformation situées dans cette province, la possibilité qu'une partie du lait provienne du Québec n'a pas pu être exclue. La taille de l'échantillon de cette étude pilote n'a pas permis d'exclure la possibilité d'une circulation de l'IAHP H5N1 dans le bétail de l'Ontario. Toutefois, si l'échantillon utilisé dans l'étude pouvait être reproduit, les limites supérieures de confiance de 95 % suggèrent que moins de 4 % des échantillons de lait seraient contaminés. La différence entre cette limite supérieure de 4 % et les 20 % et 40 % identifiée dans des échantillons de lait commercial pasteurisé aux États-Unis par Speakman et al. ^{Note de bas de page 2} and Tarbuck et al. ^{Note de bas de page 6}, respectivement, suggèrent des taux de contamination significativement plus faibles en Ontario qu'aux États-Unis.

À la suite de cette étude, en octobre 2024, plusieurs autres États américains ont identifié des éclosions chez des bovins, pour un total de 299 cas chez des bovins dans 14 États ^{Note de bas de page 1}. En outre, sept cas humains d'IAHP H5N1 chez des travailleurs d'exploitations laitières ont été signalés dans quatre États (Texas, Michigan, Colorado et Californie) ^{Note de bas de page 4Note de bas de page 10Note de bas de page 11}. En outre, un seul cas humain d'IAHP H5N1 a été signalé dans le Missouri chez une personne qui n'était pas d'exposition connue au bétail, aux animaux sauvages ou aux oiseaux ^{Note de bas de page 11}.

Conclusion

Plusieurs études ont également montré que la pasteurisation du lait, bien qu'elle ne permette pas d'éliminer complètement l'IAHP A(H5N1), est susceptible de réduire le risque d'infection pour les consommateurs ^{Note de bas de page 8}.

En date du 10 octobre 2024, au Canada, aucun cas d'IAHP H5N1 chez les bovins ou les humains n'a été identifié. Bien que l'absence actuelle de preuves de la présence du virus H5N1 chez les bovins canadiens soit rassurante, il est impératif de poursuivre la surveillance. L'Ontario continue de sous-typer tous les cas de grippe humaine nécessitant une hospitalisation et la surveillance des infections associées à la grippe chez les bovins se poursuit. L'Agence canadienne d'inspection des aliments, en collaboration avec l'Agence de la santé publique du Canada, a mis en place une surveillance continue du lait pasteurisé commercial et du lait cru en vrac provenant d'usines de transformation commerciales. Au 1^er octobre 2024, 1 211 échantillons de lait pasteurisé commercial (307 de l'Ontario) et 272 échantillons de lait cru en vrac (68 de l'Ontario) ont été testés et se sont révélés négatifs ^{Note de bas de page 12}.

Ce projet pilote a démontré qu'une approche collaborative « Une seule santé », avec la participation de microbiologistes et d'épidémiologistes humains et vétérinaires, ainsi que d'experts en santé publique, pouvait fournir rapidement des données préliminaires à l'appui d'une évaluation situationnelle d'un risque zoonotique. Dans cette situation particulière, les laboratoires gouvernementaux ont pu mettre en place une surveillance continue et ont ensuite pu accéder au lait cru en vrac pour l'échantillonnage, qui est probablement plus sensible et sera accompagné de métadonnées accessibles aux organismes responsables concernant les sources spécifiques de lait. Il n'est donc pas nécessaire de poursuivre les travaux de ce groupe. Toutefois, les réponses rapides et concertées peuvent constituer une ressource pour les Canadiens dans le cadre de futures enquêtes de santé publique.

Déclaration des auteurs

• J. B. S. — Enquête, analyse formelle, rédaction de la version originale, rédaction–révision et édition
• W. Y. — Enquête, analyse formelle, rédaction–révision et édition
• J. D. K. — Analyse formelle, rédaction de la version originale, rédaction–révision et édition
• L. Y. — Analyse formelle, rédaction–révision et édition
• R. K. — Conceptualisation, enquête, rédaction–révision et édition
• A. M. — Conceptualisation, enquête, rédaction–révision et édition
• S. M. — Conceptualisation, enquête, rédaction–révision et édition

Le contenu de cet article et les opinions qui y sont exprimées n'engagent que les auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.

Intérêts concurrents

Les auteurs n'ont pas de conflits d'intérêts.

Identifiants ORCID

• Juliette Blais-Savoie — 0000-0002-3678-5490
• Winfield Yim — 0009-0006-5213-8396
• Jonathon D. Kotwa — 0000-0002-6424-3947
• Lily Yip —0000-0002-7387-0387
• Robert Kozak — 0000-0002-6159-9972
• Allison McGeer — 0000-0001-5647-6137
• Samira Mubareka — 0000-0001-5012-2311

Remerciements

Les auteurs remercient le laboratoire de microbiologie et le personnel de recherche qui ont fourni les échantillons pour les analyses, ainsi que le Dr Andrew Bowman de l'Ohio State University et le Dr Davor Ojkic du Laboratoire de santé animale de Guelph, en Ontario, pour leurs conseils sur la conception et l'optimisation des méthodes.

Financement

Cette étude n'a bénéficié d'aucun financement externe.