La responsabilité constitutionnelle

Table des matières

  1. Préface
  2. Avant-propos
  3. I La responsabilité constitutionnelle des ministres
  4. II Les origines de la responsabilité individuelle
  5. III Les origines de la responsabilité collective
  6. IV L'adaptation et la pratique au Canada
  7. V La réalisation du consensus
  8. VI Les ministres et leurs ministères respectifs
  9. VII La responsabilité constitutionnelle et l'obligation de rendre compte
  10. VIII Les principes découlant de l'obligation de rendre compte

Préface

En 1977, le Bureau du Conseil privé a fait une présentation à la Commission Lambert sur la gestion financière et l'imputabilité. L'un des quatre documents de cette présentation portait sur les principes et l'évolution du gouvernement responsable au Canada. Le document, intitulé «La responsabilité constitutionnelle», constitue depuis lors un ouvrage de référence de base au Bureau du Conseil privé et ailleurs.

Nous rééditons ce document aujourd'hui afin de le rendre plus accessible aux personnes qui s'intéressent à l'historique et au fondement de notre système de gouvernement responsable et des principes et pratiques conventionnelles qui le sous-tendent. J'espère qu'il sera aussi utile à une nouvelle génération de lecteurs qu'il nous l'a été au cours des seize dernières années.

Le greffier du Conseil privé
et secrétaire du Cabinet
Juin 1993


Avant-propos

Depuis la Seconde guerre mondiale, le gouvernement du Canada et les entreprises d'État jouent un rôle de plus en plus important dans la vie des Canadiens. Les demandes croissantes de la population et la réponse du gouvernement à ces demandes ont fortement influencé la manière dont notre société prend conscience de certains problèmes qu'elle doit résoudre. Les programmes que le gouvernement a établis au cours des années 1940 et 1950 ont nettement élargi son champ d'activité, ce qui a entraîné une augmentation correspondante de ses effectifs. Le gouvernement a pris un rôle actif dans l'élaboration de politiques, et a mis sur pied des structures complexes pour appuyer cette fonction. Au cours des vingt dernières années, un nouveau type de fonction publique est apparu pour pourvoir à ces structures et pour administrer les programmes complexes qui en sont issues. Une nouvelle catégorie de «coordonateurs» des politiques et autres spécialistes des relations interministérielles a été créée. De nouvelles structures ont été mises sur pied en vue de canaliser les initiatives. Il s'est produit plus de changements dans l'appareil gouvernemental et dans la variété et l'envergure des programmes qu'il met en oeuvre que dans toute période comparable de notre histoire administrative et sociale.

Il y a dix ans, un certain nombre de mesures ont été prises en vue de moderniser le gouvernement afin qu'il puisse s'acquitter de ses responsabilités toujours nouvelles et de plus en plus lourdes. Outre les grands changements organisationnels, comme la création d'un poste de ministre chargé du Conseil du Trésor et l'élargissement du rôle d'administrateur central de cet organisme, un grand effort a été fait afin de rationaliser la procédure gouvernementale. S'inspirant des disciplines scientifiques et techniques, le gouvernement s'est efforcé d'adopter des procédures fondées sur la théorie des systèmes pour organiser l'exécution de ses travaux, mesurer sa productivité et évaluer ses activités. Il s'agissait d'une profession de foi, répandue par un petit nombre et adoptée par la multitude, qui voulait que l'organisation et la méthode seules permettent la solution de problèmes complexes.

Pendant la décennie qui a suivi, cette théorie a été appliquée à divers domaines, tels la préparation du budget, le rôle et les fonctions du Cabinet, la mise sur pied d'un corps de planificateurs professionnels et la création de mécanismes institutionalisés de coordination «horizontale». Ces innovations ont toutes été couronnées d'un certain succès, mais elles n'ont pas toutes comblé les espérances qui avaient présidé à leur mise en oeuvre et, dans certains cas, on a constaté des effets secondaires imprévus. Vu l'étendue et la portée des opérations gouvernementales, on peut dire toutefois que, dans l'ensemble, l'adoption d'une méthode ordonnée a facilité la résolution de problèmes et l'adoption de propositions complexes. Mais, avec le recul, on s'aperçoit que la procédure peut également empêcher de déceler et de résoudre les problèmes et que, lorsqu'elle est appliquée de façon mécanique ou systématique, elle est inefficace.

D'importants changements se sont également produits dans les institutions fondamentales du gouvernement parlementaire et ministériel. Étant donné la complexité et l'ampleur du gouvernement, l'avènement de moyens de communication modernes et la participation organisée de la collectivité à l'action politique, le Parlement a plus de difficultés à se maintenir au centre des affaires nationales. Les ministres assument une charge de plus en plus lourde; ils passent plus de temps à résoudre les problèmes, et ils ont de plus en plus de mal à tenir compte des préoccupations d'ordre politique dans ce processus. De même, non seulement la composition de la fonction publique a-t-elle changé, mais la procédure est si complexe que les fonctionnaires ont de plus en plus de mal à voir un rapport entre leurs propres fonctions et celles du gouvernement dans son ensemble.

Voilà maintenant plus de trente ans que le gouvernement fédéral a commencé à jouer son rôle actuel. Au seuil de la quatrième décennie, il est manifeste que les problèmes tenant à l'ampleur et à la complexité du gouvernement ne vont pas diminuer. I1 ressort également qu'une méthode plus scientifique peut aider tant à l'organisation qu'à la résolution des problèmes, mais qu'une accumulation de systèmes tend à rendre l'ensemble encore plus complexe. La responsabilité constitutionnelle, qui est au coeur du parlementarisme, est cependant une notion fondamentale. Comprise et appliquée à bon escient, elle doit garantir non seulement que nos institutions gouvernementales sont représentatives, mais encore qu'elles peuvent répondre de façon satisfaisante aux besoins changeants de notre société.

Les Canadiens vivent dans une démocratie politique. Leur gouvernement, qui est représentatif et donc humain, doit tenir compte des points de vues et des besoins divergents de l'électorat, organisé ou non, à travers le pays. Les systèmes et la logique ne peuvent pas toujours garantir le meilleur gouvernement possible à une nation, et l'expérience nous a appris que la complexité du gouvernement s'écarte nettement de la précision mathématique de l'analyse des systèmes.

La représentativité de notre système de gouvernement constitue sa caractéristique la plus importante. En effet, un gouvernement parlementaire et ministériel est un gouvernement représentatif, donc responsable. Si nous examinons le gouvernement et la société depuis la guerre, notamment au cours des vingt dernières années, nous constatons que nos efforts pour rendre le gouvernement plus apte à répondre aux besoins de la collectivité ont souvent été faits sans une connaissance approfondie des principes d'utilisation responsable du pouvoir qui sous-tendent l'ensemble de notre droit constitutionnel. Nous avons établi des programmes pour répondre à des besoins perçus et des systèmes de gestion interne pour contrôler l'activité gouvernementale accrue qui découle de ces programmes. Malheureusement, tous ces changements, mis ensemble, ont milité contre l'exercice ouvert de la responsabilité constitutionnelle, et, dans une certaine mesure, ils ont dilué la valeur bénéfique du pouvoir tout comme l'obligation de rendre compte de son exercice. Ironie du sort, le système passe ainsi aux yeux de la majorité pour être insensible, et bien que le pouvoir continue d'être exercé de manière responsable, d'aucuns s'inquiètent que son exercice soit freiné non pas à cause des principes de responsabilité, mais plutôt à cause de la complexité du processus bureaucratique.

Le présent document vise un triple objectif: d'abord, aller au-delà de la complexité pour exposer l'essentiel du système de gouvernement parlementaire, en tant que système conçu pour limiter l'exercice du pouvoir de l'Etat; ensuite, décrire le système constitutionnel au sein duquel le gouvernement ministériel fonctionne et vis-à-vis duquel la résolution de problèmes particuliers doit être recherchée; enfin, expliquer la responsabilité personnelle et l'obligation de rendre compte qui incombe aux ministres et aux fonctionnaires supérieurs, ainsi que l'importance de cette obligation pour le fonctionnement du gouvernement parlementaire.

Le Bureau du Conseil privé
Août 1977


I La responsabilité constitutionnelle des ministres

Introduction

Au Canada, la responsabilité du gouvernement est fondée sur la responsabilité individuelle et collective des ministres envers le Parlement. Dans l'exercice de leurs charges, les ministres de la Couronne font rapport au Parlement, et ils ne restent en fonction que s'ils jouissent de la confiance (c'est-à-dire du soutien) de la majorité des députés à la Chambre des communes. Dans notre système de gouvernement parlementaire et ministériel, les ministres sont constitutionnellement responsables de la prestation et de la conduite du gouvernement, ce qui veut dire qu'aux termes de la loi et des conventions constitutionnelles, le pouvoir et, partant, la responsabilité sont exclusivement détenus par les ministres. Les ministres exercent ce pouvoir constitutionnellement parce que la loi le prescrit, et le Parlement et leurs collègues au Cabinet les tiennent responsables de leurs actions en vertu de la loi.

La responsabilité constitutionnelle des ministres ne dispense pas les titulaires d'autres charges de respecter la loi. Elle a plutôt pour objet de permettre au Parlement de concentrer la responsabilité touchant la conduite du gouvernement sur ses membres qui assument une charge ministérielle et qui doivent rendre compte en dernier ressort au Parlement et, indirectement, à l'électorat, de leurs actes et de ceux de leurs subordonnés. La responsabilité constitutionnelle des ministres permet au Parlement de s'assurer que le pouvoir est exercé de façon responsable dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental.

Le gouvernement ministériel

Notre système de gouvernement, qui dérive du modèle britannique ainsi que de l'usage des époques qui ont précédé et suivi la Confédération, est un système ministériel. En leur qualité de conseillers de la Couronne, les ministres sont individuellement et collectivement responsables de la plupart des actes du gouvernement.1 Leurs responsabilités individuelles sont pour la plupart déterminées par la loi. Grosso modo, ils exercent les pouvoirs que leur confère la Couronne au Parlement et ils exercent leur charge à titre amovible. L'exercice de ces pouvoirs, dont les ministres rendent compte au Parlement, constitue le fondement du gouvernement responsable. Par contre, la responsabilité collective des ministres est essentiellement fondée sur les conventions constitutionnelles plutôt que sur la loi écrite, et elle assure la stabilité et l'unité essentielles à la conduite du gouvernement ministériel.2

La responsabilité individuelle des ministres date du temps où, dans la pratique tout comme en théorie, le gouvernement était assuré par la Couronne plutôt que par les ministres, lesquels ne faisaient que conseiller le souverain et étaient légalement responsables de leurs actes envers la Couronne. De nos jours, cette responsabilité individuelle des ministres procède de la doctrine et de la loi constitutionnelle écrite: elle demeure une force pratique, étant donné la responsabilité conventionnelle des ministres envers la Chambre des communes et le caractère légal de leurs attributions dans l'administration publique. La responsabilité individuelle des ministres assure également la responsabilité à travers l'ensemble du système.3

La responsabilité collective des ministres, notion complexe qui englobe aussi leur responsabilité individuelle, est récente dans notre Constitution: elle remonte tout au plus à une centaine d'années. Elle est apparue le jour où la Couronne a cessé d'être la force motrice du gouvernement. Elle avait pour objet d'assurer un gouvernement stable dans le cadre de la structure gouvernementale existante. Les ministres ont remplacé le souverain en tant que décisionnaires du gouvernement, et leur responsabilité collective a assuré qu'ils tenaient collectivement les rênes du gouvernement. Cependant, cette responsabilité n'étant ni ancienne ni prévue par la loi, mais plutôt récente et de nature conventionnelle, elle ne revêt, pour ce qui est de l'obligation de rendre compte au sein du système, qu'une importance indirecte quoique essentielle.4

La nature de la responsabilité constitutionnelle des ministres et son importance à l'égard du système est mal comprise, et l'efficacité permanente de la responsabilité ministérielle est parfois mise en doute. En fait, cette notion n'est pas tellement différente de celle qui existait il y a 200 ans, lorsqu'elle a d'abord été reconnue comme une notion distincte dans la Constitution. C'est donc dire qu'elle a toujours fonctionné dans un contexte politique et qu'elle reflète ce contexte.5

La responsabilité ministérielle est un principe fondamental de la Constitution. Selon ce principe, un ministre doit répondre personnellement de son exercice du pouvoir à la Chambre des communes. Comme la Chambre établit elle-même ses règles de procédure, ce principe possède toute la souplesse nécessaire pour s'appliquer à un nombre infini de situations et de circonstances.

C'est sur le principe de la responsabilité ministérielle que repose le contrôle de l'exercice du pouvoir dans notre système constitutionnel. Selon ce principe, les ministres assument à l'égard du Parlement une responsabilité constitutionnelle qui leur est propre et qui les distingue d'autres titulaires de charges publiques. Ce principe régit l'exercice responsable du pouvoir, et son efficacité ne dépend pas de l'application de la sanction ultime qu'est la révocation. I1 y a eu relativement peu de cas où des ministres ont été forcés de donner leur démission .6 Le fait qu'un ministre ne sera probablement pas destitué à la suite de la révélation d'un cas particulier de mauvaise administration, ou même d'abus de pouvoir par les fonctionnaires sous ses ordres, ne modifie en rien sa responsabilité constitutionnelle ou l'obligation qu'il lui incombe de veiller à ce que de tels incidents ne se produisent pas. En effet, cette responsabilité est assurée par la possibilité toujours présente que, dans certaines circonstances précises, à cause de la manière dont il a exercé le pouvoir, le ministre peut se trouver dans une situation embarrassante, ou subir un discrédit qui l'affaiblit lui-même et le gouvernement dont il fait partie, ou perdre l'estime de ses collègues et compromettre ainsi son avenir politique, ou encore être forcé de se prêter à une enquête publique qui peut aboutir à un blâme et à la révocation. Ces possibilités sous-tendent la responsabilité constitutionnelle des ministres, sur laquelle est fondée la responsabilité du système tout entier.

L'évolution de la Constitution

Les Canadiens vivent dans un système politique qui a évolué pendant des siècles en fonction de la nécessité de contrôler l'exercice du pouvoir. Le gouvernement constitue une façon d'organiser ce contrôle de l'exercice du pouvoir, et quelle que soit la complexité de la société et de ses problèmes, l'exercice responsable du pouvoir est, à la longue, essentiel à la résolution des problèmes du pays ainsi qu'à la stabilité et au bien-être de la société.

Le contrôle de l'exercice du pouvoir par l'État est une nécessité fondamentale. Le moyen que nous avons choisi est également un moyen fondamental: il consiste à investir les ministres de la responsabilité constitutionnelle. C'est en connaissant et en comprenant notre histoire que nous pouvons comprendre et analyser le système selon lequel nous sommes gouvernés, nous rendre compte qu'il s'agit bien d'un système et que, si nous voulons en modifier un élément, nous devons savoir comment et pourquoi cet élément s'insère dans l'ensemble de nos usages, quelles conséquences découleront de ce changement, et quelles autres modifications seront nécessaires pour garantir l'intégrité de tout le système.

II nous faut par conséquent connaître notre histoire et comprendre les origines de nos usages dans ce domaine. Cette histoire et ces origines constituent le cadre dans lequel nous devons résoudre les problèmes complexes de l'heure, ou tout au moins le point de départ d'une réforme réalisable et, partant, utile du système.

Conclusion

La responsabilité personnelle est à la base de notre système de gouvernement parlementaire et ministériel. Elle découle de la responsabilité individuelle des ministres, responsabilité essentiellement personnelle et ne tenant pas aux institutions. Elle n'est pas partagée. La responsabilité s'attache non pas aux fonctions du ministre, mais à sa personne même, ce qui l'investit d'une responsabilité constitutionnelle propre pour ce qui est de l'exercice du pouvoir.

La nature de notre système de gouvernement ainsi que les paramètres de la responsabilité se définissent selon les origines, I'évolution et la nature de la responsabilité constitutionnelle de chaque ministre et selon l'effet qu'ont sur l'exercice de cette responsabilité les moyens qui permettent que la responsabilité collective découle de la responsabilité individuelle des ministres.


  1. Sur le plan juridique, la Couronne au Canada est la reine représentée par legouverneur général.
  2. Voir Cabinet Government de Sir Ivor Jennings, 2e édition (Cambridge, 1951) p. 1 à 13, où l'on trouve une excellente étude de la distinction entre la Loi et la convention constitutionnelle, ainsi que du processus par lequel on passe du précédent à l'usage et de l'usage à la convention.
  3. Voir l'étude du caractère légal de la responsabilité ministérielle dans l'ouvrage Introduction to the Study of the Law of the Constitution de A.V. Dicey, 10e édition, (London, 1964) p. 325 à 327.
  4. Les responsabilités individuelles des ministres sont modifiées par la responsabilité collective et les moyens mis en oeuvre pour l'assurer. De la même manière, la responsabilité des hauts fonctionnaires, qui est centrée sur les responsabilités individuelles légales des ministres, repose sur le besoin essentiel d'unité au sein du gouvernement, unité qui est la raison d'être de la responsabilité collective.
  5. Par exemple, les circonstances dans lesquelles un ministre peut être destitué ou risque de l'être sont une affaire de jugement politique, peu importe que le ministre ait été ou non au fait des événements dont il est tenu responsable.
  6. Voir l'étude approfondie de cette question dans Representative and Responsable Government de A.H. Birch (London, 1964), p. 139 à 149; et l'article de S.E. Finer, "The Individual Responsibilities of Ministers" paru dans Public Administration, vol. xxxiv, 1956.

II Les origines de la responsabilité individuelle

Le pouvoir et la Constitution

Sur le plan constitutionnel, le pouvoir de l'État émane de la Couronne et, en règle générale, il ne peut être exercé que par la Couronne ou en son nom. Le gouvernement parlementaire et ministériel a pour objet de garantir que le pouvoir est exercé de façon responsable par la Couronne et par ses conseillers.

Les pouvoirs de la Couronne se divisent en deux catégories: ceux qui émanent de la Couronne au Parlement et ceux qui émanent de ses prérogatives. Les pouvoirs que la Couronne exerce en vertu des lois écrites lui sont conférés par l'autorité législative, à savoir la Couronne au Parlement. Les pouvoirs découlant des prérogatives ont leur origine dans les anciens pouvoirs coutumiers du roi, qui font maintenant partie de la common law et (au même titre que les pouvoirs conférés par les lois) sont soumis à l'interprétation des tribunaux.1 La Couronne les exerce cependant sans se référer au Parlement.

À l'époque féodale, tous les pouvoirs de la Couronne provenaient théoriquement de ses prérogatives. Le roi exerçait non seulement le pouvoir exécutif, mais encore ce qui est devenu par la suite le pouvoir législatif (en particulier, le pouvoir de lever des impôts et de dépenser) de même que le pouvoir judiciaire, par l'intermédiaire de ses tribunaux.

L'évolution du gouvernement parlementaire a limité l'exercice des prérogatives, en les soumettant graduellement à la primauté du pouvoir légal de façon à substituer le pouvoir de la Couronne au Parlement au pouvoir de la Couronne individuelle. Ce processus a rendu la Couronne responsable de l'exercice de son pouvoir envers le Parlement. La Couronne continue d'exercer son pouvoir législatif, mais avec l'approbation du Parlement. De même, bien qu'elle continue de présider les tribunaux, elle est tenue d'exercer sa fonction judiciaire par l'intermédiaire d'une magistrature indépendante. C'est ainsi qu'en rendant la Couronne «constitutionnelle», on a progressivement réduit ses prérogatives tout en soumettant les prérogatives résiduelles à l'interprétation des tribunaux. I1 y a lieu de noter cependant que, tout au long de ce processus, I'exercice du pouvoir entrait dans les attributions de la Couronne, et l'exercice du pouvoir par la Couronne sur les conseils des ministres responsables constitue la base de la responsabilité constitutionnelle touchant l'exercice du pouvoir dans le système que nous connaissons aujourd'hui.2

L'exercice responsable du pouvoir

Au Moyen Age, la Couronne se servait des revenus produits par ses biens domaniaux et ses fiefs pour subvenir aux frais de l'État. I1 n'existait aucun système fiscal qui l'aurait obligé à consulter la noblesse ou le peuple. Le gouvernement n'avait qu'une portée limitée mais il existait néanmoins un concept bien défini de responsabilité, selon lequel il incombait à la Couronne d'assurer la direction du royaume, et dès le début, les hommes les plus importants du royaume la conseillaient sur son administration. La notion de gouvernement assuré par le «roi en conseil» remonte à la conquête normande.

Les rois ne pouvaient cependant pas financer les guerres avec leurs biens domaniaux et les dépenses de guerre ont donné lieu à la levée d'impôts extraordinaires en sus de la taille traditionnelle. L' impôt a créé un état de tension entre la Couronne et la noblesse, tension qui a abouti à ce premier jalon de la responsabilité constitutionnelle, la Magna Carta, qui assujettit pour la première fois les impôts levés par la Couronne au consentement préalable de ceux qui doivent les payer. Vers le XIIIe siècle, la société en est arrivée à un stade d'évolution tel que les impôts ont commencé à frapper directement une nouvelle classe d'aristocratie terrienne et de bourgeoisie qui était tout aussi avisée que la noblesse et qui, selon le principe établi par la Magna Carta, devait elle aussi consentir à ces impôts. La constitution d'une assemblée du tiers état, qui devait accorder pareil consentement, a donné lieu à la structure essentielle du Parlement tel que nous le connaissons aujourd'hui, à savoir la Couronne, la Chambre haute et la Chambre des communes.

Ce n'est cependant qu'au moment du conflit constitutionnel du XVIIe siècle qu'ont été prises les principales mesures visant à consacrer la responsabilité du «gouvernement» à la Chambre des communes, principe qui a été clairement énoncé (mais non pas toujours observé) dans la constitution vers la fin du XVIIIe siècle. La lutte qui, au XVIIe siècle, a opposé le tiers état à la Couronne n'était pas qualitativement différente de celle qui avait opposé la Couronne à la noblesse au XIIIe siècle: l'une comme l'autre avait pour objet de forcer la Couronne à exercer son pouvoir de façon responsable.

L'affaiblissement de la noblesse durant la longue période de discordes civiles qui a précédé l'avènement des Tudor a été suivi d'une réaffirmation vigoureuse du pouvoir de la Couronne, qui a atteint son apogée sous le règne de Charles I. Le principe de responsabilité que la noblesse avait imposé à la Couronne au Moyen Age a perdu du terrain en même temps que la puissance de la noblesse, et au XVIIe siècle, il a cédé la place au dogme du «droit divin du souverain» auquel souscrivaient les Stuart. Vers le milieu du XVIIe siècle, la nouvelle classe de marchands et l'aristocratie terrienne, l'une et l'autre appartenant au tiers état, limitaient les pouvoirs de la Couronne tout en constituant sa principale source de revenus. L'imposition de taxes à ce groupe sans son consentement et la perception de ces impôts en-dehors des formes légales ont occasionné la grande lutte entre la Couronne et le tiers état.3 Cette lutte, qui a vu la suprême punition de l'irresponsabilité personnelle dans l'exercice du pouvoir, à savoir l'exécution d'un roi, a établi la tradition de la responsabilité ministérielle devant la Chambre des communes.

Les origines de la responsabilité ministérielle

Vers la fin du XVIIe siècle, l'obligation pour la Couronne de consulter la Chambre des communes en matière fiscale a été consacrée dans la Constitution, notamment par le biais du Bill of Rights, de la loi dite The Mutiny Act et de The Act of Settlement4 Les conseillers du roi continuaient d'être nommés par la Couronne, mais ils étaient obligés de travailler en harmonie avec la Chambre des communes qui exerçait un contrôle sur le pouvoir financier et militaire de la Couronne. Afin d'exercer leurs fonctions et d'obtenir les fonds dont ils avaient besoin, les ministres du roi, qui occupaient les principales charges de l'État, devaient s'entendre avec la majorité des membres de la Chambre des communes. Les ministres, notamment ceux qui avaient des responsabilités financières, se sont ainsi rendu compte progressivement de l'importance de la Chambre des communes et de l'intérêt qu'il y avait à en faire partie.

Grâce au contrôle qu'elle exerçait sur les ressources financières (impôts) et les crédits (dépenses), la Chambre des communes a pu tenir les ministres responsables de leurs actes, ce qui revient à dire que les ministres, nommés par la Couronne, étaient tenus responsables des mesures qu'ils prenaient au nom de celle-ci. Cette responsabilité individuelle était assurée non seulement par le fait que les ministres pouvaient être appelés à rendre compte au Parlement, mais encore par la procédure de mise en accusation au moyen de laquelle on pouvait forcer la Couronne à révoquer un ministre qui ne jouissait plus de la confiance du Parlement.5 On n'attachait pas trop d'importance au concept de «gouvernement»: les ministres assumaient leur charge et s'en démettaient selon que le roi le jugeait à propos (quelquefois à la demande du Parlement).

La faculté qu'avait le roi de choisir les ministres était circonscrite par les forces politiques qui se faisaient sentir au Parlement et parmi les ministres eux-mêmes. La croissance des partis politiques, en favorisant des groupes particuliers de ministres, a davantage réduit l'exercice des prérogatives de la Couronne. Le roi Georges I, qui bénéficiait de la Dévolution hanovrienne et devait son trône au nouveau parti Whig, a été contraint de choisir ses ministres parmi ce groupe.6 Georges I était encore défavorisé par le fait qu'il parlait à peine anglais. Le pouvoir d'accorder des faveurs royales était de plus en plus exercé sur les conseils du principal Lord du Trésor, qui est devenu le premier des ministres du roi. En résumé, la Dévolution hanovrienne marque le début de l'ère où l'autorité du Premier ministre s'est substituée à l'autorité du roi dans le choix des ministres.

Lors de la Guerre de Sept ans, le premier Lord du Trésor portait déjà le nom de Premier ministre.7 Vers la fin du siècle, le Premier ministre avait assumé le droit de nommer, sinon de révoquer, les ministres et certains autres titulaires de charges publiques.8 C'est à ce moment que le Cabinet est devenu un mécanisme qui permettait de concilier les points de vues des ministres de façon qu'ils puissent se soutenir les uns les autres à la Chambre des communes. La tradition très importante de la responsabilité collective s'est ainsi ajoutée à la responsabilité individuelle des ministres, laquelle était au XVIIIe siècle une obligation légale les exposant à l'impeachement La responsabilité individuelle demeure le fondement juridique du système actuel. Les ministres ne sont plus passibles d'impeachement; ils risquent plutôt d'être tenus de démissionner afin de ne pas mettre en cause la responsabilité collective de leurs collègues, laquelle entraînerait à son tour la révocation de l'ensemble du Conseil des ministres.9

Les ressources financières et les crédits

L'imposition de la responsabilité constitutionnelle, d'abord à la Couronne, puis (en son nom) à ses conseillers, découle des efforts déployés d'abord par les Lords et ensuite par les Communes en vue de forcer la Couronne à ne lever les impôts qu'avec leur consentement.

Au cours du siècle qui a suivi l'établissement en 1295 du premier Parlement digne de ce nom, les sommes allouées à la Couronne étaient votées par les Communes sur l'avis et avec le consentement des Lords Il ne semble pas que cette pratique, tout comme la plupart des pratiques parlementaires, ait toujours été suivie, ayant d'abord été négligée au cours des discordes civiles du XVe siècle puis sacrifiée aux tendances autocratiques des premiers Tudor. Cependant, elle a été activement réaffirmée vers la fin du XVIe siècle et, sous le règne de Charles I, elle a provoqué la grande crise constitutionnelle du XVIIe siècle. Le Bill of Rights puis l' Act of Settlement ont établi que la Couronne doit agir conformément à la loi. Le Bill of Rights prévoit en particulier qu'«il est illégal de percevoir de l'argent pour le compte ou à l'usage de la Couronne...sans l'autorisation du Parlement...» [traduction]. Ce document a également institué les sessions annuelles du Parlement, ce qui a donné naissance à un système d'autorisation annuelle des fonds pour la Couronne.10

Jusqu'au XVIIIe siècle, le Parlement approuvait la levée d'un impôt spécifique dans un but précis. Le contrôle de la bourse (c'est-à-dire la permission de dépenser ou l'octroi de crédits) était une conséquence et non pas la cause du contrôle de l'imposition par le Parlement. Essentiellement, donc, le pouvoir parlementaire de contrôler les dépenses publiques est issu de la lutte pour combattre la levée arbitraire des impôts. Ces circonstances, associées au principe selon lequel la Couronne seule peut gouverner parce que le pouvoir émane d'elle, ont établi que la Couronne avait seule le pouvoir de proposer un impôt ou une dépense. Erskine May, qui fait autorité en la matière, nous donne cette analyse:

[traduction]

Le souverain, qui incarne le pouvoir exécutif, est chargé d'administrer tous les revenus de l'État ainsi que de tous les paiements au titre du service public. Ainsi, la Couronne, agissant sur les conseils de ses ministres responsables, informe les Communes des besoins pécuniaires du gouvernement; de leur côté, les Communes accordent les fonds ou crédits nécessaires pour satisfaire à ces besoins; elles fournissent, au moyen d'impôts et d'autres sources de revenu public, les ressources financières nécessaires aux dépenses qu'elles ont autorisées. Donc la Couronne demande de l'argent, les Communes l'accordent et les Lords consentent à cet octroi: mais les Communes ne votent pas les fonds tant que la Couronne n'en fait pas la demande; elles ne lèvent ni n'augmentent les impôts, à moins que la Couronne ne déclare, par l'entremise de ses conseillers constitutionnels, qu'une telle mesure est nécessaire pour le service public.11

Ce dernier principe figurait dans les règles de procédure des Communes au début du XVIIIe siècle.

À la suite du tournant constitutionnel du XVIIe siècle, les conseillers constitutionnels de la Couronne ont entretenu des rapports plus étroits avec le Parlement, à tel point que, vers le milieu du XVIIIe siècle, ils en sont devenus une partie intégrante. Le gouvernement ministériel, tel que nous le connaissons aujourd'hui, a commencé à prendre corps dans la Constitution au cours de cette période où le gouvernement grandissait, où les partis politiques s'institutionnalisaient et où la Couronne était plus disposée à accepter les «conseils», même si elle était quelquefois aussi politiquement active qu'avant.

Après l'adoption du Mutiny Act en 1689, toutes les dépenses militaires ont été assujetties à un vote annuel d'affectation des fonds. En théorie, le gouvernement civil était assuré par les fonds de la Civil List, votée au bénéfice de la Couronne au début de chaque règne et renouvelée tous les ans, sans l'intervention du Parlement, jusqu'à la mort du souverain. Dans la pratique cependant, les fréquents déficits obligeaient les ministres du roi à obtenir de nouveaux crédits des Communes.12 En effet, tout au long du XVIIIe siècle, le Parlement a annuellement approuvé les fonds nécessaires pour financer la plupart des dépenses publiques, bien qu'à vrai dire, il n'ait exercé ce pouvoir que pour la forme et se soit attendu, de façon générale, à ce que le Trésor lui garantisse que les dépenses étaient bien administrées et contrôlées.13 Au cours de la première moitié du XIXe siècle, le principe des affectations annuelles du Parlement a été étendu à toutes les dépenses civiles, après que la Civil List eut été progressivement réduite pour n'inclure que les dépenses personnelles du souverain. Le financement de l'administration civile a été ainsi soumis au vote annuel au même titre que les services militaires.

Conclusion

L'histoire constitutionnelle du gouvernement parlementaire et ministériel est celle de l'évolution des méthodes visant à garantir que ceux qui exercent le pouvoir sont constitutionnellement responsables. Tout d'abord, la Couronne, qui était la source du pouvoir au sein du système, a été tenue responsable par les grands hommes qui étaient les principaux responsables du royaume. Ensuite ce fut au tour des Communes de rechercher ce rôle, qu'elles se sont éventuellement assuré en tenant la Couronne responsable par le biais de ses ministres qui devaient rendre compte à la Chambre de leur exercice du pouvoir de la Couronne. C'est ainsi que le pouvoir personnel du roi a été assujetti au principe de responsabilité par la Magna Carta au XIIIe siècle et par le Bill of Rights au XVIIe siècle. Aux XVIIIe siècle, ce pouvoir a été délégué à des comités,14 et les ministres qui l'exerçaient étaient tenus individuellement responsables envers la Chambres des communes. Notre système de gouvernement parlementaire et ministériel est donc fondé sur la responsabilité constitutionnelle des ministres envers une assemblée élue, la Chambre des communes, le gouvernement monarchique ayant cédé la place, dans la Constitution fonctionnelle, au gouvernement ministériel.15


  1. Voir Halsbury's Laws of England 14e édition (London, 1974) volume viii, page 583.
  2. Voir l'étude de cette question difficile dans Constitutional and Administrative Law de S.A. de Smith, 2e édition, (Londres, 1973) page 114 sq. et The Law and Custom of the Constitution de Sir William Anson, 4e édition, (Oxford, 1935) volume ii, part. 1, page 17 à 72.
  3. Le plus célèbre de ces impôts était le Shipmoney (impôt de construction navale) levé dans chaque comté pour la construction des navires au service du roi. L'organisme chargé de faire respecter cet impôt était la Star Chamber, qui se dispensait de la procédure judiciaire normale et conférait ainsi au roi les attributs de la justice pénale.
  4. Ces textes de loi ont créé la «monarchie constitutionnelle». Le Bill of Rights (1689) spécifiait que le pouvoir législatif était représenté par la Couronne au Parlement, le Mutiny Act (1689) assujettissait l'existence de l'armée à l'approbation annuelle du Parlement, et la loi cite The Act of Settlement (1701) a privé le roi, entre autres, du pouvoir de contrôler la justice.
  5. Voir de Smith, Constitutional and Administrative Law page 169: [traduction] «Le Parlement avait l'habitude d'obliger les ministres à rendre compte au moyen d'une procédure semi-judiciaire. Le roi (exception faite de Charles I et de Jacques II) ne pouvait jamais avoir tort aux yeux de la loi. II était donc plus pratique de rendre ses conseillers comptables de leurs mauvais conseils en les inculpant de crimes et de délits. La Chambre des communes était l'accusateur, le rôle des juges étant assumé par les lords dans cette procédure qu'on appelait impeachement (mise en accusation). Les ministres n'étaient pas les seuls à risquer l'impeachement; les fonctionnaires et les juges pouvaient aussi être accusés de corruption et risquer l'impeachement; mais le verdict n'était pas connu d'avance. Au cours du XVIIIe siècle, le mécanisme encombrant de l'impeachement a été progressivement remplacé par les votes de blâme contre les ministres et les gouvernements; on se rendait compte que les procès politiques encombrants ne constituaient pas la meilleure méthode d'atteindre la responsabilité politique. Le dernier impeachement a eu lieu en 1805; la procédure n'a jamais été abolie, mais dans la pratique, on n'y a plus recours.» Cette procédure survit aux États-Unis.
  6. La Couronne a été dévolue à la maison de Hanovre aux termes de l' Act of Settlement de 1701. À la mort en 1714 de la reine Anne, les Tories hésitaient entre Georges et le prétendant des Stuart (le fils de Jacques II) alors que les Whigs prenaient carrément parti pour Georges, Électeur de Hanovre.
  7. Ce terme a d'abord été employé par dérision par les adversaires de Walpole, qui a longtemps été premier Lord du Trésor, soit de 1721 à 1742.
  8. On n'a vu que très rarement un Premier ministre exercer son droit d'exiger la démission de ses collègues. Le précédent a été établi en 1792 lorsque le Second Pitt a obtenu le renvoi du Grand Chancelier, en demandant au roi de choisir entre celui-ci et lui-même. Ce n'est que vers la fin du XIXe siècle que le précédent est devenu tradition. De nos jours, la nature «confédérale» des rapports entre les ministres d'une part, et entre les ministres et le Premier ministre d'autre part, est confirmée par le fait que celui-ci n'exerce guère son droit de renvoyer des ministres ainsi que par les conséquences malencontreuses qui font généralement suite à la révocation d'un groupe de ministres. Voir Robert, Lord Blake, The Office of Prime Minister (Oxford, 1975) page 30 à 39.
  9. Voir Anson, Law and Custom of the Constitution, volume ii, part. i, page 118.
  10. Voir Parliament de Sir Ivor Jennings, 2e édition, (Cambridge, 1969) page 283.
  11. Sir Erskine May, The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 18e édition revue et annotée par Sir Barnett Cocks, (London, 1971) page 676. (Ce livre fut publié la première fois en 1844. Depuis, Erskine May et ses successeurs l'ont tenu à jour). II y a lieu de noter que n'importe quel député peut proposer une réduction des dépenses.
  12. II est intéressant de noter qu'au XVIIIe siècle, la charge de l'administration civile ne représentait, pour la bourse publique, tout au plus qu'un dixième (et souvent moins) de la charge des services navels et militaires.
  13. On peut lire dans l'ouvrage The Treasury de Henry Roseveare (London, 1969) page 88 à l32, un excellent compte rendu des rapports entre le Trésor et les Communes au XVIIIe siècle et au XIXe siècle. À la page 91, Roseveare cite l'opinion, apparemment typique, d'un député sur la question de la responsabilité en 1775: [traduction] «Les ministres peuvent-ils s'occuper des affaires publiques si n'importe quel membre de cette Assemblée a le droit d'exiger un compte rendu? Ce serait impossible...; le service public ne peut être assuré si l'on demande de tels comptes rendus qui détruisent la confiance que vous avez dans ces ministres». L'auteur de cette déclaration voulait simplement souligner que dans le contexte de débats partisans, il est peu probable que les questions administratives puissent être discutées de façon objective.
  14. Voir l'explication de ce terme ci-après à la page 23.
  15. Selon Bagehot, il y a dans la Constitution deux classes d'institutions: [traduction] «...en premier lieu, celles qui impressionnent et suscitent le respect du peuple - les éléments prestigieux, si je puis me permettre cette expression ; et en second lieu, les éléments fonctionnels, c'est-à-dire les éléments grâce auxquels le gouvernement fonctionne et gouverne...Les éléments prestigieux du gouvernement sont ceux qui lui donnent sa force, qui constituent son moteur. Les éléments fonctionnels ne sont que l'exercice de ce pouvoir.» Walter Bagehot, The English Constitution, 2e édition (London, 1896) page 4 et 5. On pourrait ajouter que les éléments prestigieux sont essentiels à l'action de la loi constitutionnelle, alors que les éléments fonctionnels reflètent la pratique et la coutume dans l'application de la loi et de la tradition.

III Les origines de la responsabilité collective

Introduction

La procédure d'allocation des fonds est liée au remplacement progressif du gouvernement monarchique par le gouvernement ministériel dans l'élément fonctionnel de la Constitution. Bien que le contrôle de l'allocation des fonds par le Parlement soit essentiel à l'exercice responsable du pouvoir par les ministres et se trouve à la base de la responsabilité individuelle des ministres, son évolution a été largement influencée par la tradition de la responsabilité collective et par les moyens mis en oeuvre pour assurer la cohésion du Conseil des ministres.

Le contrôle du Trésor

Le principe qui voulait que la Couronne seule puisse demander aux Communes de lever les impôts et d'autoriser les dépenses destinées aux services civil, militaire et naval a non seulement protégé le contribuable contre la générosité de la Chambre des communes, mais a aussi renforcé la position des Lords du Trésor parmi les ministres du roi. À mesure que les dépenses publiques augmentaient, il devenait de plus en plus important de pouvoir les défendre devant la Chambre des communes. Cette nécessité a été reconnue au début du XVIIIe siècle et la charge de Lord Trésorier a été confiée à un comité afin que plusieurs ministres compétents puissent être présents à la Chambre pour défendre les prévisions budgétaires.1 Les nouveaux lords du Trésor défendaient les dépenses gouvernementales et, réunis en Conseil du Trésor, obligeaient leurs collègues à justifier les projets de dépense dont les Communes auraient à voter l'autorisation. Cette fonction du Trésor, qui consistait à réunir les demandes de fonds émanant des ministres en une seule demande d'autorisation, était essentielle si la Couronne voulait préserver le pouvoir exclusif de demander des crédits à la Chambre des communes. Les autres ministres ne prisaient guère la «pénible suprématie» du Trésor, mais les Lords du Trésor ont pris au sérieux leur responsabilité consistant à contrôler les dépenses publiques, comme les Communes s'y attendaient.2

La réconciliation des prévisions budgétaires a été et demeure un élément essentiel dans l'établissement et le maintien de la solidarité des ministres, et elle garantit que ces derniers conservent la confiance de la Chambre des communes. Cette fonction est à la base de la responsabilité des ministres envers le Parlement. Par ailleurs, parce que les finances influent directement sur l'administration, la réconciliation des prévisions budgétaires garantit que la fonction publique sera administrée selon des normes et modalités dont le respect est essentiel à la cohésion du Conseil des ministres et dont les ministres et leurs collaborateurs doivent rendre compte pour assurer la responsabilité du système.

Le Premier ministre et le Cabinet

En 1721, dix ans après que les fonctions de Trésorier eurent été déléguées à un comité et que le premier Lord Trésorier eut assumé la prérogative de la Couronne touchant la nomination de ses collègues du Trésor,3 Robert Walpole a reçu les sceaux de chancelier de l'Échiquier, et petit à petit, il a assumé le rôle de Premier ministre du roi. Par suite du développement du système des partis politiques et du passage progressif de la Couronne au second plan de la scène politique, Walpole a été le premier à devenir un vrai Premier ministre selon la tradition constitutionnelle. En tant que président du Conseil du Trésor et chancelier de l'Échiquier, Walpole exerçait une grande influence, sur le plan financier, sur ses collègues et il disposait de «faveurs étendues» dont il faisait usage pour renforcer sa position et pour s'assurer la loyauté du nombre croissant des titulaires de charges publiques.4 À la fin du XVIIIe siècle, même Fox, avec le recul, a fait ces remarques sur les moeurs à l'époque où il participait à la vie politique et plus particulièrement à l'opposition: [traduction] «Le gouvernement d'un grand royaume ne pourrait fonctionner s'il n'avait des postes prestigieux et lucratifs à distribuer à ses membres».5 Et en 1850, Peel, le premier à assumer les fonctions de Premier ministre dans un contexte constitutionnel plus ou moins semblable au nôtre, constatait tout simplement que «le Premier ministre dispense les faveurs de la Couronne.»6 En résumé, étant donné le contexte politique de l'époque, le contrôle du Trésor ainsi que le favoritisme qui s'y rattachait ont donné naissance au poste de premier ministre (et aux partis politiques).

Au cours de la même période, une nouvelle institution qui prit le nom de Cabinet a remplacé le conseil du roi à titre de principale tribune délibérante du gouvernement.7 C'est ainsi qu'a pris racine la notion de Conseil des ministres composé uniquement de titulaires des grandes charges de l'État ainsi que d'autres titulaires de portefeuilles ministériels. À mesure que s'affirmait le pouvoir du premier ministre de nommer ses collègues, le Conseil des ministres a pris progressivement l'habitude de se réunir au 10, Downing Street, sous la présidence du Premier ministre.8

En effet, la force motrice de la Constitution est passée de la Couronne à ses conseillers. La Couronne en est venue à s'identifier davantage avec l'élément prestigieux qu'avec l'élément fonctionnel de la Constitution. Le premier ministre cherchait à coordonner les politiques de ses collègues et à s'assurer de leur solidarité devant le Parlement. Cette solidarité a été souvent rompue au cours du XVIIIe siècle. En effet, il a fallu attendre jusqu'au Reform Act de 1832 qui a élargi les droits civils, cristallisé le système des partis et consacré le retrait de la Couronne de la scène politique à la suite de la mort du Prince consort en 1861, pour que la responsabilité collective fût fermement établie dans la convention constitutionnelle.9 Néanmoins, on ne saurait nier que ses origines remontent au XVIIIe siècle, et que sa longue période de gestation allait de pair avec l'affirmation du rôle du premier ministre en tant qu'architecte de l'unité au sein du Conseil des ministres. Vers la fin du XVIIIe siècle, le Cabinet était uniquement composé de ceux qui avaient la charge des ministères du gouvernement (à part quelques collègues âgés détenant des sinécures), et depuis l'adoption du Reform Act en 1832, le rejet d'une initiative majeure par n'importe lequel de ses membres devant la Chambre des communes constitue aux yeux du Cabinet un vote de censure, qui force tous les ministres à démissionner.10

Conclusion

La responsabilité collective est le ciment de notre système de gouvernement. Les trois éléments essentiels en sont le contrôle du Trésor, la tradition qui en découle selon laquelle le gouvernement seul, agissant à titre d'entité unique, a le droit de demander aux Communes d'approuver les ressources financières et de voter les fonds, et enfin, le pouvoir de facto qu'a le premier ministre de nommer les ministres et autres titulaires de hautes charges, pouvoir qui émane de son rôle historique en tant qu'arbitre du contrôle du Trésor et de dispensateur des faveurs de la Couronne. Ces éléments ont donné naissance au Cabinet, qui réunit les responsabilités individuelles des ministres de façon que chacun d'eux les exerce d'une manière acceptable à tous les autres ministres. II est évident que, même si la responsabilité collective est de nature conventionnelle, et non pas légale comme la responsabilité individuelle, il n'en est pas moins vrai qu'elle a été forgée par des mesures qui peuvent accroître l'efficacité de l'exercice de la responsabilité individuelle et qui doivent influencer la responsabilité au sein du système.


  1. La lutte constitutionnelle, qui opposait la Couronne et les Communes au XVIIe et au XVIIIe siècles, a engendré la pratique qui consistait à confier à des comités les charges importantes dont les titulaires auraient pu devenir trop puissants ou trop susceptibles d'être influencés par la Couronne ou par les Communes. C'est ainsi que la charge de Lord Grand Trésorier a été sporadiquement confiée à un comité au cours du XVIIe siècle, pratique qui est devenue permanente après 1714. Le comité était composé de lords commissaires du Trésor, qui assumaient collectivement les fonctions de grand Trésorier. De même, la charge de Lord Grand Amiral a été déléguée en 1708 à un comité, le Conseil de l'Amirauté.
  2. Roseveare, The Treasury page 129. Le Conseil du Trésor était sujet aux directives du président du conseil (First Lord) qui, s'il était roturier, renforçait son contrôle en agissant aussi à titre de chancelier de l'Échiquier. Cette pratique a eu cours jusqu'au milieu du XIXe siècle, époque à laquelle le personnel du Conseil a assumé les fonctions du président du conseil sous la direction d'un chancelier de l'Échiquier autre que le Premier ministre. La disparition du Conseil du Trésor était la conséquence directe de deux événements: en premier lieu, une fonction publique moderne a fait son apparition; en second lieu, bien que le président du conseil soit devenu Premier ministre grâce au contrôle du Trésor et aux faveurs dont celui-ci était assorti), le poste de Premier ministre était suffisamment bien établi vers 1850 pour que son titulaire n'ait plus besoin de contrôler personnellement l'exercice de ces pouvoirs.
  3. Il s'agit là d'un tournant décisif car, par la suite, cette pratique a ouvert la voie à la pratique qui voulait que le Premier ministre recommande la nomination de tous ses collègues ministres. Voir Anson, Law and Custom of the Constitution vol. ii, part. i, p.190.
  4. Anson, Law and Custom of the Constitution vol. ii, part. i, page 191. En effet, l'usage que faisait Walpole des faveurs royales pour influencer les élections a suscité de nouveaux efforts visant à exclure les titulaires de charges publiques (autres que les ministres) de la Chambre des communes. Voir Alpheus Todd, Parliamentary Government in England (Londres, 1892), vol. i, page 242 à 248, qui traite des efforts visant à exclure de la Chambre des communes les titulaires de charges publiques ou fonctionnaires.
  5. Voir Parris, Constitutional Bureaucracy, page 29. Charles James Fox était l'opposant parlementaire du Second Pitt.
  6. Voir Jennings, Cabinet Government, page 140.
  7. Le conseil du roi était composé des membres privilégiés du Conseil privé, les conseillers du Cabinet. Ce groupe comprenait d'ordinaire d'anciens titulaires de charges ministérielles qu'en principe le roi voulait continuer à consulter, ainsi que les membres du Cabinet. Ce conseil a été complètement remplacé par le Cabinet vers la fin du XVIIIe siècle, ce qui coïncidait avec le déclin de la participation du roi à l'activité politique.
  8. L'usage moderne, dont les origines remontent aux XVIIIe siècle, distingue entre le Conseil des ministres et le Cabinet. Le Conseil des ministres est un terme qui s'applique aux ministres détenant un portefeuille à titre amovible. Ils sont individuellement responsables envers la Couronne selon la loi, et envers la Chambre des communes selon la tradition. Le Cabinet est un endroit que le Premier ministre mettait à la disposition de ses collègues en vue de mettre en place officieusement la responsabilité collective du Conseil des ministres, tel que le prescrit la tradition constitutionnelle. En un mot, le Cabinet appartient au premier ministre; il est l'expression matérielle de la responsabilité collective. Le Conseil des ministres, d'autre part, désigne l'autorité individuelle de ses membres.
  9. Voir A.J.P. Taylor, «Queen Victoria and the Constitution» dans Essays in English History (Londres, 1976), page 65 et 66.
  10. La première démission collective du Conseil des ministres eut lieu en 1782, lorsque tous les ministres (à l'exception du Grand Chancelier) démissionnèrent avec Lord North. Blake, The Office of Prime Minister, page 5.

IV L'adaptation et la pratique au Canada

La structure constitutionnelle

L' Acte de l'Amérique du Nord britannique, adopté en 1867 par le Parlement de Westminster, est le document constitutionnel de base du Canada. Cet Acte créa le Parlement du Canada, le pouvoir exécutif étant assumé par le gouverneur général exerçant les pouvoirs de la Couronne sur les avis du Conseil privé. Bien que l'Acte ne comporte pratiquement aucune autre disposition sur le pouvoir exécutif, il a implicitement repris les conventions, bien établies à l'époque, du droit constitutionnel britannique, conventions selon lesquelles la Couronne était tenue d'agir «sur avis».

Ainsi qu'il ressort du préambule, l'Acte suppose qu'à titre de document constitutionnel, il doit être compris à la lumière des précédents et du common law dont il émanait. 1 En conséquence, l' Acte de l'Amérique du Nord britannique ne définissait ni la responsabilité des ministres envers le Parlement, ni la charge de Premier ministre ni les pouvoirs qui s'attachent à cette charge. L'Acte a cependant défini la composition du Parlement, prévoyant que, dans l'exercice du pouvoir exécutif, la Couronne est responsable envers le Sénat et la Chambre des communes, dont elle doit obtenir l'approbation. En effet, non seulement la tradition exige que les ministres rendent compte à la Chambre des communes des conseils qu'ils donnent à la Couronne, mais on peut dire encore que l'Acte a prévu de façon tacite la responsabilité des ministres envers le Parlement. À cet égard, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique incarne la plupart des traditions les plus importantes en matière de responsabilités individuelles des ministres.2

L'Acte a consacré sur le plan juridique le pouvoir de la Chambre des communes sur les impôts et les dépenses, ainsi que le principe selon lequel les propositions de dépenses ne pouvaient émaner que de la Couronne.3 Ces principes essentiels de la procédure d'autorisation des dépenses ont indirectement introduit dans le droit un nouvel élément, à savoir la responsabilité collective des ministres. Dès le milieu du XIXe siècle, cette notion a pris racine en droit constitutionnel; elle se manifeste par la convention qui veut que les propositions de dépenses émanent du gouvernement tout entier et par l'intermédiaire du rôle unificateur spécial qui était la raison d'être du poste de Premier ministre et de l'institution du Cabinet. Chacune de ces conventions devait influer sur le développement de la responsabilité constitutionnelle.

Bien que la Constitution du Canada procède de l' Acte de l'Amérique du Nord britannique, des traditions du Parlement de Westminster et du common law anglais, le Canada possédait déjà des pratiques constitutionnelles à l'époque coloniale. Vers le milieu du XIXe siècle, les possessions coloniales de Grande-Bretagne se sont dotées de gouvernements autonomes locaux, à la suite de l'effritement de l'ancien système colonial non représentatif. Sont apparues alors des répliques en miniature du gouvernement de la reine, c'est-à-dire des gouvernements composés d'un gouverneur, d'un conseil exécutif et d'une assemblée législative, dans les principales provinces d'Amérique du Nord britannique, dans les États australiens et en Nouvelle-Zélande.

Éventuellement, tous ces aménagements sont revenus à leur source dans l'histoire constitutionnelle d'Angleterre, leur objectif sous-jacent étant de promouvoir la responsabilité constitutionnelle qui s'attache à l'exercice du pouvoir. Plus particulièrement et non sans mal, le principe de la responsabilité ministérielle est devenu la pièce maîtresse de ces aménagements coloniaux, les membres du conseil exécutif étant individuellement responsables envers l'assemblée législative et le gouverneur étant obligé de n'agir que «sur avis».

Une colonie n'était quand même pas un État indépendant. Le gouverneur, bien qu'il fût le représentant de la Couronne constitutionnelle, devait rendre compte aux conseillers de la Couronne à Whitehall. Lorsqu'une question dépassait le cadre du gouvernement local ou lorsqu'il y avait un doute quant à la compétence d'une administration coloniale pour prendre une mesure quelconque, il arrivait que le gouverneur doive se conformer aux directives du ministre des colonies à Whitehall plutôt qu'aux recommandations de son conseil exécutif. Cependant, toute intervention directe de Whitehall [traduction] «irait à l'encontre de principes établis de responsabilité à l'intérieur de la colonie pour ce qui était des affaires locales».4 Bien que le principe de la responsabilité constitutionnelle n'ait été établi qu'après quelques luttes entre les gouverneurs coloniaux et Whitehall, ce principe, une fois implanté, a eu des conséquences particulières pour le rôle des assemblées législatives coloniales, et par la suite, pour les Parlements qui étaient établis au moment où les anciennes colonies accédèrent à l'indépendance en passant par le statut de dominion.

Le conflit éventuel entre les directives que le gouverneur recevait de Whitehall et les recommandations de son conseil exécutif (tout comme la menace que représente un tel conflit pour l'exercice responsable du pouvoir dans la colonie) a pu être évité, dans une large mesure, parce que les conseils exécutifs étaient tenus d'exercer le pouvoir de la Couronne au moyen de l'assemblée législative plutôt qu'en vertu des prérogatives et aussi grâce à la pratique connexe du désaveu des lois coloniales. La responsabilité des ministres envers l'assemblée législative n'était diminuée en rien par le fait qu'une proposition émanant d'un ministre et approuvée par l'assemblée législative pouvait être par la suite désavouée par la Couronne impériale. Ainsi que l'a noté Alpheus Todd:

[traduction]

La Couronne exerce d'ordinaire sa suprématie sur les colonies qui possèdent des institutions représentatives et qui ont été, de surcroît, investies des prérogatives de gouvernement autonome par l'inclusion dans leur système politique du principe de «gouvernement responsable», par la nomination d'un gouverneur, par le contrôle que ce dernier exerce à titre d'agent impérial, et par la sanction ou le désaveu, dans certain cas, des lois adoptées par l'assemblée législative locale.5

Cette méthode, qui visait à garantir la responsabilité constitutionnelle des ministres coloniaux envers l'assemblée législative coloniale, a accordé à cette dernière, dans les questions administratives et autres, un rôle bien plus important que celui du Parlement de Westminster, où de telles mesures étaient généralement prises en vertu des prérogatives royales, sans que le Parlement fût mis en cause.

Le modèle établi au cours de l'époque coloniale a été retenu après l'accession du Canada au statut de dominion, et bien qu'à toutes fins utiles, le désaveu par Whitehall des propositions législatives du Parlement canadien fût resté lettre morte après 1867, on a maintenu la tradition qui consiste à faire appel au Parlement relativement à une grande variété de questions administratives, dont l'organisation du cadre de l'administration publique et les normes d'après lesquelles celui-ci est administré.

La structure du gouvernement

Le patrimoine colonial du Canada explique que, dès le début, le gouvernement du dominion ait cherché à se fonder sur le pouvoir légal plutôt que sur les prérogatives pour instaurer les nouvelles structures et pour régler les questions administratives importantes. En conformité avec les pratiques décrites ci-dessus, les provinces d'Amérique du Nord britannique ont cherché un fondement législatif pour leurs grandes unités administratives, et celles-ci (particulièrement celles qui relèvent de la province du Canada) ont été mises sur pied, perfectionnées et élargies par le nouveau Parlement fédéral.6

Le Parlement a établi une base législative pour chaque ministère du gouvernement et il autorise le paiement aux ministres de leurs traitements. Chaque ministre est individuellement responsable de son ministère. Le système est bâti sur ce principe de responsabilité individuelle et il se réduit à une vingtaine de ministères dont les titulaires sont responsables de la plus grande partie des dépenses gouvernementales. Ce sont ces ministres qui, de par leurs activités au Parlement et leurs activités au titre de l'administration publique, fournissent le fondement essentiel du gouvernement ministériel; et c'est à ces derniers que le Parlement a cherché à attribuer laresponsabilité de l'exercice du pouvoir à travers les dépenses de deniers publics.7

Les rapports qui existent entre les ministres revêtent un caractère confédéral. Chacun d'eux représente des intérêts particuliers, propres à son ministère, à sa région, à sa circonscription, à son affiliation politique, etc. Dans l'élément prestigieux de la Constitution, les ministres sont admis au Conseil privé pour conseiller le gouverneur général dans l'exercice du devoir de la Couronne, c'est-à-dire dans l'exercice du pouvoir exécutif.8 Dans l'élément fonctionnel de la Constitution, les ministres sont nommés par le Premier ministre et ils exercent leurs fonctions de concert avec les fonctions de leurs collègues, au moyen du Cabinet du Premier ministre. La confédération de ministres indépendants fonctionne grâce à la convention de responsabilité collective. La convention se reflète dans les activités de chaque ministre; et les ministres qui dirigent des ministères ayant un budget de dépenses sont assistés de collègues, qui assument essentiellement les fonctions de coordonnateurs. I1 va de soi qu'étant donné les origines de la responsabilité collective au sein du système, les principaux coordonnateurs sont les ministres qui disposent de pouvoirs spéciaux en matière de finances et, dans le cas du Premier ministre, en matière de nomination aux hautes fonctions.9

Le système reflète fidèlement l'évolution de la responsabilité constitutionnelle, évolution qui remonte à la Magna Carta et au-delà. Les activités des ministres, individuellement responsables de la dépense des impôts, sont coordonnées par des collègues dont les fonctions consistent à assurer le maintien de la solidarité en cultivant la responsabilité collective parmi les ministres.

Les actions de chaque ministre traduisent la responsabilité individuelle et la responsabilité collective au sein du système qui a été édifié de façon à assurer que les ministres et leurs subordonnés exercent, dans l'administration publique, le pouvoir d'une manière acceptable à la majorité de la chambre élue du Parlement. Les ministres sont tenus responsables de l'exercice du pouvoir par leurs collègues à l'interne et publiquement chaque jour à la Chambre des Communes.10 La responsabilité du ministre devant le Parlement est la clé de notre système constitutionnel, en même temps qu'elle représente la nature des précédents historiques qui requièrent que le titulaire d'une charge publique rende compte personnellement à la Chambre des communes de son exercice du pouvoir. De même, la responsabilité collective des ministres est mise à l'épreuve chaque jour à la Chambre des communes, et cet impératif traditionnel d'unité impose une discipline accrue aux ministres en les obligeant à rendre compte les uns aux autres de l'exercice de leurs pouvoirs individuels.

À travers le système de gouvernement, la responsabilité individuelle s'accroît avec les impératifs de la responsabilité collective. Chaque niveau de l'appareil bureaucratique reflète le caractère confédéral du système, qui s'affirme à travers la hiérarchie bureaucratique jusqu'au niveau des ministres. I1 s'agit d'un processus qui tend constamment à résoudre le conflit d'intérêts tenant aux pouvoirs indépendants qui découlent des pouvoirs individuels de chaque ministre.

En théorie, les ministres sont des membres indépendants du système confédéral qu'ils constituent eux-mêmes. Dans la pratique, leur indépendance est limitée par la nécessité d'arriver à un compromis avec leurs collègues. Le système est donc fondé sur la direction collective, dont les éléments constituants cherchent constamment à établir et à maintenir un état d'équilibre. Les ministres sont assistés à travers le système par une fonction publique qui, elle aussi, doit chercher constamment à atteindre un équilibre entre les intérêts et les pouvoirs de la confédération qu'elle sert. La solution des conflits constitue un sujet de préoccupation, constant et nécessaire, pour les ministres: elle est essentielle pour garantir que ces ministres exercent avec responsabilité le pouvoir de l'État. Des points de vues ou des initiatives extrêmes, qui ne tiennent pas compte de la responsabilité des autres dans le système, en menacent l'équilibre essentiel.

Conclusion

Notre système de gouvernement n'est pas caractérisé par une séparation étanche entre le législatif et l'exécutif. L'exécutif est composé de députés: il n'est donc pas coupé du Parlement. En vue d'un gouvernement efficace, les ministres s'efforceront d'adopter des vues fondées sur des responsabilités et des intérêts divergents, et dans une large mesure, le Parlement se fonde sur la responsabilité collective des ministres pour s'assurer que chacun d'eux s'acquitte de ses responsabilités de façon équitable et efficace. En effet, le gouvernement collectif qu'assurent les ministres est fondé sur la tension inhérente à la recherche d'un équilibre entre les fonctions et les intérêts divergents au sein de la confédération des ministres, et sans cette tension, le Parlement ne pourrait faire confiance au gouvernement. Ainsi qu'il a été noté plus haut, le Parlement s'est toujours fié en partie aux ministres pour assurer un gouvernement responsable. II s'attend à ce que les ministres soient comptables de la manière dont ils s'acquittent de leurs obligations, mais le Parlement ne cherche pas à diriger les affaires quotidiennes du gouvernement. Cette confiance en la discipline interne n'a été possible que grâce à la responsabilité collective, et à mesure que la tâche du gouvernement devient plus complexe, l'interdépendance des ministres s'accroît, ce qui augmente les moyens de contrôle sur l'exercice du pouvoir dont chacun d'eux est investi.


  1. Le préambule énonce notamment: «Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) sous la Couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni... Considérant de plus qu'il est opportun, concurremment avec l'établissement de l'union par autorité du Parlement, non seulement de décréter la constitution du pouvoir législatif de la Puissance, mais aussi de définir la nature de son gouvernement exécutif...»l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3, 29 mars 1867.
  2. Le South Africa Act de 1909 poussait la formulation constitutionnelle plus loin que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et comportait des dispositions plus spécifiques sur l'organisation du gouvernement. En particulier, l'article 14 mentionne les ministères dirigés par les ministres, lesquels sont membres du Conseil exécutif.
  3. Cette disposition figure également dans l'Acte d'Union de 1840, qui créait la province du Canada
  4. Alpheus Todd, Parliamentary Government in the British Colonies, 2e édition, (Londres: Longmans, Green, 1894) page 200. En Amérique du Nord britannique, ou plus précisément dans les provinces du Canada et en Nouvelle-Écosse, le principe de la responsabilité ministérielle a été établi durant les années 1840, au cours de la décennie qui a suivi le rapport Durham.
  5. Todd. Parliamentary Government in the British Colonies, page 107 et 108.
  6. Voir J.E. Hodgetts, The Canadian Public Service (Toronto, 1973), page 55 à 58, qui traite d'un aspect différent de l'influence de notre expérience coloniale sur le développement de l'administration publique après la confédération. II y a lieu également de noter qu'en 1867, le gouvernement du dominion a pris en charge, telles quelles, les institutions de l'ancienne province de Canada, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ayant prévu d'autre part le rétablissement des anciennes provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada, dans les articles relatifs à l'Ontario et au Québec.
  7. Nous avons noté à la page 4 que la responsabilité collective est fondée sur les conventions et non sur la loi comme la responsabilité individuelle. La responsabilité collective légale est en fait largement incarnée dans le droit constitutionnel. Au sein du système, les décisions sont prises soit individuellement par les ministres, soit par la Couronne sur le conseil collectif des ministres. Dans chaque cas, l'autorisation d'agir réside soit dans les pouvoirs conférés par la Couronne au Parlement, soit dans les prérogatives. Les ministres ont toujours été tenus individuellement responsables de leurs ministères respectifs mais, jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale, les ministres étaient habituellement tenus d'obtenir l'approbation du gouverneur en conseil pour des décisions spécifiques. Cet état de choses tenait à des raisons d'ordre politique et au fait que les Premiers ministres successifs doutaient de l'aptitude de leurs collègues à exercer le pouvoir avec prudence. Dans une certaine mesure, une telle exigence a eu pour effet d'introduire, dans le droit constitutionnel, la fonction politique conventionnelle du Cabinet qui visait à promouvoir la responsabilité collective. L'effet en était cependant limité parce que les décisions formelles qui devaient être prises collectivement étaient pour la plupart de nature administrative et portaient sur des matières telles que contrats, nominations ou autres questions de même genre. Ainsi que l'a noté le professeur Mallory, l'importance d'un tel examen formel des décisions administratives a perdu de son importance à mesure que le favoritisme est devenu un trait moins dominant du gouvernement; voir The Structure of Canadian Government (Toronto, 1971) page 104. De nos jours, la responsabilité légale qui incombe collectivement aux ministres par l'intermédiaire du gouverneur en conseil est réservée aux affaires de grande importance, pour lesquelles le gouvernement tient à mettre officiellement en lumière une mesure ou un conseil qui a été sanctionné par tous les ministres. Outre qu'un décret ou une décision du Conseil revêt un caractère public, une telle méthode constitue la preuve légale qu'une mesure a été prise par le gouvernement, au contraire du cas plus usité où un ministre agit en vertu de son pouvoir individuel après avoir, le cas échéant, obtenu l'approbation officieuse du Cabinet. Dans un tel cas, la mesure prise est celle du ministre, le Cabinet ayant rempli sa fonction politique qui consiste à garantir que le ministre sera soutenu par ses collègues. Un acte du gouverneur en conseil est une mesure formellement prise par le gouvernement; il peut être légalement prouvé devant tout tribunal au moyen d'un décret. Une mesure prise par un ministre peut être également formelle, et à ce titre, elle peut également être établie par une preuve légale, mais l'approbation du Cabinet n'indique pas un partage officiel de la responsabilité personnelle du ministre. De plus, parce que les délibérations du Cabinet sont confidentielles, il ne faudrait pas se servir d'une de ses décisions pour établir qu'une mesure prise par le ministre est en fait un acte du gouvernement.
  8. Ce fait constitue l'un des fondements juridiques de la responsabilité des ministres, l'autre étant représenté par les lois adoptées par le Parlement créant leur ministère. Voir le renvoi 3 de la page 4 ci-dessus.
  9. Les autres secteurs qui bénéficient d'un ministre coordonnateur sont les affaires extérieures, les affaires urbaines, les services communs, la science et la technologie.
  10. Un récent Premier ministre d'Angleterre a décrit la trépidation avec laquelle les ministres se préparent pour la période des questions, qu'il appelle "le tribunal supérieur de la nation". Au contraire de la pratique en cours à Westminster, les ministres canadiens ne reçoivent pas de question écrite: ils doivent répondre chaque jour aux questions orales à la Chambre des communes. Voir Sir Harold Wilson, The Governance of Britain (Londres, 1976), page 133 et sq.

V La réalisation du consensus

Introduction

De par le caractère confédéral du système, le règlement des différends requiert la participation de tous les niveaux du système tout entier. Ainsi qu'il a été noté plus haut, un tel processus bénéficie du concours des ministres investis de fonctions spéciales de coordination financière et politique, qui sont eux-mêmes assistés de fonctionnaires constituant les organismes centraux.1 En outre, les domaines de politique spécialisée et la prestation de services communs qui répondent aux besoins collectifs des ministres relèvent de ministres distincts qui sont également assistés de corps de fonctionnaires.2 Les fonctionnaires de ces ministères et organismes jouent un rôle important car ils aident les autres ministères à coordonner les initiatives qui procèdent des fonctions d'exécution des programmes (c'est-à-dire des fonctions qui comportent des dépenses) de leurs titulaires respectifs. Les organismes centraux jouent notamment un rôle essentiel dans un réseau de comités interministériels qui travaillent à coordonner les fonctions divergentes des ministres partageant certaines initiatives complexes.

Le Cabinet et son Secrétariat

Le Cabinet est le principal lieu où le consensus est réalisé entre les ministres. Il s'agit du Cabinet exclusif du Premier ministre; il le met à la disposition de ses collègues à titre de lieu d'assemblée, au sein duquel il peut les amener à se mettre d'accord sur certaines questions que chacun d'eux sera disposé à défendre en public.3 Le Cabinet est le pivot du gouvernement ministériel des temps modernes. I1 s'agit essentiellement d'un mécanisme politique, et à ce titre, il doit demeurer un organisme officieux bien que ses «décisions» soient exécutoires. D'une façon générale, ces «décisions» achèvent le processus de réalisation du consensus , au moyen duquel le Cabinet accueille les propositions de ministres qui veulent exercer leurs responsabilités individuelles d'une manière donnée. Les ministres ne demandent pas au Cabinet d'approuver toute initiative relevant de leurs responsabilités individuelles, mais seulement les initiatives qui revêtent une importance sur le plan politique, c'est-à-dire celles qui sont susceptibles d'engager la responsabilité collective des ministres et requièrent leur appui. Le Cabinet a toujours assumé, et il assume encore, un rôle essentiellement politique de la nature décrite plus tôt. Cependant, à une époque assez récente, il a également assumé, dans la coordination des initiatives, un rôle central qui requiert l'action administrative de deux ou de plusieurs ministères. On constate qu'au cours des deux dernières décennies, ces deux rôles de coordination politique et administrative se sont entremêlés par suite de la complexité croissante des fonctions du Cabinet et de la multiplication des services de soutien qui sont assurés par son secrétariat.4

Le Cabinet est servi par son Secrétariat, qui fait partie du Bureau du Conseil privé et rend compte au Premier ministre.5 Sur l'ordre du Premier ministre, le Bureau du Conseil privé constitue le Secrétariat du Cabinet et c'est au nom du Premier ministre qu'il organise le système des comités et les services de soutien du Cabinet.6 Le secrétariat du Cabinet et les autres fonctionnaires du Bureau du Conseil privé, qui rendent compte au Premier ministre, sont chargés de l'assister dans l'établissement de l'équilibre essentiel au système. Le secrétaire du Cabinet et ses subordonnés coordonnent les initiatives des ministères en s'assurant, par des démarches officieuses tout aussi bien que par le truchement d'un système étendu de comités interministériels, que les ministères se consultent entre eux, que les divergences sont résolues dans la mesure du possible et que les problèmes non réglés sont nettement déterminés en vue d'être discutés par les ministres.

Le Bureau du Conseil privé aide également le Premier ministre à recourir à tout autre moyen qu'il peut utiliser pour assurer la direction du système et promouvoir le consensus au sein de celui-ci. Parmi les moyens utilisés, citons la consultation de ses collègues sur la portée générale du programme gouvernemental, la nomination des sous-ministres et d'autres hauts fonctionnaires, l'organisation générale de l'appareil gouvernemental et des rapports entre ses principaux éléments, ce qui comprend l'arbitrage en cas de conflit de compétence entre les ministres.

Le Bureau du Conseil privé est appelé à faciliter et à soutenir tous ces travaux, plutôt qu'à créer et à diriger. Il doit respecter la nature confédérale du système dans lequel le pouvoir provient des ministres. Son rôle consiste à coordonner l'exercice du pouvoir et à assister le Premier ministre qui doit diriger ses collègues et établir l'orientation générale du gouvernement. I1 s'agit là d'un rôle important. Mais ce bureau, ainsi que son maître, a surtout pour objet de promouvoir le consensus en cultivant un équilibre entre les ministres, et cette raison d'être demeure valable tant que le secrétariat et les ministères ne perdront de vue les différences essentielles entre leurs rôles respectifs, le secrétariat coordonnant les initiatives prises par les ministères.

Le Conseil du Trésor et son Secrétariat

Le Conseil du Trésor, qui est un comité du Cabinet, constitue le deuxième mécanisme essentiel à l'exercice des responsabilités collectives des ministres.7 Pour les raisons d'ordre historique dont il a été question plus haut, les questions financières jouaient un rôle essentiel dans la création de la charge de Premier ministre. Le Conseil du Trésor exerce, au nom du Premier ministre, ses fonctions unificatrices de contrôle des finances.

Réduit à sa plus simple expression, le Conseil du Trésor est un mécanisme que les ministres se sont imposés en vue de la préparation et de la réconciliation des prévisions budgétaires. Créé au moment de la confédération sur recommandation du Premier ministre, il a reçu sa consécration légale deux ans plus tard.8 Avant l'entrée en vigueur en 1951 de la Loi sur l'administration financière, toutes les activités du Conseil du Trésor étaient subordonnées à l'approbation officielle du gouverneur en conseil, et le Cabinet continue à insister sur son droit d'approuver les prévisions budgétaires établies par le Conseil du Trésor conformément aux paramètres édictés par le Cabinet, et à entendre les appels interjetés par les ministres de certaines décisions du Conseil du Trésor. 9

À l'origine, le Conseil du Trésor était présidé par le ministre des Finances et comprenait, «pour le moment», le ministre des Douanes, le ministre du Revenu de l'intérieur et le Receveur général.10 Le Conseil du Trésor bénéficiait du soutien du ministère des Finances, ce qui mettait le ministre des Finances dans une position semblable à celle du chancelier de l'Échiquier, son homologue britannique. Il s'ensuit que le ministre des Finances était tenu de collaborer étroitement avec le Premier ministre pour remplir l'obligation fondamentale qui incombe aux membres du Conseil de réconcilier les demandes de fonds présentées par leurs collègues du Cabinet.11

Jusqu'en 1947, le sous-ministre des Finances était en même temps secrétaire du Conseil du Trésor, et il lui appartenait principalement de veiller à la préparation du budget des dépenses consolidé. À cet égard, notre évolution allait de pair avec celle de Whitehall où, à la même époque, c'est-à-dire durant les années 1860, les fonctions des commissaires au Trésor étaient assumées par le chancelier de l'Echiquier et par ses fonctionnaires, le Conseil du Trésor tombant ainsi en désuétude.12 Nous avons par la suite évolué dans le sens opposé. Le rôle des ministres membres du Conseil du Trésor a été renforcé: le secrétariat du Conseil a été amené à se séparer du ministère des Finances et le Conseil a été doté d'un président qui n'est pas le ministre des Finances. Ces transformations se sont produites au cours de l'évolution de notre Constitution, pendant une centaine d'années.

Le contrôle financier, collectivement exercé par les ministres par l'entremise du Conseil du Trésor, a ouvert la voie à l'établissement, au centre, des normes de gestion et d'administration. Dès le début, le ministre des Finances a assumé, par le biais du Conseil du Trésor, certains pouvoirs de facto qui touchent l'administration des ministères. Le Conseil du Trésor, chargé de réconcilier les prévisions budgétaires, devait, en principe, veiller également à ce que l'unité des ministres ne soit pas compromise devant le Parlement par suite de la divulgation des cas de corruption ou d'incurie au sein des ministères. Ainsi qu'il a été noté plus haut, cette fonction était bien celle, au XVIIIe siècle, de la Trésorerie anglaise, dont le Parlement s'attendait qu'elle fournisse une protection contre de tels risques. L'Acte concernant le département des Finances, adopté en 1869, exposait clairement les pouvoirs du Conseil du Trésor en matière de finances et de dépenses, et par conséquent, en matière d'administration. Depuis cette date, ces attributions ont fait l'objet de dispositions plus détaillées contenues dans une série de lois importantes qui visent à rehausser les normes de gestion des ressources et à éliminer la négligence, le gaspillage et la corruption. Chacune de ces lois successives a eu pour objet de permettre au Conseil du Trésor de mettre en place, pour la gestion de l'administration publique, un cadre propre à assurer le Parlement que ce service est administré de façon efficace.

Les fonctions de gestion du Conseil du Trésor avaient été, pendant longtemps, remplies un peu au hasard avant la formation du cabinet Bennett en 1930.13 Les prévisions budgétaires avaient été réconciliées, la corruption éliminée. On n'avait cependant pas fait grand-chose pour normaliser les dépenses et la comptabilité financière. Les dépassements et les dépenses non autorisées étaient monnaie courante. Le Parlement, en particulier le Comité des comptes publics, n'avait guère cherché à améliorer le système.14 M. Bennett, qui détenait également le portefeuille des Finances, était stupéfait de s'apercevoir que, à cause des grandes différences entre les normes et les systèmes de comptabilité, il ne pouvait même pas savoir dans quelle situation financière se trouvait au juste le gouvernement.

Cet état de choses a provoqué l'adoption en 1931 de la Loi du revenu consolidé et de la vérification, qui d'une part imposait un système hautement centralisé pour l'autorisation des dépenses et d'autre part normalisait la comptabilité. Cette loi créait, au sein du ministère des Finances, le poste secondaire de contrôleur du Trésor. Ce fonctionnaire avait sous ses ordres des agents de la comptabilité installés dans chaque ministère.15 Le contrôleur et ses collaborateurs, qui relevaient du ministre des Finances, avaient pour mandat d'autoriser chacune des dépenses relevant d'un ministre en particulier.16

Les réformes introduites par le Cabinet Bennett ont donné naissance à un contrôle financier hautement centralisé, tout au long des 35 années qui ont suivi. Ces réformes étaient certes dictées par les difficultés économiques, mais elles se justifiaient également par une faiblesse chronique des systèmes de gestion financière au sein des ministères, faiblesse due à l'absence de systèmes uniformes d'autorisation et de comptabilité des dépenses. Ces réformes étaient cependant quelque peu contraires aux principes de responsabilité au sein du système.17 À mesure que la situation économique s'est améliorée, que l'activité gouvernementale s'est accrue et que les ministres ont exercé davantage leur pouvoir en matière de programmes ministériels, le bien-fondé de ce système centralisé a été remis en question. Le principe, adopté par la Commission royale Glassco, qu'il fallait «laisser la gestion aux gestionnaires» a provoqué la modification en 1966 de la Loi sur l'administration financière, modification qui a mis en place les rapports structuraux et financiers qui existent actuellement entre le Conseil du Trésor et les ministères. En résumant les événements qui ont eu lieu depuis 1931, les commissaires ont noté:

En dépouillant les ministères de l'autorité essentielle à la bonne gestion de leurs propres affaires, il a émoussé chez eux le sens de la responsabilité. Chaque nouvelle preuve d'irresponsabilité au sein des ministères semble avoir été interprétée comme la confirmation de l'opportunité des contrôles déjà existants et comme une invitation à en établir de nouveaux.18

La Commission s'est prononcée en effet en faveur d'une réaffirmation de l'autorité ministérielle. Elle a proposé que le Secrétariat du Conseil du Trésor soit détaché du ministère des Finances et placé sous la direction d'un secrétaire ayant rang et statut de sous-ministre. De même, la Commission a proposé la nomination d'un ministre distinct à la présidence du Conseil du Trésor, et le remplacement des fonctions de contrôle exercées par le contrôleur du Trésor par une direction administrative conforme aux normes prescrites par le Conseil du Trésor.19 Ces recommandations ont été incluses dans les modifications apportées en 1967 à la Loi sur l'administration financière, modifications qui ont renforcé le rôle joué par le Conseil du Trésor dans l'établissement des normes de gestion au sein de l'administration publique.

Le système présidé par le contrôleur du Trésor entre 1931 et 1967, a nui à la responsabilité ministérielle: l'exercice de la responsabilité constitutionnelle, et partant, la souplesse et le dynamisme du gouvernement s'en sont ressentis. Au cours de cette période, la notion de responsabilité a disparu pour faire place au système de contrôles critiqué par la commission royale Glassco. Pendant la période de réformes qui a suivi le rapport Glassco, on a eu tendance à s'éloigner d'un système hautement centralisé de contrôle pour favoriser une plus grande latitude dans l'exercice de l'autonomie ministérielle. Depuis 1967, le Conseil du Trésor et son Secrétariat se sont efforcés de concevoir un rôle plus en rapport avec les besoins du gouvernement ministériel.

La Commission de la fonction publique

On ne saurait parler des institutions collectives (c'est-à-dire des organismes centraux) sans faire état de la Commission de la fonction publique. Contrairement au Cabinet, au Conseil du Trésor et à leurs organismes d'appui, la Commission de la fonction publique n'est ni un ministère ni un organisme soumis à l'autorité d'un ministère. C'est un hybride bien étrange.20 L'existence du Conseil du Trésor se justifie en partie par le fait qu'il doit garantir la probité dans l'emploi des ressources financières, car un manque de probité minerait la confiance dont jouissent les ministres. De son côté, la Commission a pour attribution de garantir la probité dans les nominations. Elle remplit ainsi une importante fonction, celle d'empêcher les abus qui, entre autres, pourraient saper la confiance dont jouissent les ministres. Bien que, sous le rapport de la responsabilité collective, les activités du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique aient les mêmes conséquences, cette dernière assume des obligations envers le Parlement plutôt que vis-à-vis des ministres. Dans le contexte plus général du contrôle parlementaire des ressources, cette similitude illustre l'intérêt commun que manifestent le Parlement et les ministres pour une saine gestion des ressources humaines et financières dans l'administration publique.

En établissant des normes de sélection et en mettant de l'avant le concept d'une fonction publique unifiée dont les carrières des fonctionnaires recouvrent la gamme entière de l'activité fédérale, la Commission essaie de mettre à la disposition des ministres et de leurs adjoints les meilleures ressources humaines possibles. En s'assurant que les nominations sont fondées sur le mérite, la Commission protège les ministres contre les effets politiquement préjudiciables du favoritisme. Cependant, les avantages d'une fonction publique unifiée pourraient se transformer en désavantages si ses objectifs s'opposaient aux objectifs poursuivis par les ministres servis par ses membres. En essayant d'établir une fonction publique professionnelle et unifiée, la Commission joue un rôle difficile, qui ne doit avoir pour effet ni de centraliser ni de balkaniser cette fonction publique. En effet, à l'instar des organismes centraux proprement dits, la Commission doit se garder contre le défaut de «trop embrasser et de mal étreindre».

Conclusion

Les organismes centraux jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement efficace du gouvernement ministériel. Ils contribuent à la réussite de la confédération. Ils unissent le système, en synthétisant et en coordonnant, parfois en dirigeant. Au besoin, et c'est le cas des fonctions politiques spéciales des ministères des Finances et des Affaires extérieures, ils donnent le ton à la formulation des questions qui intéressent tous les ministres.21

Ainsi qu'il a été noté, cependant, on n'a pas toujours observé, ou même reconnu, la distinction qu'il faut faire entre la nécessité de répondre au besoin collectif et la nécessité de ne pas le faire au détriment des besoins individuels des ministres. Cette constatation s'applique particulièrement au domaine des finances. En effet, il est probable que l'absence d'une responsabilité financière satisfaisante au sein du système s'explique par la longue période de contrôle administratif hautement centralisé, laquelle a duré de 1931 à 1967. Au cours de ces années, le contrôle a relégué au second plan le besoin de responsabilité financière. À cette même époque, les fonctions du gouvernement se sont multipliées. Par conséquent, lorsque le contrôle financier est devenu moins centralisé, le système a oublié l'importance de la responsabilité: il s'était habitué à se référer à une direction centrale. Ce phénomène est demeuré au sein du système et explique en partie les rapports incertains qui existent entre les ministères et les organismes centraux.22

Néanmoins, les mécanismes de responsabilité collective, s'ils peuvent fonctionner avec succès, permettront l'exercice efficace de la responsabilité individuelle, et le degré de succès atteint par les «organismes centraux» détermine dans une large mesure si les ministres sont à même d'assurer un bon service gouvernemental fondé sur l'exercice efficace de leur pouvoir.


  1. Notamment, le Secrétariat du Cabinet au sein du Bureau du Conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor, le Bureau des relations fédérales-provinciales, le ministère des Finances et le ministère des Affaires extérieures. La Commission de la fonction publique est un organisme indépendant et bien que, à proprement parler, elle ne fasse pas partie de l'appareil gouvernemental, elle joue un rôle important en assurant le personnel compétent et la formation nécessaires à la mise en œuvre des programmes gouvernementaux.
  2. Les ministères d'État et des ministères tels que les Travaux publics ou les Approvisionnements et Services.
  3. Voir le renvoi 8 à la page 26. Sir Robert Borden a dit du Cabinet qu'on nommait à tort le Cabinet impérial de guerre qu'il était un "Cabinet sans responsabilité collective, et par conséquent, sans Premier ministre". Voir Anson, Law and Custom of the Constitution vol. ii, part. 1, page 150.
  4. Voir les pages 65 à 70 ci-dessous.
  5. Décret C.P. 1962-240 du 22 février 1962.
  6. Le secrétariat a été créé en 1940 lors de la nomination d'Arnold Heeney aux fonctions de greffier du Conseil privé et de secrétaire du Cabinet (aux termes du même décret C.P. 1121 du 25 mars 1940). Avant cette date, le Bureau du Conseil privé s'occupait exclusivement des travaux officiels du Conseil, c'est-à-dire la préparation des projets de décrets et de décisions. Le nouveau Bureau du Conseil privé relève de la responsabilité du Premier ministre. Jusqu'en 1957, le Premier ministre avait toujours détenu un portefeuille ministériel. Au début, ce portefeuille était celui de la Justice, ou à l'occasion, d'autres charges (de 1912 à 1946, le Premier ministre occupait, ex officio, les fonctions de secrétaire d'État aux Affaires extérieures), mais par la suite, il a satisfait à la convention (voir ci-dessous*) en assumant la présidence du Conseil. Il advint qu'en 1940, M. King était à la fois Premier ministre et président du Conseil privé, et le greffier du Conseil relevait de lui. Le Cabinet étant celui du Premier ministre, il était naturel que le Premier ministre en organise le Secrétariat, ce qui explique la double nomination d'Arnold Heeney. Depuis lors, les fonctions de greffier et de secrétaire ont toujours été cumulées. M. Pearson s'est servi, comme l'avait fait de temps à autre M. Saint Laurent, de la présidence du Conseil pour s'assurer la collaboration des membres de haut rang de son parti et ce, sans avoir à les encombrer d'attributions ministérielles. Plus tard, M. Trudeau a délégué à un autre ministre les fonctions de leader à la Chambre. C'est ainsi que le Premier ministre a été amené à renoncer à la présidence de Conseil privé, dont il a conservé cependant le Bureau. Ce bureau ne relève donc pas du président du Conseil privé et n'est pas soumis, sur le plan officiel, à ses ordres.

    * La Loi sur les traitements prévoit un traitement distinct pour le "membre du Conseil privé de la Reine exerçant la fonction reconnue de Premier ministre". Cette disposition avait pour objet à l'origine d'accorder au Premier ministre un traitement plus élevé que celui qu'il aurait reçu à titre de titulaire de l'un des autres portefeuilles visés par la Loi, tels la Justice ou la présidence du Conseil.

    La Loi sur les Traitements de 1868 ne prévoyait aucun traitement spécial pour le Premier ministre. Ce n'est qu'en 1873 qu'on y a inclus une disposition accordant au "Premier ministre" la somme de 1 000 $ en plus de son traitement normal de ministre. Une modification, adoptée en 1920, a cependant prévu un traitement tout à fait distinct pour le "Premier ministre". Cette disposition a établi, sur le plan juridique, le caractère distinctif de la charge de Premier ministre. Néanmoins, elle a eu pour seul effet, pendant de longues années, de garantir que le Premier ministre serait rémunéré à titre de "ministre principal" (First Minister) plutôt que selon le portefeuille qu'il lui arrivait de détenir. Ce n'est que pendant les derniers mois du gouvernement de M. Saint-Laurent que l'on s'est prévalu du fondement juridique mis en place en 1920. Depuis lors, le Premier ministre remplit ses fonctions sans détenir un autre portefeuille ministériel
  7. Le Conseil du Trésor est, sur le plan officiel, un comité du Conseil privé. À ce titre, il a de multiples attributions découlant de ses responsabilités légales. Il fonctionne cependant comme un comité du cabinet, et c'est le Cabinet qui décide en dernier ressort. Voir le renvoi 9 ci-dessous.
  8. Voir l'Acte concernant le département des Finances, 32-33 Victoria, chap. iv, aux termes duquel le Bureau de la Trésorerie "agira à titre de comité du Conseil privé de la Reine pour le Canada dans toutes les affaires du ressort des finances, du revenu et des dépenses ou des comptes publics, qui pourront lui être renvoyées par le conseil, ou sur lesquelles le bureau pourra juger nécessaire d'attirer l'attention du conseil; et il aura le pouvoir d'exiger de tout département, bureau ou officier public, ou de toute autre personne ou partie tenue par la loi de fournir au gouvernement tous comptes, rapports, états, documents, ou renseignements qu'il pourra juger nécessaires à l'accomplissement de ses devoirs..."
  9. Le gouverneur en conseil est un mécanisme officiel d'autorisation des mesures prises par la Couronne, qui sont différentes des mesures prises par les ministres pour le compte de la Couronne. Il comprend officiellement le gouverneur général agissant sur l'avis du Comité du Conseil privé, qui a la même composition que le Cabinet. Le gouverneur en conseil est cependant distinct du Cabinet, qui est officieux et qui n'est pas légalement habilité à autoriser les mesures concrètes au sein du système. En d'autres termes, le Cabinet établit la politique du gouvernement, et cette politique est mise en oeuvre soit par un ministre soit par la Couronne. Dans ce dernier cas, la Couronne doit recevoir l'autorisation du gouverneur en conseil avant d'agir. Bien que, jusqu'en 1951, toutes les activités du Conseil du Trésor fussent assujetties à l'approbation du gouvenneur en conseil, cet organisme n'était pas constitué à l'origine à titre de Comité du Conseil privé. Aux termes de son procès-verbal du 2 juillet 1867, le Conseil a recommandé [traduction] qu'"un Bureau de la Trésorerie soit constitué et investi des pouvoirs et attributions que peut lui attribuer Votre Excellence en conseil". C'est ainsi que, dès le début, le Conseil du Trésor détenait le pouvoir d'agir plutôt que de conseiller, et ce n'est qu'au moment où il fut légalement consacré que cet organisme a constitué un comité du Conseil privé, dont il partage les fonctions consultatives Par conséquent, de 1869 jusqu'en 1951, le Conseil du Trésor conseillait et le gouverneur en conseil agissait. En 1951, la Loi sur l'Administration financière a autorisé le Conseil du Trésor à agir au nom du gouverneur en conseil afin de réduire le volume de documents qui passent par celui-ci. Le Conseil du Trésor est demeuré cependant un comité du Conseil privé bien qu'à l'opposé de ce dernier, il exerce des fonctions exécutives. (Aux fins de comparaison, il faut noter que si le Comité spécial du Conseil privé approuve, au nom du Comité du Conseil privé, les projets de document soumis à l'examen du Conseil, ce comité spécial ne prend lui-même aucune action, ce qui se produit lorsque les projets d'ordonnance de décrets sont approuvés par le gouverneur général et satisfait à l'impératif légal de l'action par le gouverneur en conseil.) Cette anomalie peut s'expliquer par les prérogatives dont est investi le Premier ministre, étant donné que, de par son statut de comité du Conseil privé, le Conseil du Trésor n'agit que sur l'intervention du Premier ministre. Si le Conseil du Trésor avait été investi du pouvoir exécutif et s'il n'était pas demeuré un comité du Conseil privé, son président aurait été théoriquement habilité à exercer le pouvoir sans en référer au Premier ministre. Cette preuve du pouvoir du Premier ministre en matière de finances illustre l'importance que revêt le pouvoir financier pour la solidarité du Conseil des ministres et explique le recours, par le Premier ministre, au pouvoir financier pour réaliser un consensus parmi ses collègues.
  10. Procès-verbal d'une réunion du comité du Conseil privé, approuvé le 2 juillet 1867. Privy Council Minute Books, Archives publiques du Canada.
  11. Voir Norman Ward, The Public Purse (Toronto, 1951) page 233.
  12. Anson note: [traduction] «L'importance du chancelier de l'Echiquier a crû en fonction directe de la diminution du rôle du Conseil du Trésor. A l'heure actuelle, il est en fait le ministre des Finances, doté d'attributions fort importantes, et le Conseil dont il fait partie est composé de membres dont les fonctions n'ont aucun rapport avec les travaux du Trésor et dont le chef est le Premier ministre.» Law and Custom of the Constitution, vol. ii, part. i, page 192. Voir également ci-dessus, page 23 et 24.
  13. En fait, la majorité de ses fonctions avaient été remplies par le ministre des Finances. Sir George Murray, ancien secrétaire permanent du Trésor à Whitehall, qui s'était vu attribuer en 1912 la tâche de rédiger un rapport sur 1'organisation du gouvernement, a recommandé la suppression du Conseil et le transfert de ses attributions au ministre des Finances, voir Sir George Murray, Rapport sur l'organisation du service public du Canada (Ottawa, 1912) document parlementaire 57 a, page 9.
  14. Ainsi que l'a noté Norman Ward, il a fallu attendre jusqu'à la fin de la décennie 1840 pour que le Comité des comptes publics [traduction] "se libère finalement de sa peur obsessive des scandales". Voir The Public Purse, page 216.
  15. Loi modifiant la Loi du revenu consolidé et de la vérification, article 36,21-22 Georges V, chap. 27. Il est intéressant de noter que la Loi sur l'administration financière, adoptée en 1951, n'a pas retenu cet article.
  16. Voir Norman Ward qui fait un excellent exposé des réformes Bennett, dans son ouvrage The Public Purse, pages 167 à 172. Le professeur Ward note que le rôle des comptables du Contrôleur et celui des secrétaires permanents qui faisaient fonction de comptables à Whitehall étaient essentiellement le même, à cette exception près qu'à Whitehall, ces fonctionnaires étaient, et sont toujours, responsables envers le ministre sous l'autorité duquel la dépense a été engagée, bien qu'ils fussent expressément tenus de rendre compte à la Trésorerie des questions financières. Voir ci-après les pages 82 à 84.
  17. Les rédacteurs des modifications de 1931 étaient manifestement sensibles aux critiques formulées à cet égard; l'article 31 contredit la Loi tout entière car il porte ce qui suit : «Nulle disposition de la présente loi ne doit s'interpréter de manière à restreindre la responsabilité des ministres ou autres individus chargés de la gestion des allocations du parlement». 21-22 Georges V, chap. 27.
  18. La Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (Ottawa, 1962) vol. i, page 47.
  19. La Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement, vol. i, page 59 et 60. En fait, la Commission a proposé que le Secrétariat soit transféré au Bureau du Conseil privé, soulignant ainsi le rôle de Comité du cabinet qu'assume en fait le Conseil du Trésor et mettant l'accent sur l'attention particulière que le Premier ministre attache aux questions financières. La proposition s'est heurtée à une forte opposition parce qu'elle aurait déformé le rôle de soutien du Secrétariat du Cabinet: la concentration d'un trop grand pouvoir au sein d'un seul organisme central compromettrait l'équilibre qui caractérise les rapports entre les ministères et les organismes centraux alors que l'équilibre entre les organismes centraux est lui-même essentiel à la solidité du système tout entier.
  20. Voir J.E. Hodgetts, The Canadian Public Service (Toronto, 1973), page 263 à 286, qui donne un résumé des événements qui ont conduit à la création de la Commission en 1908, ainsi que de ses rapports subséquents avec les sous-ministres et avec le Conseil du Trésor.
  21. À titre d'exemples, citons le rôle assumé par le ministre des Finances quand il détermine le niveau approprié des dépenses publiques en fonction de la conjoncture économique, et celui qu'assume le secrétaire d'État aux Affaires extérieures lorsqu'il établit le cadre politique dans lequel ses collègues doivent traiter les questions internationales.
  22. Par exemple, bon nombre de ministères ne font pas la distinction entre les directives et les principes directeurs émanant des organismes centraux, et ils ont tendance à attribuer à ces organismes le rôle de services d'exécution.

VI Les ministres et leurs ministères respectifs

Le ministre

Les lois constitutives des ministères du gouvernement définissent expressément la responsabilité individuelle des ministres titulaires et, comme nous l'avons noté, constituent ainsi le fondement juridique de leur responsabilité. L'usage et les conventions déterminent la manière dont chaque ministre s'acquitte de cette responsabilité et rend compte de l'exercice de son pouvoir légal. Toutes les lois constitutives des ministères prévoient la nomination du ministre par la Couronne (officieusement sur l'avis du Premier ministre), définissent les pouvoirs et attributions dont il est investi, et lui attribuent l'administration et la direction (contrôle et supervision) des ressources financières et humaines à la disposition de son ministère.1 Ces dispositions législatives ont vu le jour grâce aux conventions constitutionnelles, lesquelles déterminent à un moment donné la manière dont un ministre exerce ses fonctions et les circonstances dans lesquelles il doit rendre compte au Parlement de ses actions, de même qu'elles offrent d'autres garanties tenant à la responsabilité collective conventionnelle des ministres.

La responsabilité individuelle du ministre veut qu'il réponde personnellement des mesures prises sous son autorité. Il s'agit là d'un principe fondamental, issu de la longue lutte qui vise à subordonner l'exercice du pouvoir à la notion de responsabilité. Le Parlement a insisté pour que les ministres soient choisis parmi ses membres afin qu'ils lui rendent compte directement. Il s'ensuit qu'un ministre peut être attaqué chaque jour au sujet de ses propres actions comme des actions de ses subordonnés. Les traditions d'anonymat de la fonction publique ont pris corps en Angleterre vers la fin du XIXe siècle, et ce principe a été renforcé au Canada par la création, en 1908, de la Commission de la fonction publique, qui a pour objet de garantir que les fonctionnaires demeurent politiquement neutres.

Les fonctionnaires n'ont pas le droit de faire partie de la Chambre des communes qui, de ce fait, ne saurait les tenir constitutionnellement responsables. Il est intéressant de noter qu'il a fallu attendre jusqu'à la fin du XVIIIe siècle pour que, en Angleterre, il soit interdit aux fonctionnaires de carrière de faire partie du Parlement.2 En effet, ce n'est qu'à partir de cette période qu'il a été possible de discerner la formation d'une fonction publique (distincte de la fonction politique). Il est intéressant également de noter que l'interdiction faite aux fonctionnaires de faire partie de la Chambre, interdiction qui entraîne leur exonération en matière de responsabilité constitutionnelle, a été accompagnée de modifications organisationnelles qui avaient pour effet de concentrer la fonction publique dans les ministères, dont chacun était présidé par un ministre qui pouvait être tenu responsable des activités de ses subordonnés. Ce changement a été marqué, durant la première moitié du XIXe siècle, par la substitution de la responsabilité personnelle d'un ministre au [traduction] «pouvoir indéfinissable et irresponsable des conseils.»3

On peut voir dans les deux catégories de conseils et de commissions qui ont survécu à ces changements une parfaite illustration de la différence entre la qualité subalterne des fonctionnaires et la position de responsabilité des ministres. En premier lieu, il existe des organismes composés uniquement de ministres, tel notre Conseil du Trésor. En second lieu, il existe des commissions telles que notre Conseil de la Défense et le Conseil de l'Amirauté de l'Angleterre (tous deux maintenant abolis), dont les activités sont placées sous la présidence d'un ministre qui en est personnellement et exclusivement responsable et dont les membres sont des fonctionnaires qui donnent des conseils et ne jouissent pas du pouvoir de décision.4

À mesure que les fonctionnaires sont devenus plus nombreux, l'importance de la responsabilité ministérielle s'est accrue d'autant. Aujourd'hui plus que jamais, les actions des fonctionnaires sont multiples et entraînent des répercussions de portée très générale, et l'observation de la responsabilité constitutionnelle exige la présence d'un ministre personnellement tenu de répondre de leurs actions.5

Les principes de responsabilité, la concentration du pouvoir de la Couronne entre les mains des ministres, l'assujettissement du pouvoir ministériel au contrôle du Parlement, le pouvoir restreint du Parlement pour ce qui est d'imposer des normes de justice aux actions de l'exécutif, voilà autant de facteurs qui ajoutent à la responsabilité des ministres et exigent d'eux qu'ils soient en état d'assurer la Chambre des communes qu'ils exercent le pouvoir avec responsabilité. La responsabilité constitutionnelle des ministres est sans équivoque, mais la question se pose constamment de savoir s'ils sont à même d'invoquer en toute confiance les actions de leurs subordonnés. C'est dans ce contexte et c'est à la lumière de l'évolution ainsi que des répercussions des manifestations de la responsabilité au sein du gouvernement parlementaire et ministériel, qu'il faut envisager l'obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte de leurs actes.

Le sous-ministre

Les attributions des sous-ministres reflètent la nature du gouvernement ministériel. Le sous-ministre est le subordonné le plus haut placé du ministre, auquel il rend compte. I1 peut exercer, par procuration, pratiquement tous les pouvoirs dont le ministre est investi. La responsabilité du sous-ministre envers son ministre reflète la responsabilité individuelle et collective de ce dernier, et, étant donné l'importance de la responsabilité collective du ministre, le sous-ministre est tenu à certaines obligations envers le Premier ministre et (par l'entremise de son ministre) envers le Conseil des ministres tout entier.

Le rôle du sous-ministre est complexe; en fin de compte, il se réduit à aider le ministre à s'acquitter de ses responsabilités et, tout comme pour les ministres, le rôle des sous-ministres, qui reflète les responsabilités individuelles des ministres, constitue le fondement de la responsabilité et de l'obligation de rendre compte au sein du système. Cependant, le système serait bien instable s'il ne s'appuyait sur le principe de responsabilité collective, nécessaire à la solidarité du Cabinet. C'est ainsi que le sous-ministre est amené à jouer un rôle dans la mise en oeuvre des moyens visant à assurer la responsabilité collective des ministres. I1 s'en trouve touché à son tour.

Les responsabilités individuelles et collectives inhérentes au gouvernement ministériel donnent lieu à un système qui fonctionne grâce à des forces en équilibre. L'harmonisation des responsabilités individuelles des ministres encourage le consensus et assure la stabilité du gouvernement ministériel. Le sous-ministre, tout comme son ministre, doit faire face, et doit trouver le moyen de remédier, aux conflits éventuels entre la responsabilité de son ministre et son obligation de satisfaire aux voeux collectifs de ses collègues.

Afin que les sous-ministres puissent remplir leur rôle de manière responsable et soient à même de rendre compte de leurs activités, il faut qu'ils comprennent leur rôle au sein du gouvernement ainsi que les attributions qui leur sont confiées en raison de la responsabilité individuelle et collective de leurs ministres respectifs. Les sous-ministres doivent également avoir accès à des moyens qui leur permettent de résoudre les conflits manifestes entre les responsabilités et les loyautés divergentes au sein du Conseil des ministres, afin qu'ils puissent fonctionner efficacement à titre de conseillers et d'administrateurs auprès de leurs ministres respectifs, et par là même, contribuer à la solidarité des ministres.6 En résumé, ils doivent comprendre de quelle manière et dans quelle mesure ils sont touchés par la responsabilité constitutionnelle.

Le sous-ministre et la responsabilité individuelle du ministre

Tout comme pour les ministres, le fondement juridique de la nomination des sous-ministres se trouve dans les lois constitutives des ministères intéressés. Cependant, contrairement aux ministres, les sous-ministres ne sont pas nommés par la Couronne, mais par la Couronne sur l'avis du Conseil des ministres tout entier. Cette disposition perpétue le contrôle traditionnel qu'exerce le Premier ministre sur les échelons supérieurs de la fonction publique. Elle donne également une idée du rôle plus étendu que les sous-ministres jouent vis-à-vis du Conseil des ministres.

Bien que les lois constitutives des ministères ne disent rien à ce sujet, la Loi d'interprétation prévoit expressément que le sous-ministre peut exercer le pouvoir d'un (c'est-à-dire de son) ministre «d'accomplir un acte ou une chose» à l'exception du pouvoir «d'établir un règlement».7 Cette interprétation rend explicite l'obligation légale qui incombe au sous-ministre de rendre compte à son ministre, obligation prévue de façon implicite par les lois constitutives des ministères.8

Il s'ensuit qu'avec l'autorisation du ministre, le sous-ministre peut exercer les pouvoirs du ministre que prévoit la loi portant création du ministère, et par extension, les autres lois que le ministre est chargé d'administrer. Le sous-ministre remplit également l'obligation du ministre qui consiste à administrer et à diriger le ministère, de même qu'il exerce un contrôle sur les ressources financières, humaines et autres dont dispose le ministère.9

Les attributions du ministre, telles qu'elles sont prévues par le texte de loi, revêtent d'habitude un caractère très général. Il appartient donc au ministre de proposer les moyens spécifiques qu'il envisage pour remplir ces attributions, et ces moyens sont soumis à l'approbation du Parlement, lors de la présentation des prévisions budgétaires. Si le ministre cherche des crédits pour un programme qui ne relève pas des attributions générales prévues par la loi constitutive du ministère, il faut normalement qu'il obtienne l'autorisation nécessaire au moyen d'une loi. Toutefois, les attributions prévues par les lois constitutives des ministères recouvrent généralement une grande variété de fonctions, allant de la détermination de la politique et de la formulation des programmes à la mise à exécution de ces programmes et à l'administration du ministère. Ces fonctions, qu'elles portent sur la politique, sur l'exécution des programmes ou sur l'administration, peuvent être déléguées au conseiller permanent supérieur du ministre, c'est-à-dire à son sous-ministre.10

En 1929, la Commission Tomlin sur la fonction publique en Angleterre a recueilli le témoignage de Sir Warren Fisher, qui était alors secrétaire permanent du Trésor et chef de la fonction publique. Sir Warren, qui s'opposait vivement à la concentration du pouvoir dans les organismes centraux au détriment de l'autonomie des ministères et de la responsabilité ministérielle, a résumé le rôle d'un sous-ministre et la nature de la délégation des pouvoirs d'un ministre au chef permanent de son ministère, en observant que le chef permanent [traduction] «n'est pas (sauf par accident) un spécialiste en quoi que ce soit, mais plutôt un conseiller général du ministre, l'administrateur général et le contrôleur sous les ordres du ministre, et qui doit rendre compte en dernier ressort au ministre de toutes les activités du ministère (et de ses fonctionnaires)»."11

Le sous-ministre et la responsabilité collective du ministre en matière politique

Les rapports entre le sous-ministre et son ministre ne portent pas exclusivement sur les responsabilités individuelles de ce dernier. Par le jeu de la responsabilité collective du ministre, il existe un lien direct et bien établi entre les fonctions du sous-ministre et l'ensemble des ministres.

Ainsi qu'il a été noté plus haut, à mesure que la Couronne se retirait de la vie politique et que le gouvernement monarchique se faisait effectivement remplacer par le gouvernement ministériel, il a été nécessaire de trouver les moyens qui permettent de stabiliser une forme de gouvernement fondé sur les vues collectives et sur la direction collective d'un groupe de personne. La position du Premier ministre et l'institution connue sous le nom de Cabinet (et par la suite, son système structuré de comités et de secrétariats) ont assumé ce rôle stabilisateur. Le Premier ministre a bâti sa position sur l'exercice de ses pouvoirs sur les finances gouvernementales, pouvoirs grâce auxquels il a un droit de regard sur les nominations aux postes supérieurs de la fonction publique. Ce contrôle sur les finances et sur les fonctions supérieures a donné au gouvernement ministériel sa stabilité et a assuré l'évolution de la responsabilité collective, au cours des 150 années qui s'échelonnaient entre le XVIIIe et le XIXe siècles. L'exercice de ces pouvoirs demeure la fondation de la stabilité gouvernementale dans le système.

Le système dépend de l'aptitude du Premier ministre à promouvoir, parmi ses collègues, le consensus dans deux domaines: la politique du gouvernement et l'administration des ressources financières, et par conséquent, humaines, qu'accorde annuellement le Parlement aux fins d'exécution de cette politique. Toutefois, politique et administration ne sont pas deux domaines qui s'excluent l'un l'autre. Chaque domaine s'appuie sur l'autre, et il appartient au sous-ministre d'y veiller.

Le Premier ministre exerce une variété de pouvoirs officieux dont la plupart visent à assurer la solidarité des ministres. Son pouvoir de nomination des ministres et des sous-ministres revêt une importance particulière et nous intéresse au premier chef dans ce chapitre. I1 y a cependant lieu d'envisager ce pouvoir à la lumière de l'obligation qui incombe au Premier ministre de promouvoir le consensus parmi ses collègues, en mettant son Cabinet à leur disposition, en cherchant à donner le ton du gouvernement et à établir son orientation générale, en mettant en place l'organisation générale du gouvernement, en réglant les différends entre les ministres et (avec ou sans l'avis de ses collègues) en décidant s'il y a lieu de dissoudre le Parlement.12 L'exercice de ces prérogatives permet au Premier ministre de consolider la solidarité des ministres ainsi que sa position de chef du gouvernement; et c'est dans ce contexte qu'il faut envisager la nomination des ministres et des sous-ministres. Les sous-ministres sont certes responsables envers leurs ministres respectifs, mais le fait qu'ils sont nommés par le Premier ministre ajoute à l'intérêt qu'ils ont à assurer le bon fonctionnement du gouvernement ministériel.

Le Premier ministre et le Cabinet peuvent donner le ton du gouvernement, mais la plupart des politiques gouvernementales découlent de l'exercice des responsabilités individuelles des ministres. À de rares exceptions près , ce sont les ministres et les sous-ministres qui prennent l'initiative de ces politiques, lesquelles sont coordonnées au niveau d'exécution par un réseau de comités interministériels et par d'autres moyens. Elles sont soumises à la décision des ministres et des sous-ministres réunis en comités, adoptées par les ministres eux-mêmes au sein du Cabinet, et mises à exécution par l'exercice des responsabilités individuelles du ou des ministres intéressés. Les rapports étroits qu'entretiennent les sous-ministres avec leurs ministres respectifs en matière politique constituent l'un des moyens grâce auxquels les sous-ministres aident leurs ministres respectifs à s'acquitter de leur responsabilité collective.

Un ministre exerce presque toujours sa responsabilité individuelle de pair avec les responsabilités individuelles d'un ou de plusieurs de ses collègues. Cette constatation est d'autant plus juste que l'activité gouvernementale s'est accrue et que les programmes sont devenus plus complexes et plus interdépendants. I1 incombe normalement aux sous-ministres et à leurs subordonnés d'assurer la coordination nécessaire, et ce faisant, ils en sont amenés à partager le souci de leur ministre pour ce qui est d'assurer à certaines initiatives le soutien administratif des collègues, dont la coopération est essentielle à la réussite de ces initiatives.13 Cette coordination administrative (dons il a été question au sujet de l'action réciproque exercée par les fonctionnaires les uns sur les autres lorsqu'ils aident les ministres à s'acquitter de leurs responsabilités dans notre système confédéral) est devenue de plus en plus complexe depuis la Seconde guerre mondiale. Le besoin de coordonner les responsabilités de plusieurs ministres en vue de certaines initiatives constitue, de nos jours, la règle plutôt que l'exception, et il se traduit par la multiplication des fonctions de coordination du Cabinet.

Certes, le Cabinet est strictement un organe officieux et politique ayant pour objet de favoriser le consensus parmi les ministres en ce qui concerne les questions dont la Chambre peut se servir pour déterminer si la responsabilité collective a été respectée. Mais il peut également servir à coordonner, dans le domaine politique, les activités administratives des ministres dont les responsabilités individuelles doivent être exercées de concert en vue d'exécuter certaines actions. Ces fonctions de coordination administrative dans le domaine de la politique gouvernementale (par opposition aux activités partisanes) ressortent particulièrement du système des comités qui soutiennent les travaux du Cabinet.14 Selon le système des comités du Cabinet, tous les mémoires émanant des ministres doivent passer devant un comité du Cabinet avant d'être soumis au Cabinet lui-même, et, s'ils prévoient de nouvelles dépenses, les rapports établis par le comité sont transmis tout d'abord au Conseil du Trésor. Le Cabinet étudie ensuite le rapport du Comité et celui du Conseil du Trésor. À chaque étape, à part bien entendu les délibérations du Cabinet les sous-ministres sont tenus d'assister leurs ministres respectifs. Ils doivent les appuyer en les accompagnant aux réunions des comités du Cabinet, lors de l'examen de points particuliers. Auparavant, ils auront préparé le terrain à travers le système des comités interministériels et grâce à des interventions moins officielles. Ces travaux, ainsi que la complexité des questions politiques qui les inspirent, exigent du sous-ministre, bien plus souvent que jadis, qu'il assiste le ministre dans l'exercice de sa responsabilité collective.

De plus, il incombe au sous-ministre de veiller à la mise à exécution des «décisions» du Cabinet. Il convient de rappeler que, dans notre système, les ministres sont individuellement investis du pouvoir émanant de la Couronne, et, à part les cas exceptionnels où la Couronne doit agir sur l'avis collectif des ministres, la plupart des actions relèvent de la responsabilité personnelle des ministres en cause. Les «décisions» du Cabinet ont un effet politique et administratif, plutôt qu'un effet légal, et l'exécution en est l'affaire presque exclusive des ministres directement responsables. En effet, les propositions visant à investir le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor du pouvoir de «suivi» ont été généralement considérées comme contraires au principe de la responsabilité ministérielle, tout comme aux fonctions officieuses et politiques du Cabinet au sein du système. On attend donc réellement des sous-ministres qu'ils exercent les pouvoirs que leurs ministres respectifs leur ont délégués, conformément au consensus formé par tous les ministres, à l'appui de la responsabilité collective du Conseil des ministres.

Le sous-ministre et la responsabilité collective du ministre en matière d'administration

Les fonctions consultatives et coordonnatrices du sous-ministre en matière de politique gouvernementale sont importantes. En outre, il assume une responsabilité spéciale visant la gestion des ressources, domaine dans lequel il agit, dans la pratique, presque entièrement à la place du ministre.15 Lorsqu'il aide son ministre à s'acquitter de sa responsabilité individuelle en gérant les ressources du ministère de façon à élaborer des politiques et des programmes, le sous-ministre observe des normes qui ont été collectivement prescrites par les ministres et qui sont considérées comme essentielles à l'unité du Conseil des ministres. Ces normes, établies par le Conseil du Trésor, procèdent de son pouvoir financier touchant la réconciliation des prévisions budgétaires.

Il a été noté plus haut que le contrôle financier constituait le principal moyen utilisé pour établir la position du Premier ministre et, par conséquent, la responsabilité collective associée au gouvernement ministériel des temps modernes. L'évolution de la Constitution au cours du XVIIIe siècle a donné lieu à certaines pratiques qui, depuis, sont devenues des conventions, voire des règles de droit dans certains cas, et qui ont renforcé le rôle du contrôle financier (et partant, le maintien de normes particulières de gestion) à titre d'élément essentiel de la responsabilité collective. Au premier rang de ces règles, citons celle qui veut que le Premier ministre approuve les mesures qui seront présentées au Parlement16, celle qui veut que les prévisions budgétaires soient présentées au nom de la Couronne à titre de propositions approuvées par le gouvernement, et enfin celle qui veut que le Conseil des ministres soit seul habilité à proposer des lois financières.

L'obligation qui est faite au Conseil des ministres de demander des fonds au Parlement à titre collectif requiert qu'en réconciliant les prévisions budgétaires, le Conseil du Trésor établisse des normes de gestion auxquelles chaque ministre doit se conformer dans l'exercice de sa responsabilité légale touchant la gestion et la direction de son ministère ainsi que le contrôle et la supervision des ressources humaines, financières et autres dont il dispose. Le rôle que joue le Conseil du Trésor, à titre de comité de ministres conseillant collectivement les ministres sur les prévisions budgétaires, ne diminue en rien la responsabilité individuelle d'un ministre envers le Parlement pour ce qui est de la gestion de son ministère et des programmes, au moyen des fonds qui sont accordés chaque année à cette fin. La responsabilité constitutionnelle exige que les ministres administrent et dirigent (par l'entremise de leurs sous-ministres) leurs ministères respectifs. Néanmoins, l'obligation, qui incombe aux ministres d'administrer leurs propres ministères conformément aux normes et aux pratiques prescrites par le pouvoir central, impose au sous-ministre le devoir spécial de veiller à ce que le ministre soit convenablement assisté dans cet élément de sa responsabilité collective.

Étant donné que les affaires financières relèvent pour la plupart du domaine de la politique gouvernementale, les fonctions financières du Conseil du Trésor intéressent directement les ministres qui travaillent en étroite collaboration avec leurs sous-ministres respectifs à la réconciliation des prévisions budgétaires, tâche essentielle à la mise en oeuvre de la responsabilité collective. Cependant, une fois les ressources allouées, l'administration du ministère et l'observation des normes de gestion prescrites par le pouvoir central doivent, dans la pratique, incomber presque exclusivement au sous-ministre, bien que le ministre soit légalement responsable.

Le sous-ministre doit s'efforcer d'administrer son ministère de façon à assurer l'application des politiques et et des programmes actuels et leur développement futur, de même qu'il doit veiller à assurer le Conseil des ministres tout entier que les normes financières et administratives ont été respectées. Tout comme la réconciliation des responsabilités individuelles et collectives du ministre, l'action réciproque de ces obligations s'ajoute, plutôt qu'elle ne porte atteinte, à l'aptitude du sous-ministre à administrer avec efficacité. Il va de soi que, dans le cas extrême où le sous-ministre ne peut réconcilier les impératifs inhérents à l'administration de son ministère et de ses programmes d'une part, et les normes et pratiques prescrites par l'administration centrale d'autre part, une alternative s'impose: ou bien il doit se démettre de ses fonctions, ou bien les normes prescrites par les organismes centraux doivent être rajustées.

De même que le gouvernement de Cabinet vise à promouvoir parmi les ministres un consensus qui doit réconcilier leurs responsabilités individuelles et collectives, de même il faut, de toute évidence, établir un équilibre entre les impératifs administratifs d'un ministère particulier et ceux qui ont été établis par le Conseil du Trésor pour le gouvernement tout entier. La responsabilité constitutionnelle exigeant que les ministres, par l'entremise de leurs sous-ministres respectifs, administrent leur propre ministère, conformément à certaines normes jugées nécessaires à la bonne administration, et partant, à l'unité et à la stabilité du gouvernement, il est également essentiel que les ministres aient collectivement voix au chapitre lorsque leurs collègues du Conseil du Trésor établissent les normes et les pratiques qu'ils sont tenus d'observer pour ce qui est de leurs ministères respectifs. Par ailleurs, étant donné que l'administration est à la charge presque exclusive des sous-ministres, il est nécessaire qu'en tant que groupe, les sous-ministres soient à même d'influencer les normes centrales qu'ils sont tenus de mettre à exécution et dont ils sont responsables. En ce qui concerne le Secrétariat du Conseil du Trésor ainsi que les autres organismes centraux, cet impératif requiert un équilibre tel que l'impératif traditionnel d'établissement et d'observation des normes administratives prescrites par les organismes centraux ne vienne pas affaiblir l'impératif constitutionnel qui incombe à chaque ministre d'administrer les ressources de la fonction publique qui sont mises à la disposition de son ministère. Il importe surtout que les organismes centraux évitent consciencieusement toute action qui aurait pour effet de leur attribuer les responsabilités d'exécution des ministres, que ce soit en matière administrative ou en matière de politique gouvernementale. Un tel risque est considérablement accentué, si dans leur rôle d'établissement des normes, les organismes centraux s'orientent vers le contrôle; et le meilleur moyen de prévenir un tel risque est de veiller à ce qu'un équilibre existe à travers tout le système. En matière administrative, les sous-ministres et les organismes centraux compétents doivent se partager la responsabilité d'entretenir cet équilibre, les uns agissant au nom des ministres et les autres reconnaissant que la gestion de l'administration publique relève de la responsabilité spéciale du sous-ministre.

L'équilibre qui existe entre la gestion de l'administration publique par le ministre et le sous-ministre d'une part, et l'observation des normes centrales d'autre part, ou l'équilibre entre le ministre et le Conseil du Trésor, ou encore l'équilibre entre le sous-ministre et le Secrétariat du Conseil du Trésor, tend à forcer chaque participant, à chaque niveau, à justifier ses actions. Cependant, si les habitudes d'établissement des règles de l'appareil central amènent les organismes centraux à établir une quantité démesurée de normes, ou si ceux-ci tendent vers le contrôle, un tel état de choses risque de saper la responsabilité individuelle des ministres et des sous-ministres (responsabilité sur laquelle est fondé le système et qui justifie l'obligation de rendre compte). I1 ressort de l'expérience acquise dans le contrôle central des ressources, notamment des ressources financières, entre 1931 et 1967, qu'à moins d'accorder aux ministres et à leurs sous-ministres respectifs un pouvoir suffisant à l'égard de la gestion de leurs ministères respectifs, il est difficile de les obliger à rendre compte, et, faute d'obligation de rendre compte, le contrôle central devient inévitable.


  1. En théorie, on peut dire que les ministres assument "l'administration et la direction" de leurs ministères respectifs, tâches pour lesquelles ils ont le "contrôle et la supervision" des ressources de l'administration publique qui y sont attachées. Dans la pratique cependant, les lois utilisent indifféremment ces expressions et ne font aucune distinction.
  2. Voir Parris, Constitutionnal Bureaucracy, page 34. La participation de ces «fonctionnaires» indique que les dispositions de l'Act of succession de 1701 qui interdisaient le Parlement aux fonctionnaires sont restées lettre morte.
  3. Voir Birch, Representative and Responsible Government, page 141.
  4. À la reconstitution du Conseil de l'Amirauté au cours des années 1860, la responsabilité ministérielle du Premier Lord a été prévue de façon expresse, le titulaire de la charge étant habilité à prendre des décisions [traduction] «abstraction faite de tout crédit ou de tout équivalence qui peut exister dans le système actuel des commissions» (Parris, Constitutionnal Bureaucracy, page 93). Ces observations ne s'appliquent pas aux conseils et commissions qui ont été placés en-dehors de la compétence des ministres du fait qu'ils remplissent des fonctions quasi-judiciaires, des fonctions de contrôle ou autres.
  5. Un chancelier de l'Échiquier du XIXe siècle, Sir William Harcourt, a donné une description plus concise de ce rapport entre ministres et fonctionnaires: [traduction] «La valeur des chefs politiques des ministères tient à ce qu'ils disent aux fonctionnaires de carrière ce que le public ne peut accepter». A.G. Gardiner, The Life of Sir William Harcourt (New York, non daté), vol. ii, page 587.
  6. Le Cabinet est un instrument qui permet aux ministres de résoudre des questions d'intérêt commun. Les sous-ministres (et les ministres jusqu'à un certain point) comptent sur les comités interministériels supérieurs à cette fin, et les organismes centraux sont chargés d'utiliser ces comités et d'autres moyens (comme d'encourager les sous-ministres à consulter leurs homologues responsables des organismes centraux) pour aider les sous-ministres à résoudre les problèmes relevant de plusieurs compétences.
  7. S.R.C. 1970, ch. I-23. Le sous-ministre ne peut pas non plus se substituer au ministre dans le rôle de porte-parole à la Chambre des communes.
  8. Il est intéressant de noter cette conformité, qui n'existe pas toujours, entre une disposition explicite de la loi écrite et une disposition tacite des règles et des conventions constitutionnelles. La coutume est faite de pratiques alors qu'une règle de droit peut établir un précédent; et en matière administrative, notre système a tendance à attendre qu'un précédent devienne pratique avant de songer à ériger en règles de droit les pratiques qui ont eu cours à titre de coutume. Dans le domaine administratif, les règles constitutionnelles évoluent habituellement de cette façon prudente. Il arrive cependant qu'un précédent, établi à un moment donné à titre de règle de droit, est en contradiction avec la coutume qui s'est implantée après une longue pratique.
  9. Dans la pratique cependant, le sous-ministre ne signe pas les demandes au Conseil du Trésor lorsque ces dernières portent sur l'octroi de nouveaux crédits ou sur une nouvelle orientation. Selon la coutume et selon la politique établie, ces demandes doivent être signées par le ministre lui-même, ce qui est une manifestation supplémentaire de l'exercice pratique de ses responsabilités individuelles. Voir la circulaire du Conseil du Trésor no 1968-71 du 18 septembre 1968.
  10. Il y a certaines exceptions à la règle qui veut que les sous-ministres agissent en qualité de mandataires de leurs ministres respectifs. Les articles 24, 25 et 27 de la Loi sur l'administration financière investissent les sous-ministres de certaines attributions en matière financière, et l'article 7 de la même Loi habilite le Conseil du Trésor à déléguer aux sous-ministres tout pouvoir relatif à la gestion du personnel. De même, l'article 6 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique habilite la Commission de la fonction publique à déléguer ses pouvoirs dans le même domaine. Il s'agit d'importantes exceptions qui soulignent les responsabilités spéciales des sous-ministres en matière de gestion. Certaines autres lois confèrent directement aux sous-ministres (et en fait aux autres fonctionnaires) des pouvoirs qu'il ne serait pas indiqué pour les ministres d'exercer eux-mêmes.
  11. Voir Jennings, Cabinet Government, page 96. Cette description exacte des responsabilités du sous-ministre dans un système ministériel revêt une signification particulière parce qu'elle émane d'un responsable du Trésor dont on connaît les tendances centralisatrices. Fisher avait vivement fait remarquer à la Commission qu'il n'était un spécialiste du Trésor, ni par formation ni par antécédents. Voir Roseveare, The Treasury, page 253.
  12. Voir Jennings, Cabinet Government, ch. viii, notamment page 153 et 154. Tournant le dos à la coutume, Sir Charles Tupper a cherché, en 1896, à affirmer son autorité sur ses collègues en faisant adopter par le Conseil un procès-verbal énumérant les attributions de sa charge. En résumé, il ressort de ce procès-verbal que le Premier ministre convoquait les réunion du Cabinet, recommandait la dissolution et la convocation du Parlement, ainsi que la nomination des membres du Conseil privé, des ministres, des sous-ministres, des lieutenants gouverneurs, des administrateurs provinciaux, des juges en chef de tous les tribunaux, du président du Sénat, des sénateurs, des membres du Conseil du Trésor et des comités du Cabinet, de même que les nominations aux fonctions de secrétaire parlementaire à titre de faveur accordée par la Couronne. Le procès-verbal comporte également une règle intéressante, selon laquelle un ministre ne pouvait pas recommander l'imposition de mesures disciplinaires à un collègue, mais le Premier ministre pouvait faire des recommandations touchant n'importe quel ministère. (Procès-verbal du Conseil privé, 12 mai 1896). Cette règle a été reprise presque intégralement par MM. Laurier, Meighen, Bennett et King. Bien qu'elle n'ait pas été reproduite depuis, elle est considérée maintenant comme étant conventionnellement établie. Voir également Mallory, The Structure of Canadian Government, page 87 et 88.
  13. Cette coordination administrative, qui se distingue de la formation du consensus politique, n'est pas à proprement parler un élément de la responsabilité collective. Sur le plan théorique, la coordination n'est nécessaire qu'à l'égard des collègues du ministre dont la coopération est nécessaire à la mise à exécution d'une initiative. Cependant, la ligne de démarcation entre coordination administrative et coordination politique est rarement précise. Elle est devenue de plus en plus difficile à discerner avec l'accroissement de l'activité gouvernementale et avec le recours croissant au Cabinet aux fins de coordination administrative et politique.
  14. Voir le document de travail présenté par R. Gordon Robertson à la 23e assemblée annuelle de l'Institut d'administration publique du Canada (Regina, 8 septembre 1971), «L'évolution du rôle du Bureau du Conseil privé», qui décrit la composition et le fonctionnement de ces comités. La structure du système des comités est demeurée inchangée dans une large mesure, et le processus est demeuré tel que l'a décrit M. Robertson, à part le rôle actuellement assumé par le Conseil du Trésor.
  15. Voir les pages 63 à 65.
  16. Anson estime que le Premier ministre [traduction] «décide en dernier ressort des mesures à soumettre...au Parlement», Law and Custom of the Constitution, vol. ii, part. i, page 124). Jennings, moins catégorique. fait remarquer : [traduction] «Si, comme d'habitude, il est le leader de la Chambre des communes, il contrôle. sous réserve que l'ordre de priorité des propositions soit établi par le Cabinet, les délibérations de la Chambre, par l'intermédiaire des whips du gouvernement» (Cabinet Government page 155). Au Canada, c'est le Premier ministre (ou, en son absence, le membre le plus ancien du Conseil des ministres) qui signe les projets de loi avant leur présentation au Parlement. On peut dire que cette formalité renforce le pouvoir de «décision en dernier ressort» du Premier ministre pour ce qui est du programme législatif du gouvernement.

VII La responsabilité constitutionnelle et l'obligation de rendre compte

L'obligation de rendre compte en régime parlementaire - le ministre

L'obligation de rendre compte est une garantie de responsabilité dans l'exercice du pouvoir. En régime parlementaire, la Couronne est le siège du pouvoir qui est exercé par les ministres. Le pouvoir est concentré entre les mains des ministres, du fait qu'ils l'exercent et qu'ils doivent en rendre compte à la Chambre. Aux fins de contrôle, notre système ne divise pas les pouvoirs comme les systèmes fondés sur la «division des pouvoirs», mais s'assure que ceux qui l'exercent sont tenus personnellement responsables de leurs actions.

La responsabilité directe et quotidienne qu'assument les ministres envers le Parlement constitue la force essentielle de notre système.1 La vitalité de ce système est fonction de l'aptitude des ministres à répondre des activités entreprises sous leur autorité. Cependant, depuis les origines de notre système, ce sont les circonstances politiques et non l'application littérale du principe de la responsabilité ministérielle qui ont régi l'obligation de rendre compte chez les ministres. Les critiques de la responsabilité ministérielle font remarquer que la révocation, appliquée à titre de sanction, est un risque bien peu fréquent, et que l'application de cette «sanction ultime» est «arbitraire et imprévisible».2 I1 s'avère toutefois que, si les ministres sont rarement démis de leurs fonctions pour cause d'irresponsabilité, cette possibilité, et surtout, l'embarras et les conséquences politiques qui affligent celui qui est pris en défaut, constituent une sanction plus que suffisante.3 Le Parlement attend des ministres qu'ils lui rendent compte. Les députés voient dans les ministres les porte-parole tout désignés de leurs ministères respectifs, et les ministres s'efforcent de satisfaire à cette attente, car ils sont constitutionnellement responsables et redoutent les conséquences politiques des agissements qui laissent à désirer.

La responsabilité personnelle des ministres est renforcée par leur responsabilité collective, qui a pour objet de garantir, sur le plan interne, l'obligation qui incombe aux ministres de rendre compte de leurs actions individuelles. En effet, s'il est vrai que la procédure de mise en accusation par le Parlement est tombée en désuétude à cause de la responsabilité collective, celle-ci ne remplace cette procédure qu'au prix soit d'un vote de censure contre le Conseil des ministres soit d'une menace de procéder à un tel vote. Ceux-ci ont pour objet de persuader le Premier ministre à obtenir la démission d'un collègue, dont le maintien pourrait être considéré comme une grave atteinte à la doctrine de la responsabilité individuelle par suite de ses actions ou omissions, ou pourrait mener à l'adoption d'une motion de censure dans des circonstances que le Conseil des ministres tout entier n'est pas disposé à accepter. En résumé, la responsabilité des ministres est largement fonction de la volonté de la Chambre de les tenir responsables.

Conclusion

Il ressort de ce qui précède que la responsabilité constitutionnelle est de nature individuelle et qu'elle régit les rapports entre le ministre et la Chambre des communes. Le ministre répond de toutes les mesures prises sous son autorité. Certes, sa part de responsabilité dépend des circonstances politiques et de la question de savoir si, à son insu, un fonctionnaire a eu des agissements manifestement inacceptables. I1 n'en demeure pas moins que le ministre est constitutionnellement responsable, et il s'agit là d'un principe essentiel qui nous permet de déterminer, dans le système, les responsabilités ainsi que les institutions chargées de l'observation de ces responsabilités.

L'obligation de rendre compte en régime parlementaire - le sous-ministre

La responsabilité des ministres est un principe constitutionnel dont la qualité est essentiellement politique, et que l'on met en oeuvre à l'occasion, par suite de la divulgation de divergences d'opinions politiques, ou de la révélation d'écarts de conduite ou d'incurie, afin de mesurer la confiance que la Chambre accorde au Conseil des ministres. Bien que cette possibilité se dissimule derrière chaque question posée à un ministre, et bien que la qualité douteuse de ses réponses puisse affaiblir sa propre position ou celle du gouvernement, ce qui peut aboutir à une enquête parlementaire ou publique, ou encore au retrait du soutien de ses collègues et à sa démission, la responsabilité du ministre se réduit dans nombre de cas à la communication de renseignements bénins où sa responsabilité n'est pas réellement mise à l'épreuve.

La pyramide de responsabilités, qui s'élève jusqu'au sous-ministre et au ministre, s'étend jusqu'au Parlement. Ce dernier a pour rôle constitutionnel de s'assurer que les ministres contrôlent leurs ministères respectifs comme il convient, afin qu'ils soient à même de répondre des activités entreprises en leur nom. À cette fin, le Parlement a recours à divers mécanismes comme les questions orales et écrites, les demandes de renseignements, l'analyse des prévisions budgétaires, l'étude des projets de loi, et l'examen des comptes publics et des rapports du Vérificateur général. Les fonctionnaires, notamment les sous-ministres, jouent un rôle important dans un grand nombre de ces activités.

Les fonctionnaires ne sont certes pas constitutionnellement responsables mais ils ont assumé et assument encore, vis-à-vis du Parlement, un rôle qui, à plusieurs égards, complète celui des ministres. Bien que les fonctionnaires ne soient tenus à aucune responsabilité constitutionnelle et bien qu'ils ne partagent pas la responsabilité de leurs ministres respectifs, ils partagent dans une certaine mesure l'obligation qui incombe à ces derniers de rendre compte au Parlement. C'est ainsi qu'a été établi depuis longtemps un domaine réservé qui protège les fonctionnaires contre l'obligation de rendre compte au Parlement en ce qui concerne les questions de politique gouvernementale ou les questions susceptibles de donner lieu à une controverse politique. Indépendamment des considérations d'ordre politique, les questions de politique gouvernementale ainsi que les questions susceptibles de provoquer une controverse politique ont été réservées plus ou moins exclusivement aux ministres essentiellement parce que la responsabilité politique des fonctionnaires les entraînerait inéluctablement dans la polémique, détruirait leur utilité permanente pour le système et saperait l'autorité et la responsabilité de leurs ministres. Par ailleurs, les ministres sont plus intimement liés aux questions politiques, et une divergence de points de vues de la part des fonctionnaires pourrait entraîner chaos et confusion. I1 est cependant possible qu'en présence de leurs ministres respectifs, les sous-ministres donnent des explications et répondent aux questions relatives aux problèmes complexes de politique gouvernementale, mais ils ne défendent pas cette politique contre les critiques partisanes. En ce qui concerne les autres questions, notamment celles qui ont trait à l'administration de leur ministère et de ses programmes, les fonctionnaires répondent directement au nom de leur ministre.

La responsabilité des sous-ministres et autres fonctionnaires se manifeste devant les comités des deux chambres du Parlement, en particulier le comité des Comptes publics, où l'usage veut maintenant que ce soit les fonctionnaires, et non les ministres, qui comparaissent. Dans les autres comités, les fonctionnaires comparaissent pour assister leur ministre ou son secrétaire parlementaire. Selon l'usage établi, les fonctionnaires répondent directement aux questions d'ordre administratif, le ministre ou le secrétaire parlementaire (bien que parfois, ni l'un ni l'autre ne soit présent) se tenant prêts à intervenir si l'affaire risque de dégénérer en un débat politique qui risque de mettre directement en cause la responsabilité du ministre.4

I1 s'ensuit que, dans un sens, les fonctionnaires doivent répondre au Parlement des questions d'ordre administratif. C'est là un état de fait, lequel ne diminue en rien la responsabilité des ministres qui est mise en cause chaque fois qu'une question administrative empiète sur la politique gouvernementale ou sur des questions susceptibles de provoquer une polémique politique.5 Même à l'époque où les fonctionnaires ne comparaissaient pas encore devant les comités, il était normal qu'un ministre fut accompagné de fonctionnaires qui lui donnaient des renseignements sur les questions d'ordre administratif. Cette pratique s'est étendue au comité plénier des affectations où, pendant les quelques soixante-dix premières années de ce siècle, le sous-ministre comparaissait à côté de son ministre lorsque les prévisions budgétaires de leur ministère étaient à l'étude. De nos jours, on a rarement recours au comité plénier, sauf quand il s'agit des lois financières. Les fonctionnaires comparaissent plutôt devant des comités spéciaux, où ils répondent directement de la manière décrite plus haut.

Conclusion

Les fonctionnaires rendent compte à leurs ministres respectifs, lesquels sont comptables à la Chambre de leur exercice du pouvoir dont ils sont investis en vertu de la loi et en vertu de leur responsabilité envers la Chambre des communes. Il est cependant possible de distinguer entre, d'une part, la responsabilité du sous-ministre envers son ministre à l'égard de toutes les actions prises sous la responsabilité du ministre, et d'autre part, son obligation de rendre compte aux comités parlementaires des affaires administratives qui ne mettent pas directement en cause l'exercice de la responsabilité du ministre. L'obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte aux comités parlementaires des questions d'ordre administratif ne modifie en rien la responsabilité officielle et directe que le ministre assume personnellement envers le Parlement à l'égard de toute question qui relève de son pouvoir de discipline et dont la Chambre a choisi de le tenir responsable.

Les agents de la comptabilité

La pratique observée à Westminster au sujet de la responsabilité des fonctionnaires envers le Parlement est à certains égards, différente de la nôtre. À Westminster, les fonctionnaires ne comparaissent pas pour témoigner devant les comités permanents. Lors de la discussion des projets de loi (les prévisions budgétaires ne sont pas envoyées aux comités permanents), le ministre devient un membre du comité et les débats se déroulent de la même manière qu'à la Chambre des communes. Aucun témoin n'est invité à comparaître. Les fonctionnaires témoignent devant les comités spéciaux, en particulier devant le Comité des comptes publics où, par contre, les ministres ne comparaissent pas car les activités de ce comité revêtent un caractère administratif et ses procédures, un caractère non politique. Le Comité des comptes publics, qui, habituellement, se réunit en public, convoque les fonctionnaires supérieurs des ministères qui répondent aux questions fondées sur les rapports du contrôleur et du vérificateur général. Ces fonctionnaires, habituellement des secrétaires permanents, sont nommés par la Trésorerie à titre d'«agents de la comptabilité», et ils répondent de la probité et de l'économie avec lesquelles les fonds confiés à leurs soins sont dépensés.6

Le fondement juridique de l'«agent de la comptabilité» se trouve dans la loi dite Exchequer and Audit Act de 1866. Aux termes de l'article 22 de cette loi, la tâche d'établir les comptes des ministères «peut être attribuée par la Trésorerie» à «n'importe quel fonctionnaire ou à n'importe quels fonctionnaires».7 Cette loi, ainsi que le texte législatif adopté au début des années 1920 en vue de confier aux secrétaires parlementaires les fonctions d'«agents de la comptabilité», ont ainsi perpétué l'ancienne tradition du Parlement qui attend de la Trésorerie qu'elle garantisse la probité et l'économie dans l'utilisation des ressources. Cette pratique, qui veut que les «agents de la comptabilité» et non pas les ministres comparaissent devant le Comité des comptes publics, se rattache aux préoccupations non politiques et administratives de ce comité : elle souligne que les «agents de la comptabilité» doivent rendre compte au Comité mais ne sont pas responsables envers celui-ci, et que cette obligation ne diminue en rien la responsabilité constitutionnelle des ministres.

Des dispositions semblables, sinon identiques, ont été adoptées en 1867 par le Parlement à Ottawa. Les articles 34 et 37 à 46 de la Loi sur le revenu, adoptée la même année, définissaient la responsabilité civile et pénale des fonctionnaires spécialement désignés pour la garde et la comptabilité des deniers publics.8 L'esprit de ces dispositions a été retenu lors des remaniements successifs de la Loi sur le revenu, et elles ont été renforcées par les réformes Bennett de 1931 qui en ont étendu l'application au contrôleur du Trésor et à son réseau d'agents de la comptabilité. Les articles 57 à 65 de la Loi du revenu consolidé et de la vérification, adoptée la même année, définissaient en détail et de façon explicite la responsabilité des agents de la comptabilité envers le ministre des Finances à l'égard des dépenses et de la comptabilité des deniers publics, dont la responsabilité de payer les coûts et les amendes afférents au recouvrement des dépenses non autorisées.9 Bien que toute mention de la responsabilité des agents de la comptabilité et autres ait été supprimée lorsque la Loi du revenu a été remplacée en 1951 par la Loi sur l'administration financière, celle-ci a retenu la notion de responsabilité civile de ceux-ci. De même, à travers les modifications successives qui se sont étendues sur un siècle, de 1867 à 1967, la loi n'a cessé un seul moment de prévoir la responsabilité pénale en cas de détournement de fonds ou de concussion chez les fonctionnaires.10

Il est donc évident que la responsabilité constitutionnelle des ministres n'a pas pour objet de couvrir l'irresponsabilité des fonctionnaires. Dès le début, le Parlement a expressément prévu la responsabilité des fonctionnaires à l'égard des manquements ou des délits relatifs aux deniers publics sous leur garde. En fait, la primauté du droit veut que quiconque viole la loi soit tenu légalement responsable de cette violation. Ainsi que l'a noté Dicey, [traduction] «tout titulaire de charge publique, du Premier ministre à l'agent de police ou au percepteur, doit assumer la responsabilité de tout acte commis sans justification légale, au même titre que n'importe quel citoyen».11

Conclusion

La responsabilité civile des fonctionnaires publics en cas de détournement de deniers publics et leur responsabilité pénale en cas de fraude sont des notions connues de longue date au Canada, et on peut dire qu'elles sont bien établies en common law Jusqu'en 1951, la loi a prévu un système d'agents de comptabilité en vue d'assurer la probité dans l'utilisation des deniers publics. Au Canada, les agents de comptabilité étaient légalement responsables envers le ministre des Finances, et, de nos jours, les «agents de la comptabilité» d'Angleterre sont légalement responsables envers la Trésorerie. L'obligation qui leur incombe de rendre compte au Comité des comptes publics du Parlement de Westminster est affaire de pratique et l'on peut dire qu'en fait, la pratique observée à Ottawa n'en est pas entièrement différente. La pratique est cependant mieux établie en Angleterre, grâce en partie tout au moins aux règles d'action non partisanes observées à Westminster qui permettent au Comité des comptes publics et à la Trésorerie de collaborer étroitement en vue d'améliorer le système de gestion financière.12 En résumé, ce comité jouit d'un très grand respect, et ses recomendations les plus importantes sont périodiquement publiées dans Epitomes, qui est considéré comme «le manuel de l'administration financière».13

L'institution britannique des «agents de la comptabilité» est la consécration légale de la responsabilité civile et pénale d'une personne à l'égard de ses actions. Cependant, la convention et l'usage parlementaire ont fait de cette institution un instrument à la disposition du Parlement pour suivre de près et pour contrôler dans une certaine mesure l'exercice du pouvoir administratif au sein du gouvernement. La convention qui permet au Parlement de rendre les fonctionnaires, plutôt que les ministres, comptables des affaires administratives, est au coeur de l'institution des agents de la comptabilité : elle a été rendue possible par les pratiques non politiques du Comité des comptes publics.

Ainsi que le gouvernement en a fait l'expérience lorsque la responsabilité individuelle a été estompée par l'imposition de contrôles centraux, responsabilité partagée est responsabilité évitée. L'obligation officielle et directe qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte au Parlement des questions administratives aurait pour effet de diviser la responsabilité des ministres. Une telle obligation nécessiterait la mise en place de pratiques constantes quant aux questions dont les ministres, plutôt que les fonctionnaires, seraient responsables, ce qui se manifesterait tous les jours pendant la période des questions. L'expérience montre que de telles distinctions sont artificielles et que le Parlement tend à ne pas reconnaître cette séparation officieuse entre l'obligation de rendre compte des fonctionnaires et celle des ministres, pour la bonne raison que les ministres sont constitutionnellement responsables et que l'étendue de leur responsabilité est déterminée par la conjoncture politique. De plus, indépendamment de toute considération théorique, une telle division de la responsabilité n'est pas conforme aux principes de gestion.

L'administration et la gestion des programmes consistent à mettre à exécution des politiques fondées sur des décisions d'ordre politique. Comme les programmes ont évidemment un aspect technico-administratif, ils sont habituellement traités par les fonctionnaires devant les comités parlementaires. Néanmoins, tout effort visant à définir les secteurs qui doivent relever spécifiquement de la responsabilité des fonctionnaires aurait pour effet d'effacer davantage les limites de responsabilité et d'affaiblir le cas échéant l'aptitude de la Chambre à tenir le ministre responsable des questions qui sont de sa compétence. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas obliger les fonctionnaires à comparaître et à rendre compte aux comités parlementaires au nom de leurs ministres respectifs, ou encore renforcer l'aptitude du Parlement à contrôler fonctionnaires et ministres de plus près. En dernière analyse, cependant, les ministres sont constitutionnellement responsables: ce sont eux (et non leurs sous-ministres) qui prennent la décision finale en ce qui concerne les actes dont eux seuls peuvent être tenus politiquement responsables.14

La responsabilité ministérielle dans le système congressionnel

L'obligation de rendre compte est un moyen de contrôler l'exercice du pouvoir. En régime parlementaire, la responsabilité constitutionnelle exige (au sens propre et au sens figuré) que les ministres répondent quotidiennement de leurs actes; elle impose une variété de sanctions si leurs réponses laissent à désirer. I1 existe cependant d'autres méthodes constitutionnelles de contrôler l'exercice du pouvoir, lesquelles sont moins fondées sur le principe de l'utilisation responsable du pouvoir, que sur la restriction du pouvoir au moyen d'une division officielle de celui-ci. La plus connue de ces méthodes est le système congressionnel, dont on a souvent préconisé l'incorporation de certaines caractéristiques dans nos pratiques, notamment l'obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte aux comités du Congrès.

Qu'adviendrait-il de la responsabilité constitutionnelle si un ministre cessait d'être personnellement et exclusivement responsable de son ministère et des activités de ce dernier? Pourrions-nous répartir la responsabilité constitutionnelle entre les ministres et les fonctionnaires? Sans trop chercher, on pourrait répondre par l'affirmative, mais il y a lieu de préciser qu'une telle méthode nous obligerait à apporter de profondes modifications à notre système de gouvernement et à faire table rase de la longue évolution qu'a connue notre mode de responsabilité constitutionnelle, lequel se fonde sur l'obligation personnelle de rendre compte.

I1 arrive parfois que ceux qui mettent en doute l'application constante de la responsabilité ministérielle se tournent vers les institutions fédérales des États-Unis, où le contrôle des activités des ministères fédéraux s'exerce par le biais de la comparution de divers échelons de fonctionnaires nommés par faveur politique devant les comités du Congrès où ils défendent la politique du gouvernement. I1 y a cependant lieu de noter que ce contrôle ne constitue pas une obligation officielle de rendre compte, étant donné qu'une fois en place, ces fonctionnaires ne peuvent être destitués que par le président, à moins que le Congrès n'ait recours à la procédure extraordinaire de la mise en accusation. Bref, ces fonctionnaires ne sont pas constitutionnellement responsables I1 y a également lieu de souligner que, leur nomination étant fondée sur leur appartenance à un parti politique, ils ne sont pas censés être politiquement neutres. En effet, le fait que des fonctionnaires comparaissent devant le législatif pour défendre une politique tient à un système gouvernemental fondé sur le principe du contrôle du pouvoir, complètement différent du principe observé en régime parlementaire. Si nous voulons faire de même, dans le contexte de notre régime parlementaire, nous devrons remettre en question les principes sur lesquels repose notre système, en commençant par les origines du pouvoir et par la nature de la responsabilité constitutionnelle qui est à la base de nos pratiques.

En régime de gouvernement parlementaire représentatif, le pouvoir émane de la Couronne, qui l'exerce de manière responsable et conformément aux voeux de l'assemblée législative et à l'interprétation de l'autorité judiciaire, dont elle fait partie dans les deux cas. Par contre, dans le système congressionnel, le pouvoir émane du peuple. On ne contrôle pas ce pouvoir en rendant ceux qui l'exercent responsables (c.-à-d. en les obligeant à rendre des comptes), mais en limitant son étendue et en contrebalançant son exercice, ce qui explique la division des pouvoirs.

En limitant le pouvoir qu'il accorde, le gouvernement congressionnel tient à s'assurer qu'on n'abuse pas outre-mesure de ce pouvoir. Il faut souligner que ce système comporte certes d'importants éléments de responsabilité de facto chez les fonctionnaires qui comparaissent devant les comités, mais qu'il ne les investit pas d'une responsabilité quel que soit leur rang. Le pouvoir est divisé entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, les trois pouvoirs officiellement distincts et séparés de la Constitution. Une fois nommés par le président et confirmés par le Congrès, les membres de l'exécutif ne répondent officiellement qu'au président. Celui-ci est le seul membre de l'exécutif qui doit rendre compte de ses actes, et, sauf dans les cas extrêmes, il n'est pas responsable envers le Congrès mais envers le peuple, qui, au même titre que la Constitution, est le fondement de son pouvoir. Par ailleurs, étant donné que le pouvoir est attribué à une seule personne plutôt qu'à un groupe dont les membres sont individuellement et collectivement responsables, et étant donné que ni le président ni ses conseillers ne font partie du Congrès, il n'y a aucune responsabilité collective et, par conséquent, aucune pression interne visant expressément à assurer l'exercice responsable du pouvoir exécutif. Le contrepoids du pouvoir ne réside pas, en dernier ressort, dans la responsabilité de son exercice mais bien dans ses limitations inhérentes.

Le contrôle du pouvoir au moyen de sa division (plutôt que par la responsabilité constitutionnelle de ceux qui l'exercent et qui doivent en rendre compte quotidiennement et directement aux représentants élus du peuple) tend à affaiblir l'obligation de rendre compte de l'utilisation de ce pouvoir. La division des pouvoirs fait qu'il est difficile de situer les responsabilités et de tenir les intéressés personnellement responsables. Dans tout secteur d'orientation important, on peut voir une succession de participants relevant de l'exécutif comme du Congrès et qui assument chacun une part de la responsabilité ainsi qu'une partie du pouvoir, mais en règle générale, aucun d'entre eux n'assume la responsabilité ultime de l'exercice de tout le pouvoir nécessaire à l'action.15

Un trait essentiel de la division du pouvoir est le jeu des contrepoids parmi ceux qui exercent les divers éléments de ce pouvoir, et en l'absence d'une responsabilité constitutionnelle qui s'attache à telle ou telle personne en particulier, il est virtuellement impossible, de par le jeu des contrepoids dans un système de division des pouvoirs, de tenir quelqu'un personnellement responsable, sauf dans le sens étroit de la poursuite pénale contre la forfaiture personnelle.16

Bien que l'on croit que notre système parlementaire manque d'efficacité, il n'y a qu'à regarder le système congressionnel pour se rendre compte que le régime parlementaire n'est pas la seule méthode constitutionnelle pour l'exercice du pouvoir qui est affligée de lenteur. En régime parlementaire, un gouvernement qui a décidé d'agir peut s'attendre à ce que sa décision se traduise par une action concrète. I1 n'en est pas toujours ainsi dans un système congressionnel. Un président (au contraire d'un Premier ministre) peut être assuré d'un mandat de quatre ans, mais il lui arrive de ne pouvoir persuader le Congrès de se ranger à ses vues. À l'opposé du Parlement, le Congrès peut proposer des mesures fiscales et des dépenses, mais le président peut y opposer son veto. I1 est évident que, dans le système congressionnel, chaque élément des «freins et contrepoids» fonctionne indépendamment, ce qui est nécessaire à l'efficacité de la division des pouvoirs. Le gouvernement parlementaire fonctionne de façon tout autre. Le pouvoir y est assujetti à la responsabilité de deux façons : l'intégration de l'exécutif au législatif, et la création d'un pouvoir exécutif dont chaque bénéficiaire est constitutionnellement responsable et individuellement tenu de rendre compte à ses collègues et à la Chambre des communes.

En régime congressionnel, les ministres et autres dignitaires de même rang sont les créatures du président. Ces ministres et leurs adjoints sont nommés à leurs fonctions; par définition, ils demeurent partisans vis-à-vis du Congrès qui les tient politiquement responsables de leurs rôles respectifs dans le gouvernement organisé par le président.17 En régime parlementaire, le statut des ministres est tout autre. Ils sont constitutionnellement responsables de l'exercice du pouvoir, et ils sont les représentants élus du peuple. Leurs adjoints sont des fonctionnaires politiquement neutres qui ne peuvent partager officiellement la responsabilité personnelle des ministres. Cependant, les ministres du système congressionel pourraient nettement favoriser la responsabilité constitutionnelle en étant élus par le peuple et rendus responsables envers le Congrès. Si, dans une telle éventualité, leurs adjoints continuaient de jouer un rôle politiquement actif vis-à-vis du Congrès, il serait évident que ces ministres ne seraient pas à proprement parler constitutionnellement responsables, en ce sens que leur incapacité à répondre totalement de leur ministère détruirait leur responsabilité envers le Congrès. Le Congrès pourrait alors soit dépouiller les sous-ministres de leur responsabilité politique, soit leur assurer une place au Congrès, afin que les ministres et leurs sous-ministres soient constitutionnellement responsables et conjointement tenus de lui rendre compte par le truchement du type de commission ou de comité qui existait autrefois en régime parlementaire, mais qui changea lorsque l'on jugea plus efficace de concentrer la responsabilité personnelle en une seule personne.

Une telle méthode serait certes contraire au principe essentiel de la division des pouvoirs en régime congressionnel, et elle ne tiendrait pas compte du fait que le président est l'incarnation du pouvoir exécutif. Elle viserait à greffer sur le système congressionnel la notion parlementaire de la responsabilité de l'exécutif envers le législatif, notion qui ne saurait être mise en oeuvre sans une modification fondamentale de la distribution du pouvoir, et partant, de la responsabilité dans ce système. À l'inverse, une réforme du régime parlementaire pourrait consister à diviser la responsabilité constitutionnelle des ministres. Une telle éventualité aurait notamment pour effet de politiser les fonctions de ceux qui partagent les responsabilités des ministres, à savoir les sous-ministres. À moins que, en même temps, le gouvernement parlementaire ne soit remplacé par des institutions compatibles avec la division des pouvoirs selon le modèle congressionnel, ce qui dépouillerait les ministres de leur responsabilité constitutionnelle envers la Chambre et les réduirait au status subordonné de leurs sous-ministres, la politisation de ces derniers ne serait possible que si eux-mêmes étaient officiellement admis à faire partie de la Chambre des communes, la responsabilité de chaque ministre étant déléguée à un comité composé du ministre et du sous-ministre. Autrement, le Parlement ne serait plus à même de tenir ses membres, qui forment le gouvernement, responsables des activités de l'administration publique, ce qui répugnerait au Parlement et renierait la longue lutte qu'il a livrée pour obliger le gouvernement à assumer sa responsabilité constitutionnelle .

Conclusion

Le gouvernement congressionnel fonctionne de façon plus subtile que ne le laisse supposer ce qui précède. Néanmoins, les différences essentielles dans le fondement du pouvoir et dans la manière de l'utiliser sont manifestes. Elles doivent être bien comprises de ceux qui estiment qu'un aspect favorable d'un différent système de gouvernement peut être transplanté sans troubler la tradition constitutionnelle et sans détruire le fragile équilibre de la responsabilité constitutionnelle.18

L'obligation de rendre compte du sous-ministre

C'est le Premier ministre qui nomme le sous-ministre, après avoir consulté le ministre sous les ordres duquel celui-ci doit servir. Le sous-ministre doit observer les normes prescrites par l'administration centrale en ce qui concerne la gestion des ressources à la disposition de son ministère. Il est donc tout naturel que l'obligation qui incombe au sous-ministre de rendre compte porte sur les fonctions et sur les responsabilités qui découlent de ses rapports avec son propre ministre, avec le Premier ministre et avec le gouvernement tout entier.

Le sous-ministre ne peut remplir cette obligation sans tenir compte de la responsabilité du ministre envers le Parlement. Les sous-ministres agissent au nom des ministres. Ils doivent donc répondre à leurs ministres respectifs, bien qu'ils puissent être obligés de rendre compte devant les comités parlementaires des questions qui ne tombent pas expressément sous la responsabilité des ministres.

Ce rapport triangulaire entre le premier ministre, le ministre et le sous-ministre défie tout effort d'analyse précise. En théorie, la possibilité existe certes d'un conflit entre la loyauté du sous-ministre envers son propre ministre et sa loyauté envers le premier ministre. Dans la pratique, cependant, le principe des contrepoids empêche une telle éventualité de se produire, les besoins de la collectivité découlant de la responsabilité individuelle des ministres et l'accentuant à leur tour.

La «loyauté suprême du sous-ministre revient à son ministre», qui porte en lui les germes de la nature individuelle et collective du système.19 Le premier ministre coordonne les responsabilités individuelles des ministres, pour en dégager l'harmonie essentielle à la stabilité gouvernementale. Ainsi que la Commission royale Glassco l'a souligné dans son rapport, le fait que le premier ministre nomme les sous-ministres «leur rappelle... la nécessité d'embrasser d'un même coup d'œil toute l'activité du gouvernement» en même temps qu'il «souligne l'intérêt que les ministres, de par leur responsabilité collective, et surtout le premier ministre, portent à l'efficacité de la gestion dans la fonction publique».20 Néanmoins, pour autant que l'équilibre du système ne soit pas compromis, la principale qualité des sous-ministres est leur loyauté envers leur ministre.21

Le conflit entre la loyauté du sous-ministre envers son ministre et sa responsabilité envers le premier ministre est une manifestation extérieure de l'échec du principe confédéral étudié plus haut. S'il se produit, il n'y aura plus de démarcation nette entre la responsabilité du ministre et celle de son sous-ministre, et cette démarcation ne peut être rétablie que par la démission de l'un ou de l'autre. Qui des deux doit démissionner dépendra des circonstances de chaque cas.

Un sous-ministre s'adressera directement au premier ministre dans deux cas. En premier lieu, le sous-ministre peut estimer que son ministre lui a ordonné d'agir contrairement à sa propre conscience, ou encore qu'il se propose de commettre un acte malhonnête ou autrement inacceptable, qui viole les normes de conduite ministérielle. Dans ce cas, le sous-ministre doit se prévaloir de son droit de s'adresser au premier ministre. En second lieu, un sous-ministre peut ne pas être d'accord avec son ministre sur une question de politique ou d 'administration, ou encore au sujet de quelque directive administrative émanant de l'administration centrale et qui, à son avis, est contraire aux intérêts de son ministre. Dans un tel cas, un sous-ministre avisé ne fera appel au premier ministre qu'en dernier ressort, et il est très rare que des différends de ce genre donnent lieu à une démission. De tels différends ne sont, après tout, que le fruit d'une manifestation exagérée ou débridée des contrepoids à l'oeuvre au sein du système et, d'habitude, le mécanisme qui dégage le voeu collectif des voeux individuels remédiera bien vite à la situation.

Les différends entre ministres et sous-ministres peuvent être réglés avec le concours du premier ministre et de ses conseillers supérieurs, c'est-à-dire les secrétaires du Cabinet. Mais, de façon plus générale, le système des contrepoids entre les ministres ou entre les sous-ministres tend à devenir une force créatrice plutôt qu'une force destructrice, étant donné leur désir de conciliation et grâce au rôle synthétiseur du Bureau du Conseil privé et du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui oeuvrent à mettre en commun les initiatives et les propositions individuelles afin qu'elles puissent agir les unes sur les autres et se transformer ainsi progressivement en initiatives acceptées par le groupe.

I1 s'ensuit que les sous-ministres ont pour premier sujet de préoccupation la responsabilité de leur ministre. On les jugera surtout sur la manière dont les activités qu'ils entreprennent au nom de leur ministre contribuent à l'équilibre du système. Si les organismes centraux fonctionnent comme il convient, ils auront créé les conditions propres à transformer les initiatives individuelles en entreprise collective. S'ils n'y arrivent pas, que ce soit par excès ou par manque d'activité, ils détruiront les conditions nécessaires à la bonne marche du gouvernement ministériel. Aussi est-il essentiel que les organismes centraux et les ministères comprennent la nature de la responsabilité constitutionnelle dans notre système de gouvernement ministériel ainsi que de leurs rôles respectifs au sein de ce système. Si les organismes centraux arrivent à établir l'équilibre qui s'impose dans l'ensemble du système, leurs activités complèteront les initiatives politiques et les fonctions administratives des ministères, de façon que les besoins du centre accentuent les responsabilités individuelles qui sont à la base du système.

Conclusion

Étant donné que les sous-ministres aident les ministres à s'acquitter de leur responsabilité individuelle et étant donné qu'ils jouent un rôle spécial en aidant les ministres à assurer la responsabilité collective du gouvernement, leur obligation de rendre compte doit refléter :

  1. leur obligation de rendre compte au ministre des pouvoirs qu'ils exercent en son nom touchant l'élaboration des politiques et des programmes et leur mise en oeuvre conformément au but dans lequel le Parlement a voté les crédits, et ce, en administrant et en dirigeant les éléments de l'administration publique dont son ministre est investi;
  2. leur contribution à l'exercice de la responsabilité collective du ministre, contribution qu'ils apportent en s'assurant (a) que la position politique de leur ministre sur les questions intéressant leur ministère ou le gouvernement en général est convenablement soutenue; (b) que, sur l'ordre de leur ministre, ils formulent des politiques et des programmes qui favorisent les objectifs d'ensemble du gouvernement auxquels leur ministre a souscrit; et (c) qu'en assumant sa responsabilité spéciale à l'égard de la gestion du ministère et de ses programmes, ils observent les normes et les règles de pratique que tous les ministres ont imposées à chaque ministre aux sous-ministres;
  3. leur responsabilité spéciale de veiller à ce que leur ministère observe les pratiques de gestion prescrites par les organismes centraux et applicables au gouvernement tout entier, de façon que (a) le ministère soit à même de s'adresser comme un tout au Parlement en vue d'obtenir des crédits, et que (b) les pratiques soient telles qu'elles incitent le Parlement à continuer de faire confiance au gouvernement; et
  4. le fait (a) qu'ils doivent être consultés sur la formulation des politiques gouvernementales dont la mise à exécution requiert qu'ils y jouent un rôle essentiel; et (b) qu'étant donné la responsabilité spéciale qu'ils assument dans la gestion des ressources de l'administration publique à la disposition de leur ministère, ils doivent contribuer à l'établissement des normes d'administration prescrites par les organismes centraux, normes nécessaires au maintien de la confiance que le Parlement accorde au gouvernement.

  1. Voir les pages 3 à 6; voir aussi Parris, Constitutional Bureaucracy, page 294 à 308; et Geoffrey Marshall et Graeme Moodies, Some Problems of the Constitution (London, 1959) page 78 à 84.
  2. Voir Finer, «The Individual Responsibility of Ministers», page 393 et 394.
  3. En effet, s'il arrive qu'un ministre n'est pas immédiatement destitué par suite d'un manquement, il est généralement rétrogradé et parfois remplacé lors de futurs remaniements ministériels.
  4. Lorsqu'il était ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, M. Pickersgill a établi les règles fondamentales suivantes: «J'ai pour règle de décider moi-même, lorsqu'on me pose une question, si je dois y répondre personnellement ou demander à l'un de mes fonctionnaires de le faire pour moi. Je n'entends pas répondre moi-même aux questions qui n'ont rien à voir avec la ligne de conduite et qui exigent des détails, car je ne me vois pas très bien demander à l'un de ces messieurs présents qu'ils me soufflent la réponse. Mes fonctionnaires sont bien plus aptes que moi à répondre à ce type de questions car je ne connais pas tous les détails du ministère. Cependant, j'aimerais qu'il soit compris que je me réserve le droit de répondre exclusivement à n'importe quelle question à laquelle je désire répondre moi-même». Comité spécial des prévisions budgétaires, Procès-verbaux et témoignages, fascicule 1, 17 février 1955. Voir Norman Ward, The Public Purse, page 62 et 267, qui traite également de la comparution des fonctionnaires devant les comités. Voir aussi May, The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, page 629 et 630, concernant le pouvoir qu'ont les comités d'exiger la présence de hauts fonctionnaires.
  5. Voici une comparaison qui illustre bien la différence entre les orientations politiques et l'administration : «La politique est un peu comme un éléphant, vous le reconnaissez au premier coup d'oeil, mais vous avez du mal à le décrire»; voir Edward, Lord Bridges (secrétaire du Cabinet à Whitehall, 1938-1945), «The Relationship between Ministers and the Permanent Department Head», Canadian Public Administration, vol. viii, no 3, 1964.
  6. La nomination des secrétaires permanents (c.-à-d. des sous-ministres) à titre de délégués aux questions financières montre bien que les finances et la politique sont indissociables, et que la responsabilité en matière financière ne peut être assumée que par ceux qui conseillent les ministres sur la politique à suivre. Lorsque le système a été établi en Grande-Bretagne au cours des années 1920, la Trésorerie a passé outre à la recommandation d'un comité parlementaire, selon laquelle les délégués aux questions financières devaient être des spécialistes des finances.
  7. An Act to consolidate the Duties of the Exchequer and Audit Departments, to regulate the Receipt, Custody, and Issue of Public Moneys, and to provide for the Audit of the Accounts thereof, 29 and 30 Victoriae, Cap. 39. Voir l'extrait de la décision de la Trésorerie en date du 14 août 1872, dans «The Responsibilities of an Accounting Officer», Note by the Treasury, 17 février 1964.
  8. Acte concernant la perception et l'administration du revenu, l'audition des comptes publics, et la responsabilité des comptables publics, 21 décembre 1867, 31 Victoriae, Cap. V.
  9. Loi modifiant la Loi du revenu consolidé et de la vérification 21-22 Geo. V., ch. 27. Voir Norman Ward, The Public Purse page 168 et 169 qui décrit les similitudes entre les réformes de Whitehall des années 1920 aux termes desquelles les secrétaires permanents sont devenus «agents de la comptabilité» d'une part, et les réformes Bennett à Ottawa en 1931 d'autre part.
  10. Voir la Loi pourvoyant à l'administration financière du gouvernement du Canada, à la vérification des comptes publics et au contrôle financier des corporations de la Couronne, 15-16 Geo. VI, ch. 12, 1951, part. ix; et S.R.C., 1970, c. F-10. Il est intéressant de noter qu'aux termes des articles 24, 25 et 27 de la Loi actuellement en vigueur, les sous-ministres sont tenus de s'assurer au moyen d'un système adéquat de comptabilité que les fonds alloués n'ont pas été dépassés et que les paiements effectués sont à la fois «raisonnables» et conformes aux contrats.
  11. Voir Dicey, Law of the Constitution page 193. À la page 327, il note: [traduction] «les actes des ministres, comme les actes de leurs subordonnés, sont sujets à la primauté du droit".
  12. En effet, les rapports qui existent entre ces deux organismes revêtent souvent la forme d'une collaboration. Voir Roseveare, The Treasury, page 141 et 202.
  13. Jennings, Parliament, page 337 et 338. Voir aussi de Smith, Constitutional and Administrative Law, page 289 et 290.
  14. Il convient de noter que le Parlement a toujours laissé au Conseil des ministres le soin de contrôler le détail des finances publiques. Dans son rapport au gouvernement Borden en 1912, Sir George Murray a clairement exposé ces faits: «Le contrôle des dépenses peut être considéré selon deux points de vue: il y a le contrôle exercé par le Gouvernement sur ses propres ministères, et le contrôle exercé par le Parlement sur les propositions du Gouvernement. Ce dernier contrôle peut être considéré comme négligeable. En théorie, le contrôle du Parlement sur les dépenses est complet; en pratique, il n'offre que peu de valeur. Cela est dû en partie à ce que le Gouvernement, qui a nécessairement l'appui de la majorité à la Chambre des communes, peut généralement faire adopter ses propres prévisions budgétaires et en partie à ce que, même si les députés se disent théoriquement en faveur des restrictions budgétaires, ils demandent généralement plus de fonds pour des fins qui intéressent leurs circonscriptions plutôt que des réductions dans le cas de programmes qui n'entrent pas dans cette catégorie. En résumé, le contrôle des dépenses publiques doit reposer presque entièrement sur le gouvernement du jour; et ici encore nous trouvons généralement que les ministres individuels, s'ils sont prêts à accepter des réductions lorsqu'il s'agit des autres ministères, sont avant tout portés à recommander des augmentations dans leurs propres ministères». Rapport sur 1'organisation du service public du Canada, p.10 et ll.
  15. Par exemple, le président peut proposer au Congrès une mesure budgétaire, mais le Comité des prévisions budgétaires (Ways and Means Committee) peut soit y apporter des modifications importantes soit recommander une mesure toute différente. Aussi, à moins d'un veto, le président peut-il être amené à accepter des mesures auxquelles il est plus ou moins opposé et que, en tout état de cause, il n'a pas recommandées. Par comparaison, le Parlement canadien ne peut modifier les propositions du ministre des Finances qu'avec son consentement, et la Chambre ne peut ni majorer les recettes fiscales qu'il propose ni en introduire de nouvelles. En régime parlementaire, la politique budgétaire du gouvernement relève ainsi de la responsabilité expresse et personnelle du ministre des Finances, qui ne peut rejeter le blâme sur la Chambre ou sur un autre organisme.
  16. La dilution de la responsabilité apparaît également dans le fonctionnement du système des comités congressionnels: les comités puissants qui protègent des groupes d'intérêts influents peuvent en effet enlever à l'exécutif le contrôle de certains éléments de l'appareil gouvernemental.
  17. Les intéressés ne sont officiellement responsables qu'envers le président, mais ils comparaissent souvent devant les comités du Congrès pour expliquer la politique et les actes I Dans la mesure où ces comparutions constituent de facto une façon de rendre compte aux commissions du Congrès, les ministres et leurs adjoints respectifs partagent la responsabilité des mesures qu'ils prennent au nom du président.
  18. Voir Richard Neustadt, «White House and Whitehall» dans The British Prime Minister, annoté par Anthony King (London, 1969) page 131 à 147, qui contient quelques réflexions intéressantes sur les similitudes et les différences entre la nature du pouvoir exécutif en régime parlementaire et celle de l'exécutif en régime congressionnel.
  19. Voir «Ministers and the Permanent Department Head» de Bridges, page 277.
  20. Commission royale sur l'organisation du gouvernement, vol. 1, page 60.
  21. Voir Jennings, Cabinet Government, page 97. Selon un ancien secrétaire du cabinet, un sous-ministre a pour attribution de conseiller le ministre et «...et de lui éviter des ennuis. Mais une fois que le ministre a arrêté une ligne de conduite ou une nouvelle politique, c'est le devoir du fonctionnaire de la mettre à exécution loyalement, sauf dans les rares cas où cette ligne de conduite ou politique peut être illégale. Dans une telle éventualité et si tous les efforts échouent, le fonctionnaire n'a pas d'autre choix que la démission». Voir J. W. Pickersgill «Bureaucrats and Politicians», Canadian Public Administration, vol. XVe n° 3, 1972.

VIII Les principes découlant de l'obligation de rendre compte

L'obligation de rendre compte dans le système découle directement de la responsabilité des ministres. Ceux-ci répondent de leurs actes devant le Parlement, où ils sont mis au défi de justifier la manière dont eux-mêmes ou leurs collaborateurs exercent le pouvoir qui leur revient légitimement en vertu de la responsabilité constitutionnelle afférente à leur qualité de ministres. Le Parlement s'attend et exige que les ministres assument leurs responsabilités, et il a libre accès aux ministres dans le but de les rendre responsables. Les sous-ministres tiennent presque tous leurs pouvoirs de leurs ministres respectifs. Ils sont loyaux envers ces derniers, et sont tenus de participer activement aux décisions politiques et administratives prises individuellement et collectivement par les ministres, et de les soutenir activement . En somme, les sous-ministres sont responsables envers leurs ministres respectifs.1

Le présent document s'est attaché à faire ressortir la hiérarchie du pouvoir qui émane de la Couronne ainsi que la manière dont ce pouvoir a été mis au service du système de gouvernement représentatif. Henry Parris a résumé en ces termes la longue évolution qui a fondé le gouvernement parlementaire sur la concentration de la responsabilité entre les mains des ministres:

[traduction]

Si le conseil reçu par la Couronne émanait d'un fonctionnaire permanent, que pourraient faire les adversaires de la politique découlant de ce conseil? Ils ne pourraient pas s'attaquer au ministre, qui n'était pas leur cible. Ils ne pourraient pas non plus s'attaquer au fonctionnaire responsable, qu'ils ne pourraient pas faire révoquer à cause de son statut de fonctionnaire permanent. On a finalement réglé ce problème en étendant la doctrine de la responsabilité ministérielle. Dans les cas extrêmes, les ministres démissionnaient et les fonctionnaires restaient en fonction. Maitland a souligné que «l'immunité royale est assortie de la responsabilité ministérielle». Lowell a lu l'inscription qui figurait à l'endos de la médaille : «Le fonctionnaire permanent, comme le roi, est infaillible».2

Toutefois la Couronne doit évidemment agir «sur avis» de même que les fonctionnaires doivent se subordonner aux ministres, et ce sont justement ces considérations qui président à la responsabilité constitutionnelle des ministres.

Néanmoins, c'est un fait que le gouvernement est une grande entreprise. Ce n'est pas seulement de nos jours que les ministres ne peuvent pas savoir tout ce qui se passe sous leur autorité; ce phénomène est seulement plus prononcé à l'heure actuelle qu'il ne l'était il y a 200 ans, ce qui ne constitue pas une preuve prima facie de l'anachronisme de la responsabilité ministérielle. Les ministres passent une grande partie de leur temps à fournir des renseignements au Parlement, ce qui signifie qu'ils doivent fournir et partager les renseignements, sans pour autant partager leur responsabilité. Le Parlement a reconnu cette nécessité, et sans déroger à son droit de tenir les ministres responsables, il a consenti de plus en plus à ce que les fonctionnaires répondent des dossiers qui, à première vue tout au moins, ne semblent pas mettre en question la confiance que la Chambre accorde au ministre. Les pratiques que les comités permanents du Parlement ont adoptées montrent clairement cette évolution.

Selon les principes fondamentaux de l'obligation de rendre compte, le pouvoir émane de la Couronne et il est exercé par les ministres qui sont responsables envers le Parlement. Les fonctionnaires conseillent les ministres et sont responsables envers ces derniers. Quant à l'obligation qui incombe aux ministres de rendre compte au Parlement, on peut faire la distinction entre les questions qui mettent directement en cause ou qui, au cours des débats, finissent par mettre en cause la confiance que la Chambre accorde aux ministres d'une part, et les questions qui ne mettront probablement pas en cause cette confiance. Cette distinction faite, et eu égard à la nécessité de faire en sorte que les ministres soient en mesure de tenir les fonctionnaires effectivement responsables, il est intéressant de noter que selon la pratique en cours, les comités parlementaires jouent (ou sont susceptibles de jouer) un rôle considérable en tenant les fonctionnaires responsables envers eux aidant ainsi les ministres à assurer la bonne gestion du service public et ajoutant à l'efficacité de l'obligation directe ou officielle qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte à leurs propres ministres.

Les comités parlementaires peuvent bien jouer un rôle dans l'obligation de rendre compte des sous-ministres, mais il incombe aux ministres de s'assurer que les sous-ministres, qui sont leurs mandataires, leur rendent compte. En dernière analyse, dans notre système, les ministres sont élus pour prendre des décisions tandis que les fonctionnaires sont nommés pour administrer et pour conseiller L'obligation de rendre compte des sous-ministres doit donc refléter harmonieusement les rapports avec le Premier ministre, le ministre et le Conseil des ministres, que le sous-ministre doit établir en vertu de la responsabilité qui lui incombe d'appuyer la responsabilité individuelle et collective des ministres.

L'obligation de rendre compte dépend des moyens systématiquement mis en oeuvre pour l'appréciation des activités. À cet égard, il y a lieu de faire la distinction entre les fonctions de conseiller politique et les fonctions d'administrateur des sous-ministres. L'évaluation du rôle politique des sous-ministres est essentiellement subjective; elle concerne également son aptitude à réaliser des objectifs politiques spécifiques qui ont été établis. Par contre, l'appréciation de ses fonctions administratives est plus objective et vise son aptitude à appliquer les normes de gestion et d'autres critères relativement objectifs. À cet égard, il importe d'accorder aux sous-ministres un rôle suffisant dans l'établissement et l'application des pratiques et des modalités de gestion prescrites par les organismes centraux, lesquelles régissent l'utilisation des ressources essentielles à la réalisation des objectifs et des programmes du gouvernement.

I1 faut que les sous-ministres comprennent (et si possible, contribuent à établir) les critères selon lesquels ils seront jugés et tenus responsables. Cette règle s'applique particulièrement à la formulation et à la gestion des programmes et à l'administration de leur ministère. Elle est aussi importante dans le secteur de la détermination des politiques et de l'établissement des objectifs politiques, où les sous-ministres doivent s'assurer qu'ils se sont prévalu de leur droit de présenter leurs vues et de signaler toutes les entraves administratives ou autres qui pourraient gêner la réalisation d'objectifs donnés. I1 ne faut pas que la responsabilité des sous-ministres soit fragmentaire. On ne peut séparer la gestion et les finances de la politique, et bien qu'on puisse apprécier séparément les activités des sous-ministres dans ces secteurs, les conclusions ainsi que les décisions touchant leur carrière doivent être fondées sur une appréciation globale. Les activités des sous-ministres doivent faire l'objet de l'appréciation la plus objective possible, leur obligation de rendre compte doit être fonction du jugement de ceux envers qui ils sont responsables (à savoir le ministre et le Premier ministre), et ce jugement doit être fondé sur les meilleures appréciations spécifiques et méthodiques qui puissent se faire.

Conclusion

L'obligation de rendre compte qui est fondée sur toutes ces considérations dépend de ce que le Parlement, les ministres, la fonction publique, et avant tout les sous-ministres et les organismes centraux comprennent le rôle complexe que jouent les sous-ministres dans le renforcement des responsabilités assumées individuellement et collectivement par les ministres. L'obligation de rendre compte du sous-ministre - qui se fonde sur la responsabilité constitutionnelle de son ministre, qui est renforcée par la tradition de la responsabilité collective et qui est rendue plus efficace par sa responsabilité administrative devant le Parlement - doit s'exercer envers ceux qui l'ont nommé, qui décideront de son avenir, et auxquels il doit rendre compte.


  1. M. Pickersgill a fait cette observation: [traduction] «... bien qu'il n'appartienne pas aux fonctionnaires de faire de la politique, ils n'ont pas le droit de rester neutres entre le gouvernement et l'opposition. Les fonctionnaires sont tenus de servir loyalement le gouvernement au pouvoir, peu importe qu'ils approuvent au non sa politique. Les gouvernements accèdent au pouvoir par la volonté des électeurs, et les fonctionnaires n'ont nullement le droit de saboter cette décision, ni même d'y faire obstacle. Aux yeux des meilleurs fonctionnaires, il ne suffit pas de ne pas faire obstacle à la volonté politique du ministre et du gouvernement. Les meilleurs d'entre eux s'efforceront de contribuer dans les limites de leur aptitude à la formulation, à l'amélioration et à l'exécution de nouvelles politiques ou des changements de politique adoptés par le gouvernement au pouvoir, étant donné que c'est le gouvernement, et non la fonction publique, qui doit rendre compte à l'assemblée législative et au peuple» (Bureaucrats and Politicians, page 426 et 427). Lord Armstrong, qui dirigeait la fonction publique de Grande-Bretagne, tenait les mêmes propos au sujet du rapport entre la loyauté et la responsabilité, au cours d'un témoignage devant un comité spécial de la Chambre des communes: [traduction] «L'impartialité de la fonction publique réside dans le soutien loyal qu'elle accorde au parti au pouvoir et cette impartialité ne signifie pas neutralité entre gouvernement et opposition». Voir Maurice Wright, «The Professional Conduct of Civil Servants» dans Public Administration, printemps 1973, page 1 à 15. En ce qui concerne l'avantage d'un système de fonctionnaires supérieurs permanents et relativement anonymes, voir Sir William Armstrong, «The Role and Charter of the Civil Service» publié pour la British Academy (Oxford, 1970) page 13 à 16.
  2. Voir Parris, Constitutional Bureaucracy, page 104 et 105.

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