Perspectives Mai 2011

Mai 2011, Vol.1, No. 5

PERSPECTIVES du Comité des griefs des Forces canadiennes

J'ai le plaisir de vous présenter la cinquième édition de Perspectives, le bulletin du Comité des griefs des Forces canadiennes destiné aux cadres supérieurs des Forces canadiennes.

Bruno Hamel, Président

Dans ce numéro, le comité discute de la nécessité de mettre à jour le programme de Garantie de remboursement des pertes immobilières, et ce en raison des changements importants que le marché de l'immobilier a connus au cours des dix dernières années. Ce programme suscite également des préoccupations quant à la façon dont les Forces canadiennes traitent les demandes de remboursement des pertes immobilières. Ces questions ont attiré l'attention du Comité alors qu'il examinait plusieurs griefs soumis par des militaires ayant subi d'importantes pertes financières lorsqu'ils ont dû, suite à une affectation, vendre leurs résidences à un prix bien inférieur au prix d'achat.

Le Comité examine également la section 29 de la Loi sur la Défense nationale qui énonce les modalités du dépôt d'un grief. Le Comité met en garde contre une interprétation erronée du paragraphe 29(2)(c), qui risquerait de restreindre à grande échelle le droit des militaires de déposer un grief en matière d'indemnités et d'avantages sociaux.

Perspectives vise à accroître la sensibilisation des décideurs aux questions de plus grande ampleur et aux tendances qui retiennent son attention alors qu'il examine les griefs individuels. À ce sujet, j'aimerais partager avec vous des commentaires positifs que nous avons reçus du chef du personnel militaire. En effet, dans une lettre envoyée récemment au Comité, le Contre-amiral Andrew Smith décrit Perspectives comme étant un élément important de l'évaluation des politiques relatives au personnel militaire et de leur application et un outil de grande valeur qui contribue à l'efficacité et à l'aptitude d'agir de l'équipe de gestion du personnel militaire. Nous sommes heureux de constater que, grâce à Perspectives, les décideurs et les autres intervenants sont en train de profiter des informations valables que le Comité recueille en examinant les griefs.

Nous espérons que cette nouvelle édition de Perspectives sera aussi utile et instructive que celles qui l'ont précédée. Vous trouverez toutes les éditions de Perspectives sur notre site Web (www.cfgb.gc.ca). Nous attendons également vos commentaires. Vous pouvez nous les transmettre par courriel (najwa.asmar@cfgb-cgfc.gc.ca), ou par téléphone (613-996-8529, sans frais : 1-877-276-4193).

Bruno Hamel
Président

À propos du Comité

Le Comité des griefs des Forces canadiennes est une agence fédérale indépendante du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes (FC). Le Comité examine les griefs militaires qui lui sont renvoyés par le chef d'état-major de la Défense (CEMD) et rend, en temps opportun, et de manière informelle et équitable, des conclusions et recommandations impartiales au CEMD et au plaignant ou à la plaignante. En remplissant son mandat, le Comité renforce la confiance des militaires dans le processus des griefs des FC et en accroît l'équité.

Garantie de remboursement des pertes immobilières

Au cours de la dernière année, le Comité a examiné quatre griefs déposés par des membres des Forces canadiennes (FC) ayant subi de très importantes pertes financières quand, à la suite d'une nouvelle affectation, ils ont dû vendre leur résidence à un prix bien inférieur au prix qu'ils ont versé à l'achat. Les plaignants ont tous demandé un redressement en vertu de la Garantie de remboursement des pertes immobilières (GRPI). Dans les trois griefs dont il a déjà complété l'examen, le Comité s'est montré critique envers le programme, mais tel qu'expliqué plus loin, il n'a pu recommander le remboursement que dans un seul cas qui satisfaisait aux critères d'admissibilité de la GRPI dans un marché faible, selon le Comité. Le chef d'état-major de la Défense (CEMD), en sa qualité d'autorité de dernière instance, a reconnu les torts subis par les plaignants, mais a admis que sa capacité de fournir un redressement était limitée par la politique en vigueur.

Le nombre de griefs peut sembler peu élevé, mais trois facteurs justifient que l'on examine la GRPI et que l'on formule des commentaires : les pertes subies par les plaignants sont importantes, les FC sont incapables de fournir un redressement et la situation actuelle du marché immobilier laisse croire que des griefs similaires pourraient être déposés à l'avenir.

Le programme de la GRPI fait partie d'une politique générale de réinstallation qui vise à permettre aux membres des FC de déménager à un coût raisonnable pour le public, tout en minimisant les effets négatifs pour eux. Cette garantie de remboursement est offerte depuis plus de dix ans, mais ses règles et procédures ont beaucoup changé depuis l'introduction du Programme de réinstallation intégrée des FC (PRIFC). La GRPI en vigueur actuellement indemnise les membres des FC qui subissent une perte lors de la vente de leur résidence. Dans la plupart des cas, l'indemnité maximale s'élève à 15 000 $, à moins que le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) ne détermine que la vente a eu lieu dans un marché faible, soit dans une communauté où le marché du logement a baissé de plus de 20 pour cent depuis l'achat de la résidence. En pareil cas, le militaire peut recevoir une indemnité équivalant à 100 pour cent des pertes qu'il a subies.

Fait à signaler, les chiffres – 15 000 $ maximum d'indemnité et 20 pour cent de baisse pour qu'un marché immobilier soit qualifié de faible – n'ont pas changé depuis dix ans. Au cours de la même période, le prix moyen des maisons au Canada a plus que doublé. La perte que peut subir un membre des FC, si le marché dans sa communauté n'a pas été qualifié de faible, a donc considérablement augmenté. De plus, il semble que selon le Conseil du Trésor (CT), communauté s'entend d'une agglomération urbaine dans son ensemble et non d'un quartier plus restreint où le marché immobilier peut subir les effets de fluctuations locales importantes.

Ainsi, comme l'a fait remarquer le CEMD dans une récente décision, les membres des FC s'exposent à des pertes financières qui peuvent être dévastatrices. C'est certainement le cas dans les situations examinées par le Comité, lesquelles présentent des pertes allant de 30 000 $ à 73 000 $ après le versement de l'indemnité maximale prévue au programme actuel. Dans ces cas, certaines affectations, souvent imprévues, mais dictées par les impératifs du service, ont eu des répercussions financières catastrophiques pour les familles des FC.

Ainsi, comme l'a fait remarquer le CEMD dans une récente décision, les membres des FC s'exposent à des pertes financières qui peuvent être dévastatrices. C'est certainement le cas dans les situations examinées par le Comité, lesquelles présentent des pertes allant de 30 000 $ à 73 000 $ après le versement de l'indemnité maximale prévue au programme actuel. Dans ces cas, certaines affectations, souvent imprévues, mais dictées par les impératifs du service, ont eu des répercussions financières catastrophiques pour les familles des FC.

Le Comité a aussi constaté que certaines demandes en vertu du programme de la GRPI n'ont peut-être pas été examinées correctement par les autorités des FC chargées de l'administration de la politique. Les FC ne peuvent pas modifier la GRPI, mais le PRIFC exige que les demandes individuelles, en vue d'obtenir la désignation de marché faible, soient transmises au CT. Dans un cas où le plaignant avait fourni la preuve que le marché avait baissé de 30 pour cent le Comité a noté que sa demande d'une GRPI élargie, et le grief qui en a résulté, avaient été rejetés sans que la demande ne soit transmise au CT. Il semblerait que cette omission soit attribuable à un courriel envoyé par un fonctionnaire du CT en mai 2009, notant qu'il n'existait pas de marchés faibles au Canada. Le Comité a plus tard reçu des explications disant que la question n'a plus été examinée en raison de priorités plus pressantes et du fait que le SCT est convaincu que le problème n'est pas assez important pour justifier une demande de modification de la politique.

Selon le Comité, ces explications ne sont absolument pas satisfaisantes. Dans ses conclusions et recommandations les plus récentes sur le sujet, le Comité a indiqué ce qui suit :

Selon l'Association canadienne de l'immeuble, le prix de revente moyen des résidences au Canada est de 342 662 $ en juin 2010 (p. 197). Dans ces circonstances, une baisse de 19 pour cent sur le marché se traduirait par une perte de 65 105,78 $, laquelle ne donnerait lieu qu'à un remboursement maximal de 15 000 $ en vertu de la politique actuelle. Pour cette raison [le Comité] juge que la GRPI prévue au PRIFC n'est ni raisonnable, ni à jour et ne permet pas d'atteindre le but qui consiste à faciliter la réinstallation des membres tout en limitant les conséquences négatives pour eux. Il est donc impératif d'agir pour remédier à la situation.

Le Comité est heureux de constater que le CEMD était d'accord avec ce constat. Dans les deux griefs où il lui a été impossible d'accorder un redressement, le CEMD a néanmoins demandé que la GRPI fasse l'objet d'un examen, de concert avec le CT, dans le but d'en minimiser l'incidence négative sur les membres des FC. Par ailleurs, dans le grief concernant le marché faible mentionné plus haut, le CEMD a ordonné qu'une demande au CT soit rédigée comme l'exige le PRIFC.

Le Comité a recommandé (et le chef d'état major de la Défense en a convenu) que les Forces canadiennes collaborent avec le Conseil du Trésor pour réviser le programme de Garantie de remboursement des pertes immobilières de manière à ce que les militaires puissent être réinstallés à un coût raisonnable pour le public, sans que cela ne se traduise par un effet préjudiciable sur leur situation financière.

En résumé, les effets dévastateurs de ce type de perte pour la famille militaire ont été bien décrits par l'épouse d'un des plaignants dans une lettre adressée au CEMD :

Toute votre vie, vous faites des efforts pour mettre de l'argent de côté pour votre famille, puis une réaffectation ordonnée par votre employeur détruit toutes vos économies, vous fait crouler sous les dettes et vous place au bord de la faillite. Pourquoi devons-nous perdre autant à cause d'une nouvelle affectation?

Il y a lieu de préciser que dans tous les cas examinés par le Comité jusqu'ici, le membre des FC avait agi avec prudence dans une situation difficile, en achetant une maison modeste dans la région où il, ou elle, s'était réinstallé(e) avec sa famille. Être affecté partout et en tout temps selon les besoins des FC est accepté comme une exigence du service militaire. Cependant, les familles des militaires, tout en acceptant le fait qu'elles doivent être réinstallées à un coût raisonnable pour le public, s'attendent à ce que cela se fasse sans effet préjudiciable sur leur situation financière. Le Comité a recommandé (et le CEMD en a convenu) que les FC collaborent avec le CT pour réviser le PRIFC afin d'atteindre ces deux buts et de mieux soutenir les familles des FC.

Droit de déposer un grief

Le Comité a été saisi, au cours des derniers mois, de plusieurs dossiers dans lesquels une autorité initiale (AI) a rejeté certains griefs ou a refusé d'en examiner le bien-fondé au motif que ces griefs contestaient l'application ou l'interprétation d'un règlement du gouverneur en conseil. Par exemple, une AI a conclu que le militaire n'avait pas le droit de déposer un grief à l'encontre d'une décision prise en vertu des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux (DRAS) étant donné le libellé du paragraphe 29(2)(c) de la Loi sur la Défense nationale (LDN) (voir plus loin).

Le CEMD a également adopté cette position. Alors qu'il concluait qu'un militaire ne pouvait pas présenter de grief à l'encontre d'une décision découlant de la Loi sur la pension des retraites des Forces canadiennes (LPRFC), le CEMD a indiqué :

La LPRFC est une loi du Parlement du Canada, et le [Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes – RPRFC] est approuvé par le Conseil du Trésor (CT) pour l'administration de la LPRFC. En conséquence, la LPRFC et le RPRFC sont sous la juridiction du gouverneur en conseil. Cela signifie que ces deux politiques sont au-delà de l'autorité des FC.

Avec respect, le Comité n'est pas d'accord avec cette interprétation. L'article 7.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), qui reprend intégralement l'article 29 de la LDN, indique les modalités du dépôt d'un grief :

7.01 - DROIT DE DÉPOSER DES GRIEFS
(1) Les paragraphes 29(1) et (2) de la Loi sur la défense nationale prescrivent :

29. (1) Tout officier ou militaire du rang qui s'estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

(2) Ne peuvent toutefois faire l'objet d'un grief :

a)les décisions d'une cour martiale ou de la Cour d'appel de la cour martiale;
b)les décisions d'un tribunal, office ou organisme créé en vertu d'une autre loi;
c)les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil.

(2) Ne peuvent faire l'objet d'un grief les décisions prises aux termes du code de discipline militaire. [...]

(G) (C.P. 2000-863 du 8 juin 2000 en vigueur le 15 juin 2000)

Il est d'abord important de souligner que les directives et les règlements du CT ne sont pas des règlements pris par le gouverneur en conseil. De plus, l'alinéa 29(2)(c) de la LDN n'empêche pas les militaires de déposer des griefs à l'encontre de questions régies par des règlements du gouverneur en conseil mais plutôt permet au gouverneur en conseil d'exclure expressément, par règlement, des questions ou des cas du processus des griefs.

[...] une décision prise en vertu d'un règlement peut être contestée par un grief à moins que le gouverneur en conseil n'ait expressément déclaré, par règlement, que la question ou le cas sont exclus du processus de griefs.

Il est intéressant de mentionner la disparité entre les versions française et anglaise de cette disposition. Les principes d'interprétation des lois stipulent que dans l'interprétation d'une loi bilingue, il faut chercher le sens commun entre les deux versions. Pris isolément, le terme prescribed utilisé dans la version anglaise pourrait être considéré ambigu. Par contre, dans la version française, il est stipulé que : Ne peuvent toutefois faire l'objet d'un grief [...] les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil. Ainsi, la comparaison des versions anglaise et française de la LDN permet de constater que le terme prescribed devrait être interprété comme signifiant exclus.

Par conséquent, une bonne interprétation de la disposition ci-dessus revient à dire qu'une décision prise en vertu d'un règlement peut-être contestée par un grief à moins que le gouverneur en conseil n'ait expressément déclaré, par règlement, que la question ou le cas sont exclus du processus de griefs.

Afin de comprendre l'exclusion règlementaire d'une question ne pouvant faire l'objet d'un grief, il est opportun de se référer à l'ORFC paragraphe 7.01(2). Cette disposition fait partie d'un règlement pris par le gouverneur en conseil, tel que l'indique la lettre G1 à la fin de la disposition. Ainsi, en vertu du paragraphe 7.01(2), les décisions prises aux termes du code de discipline militaire sont exclues du processus des griefs. Un militaire ne peut donc pas contester par l'entremise d'un grief une décision découlant du processus disciplinaire. Il s'agit de la seule exclusion faite par le gouverneur en conseil qui existe présentement.

Le Comité est d'avis que les décisions qui interprètent et appliquent des règlements du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor en matière financière peuvent faire l'objet d'un grief. Exclure ces questions ou encore celles relatives au Programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes, selon une interprétation erronée de l'alinéa 29(2)(c) de la Loi sur la Défense nationale, aurait pour effet de restreindre à grande échelle le droit des militaires de déposer un grief en matière d'indemnités et d'avantages sociaux.

Quant aux décisions des FC qui interprètent et appliquent des règlements du gouverneur en conseil ou du CT en matière financière, le Comité est d'avis que celles-ci peuvent faire l'objet d'un grief. Exclure ces questions ou encore celles relatives au Programme de réinstallation intégrée des Forces canadiennes, par une interprétation erronée de l'alinéa 29(2)(c) de la LDN, aurait pour effet de restreindre à grande échelle le droit des militaires de déposer un grief en matière d'indemnités et d'avantages sociaux.

En conclusion, notons, qu'à l'exception de sa décision impliquant la LPRFC mentionnée plus haut, le CEMD avait dans le passé adopté la position du Comité quant à la portée du paragraphe 29(2)(c) de la LDN. De plus, juste avant que ce bulletin ne soit mis sous presse, le Comité a reçu une décision du CEMD approuvant complètement sa position à ce sujet. Le Comité espère que cet article aidera à dissiper la confusion qui semble persister quant à cette disposition et facilitera la prise de décision de la part des officiers agissant à titre d'autorité décisionnelle dans le processus des griefs.

Perspectives a été créé pour communiquer aux décideurs et aux professionnels associés à la résolution des plaintes au sein des Forces canadiennes d'importantes leçons apprises de l'examen des griefs. N'hésitez pas à nous transmettre vos commentaires : najwa.asmar@cgfc-cfgb.gc.ca; www.cgfc.gc.ca; 613-996-8529; sans frais : 1-877-276-4193.

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