Page 8 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le trichloroéthylène

7.0 Cinétique et métabolisme

7.1 Absorption

Le TCE est facilement absorbé à la suite d'une exposition tant par voie orale que par voie respiratoire. L'absorption par voie cutanée est aussi possible, mais l'information disponible sur cette voie d'exposition est limitée. L'absorption du TCE par toutes les voies d'exposition, bien documentée, varie considérablement entre les espèces et à l'intérieur de celles-ci.

Chez les animaux, le TCE est absorbé rapidement et abondamment au niveau du tractus gastro-intestinal pour passer dans la circulation générale. Des études de bilans de masse portant sur le TCE identifié à l'aide d'un marqueur radioactif ont indiqué que les souris et les rats métabolisaient le TCE à un taux de 38-100 % et de 15-100 % respectivement après administration par voie orale dans de l'huile de maïs. Dans le cas des deux espèces, on a obtenu les valeurs les moins élevées à la suite d'un traitement au moyen de doses importantes de plus de 1 000 mg/kg p.c., ce qui laisse penser que le taux d'absorption était plus élevé à faible dose qu'à dose élevée chez les deux espèces (Daniel, 1963; Parchman et Magee, 1982; Dekant et Henschler, 1983; Dekant et coll., 1984; Buben et O'Flaherty, 1985; Mitoma et coll., 1985; Prout et coll., 1985; Rouisse et Chakrabarti, 1986). Des milieux différents ont un effet sur le taux d'absorption, qui est près de 15 fois plus élevé à la suite d'un dosage dans l'eau qu'à la suite d'une administration dans de l'huile de maïs. Dans l'ensemble, l'absorption du TCE par le tractus gastro-intestinal est importante, et presque complète à des concentrations très faibles. Même si l'on n'a pas trouvé d'études d'exposition portant sur l'absorption de TCE par voie orale chez les êtres humains, de nombreuses études sur l'ingestion accidentelle ou intentionnelle de TCE indiquent que l'absorption du TCE par le tractus gastro-intestinal chez les êtres humains sera probablement importante (Kleinfeld et Tabershaw, 1954; DeFalque, 1961; Bruning et coll., 1998).

L'absorption de TCE dans la circulation générale par voie pulmonaire se fait rapidement chez les animaux, mais les coefficients de partage sang:gaz chez les rongeurs varient selon les espèces, les souches et le sexe (Lash et coll., 2000). Après une exposition par inhalation à du TCE identifié à l'aide d'un marqueur radioactif à raison de 10 ou 600 ppmv pendant six heures, l'absorption pulmonaire nette était 10 fois plus élevée à la concentration plus élevée qu'à la concentration plus faible chez les rats, tandis qu'elle demeurait sensiblement la même aux deux concentrations chez les souris exposées (Stott et coll., 1982). Chez les êtres humains, le TCE est absorbé rapidement et abondamment par les poumons et dans les capillaires alvéolaires. On a calculé que le coefficient de partage sang:air du TCE est d'environ 1,5 à 2,5 fois moins élevé chez les êtres humains que chez les rongeurs (Sato et coll., 1977; Monster, 1979; Clewell et coll., 1995). Dans des conditions non stables, l'absorption du TCE par les poumons est rapide au cours des 30 à 60 premières minutes d'exposition et diminue considérablement à mesure que les concentrations de TCE dans les tissus se rapprochent de l'état stable (Fernandez et coll., 1977; Monster et coll., 1979).

On a démontré qu'il y a absorption par voie cutanée chez les souris (Tsuruta, 1978) et les cobayes (Jakobson et coll., 1982), ainsi que chez des volontaires humains (Stewart et Dodd, 1964; Sato et Nakajima, 1978). La variabilité entre individus exclut toutefois toute interprétation significative de ces données.

7.2 Distribution

Une fois absorbé, le TCE franchit facilement les membranes biologiques par diffusion et le système circulatoire le distribue partout dans les tissus et les organes. Des études effectuées sur des animaux (p. ex., Fernandez et coll., 1977; Dallas et coll., 1991; Fisher et coll., 1991) et sur des sujets humains (De Baere et coll., 1997) ont révélé la présence de TCE ou de ses métabolites dans la plupart des principaux organes et tissus. Le TCE est distribué principalement dans les poumons, le foie, les reins et le système nerveux central. Le TCE peut s'accumuler dans les tissus adipeux à cause de sa solubilité dans les lipides. La libération lente de TCE contenu dans les réserves adipeuses peut donc constituer une source interne d'exposition qui allonge en fin de compte la durée moyenne de résidence et de biodisponibilité du TCE (Fernandez et coll., 1977; Dallas et coll., 1991; Fisher et coll., 1991). Des facteurs liés à l'âge peuvent jouer sur la distribution du TCE chez les êtres humains, ce qui indique que les enfants sont plus sensibles au TCE que les adultes (Pastino et coll., 2000).

7.3 Métabolisme

Le métabolisme du TCE se déroule principalement dans le foie, même s'il peut aussi se produire dans d'autres tissus, notamment les reins. Il y a deux grandes voies de métabolisme du TCE : l'oxydation par le cytochrome P-450 et la conjugaison au glutathion (GSH) par la glutathion-S-transférase (GST) (OEHHA, 1999; Lash et coll., 2000). Dans le foie, les enzymes cytochrome P-450 métabolisent le TCE en intermédiaire époxyde, qui se réarrange spontanément en chloral. Le chloral est ensuite métabolisé en trichloroéthanol (TCOH), en glucuronide de trichloroéthanol (TCOG) et en acide trichloroacétique (TCA) comme principaux métabolites. Dans certaines conditions, le complexe TCE-époxyde forme du chlorure de dichloroacétyle, qui se transforme en acide dichloroacétique (DCA). Le dioxyde de carbone, le N-(hydroxyacétyle)aminoéthanol et l'acide oxalique, que l'on considère tous comme des produits de l'hydrolyse d'un intermédiaire TCE-époxyde (Goeptar et coll., 1995), sont au nombre des autres métabolites mineurs.

Dans la voie de conjugaison, les espèces électrophiles réactives produites par oxydation sont désactivées par conjugaison à l'atome de soufre nucléophile du GSH. Cette réaction peut être catalysée par diverses GST cytosoliques et microsomales ou peut se produire spontanément par addition ou élimination non enzymatiques. Les conjugués qui en découlent sont soumis à une autre réaction métabolique et produisent divers métabolites, dont les plus importants sont les acides mercapturiques, excrétés rapidement dans l'urine (Goeptar et coll., 1995).

Le métabolisme oxydatif du TCE se déroule principalement dans le foie, même s'il peut se produire jusqu'à un certain point dans divers autres tissus, comme le poumon (Lash et coll., 2000). Quatre isozymes du cytochrome P-450 (et principalement la CYP2E1) oxydent le TCE (OEHHA, 1999; Lash et coll., 2000). On soupçonne qu'un époxyde électrophile intermédiaire (2,2,3-trichlorooxirane, ou complexe TCE-oxyde) se forme pendant le métabolisme oxydatif, mais on ne sait pas si le complexe TCE-oxyde existe sous forme libre (Lash et coll., 2000). Le complexe TCE-oxyde peut être métabolisé par plusieurs voies, dont la principale est le réarrangement spontané en chloral, qui est ensuite hydraté en hydrate de chloral (CH) (OEHHA, 1999). L'hydrate de chloral est métabolisé en acide TCA, qui est le principal métabolite du TCE dans le sang, et en TCOH. Le TCA et le TCOH peuvent être de nouveau métabolisés en acide DCA et TCOG respectivement.

La conjugaison GSH, causée par la GST, a aussi lieu principalement dans le foie, même si plusieurs autres tissus (rein, tractus biliaire et intestin) jouent un rôle (Lash et coll., 2000). Les réactions de conjugaison GSH se produisent plus lentement que les réactions d'oxydation catalysées par le cytochrome P-450. La GST convertit le TCE en S-(1,2-dichlorovinyle) glutathion (DCVG), qui est excrété dans la bile et réabsorbé ensuite par la circulation entérohépatique et transformé en conjugués de la cystéine, soit S-(1,1-dichlorovinyle)-L-cystéine (1,1-DCVC) et S-(1,2-dichlorovinyle)-L-cystéine (1,2-DCVC) (Lash et coll., 2000; Clewell et coll., 2001). La 1,1-DCVC peut subir une N-acétylation et être excrétée dans l'urine ou métabolisée par une enzyme lyase en métabolites réactifs, y compris un thioacétaldéhyde, tandis que la 1,2-DCVC peut être métabolisée par la N-acétyltransférase et excrétée dans l'urine ou convertie par la β-lyase en métabolites réactifs, y compris un thiocétène (Clewell et coll., 2001). Il est donc clair que l'exposition au TCE expose les tissus à un mélange complexe de métabolites (OEHHA, 1999; EPA des États-Unis, 2001a).

On croit que la circulation entérohépatique du TCOG joue un rôle très important dans le maintien des niveaux d'acide TCA, ce qui a un impact majeur sur la dosimétrie et la clairance très élevée du TCE produite à faible dose par le métabolisme de premier passage dans le foie (Stenner et coll., 1997, 1998; Barton et coll., 1999). Ce mécanisme semble contrôler le comportement à faible dose des métabolites et favoriser essentiellement les métabolites oxydants. C'est une des raisons pour lesquelles la voie du GSH ne semble pas contribuer pour beaucoup à la clairance du TCE à faibles doses. Comme les métabolites oxydants sont clairement la cause des effets sur le foie (cancérogènes et autres), cela sous-entend que la voie orale est principalement reliée aux effets sur le foie, tandis que les autres voies peuvent toucher de préférence d'autres organes (p. ex., les reins) (il en est question dans une autre section).

Il y a plusieurs différences interspécifiques au niveau du métabolisme du TCE. Par exemple, les microsomes du foie humain sont moins actifs face au TCE que ceux du rat ou de la souris (Nakajima et coll., 1993) et les êtres humains métabolisent le TCE moins efficacement que les rongeurs. De plus, une comparaison des activités de la β-lyase rénale dans le rein indique aussi que les rats métabolisent la DCVC en métabolites réactifs de façon plus efficace que les êtres humains (Clewell et coll., 2000). Il y a aussi des différences intraspécifiques. Chez les êtres humains, on a observé des variations individuelles au niveau de l'expression et de l'activité enzymatiques, comme des variations individuelles des activités de la CYP1A2 et de la CYP2E1, par exemple. Les hommes présentent en outre des taux plus élevés de conjugaison avec le GSH que les femmes, et les polymorphismes génétiques peuvent agir sur les taux de conjugaison du GSH chez les êtres humains (Lash et coll., 2000).

Le DCA est métabolisé principalement par l'intermédiaire de la GSH transférase (zêta), une famille d'enzymes cytosoliques. Les taux de métabolisme du DCA sont très élevés comparativement à ceux du TCA et du TCE, ce qui explique pourquoi il est difficile de produire in vivo des concentrations suffisantes pour les mesurer. Il est toutefois peu probable qu'aux concentrations que l'on connaît dans l'environnement, le TCA cause le cancer du foie chez les êtres humains, si l'on tient compte de son mode d'action comme agent de prolifération de peroxysomes et du fait qu'il a produit des tumeurs du foie seulement chez les souris, bien que l'on ait procédé à des tests adéquats chez les rats (DeAngelo et coll., 1997). Un des aspects du TCE qui préoccupe le plus, c'est sa conversion en DCA. Les contributions relatives du DCA et du TCA aux tumeurs du foie chez les souris ont récemment fait l'objet de discussions (Chen, 2000). Dans une communication récente (Bull et coll., 2002), on suggère fortement que le DCA contribue au cancer du foie chez les souris. Il est clair que le DCA est cancérogène à la fois chez les souris et chez les rats et que son mode d'action diffère de celui du TCA. C'est pourquoi on ne peut rejeter la cancérogénicité possible du DCA pour les êtres humains. Il est toutefois évident que même s'il peut y avoir formation de DCA pendant le métabolisme du TCE, il est très peu probable que les quantités produites soient significatives en termes de niveaux d'exposition environnementale au TCE.

7.4 Excrétion

La base de données sur l'élimination du TCE est grande et la clairance du TCE est bien définie autant chez les animaux que chez les êtres humains. Même si la cinétique de l'élimination du TCE et de ses métabolites varie selon la voie d'exposition, les voies d'élimination semblent les mêmes pour l'exposition par ingestion et l'exposition par inhalation. On n'a pas trouvé de données sur l'élimination du TCE et de ses métabolites à la suite d'une exposition par voie cutanée.

Le TCE est éliminé soit tel quel dans l'air expiré, soit par transformation métabolique et excrétion subséquente, principalement dans l'urine, sous forme de TCA, de TCOH ou de TCOG (à la suite d'une oxydation métabolique) ou (après conjugaison avec le GSH) de DCVG ou de N-acétyle-dichlorovinyle-L-cystéine (DCVCNac), conjugué de la cystéine. Des études réalisées sur des volontaires humains ont démontré qu'à la suite d'une exposition au TCE, il y a d'abord production de TCOH urinaire, production plus rapide et plus importante que celle de TCA urinaire. Au fil du temps, toutefois, la production de TCA finit par dépasser celle de TCOH (Nomiyama et Nomiyama, 1971; Muller et coll., 1974; Fernandez et coll., 1975; Sato et coll., 1977; Monster et Houtkooper, 1979; Monster et coll., 1979). De faibles quantités de TCE métabolisé sont excrétées dans la bile ou sous forme de TCOH dans l'air exhalé. Le TCE peut aussi être excrété dans le lait maternel (Pellizzari et coll., 1982; Fisher et coll., 1987, 1989).

Des études comparatives ont démontré que l'élimination est plus rapide chez les souris que chez les rats (Lash et coll., 2000). La formation de TCA, métabolite plus toxique, est aussi environ 10 fois plus rapide chez les souris que chez les rats. La cinétique différentielle de l'élimination aide donc à expliquer les différences entre espèces au niveau de la toxicité et de la toxicocinétique associées au TCE, étant donné que la toxicité du TCE est reliée à la formation de ses métabolites (Parchman et Magee, 1982; Stott et coll., 1982; Dekant et coll., 1984; Buben et O'Flaherty, 1985; Mitoma et coll., 1985; Prout et coll., 1985; Rouisse et Chakrabarti, 1986). Chez les êtres humains, on a constaté une hétérogénéité interindividuelle dans le cas du métabolisme et de l'élimination du TCE (Nomiyama et Nomiyama, 1971; Fernandez et coll., 1975; Monster et coll., 1976).

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