Page 9 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – benzène

Partie II. Science et considérations techniques - suite

8.0 Cinétique et métabolisme

On a observé que l'exposition par voie orale au benzène à de faibles concentrations chez l'animal se soldait par une absorption complète. Sabourin et coll. (1987) ont administré par voie orale du benzène radiomarqué (14C) (par gavage à l'huile de maïs et par injection intrapéritonéale) à des rats Sprague-Dawley et F344/N et à des souris B6C3F1, puis ont analysé l'urine et les excréments de ces animaux 4, 8, 16, 24, 32 et 48 heures après l'administration de la dose afin de mesurer le benzène radiomarqué (et/ou ses métabolites). Les pourcentages de la dose excrétée par chaque voie étaient similaires après le gavage et l'injection intrapéritonéale. L'absorption du benzène chez les rats F344/N, les rats Sprague-Dawley et les souris B6C3F1 a été déterminée par la comparaison des voies d'excrétion après l'administration (par gavage ou par injection intrapéritonéale) de doses de benzène de 0,5 ou de 150 mg/kg de poids corporel (p.c.); les chercheurs ont observé que le benzène était pratiquement absorbé à 100 % chez les trois espèces soumises à l'essai.

Les résultats de l'étude de Sabourin et coll. (1987) sont appuyés par une étude de Mathews et coll. (1998) réalisée chez le rat, la souris et le hamster. Chez les animaux soumis à un gavage oral (à l'huile de maïs) avec diverses doses de benzène qui chevauchaient celles employées dans l'étude de Sabourin et coll. (1987), le benzène a été complètement absorbé dans le tube digestif (chez les trois espèces); toutefois, les voies d'excrétion différaient selon la dose. Par exemple, à une dose élevée de 100 mg/kg p.c., une portion importante du benzène était éliminée durant l'expiration (de 22 % chez la souris à 50 % chez le rat). Dans les deux études, on a observé qu'avec les faibles doses, une proportion plus grande de métabolites était excrétée dans l'urine, et qu'avec les doses élevées, une plus grande quantité de benzène non métabolisé était éliminée dans l'air expiré. Ces résultats donnent à penser qu'une saturation du métabolisme se produit à des doses qui dépassent environ 100 mg/kg p.c. Aux doses orales qui pourraient être présentes dans l'eau potable, toutefois, les résultats chez l'animal laissent croire à une hausse linéaire de la production totale de métabolites selon le degré d'exposition.

On ne dispose d'aucune étude pertinente chez l'animal permettant une comparaison de l'absorption après un gavage et après l'administration d'eau potable. En théorie, l'ingestion d'eau potable ou d'aliments contenant du benzène pourrait se solder par une perte au niveau de l'estomac par suite d'une volatilisation, alors que l'administration par gavage au moyen d'un véhicule huileux pourrait limiter la volatilisation du benzène. Il est également possible qu'une plus grande proportion de fortes doses de benzène administrées en bolus échappe à l'absorption et passe directement dans les excréments, alors que de plus faibles doses seraient davantage absorbées. Comme une absorption pratiquement complète a été observée chez l'animal même à de fortes doses administrées par gavage, et en l'absence de données chez l'humain, on a postulé qu'on pouvait aussi s'attendre à une absorption complète du benzène ingéré chez l'humain.

L'absorption du benzène par inhalation, tout comme l'absorption après ingestion, dépend de la dose. Comme on l'a observé dans les études d'exposition par voie orale, une plus grande proportion du benzène est absorbée lorsque l'exposition est faible que lorsque l'exposition est forte. Les humains expérimentalement exposés à des concentrations faibles ou modérées de benzène (1,7-32 ppm) ont absorbé en moyenne 50 % du benzène inhalé. Pekari et coll. (1992) ont exposé trois hommes à des concentrations de benzène de 1,7 et de 10 ppm pendant 4 heures et ont prélevé six échantillons d'air expiré et de sang chez chacun des sujets pendant l'exposition. Après l'exposition, le phénol a été mesuré dans l'air expiré, le sang et l'urine. En moyenne, le taux d'absorption était de 52 % ± 7,3 % à la concentration de 1,7 ppm et de 48 % ± 4,3 % à celle de 10 ppm.

Nomiyama et Nomiyama (1974) ont exposé trois femmes et trois hommes à des concentrations de benzène variant de 52 à 62 ppm pendant des périodes de 4 heures. À chaque intervalle de 1 heure pendant l'exposition, ils ont prélevé des échantillons d'air expiré. Après une exposition de 1 heure, le taux moyen d'absorption était d'environ 60 % chez les femmes et 45 % chez les hommes. Après 2 heures d'exposition, le taux d'absorption était d'environ 43 % chez les femmes et 35 % chez les hommes. Après 3 et 4 heures d'exposition, le taux moyen d'absorption était de 30,2 %. En général, le taux d'absorption était plus élevé chez les deux sexes au début de l'exposition, un état d'équilibre n'étant atteint qu'après 3 heures.

Des études ayant pour objet de mesurer l'air expiré par suite d'expositions professionnelles et environnementales confirment le taux de 50 % d'absorption du benzène après une inhalation. Dans une étude sur l'exposition professionnelle menée par Perbellini et coll. (1988), on a observé une absorption moyenne de 55 % dans l'air expiré par des sujets qui avaient été exposés à de faibles doses de benzène (médiane de 19 ng/L dans l'air, ou 0,019 ng/m3). Dans une autre étude réalisée par Wallace et coll. (1993), on a établi à 70 % le taux d'absorption du benzène à partir de l'air expiré par des non-fumeurs. Dans la plupart des études de ce genre, les échantillons d'air expiré sont prélevés durant la période post-exposition, et la concentration de benzène dans l'air expiré chute rapidement après l'arrêt de l'exposition; par conséquent, les échantillons prélevés après l'exposition devraient prédire une plus faible absorption. Toutefois, d'après les études d'exposition expérimentale, professionnelle et environnementale, un taux d'absorption de 50 % constituerait une bonne estimation en général.

Des études chez l'humain et l'animal ont montré que le benzène est facilement absorbé par la peau lorsqu'il est sous forme liquide ou sous forme de vapeur (Franz, 1975; Maibach et Anjo, 1981; Franz, 1984; Susten et coll., 1985). L'absorption du benzène à travers la peau dépend toutefois de plusieurs facteurs, dont la perméabilité de la peau, qui augmente avec la température (Nakai et coll., 1997). Susten et coll. (1985) ont estimé la quantité de benzène absorbée par la peau de travailleurs de l'industrie du pneu en effectuant une série d'études in vivo chez des souris glabres. L'absorption percutanée après une application topique unique d'un solvant du caoutchouc contenant du benzène radiomarqué [14C] à une concentration de 0,5 % (v/v), a été calculée directement d'après la somme de la radioactivité mesurée dans les matières fécales, l'air expiré et la carcasse. Si l'on en croit les données de l'étude, la dose de benzène absorbée par la peau pourrait représenter 20 à 40 % de la dose totale de benzène chez ces travailleurs.

Les études animales montrent que l'exposition à des doses orales correspondant à celles auxquelles les humains sont probablement exposés est associée à une augmentation linéaire de la production totale de métabolites proportionnelle au degré d'exposition; toutefois, le phénomène de la production de métabolites du benzène liée à la dose chez l'humain n'est pas clair, particulièrement lorsque l'exposition est faible. Kim et coll. (2006) ont mené une étude sur le benzène non métabolisé dans l'urine, tous les principaux métabolites urinaires (phénol, acide E-E-muconique, hydroquinone et catéchol) ainsi qu'un métabolite mineur, l'acide S-phénylmercapturique, chez 250 travailleurs exposés au benzène et 139 travailleurs témoins à Tianjin, en Chine. Les concentrations urinaires de métabolites étaient constamment élevées lorsque les concentrations médianes de benzène dans l'air égalaient ou dépassaient les valeurs suivantes : 0,2 ppm pour l'acide E-E-muconique et l'acide S-phénylmercapturique, 0,5 ppm pour le phénol et l'hydroquinone, et 2 ppm pour le catéchol. La production liée à la dose d'acide E-E-muconique, de phénol, d'hydroquinone, de catéchol et de métabolites totaux déclinait par un facteur de 2,5 à 26 lorsque la concentration médiane de benzène dans l'air passait de 0,027 à 15,4 ppm. Les diminutions de la production de métabolites étaient le plus prononcées pour le catéchol et le phénol à des concentrations inférieures à 1 ppm, ce qui indique que le métabolisme favorisait la production des métabolites toxiques (hydroquinone et acide E-E-muconique) aux faibles expositions. Dans une autre étude, Rappaport et coll. (2005) ont étudié la production d'oxyde de benzène et de 1,4-benzoquinone chez 160 travailleurs chinois exposés à du benzène à des concentrations variant de 0,074 à 328 ppm. Un plateau dans la production d'oxyde de benzène et de 1,4-benzoquinone a été atteint à des concentrations de benzène d'environ 500 ppm, ce qui laisse croire que le cytochrome P4502E1 (CYP2E1), responsable de la transformation par oxydation du benzène en oxyde de benzène (première étape du métabolisme du benzène) devient saturé à cette concentration. Il ressort de ces résultats, d'une part, que le métabolisme du benzène pourrait être beaucoup plus efficace lorsque les concentrations de benzène sont basses et, d'autre part, que l'exposition à des concentrations supérieures à 50 ppm pourrait avoir des répercussions moindres sur le risque de leucémie chez l'humain, étant donné que le métabolisme du benzène devient très saturé à cette concentration. Par contre, d'après ces résultats, l'exposition à des concentrations de benzène inférieures à 50 ppm pourrait se solder par la production maximale de métabolites par unité d'exposition au benzène.

On croit que l'hémotoxicité du benzène (par ex. anémie aplasique, pancytopénie, thrombocytopénie, granulocytopénie, lymphopénie et carcinogenèse) serait liée au métabolisme des métabolites phénoliques du benzène, en particulier la production de benzoquinone, de semiquinones et de radicaux libres à partir de l'hydroquinone (Smith, 1996; Snyder et Hedli, 1996; Smith et Fanning, 1997). Le sang transporte les métabolites phénoliques (phénol, hydroquinone, catéchol et 1,2,4-trihydroxybenzène) vers la moelle osseuse, où ils peuvent être convertis en espèces réactives par les peroxydases et d'autres enzymes. Les réactions d'oxydo-réduction qui accompagnent ces réactions entraînent la production de radicaux libres de l'oxygène, de produits de peroxydation des lipides et d'autres radicaux libres (Subrahmanyam et coll., 1991). La moelle osseuse renferme environ 3 % (poids sec) de myéloperoxydase en plus des autres peroxydases, telles la peroxydase éosinophilique et la prostaglandine-synthétase (Smith, 1996). La principale fonction biologique d'une peroxydase est d'oxyder les donneurs d'hydrogène aux dépens du peroxyde ou de l'oxygène moléculaire. Snyder et Kalf (1994) ont découvert que la quinone oxydoréductase NADPH-dépendante, enzyme qui réduit (détoxifie) efficacement les quinones, était présente à de faibles concentrations (par rapport aux autres tissus) dans la moelle osseuse, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi la moelle osseuse est un tissu dans lequel la toxicité du benzène se manifeste. Les composés conjugués (glutathion) de l'hydroquinone et du 1,2,4-benzènetriol s'auto-oxydent facilement en espèces de quinones, qui peuvent réagir directement avec des macromolécules cellulaires ou produire des radicaux libres (Snyder et Hedli, 1996). Dans le cadre d'une revue effectuée par Witz et coll. (1996), on a signalé que certains chercheurs avaient émis l'hypothèse que les métabolites du benzène dont le cycle aromatique était rompu pourraient aussi jouer un rôle important dans l'hémotoxicité du benzène. L'administration concomitante de trans, trans-muconaldéhyde et d'hydroquinone, par exemple, entraîne des lésions très importantes des cellules de la moelle osseuse.

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