ARCHIVÉ : Chapitre 1 : Leçons de la crise du SRAS – Renouvellement de la santé publique au Canada – Introduction

 

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Le syndrome respiratoire aigu sévère, maintenant connu dans le monde entier sous l'acronyme SRAS est considéré comme la « première maladie grave et hautement transmissible à émerger en ce XXIe siècle ».Note de bas de page 1 

À la fin février, plusieurs clients qui séjournaient à l'hôtel Métropole à Hong Kong sont entrés en contact avec un médecin qui avait été infecté après avoir traité des patients présentant une forme de pneumonie atypique à Guangdong (Chine). Ces personnes ont poursuivi leur séjour à Hong Kong pour se rendre ensuite au Canada, à Singapour et au Vietnam. Elles ont été atteintes de la maladie et commencé à infecter d'autres personnes, donc beaucoup sont décédées. La maladie allait bientôt être baptisée syndrome respiratoire aigu sévère, ou SRAS. Dans son relevé quotidien du 11 juillet 2003, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait déjà 8 437 cas probables de SRAS et 813 décès dans le monde entier et le bilan s'est depuis alourdi pour atteindre 900 environ.

À l'instar d'autres pays, le Canada a dû mener une bataille ardue pour combattre le SRAS. Les autorités sanitaires et les professionnels de la santé ont travaillé d'arrache-pied pour contenir la flambée épidémique, le plus souvent à l'extérieur de structures et de systèmes inadéquats pour une tâche de cette envergure. Dans ce contexte, il faut souligner l'esprit de coopération des gens qui ont gardé leur calme en dépit des innombrables interruptions et des aléas de la quarantaine qui sont venus déranger la vie quotidienne de milliers d'entre eux.

Le SRAS demeure difficile à diagnostiquer et à gérer car ses symptômes s'apparentent fortement à ceux d'autres infections respiratoires. Pour l'instant, les recherches très poussées d'un réseau international de laboratoires travaillant sous l'égide de l'OMS ont abouti à l'isolement d'un nouveau coronavirus, qui serait l'agent causal du SRAS. Or, les tests de diagnostic disponibles pour l'étude de ce coronavirus n'ont qu'une efficacité limitée sur le plan de la fiabilité et de la sensibilité et il faudra poursuivre les recherches avant de pouvoir l'identifier et le caractériser rapidement.Note de bas de page 2 

Le SRAS se transmet par contact direct avec une personne qui en est atteinte. Sa période d'incubation peut durer de deux à dix jours. La maladie commence à s'annoncer par de la fièvre (>38 °C), suivie de symptômes respiratoires dont la toux, l'essoufflement ou de la difficulté à respirer. En moyenne, le taux de mortalité attribuable à cette détérioration respiratoire progressive est inférieur à 1 % des personnes atteintes de moins de 24 ans. Il atteint 15 % chez les 45 à 64 ans et peut dépasser 50 % chez les personnes de plus de 65 ans.Note de bas de page 3  Le diagnostic se fait à partir du syndrome clinique, en faisant le lien entre les cas connus de SRAS, ainsi qu'à l'aide d'un processus d'exclusion. Le virus peut en principe être isolé à même les sécrétions respiratoires et les selles, mais ce n'est pas toujours le cas, même chez les patients soupçonnées d'en être atteints. Les tests sérologiques basés sur la réaction des défenses immunitaires au SRAS sont également utiles, mais ils ont l'inconvénient de prendre du temps. Il faut en effet attendre plusieurs semaines après l'apparition des symptômes avant de pouvoir obtenir des résultats probants. En l'absence de vaccin ou de remède, les cliniciens doivent essentiellement se contenter de donner suite aux principales mesures prévues par les autorités sanitaires pour endiguer le SRAS, à savoir l'isolement et la quarantaine.

 

Maladies infectieuses émergentes et réémergentes

On entend par maladies infectieuses émergentes celles qui n'ont jamais été identifiées auparavant ou celles qui sont connues mais affichent une sensible recrudescence ou se propagent sur le plan géographique.Footnote 4 Le SRAS est le dernier exemple de ces maladies inédites ou inconnues. L'autre est la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dont l'agent causal serait le même que celui de l'encéphalopathie spongiforme bovine. Depuis 1973, on assiste à l'émergence de plus d'une trentaine de maladies auparavant inconnues associées à des virus et à des bactéries, dont le virus ébola (1977), la maladie du légionnaire ou légionellose (1977), l'E.coli 0157:H7 - responsable du syndrome hémolytique et urémique (1982), le VIH/sida (1983), l'hépatite C (1989) et le H5N1 Influenza A, ou grippe aviaire (1997).Footnote 5

L'infection du virus du Nil occidental est un exemple de maladie connue qui a une nouvelle portée géographique. Sa découverte aux états-Unis en 1999 marque la première introduction en Amérique du Nord, dans l'histoire récente, d'un flavivirus déjà connu dans d'autres continents.Footnote 6 Le virus du Nil occidental avait été découvert dans le district du même nom en Ouganda en 1937. Au cours de la dernière décennie, sa recrudescence chez l'être humain au Moyen-Orient et en Europe laisse supposer que l'on assiste à l'évolution d'une variante.Footnote 7 Le virus a fait son apparition au Canada en 2001 dans des carcasses d'oiseaux et dans des gîtes à moustiques en Ontario. Les premiers cas détectés chez l'être humain se sont produits en 2002, année où le virus a été repéré dans cinq provinces : Nouvelle-écosse, Québec, Ontario, Manitoba et Saskatchewan, avec des cas confirmés chez l'être humain au Québec et en Ontario.Footnote 8 Le 12 août 2003, l'Alberta signalait son premier cas, une jeune femme qui aurait été atteinte alors qu'elle faisait du camping dans le sud de la province.Footnote 9 Le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux ont dès lors élaboré des plans d'action pour contenir la propagation du virus.

Les maladies infectieuses réémergentes sont des maladies connues que l'on pensait avoir maîtrisées et que l'on ne considérait plus comme une menace pour la santé publique et dont on constate la réapparition ou qui causent un nombre croissant d'infections.Footnote 10 En voici quelques exemples : réapparition d'une épidémie de choléra dans les Amériques en 1991, virus de la dengue dans les Amériques au cours des 1990, diphtérie dans la Fédération de Russie et quelques autres républiques de l'ex-Union soviétique en 1994, nouvelles flambées de méningite à méningocoques en Afrique subsaharienne dès le milieu des années 1990 et fièvre jaune en Afrique et en Amérique du Sud depuis le milieu des années 1980. La tuberculose s'inscrirait elle aussi dans cette catégorie à certains égards. Elle est demeurée un problème de santé publique parmi les populations particulièrement vulnérables. Le surpeuplement des villes, la pauvreté dans les pays en développement et dans les pays industrialisés, l'avènement de la pandémie du VIH et l'apparition de souches de bactéries résistantes aux antituberculeux sont autant de facteurs qui ont contribué à en aggraver le bilan.

Nombre des agents pathogènes responsables des maladies infectieuses sont déjà présents dans l'environnement. Les activités qui augmentent les échanges de microbes entre l'être humain et son environnement favorisent l'émergence et la flambée de ces maladies.Footnote 11 Les changements sur le plan écologique (dont ceux qui sont attribuables au développement économique et à l'utilisation des terres), la démographie et le comportement humain, la technologie et l'industrie et l'adaptation ou évolution des pathogènes microbiens sont au nombre des facteurs qui précipitent l'émergence et la réémergence des maladies infectieuses.

L'exemple du VIH, auquel on attribue une origine zoonotique, illustre bien la manière dont des facteurs de cet ordre ont abouti à l'émergence de maladies infectieuses. Des facteurs écologiques tels le déboisement et l'aménagement des terres auraient multiplié l'exposition humaine aux espèces animales hôtes. Certaines tendances sociales comme la démographie galopante et le phénomène de la migration ont contribué à aggraver le risque de transmission du VIH à d'autres êtres humains. Les comportements sexuels, les drogues illicites consommées sous forme d'injection et des causes iatrogènes (p. ex. la propagation du VIH par transfusion sanguine et produits sanguins) ont également contribué à la transmission progressive et accélérée du VIH.Footnote 12 Quant à l'encéphalopathie spongiforme bovine et au syndrome hémolytique et urémique causé par l'E. Coli 0157:H7 (communément connu sous le nom de « maladie du hamburger »), ils sont le résultat de changements dans la production alimentaire .Footnote 13

L'émergence et la réémergence de maladies infectieuses et de flambées difficiles à contrôler sont exacerbées par la mondialisation et l'insuffisance des infrastructures de santé publique.

 

La mondialisation et les maladies transmissibles

La mondialisation a rétréci la planète en permettant une plus grande liberté et fréquence de circulation des personnes et des marchandises. Plus les communications sont intenses, plus les maladies peuvent se propager rapidement et efficacement. Et comme nous l'avons vu avec le SRAS, les voyages jouent un rôle prépondérant dans la dissémination rapide des maladies. Selon les données de l'Organisation mondiale du tourismeFootnote 14, les postes frontières ont vu passer quelque 715 millions de touristes en 2002 (données préliminaires). L'histoire des maladies infectieuses nous montre que la migration humaine a toujours été le principal moyen de transmission de maladies infectieuses. Mais les voyages plus nombreux et rapides sur des distances de plus en plus vastes ont accéléré leur propagation.Footnote 15 Les déplacements d'un pays ou d'un continent à l'autre sont si rapides qu'ils peuvent pratiquement toujours se faire en pleine période d'incubation. Rappelons toutefois que l'apparition d'une maladie a ses propres complexités et qu'il faut des conditions idoines pour que l'agent pathogène puisse survivre, proliférer et trouver le moyen de s'installer chez un hôte éventuel.Footnote 16 Le SRAS, dont la propagation est attribuée à des germes en gouttelettes et au contact physique direct, a montré à quel point il était facile à transporter partout dans le monde.

Malgré les nombreux avantages et débouchés qu'elle offre, la mondialisation de l'alimentation (humaine et animale) crée également de nouveaux risques. Comme la production, la fabrication et la commercialisation des aliments se font désormais à l'échelle mondiale, les agents pathogènes peuvent se transmettre du lieu de transformation et d'emballage, c'est-à-dire du lieu d'origine des produits, à des lieux situés à des milliers de kilomètres.Footnote 17

Les maladies émergentes et réémergentes sont un élément permanent du paysage de la santé publique à l'échelle locale, régionale, nationale et internationale. Or, les gens vont continuer de voyager et de migrer et les marchandises continueront d'être échangées. Si l'on veut réduire l'incidence et les effets des maladies infectieuses, il faudra donc améliorer les communications à tous les niveaux et renforcer la capacité de riposte locale.

La crainte de devoir faire face à des agents biologiques libérés dans l'atmosphère - que ce soit par négligence ou délibérément - vient s'ajouter aux difficultés de contrôler les maladies émergentes et réémergentes. Les événements du 11 septembre 2001 et la libération de spores de la maladie du charbon qui a suivi aux états-Unis montrent à quel point la libération accidentelle ou intentionnelle d'un agent biologique risque de se transformer en une réalité inquiétante et une menace pour la sécurité mondiale. Il a fallu faire appel à la coopération internationale pour se préparer à de tels événements.

La collaboration avec les organismes internationaux est un autre facteur primordial pour le contrôle efficace des maladies infectieuses. Le Canada communique régulièrement avec l'OMS et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des états-Unis dans leurs activités quotidiennes liées à la surveillance des maladies.

 

L'Organisation mondiale de la santé (OMS)

L'OMS est un organisme spécialisé qui relève des Nations Unies et qui a pour mission d'« amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible ». En 2001, l'Assemblée mondiale de la Santé, constituée de 192 états membres, adoptait une résolution sur la « Sécurité sanitaire mondiale : alerte et action en cas d'épidémie » en reconnaissance des menaces posées à la santé publique par les infections émergentes susceptibles de prendre des proportions épidémiques et le bioterrorisme. On y exprimait son soutien aux travaux en cours sur la révision du Règlement sanitaire international, à l'élaboration d'une stratégie mondiale pour contenir les maladies infectieuses et juguler, voire prévenir, la résistance aux antimicrobiens, ainsi qu'à la collaboration entre l'OMS et ses partenaires techniques dans le domaine de l'alerte et de l'action en cas d'épidémie. Par ailleurs, la résolution invitait instamment les états membres à participer activement aux activités de surveillance des urgences sanitaires de portée internationale, à élaborer et à actualiser des plans nationaux de préparation et d'intervention, à développer la formation du personnel concerné et à actualiser régulièrement l'information dont ils disposent pour la surveillance et l'endiguement des maladies infectieuses.

Au sein de l'OMS, il appartient au Département des maladies transmissibles : Surveillance et riposte aux maladies (CSR) de mener à bien ce mandat. Le CSR préconise que tous les pays devraient être en mesure de détecter rapidement les menaces d'épidémies et de maladies émergentes et d'y répondre dès leur apparition, de manière à réduire au minimum leurs répercussions sur la santé et l'économie de la population mondiale.

Le CSR s'est donné trois orientations stratégiques : endiguer les risques connus, répondre aux événements imprévus et améliorer l'état de préparation. Ces activités comprennent le dépistage des maladies infectieuses émergentes, donner l'alarme au besoin, partager l'information sur les maladies émergentes et les flambées épidémiques et aider les pays touchés en leur offrant des fournitures et une assistance technique et, dans certains cas, des interventions à l'échelle internationale.

L'OMS souligne qu'une surveillance mondiale et des systèmes de santé publique solides sont nécessaires pour répondre aux maladies infectieuses émergentes et réémergentes et à d'éventuels événements assimilables au bioterrorisme. Comme nous l'avons vu, l'OMS est en voie de remanier son Règlement sanitaire international, qui a pour objet d'« assurer le maximum de sécurité contre la propagation des maladies d'un pays à l'autre moyennant le minimum d'entraves au trafic mondial ». Pour l'OMS, la flambée mondiale du SRAS a servi à réitérer la nécessité de remanier le règlement. Note de bas de page 18 

 

Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des états-Unis

Les CDC est le principal organisme fédéral aux états-Unis chargé de protéger la santé et la sécurité de tous ses citoyens. Il relève du Department of Health and Human Services et sert de centre national pour l'élaboration et l'application de mesures de prévention et de contrôle des maladies. Il s'occupe également de questions de santé environnementale et d'initiatives de promotion de la santé et cherche à sensibiliser le public à l'importance d'une bonne santé. Les CDC a été créé à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale sous le nom de Communicable Diseases Center. Le fait d'avoir conservé l'acronyme CDC (moins le P de prévention) et la renommée du centre comme organisme de lutte contre les flambées épidémiques ont tendance à faire oublier l'ampleur des fonctions de santé publique assurées par les CDC aux états-Unis. L'organisme emploie quelque 8 500 personnes dans 170 domaines de compétence et réparties à divers endroits, dont les bureaux du CDC aux quatre coins des états-Unis et dans d'autres pays, les centres de quarantaine et des organismes sanitaires locaux et étatiques. Il est constitué de 12 centres, instituts et bureaux, dont le National Center for Infectious Diseases (NCID).

Le mandat du NCID consiste à prévenir la maladie, les handicaps et les décès attribuables à des maladies infectieuses aux états-Unis et dans le monde entier. Il s'acquitte de ce mandat en se chargeant des activités suivantes : mesures de surveillance, recherches sur les épidémies, enquêtes épidémiologiques, laboratoires, activités de formation et programmes de sensibilisation publique, afin d'élaborer, d'évaluer et de lancer des stratégies de prévention et de contrôle des maladies infectieuses. Le personnel du NCID travaille de concert avec les autorités sanitaires locales et étatiques, d'autres organismes fédéraux, des associations professionnelles médicales et sanitaires, des spécialistes du milieu universitaire, des médecins, ainsi que des organisations internationales et autres organisations d'intérêt public. Il travaille également de près avec d'autres centres au sein du CDC, dont le Public Health Practice Program Office, l'Office of Global Health et l'Epidemiology Program Office.

À l'instar de nombreux autres pays, les états-Unis sont en voie de renforcer leur capacité nationale pour la surveillance, la prévention et le contrôle des maladies. Ils ont élaboré un plan stratégique pour prévenir les maladies infectieuses émergentes, dont les mots d'ordre sont la surveillance et l'intervention, la recherche appliquée, l'infrastructure et la formation, ainsi que la prévention et le contrôle. Les CDC cherche à améliorer la capacité épidémiologique, à mieux s'équiper pour intensifier les mesures en cas de crise et à améliorer les communications, tout en fournissant le matériel et la formation nécessaires.Note de bas de page 19 

 

Un « CDC Nord »?

À la suite du SRAS, des appels se sont de nouveau fait entendre pour la création d'une version canadienne du Centers for Disease Control and Prevention des états-Unis afin d'améliorer la coordination de la santé publique partout au Canada, se faire le champion des initiatives sanitaires à l'échelle nationale et diriger les activités d'un organe de contrôle national des maladies. Les voix qui s'expriment dans ce sens partent du principe que les menaces à la santé publique tel le SRAS constituent des questions d'intérêt national nécessitant une intervention coordonnée des systèmes de santé publique et de protection civile, intervention qui devrait être assortie du soutien fédéral voulu. Elles déplorent les limites de notre capacité de réponse tout comme les problèmes de coordination et de communication qui ont été mis en relief par la lutte contre le SRAS au Canada. Le Comité consultatif national sur le SRAS et la santé publique a estimé qu'une partie importante de son mandat consiste à examiner les choix qui nous sont offerts pour renforcer notre capacité d'intervention face à des crises sanitaires et plus particulièrement à des flambées de maladies infectieuses émergentes tel le SRAS.

Protection civile

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux états-Unis ont souligné la nécessité de prévoir des mesures d'urgence et de protection civile tant à l'échelle locale, régionale que nationale. La ville de New York a compris l'avantage de planifier à l'avance lorsqu'on y a réussi à dépister un cas d'exposition à la maladie du charbon, relevé le 9 octobre 2001. Des protocoles pour une prophylaxie antibiotique massive contre la maladie du charbon étaient en voie d'élaboration depuis 1999 et les autorités municipales avaient également prévu une structure de commandement en cas d'incident en comptant sur la participation des organismes gouvernementaux siégeant à New York. Cette structure comprend les volets suivants : interventions cliniques, abris, surveillance, santé environnementale, laboratoire, communications, système de gestion de l'information et opérations matérielles sur les lieux. Leur exécution est confiée à des employés affectés à tout un éventail de programmes du service municipal de la santé. Les autorités municipales ont lancé le branle-bas de combat à l'instant même où le cas de charbon était décelé. On a tout de suite établi un centre de distribution et d'administration d'antibiotiques et entamé une enquête pour déterminer la source du charbon et les personnes qui risquaient d'être infectées.

Le succès de cette opération a été attribué à quatre grands facteurs (les 4 grands C), à savoir : clarté de la mission de la structure hiérarchique et des responsabilités, communications, collaboration entre les autorités sanitaires fédérales, étatiques et locales et le corps policier et coordination de la dotation et du matériel.Note de bas de page 20 

Dans le sillage des événements du 11 septembre 2001, les ministères de la Santé canadiens (fédéral, provinciaux et territoriaux) ont amélioré leurs plans de protection civile et leurs mesures d'intervention, tout en ralliant leurs efforts en vue d'établir un système pancanadien pour la gestion des urgences sanitaires. Cela dit, la flambée du SRAS montre qu'il reste bien du chemin à faire pour l'intégration des systèmes de santé publique et de protection civile en temps de crise. Nous ne saurions affirmer en toute certitude que les facteurs qui ont contribué à un contrôle réussi de l'incident du charbon à New York étaient en place au Canada lors de la flambée du SRAS.

 

L'état du système de santé au Canada

Le système de santé publique, contrairement aux soins cliniques ou personnels, a tendance à fonctionner à l'arrière plan et la plupart des Canadiens n'en entendent même pas parler jusqu'au moment où l'on assiste à la flambée d'une maladie inattendue. Le système de santé publique joue pourtant toute une série de rôles essentiels : protection de la santé, prévention des maladies et des blessures, promotion de la santé et aspects fondamentaux traditionnels comme l'accès à une alimentation saine, à de l'eau potable salubre et à des installations sanitaires adéquates. Un système de santé publique efficace est une condition sine qua non si l'on veut préserver et améliorer l'état de santé des Canadiens, réduire les inégalités sur le plan de la santé et comprimer les coûts des services curatifs. S'il est vrai que les activités de la santé publique peuvent évoluer au diapason des percées technologiques et des besoins changeants, les objectifs restent en revanche inamovibles : éviter les maladies et les décès prématurés et épargner douleur et souffrance à la population.

La santé de la population demeure la toute première priorité des autorités sanitaires. Cette approche reconnaît que la santé de la collectivité et des particuliers repose sur un vaste éventail de facteurs qui touchent l'environnement social, économique et politique aussi bien que le milieu naturel et les écosystèmes bâtis. L'interaction de ces facteurs comporte des dimensions aussi multiples que complexes, qui dépendent de surcroît des traits innés de la personne, tels le sexe et la génétique. Une perspective aussi vaste sur la santé tient compte des effets potentiels de l'interdépendance sociale, des inégalités économiques, des normes sociales et des politiques publiques sur les habitudes de vie et l'état de santé.

La flambée de l'E. coli à Walkerton (Ontario) en mai 2000 et celle du cryptosporidium parvum à North Battleford (Saskatchewan) en avril 2001 illustrent à quel point les lacunes au niveau de l'infrastructure risquent d'aboutir à des crises de santé publique. Une étude comparative récente des flambées de Walkerton et North Battleford effectuée par Woo et Vicente conclut que les deux accidents sont attribuables à une interaction complexe et multidimensionnelle d'une série de facteurs, qui vont d'un manque de surveillance aux compressions budgétaires provinciales, en passant par la non-observation des mesures et une certaine complaisance de la part des organismes de réglementation.Note de bas de page 21 

La santé publique ne saurait se constituer en un système durable sans une approche plus cohérente et exhaustive. Cette approche devra se caractériser par la coopération, non seulement parmi tous les paliers de gouvernement, mais également au sein des gouvernements, tout en misant sur la participation du secteur privé, des organisations non gouvernementales et du public. La tâche promet d'être ardue.

 

Structures et liens entre les paliers fédéral, provinciaux et territoriaux

La Constitution canadienne répartit l'autorité législative en matière de santé parmi les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Les principales lois fédérales régissant la santé publique et les maladies infectieuses sont la Loi sur le ministère de la Santé, qui accorde au ministre les pouvoirs liés à la surveillance des maladies et à la « protection de la population contre la propagation de la maladie et des risques pour la santé » et la Loi sur la quarantaine. Quant aux gouvernements provinciaux et territoriaux, ils ont prévu des règlements relatifs aux maladies à déclaration obligatoire qui exigent une attention et des mesures spéciales. Tous les ressorts ont légiféré sur les situations d'urgence, ce qui comprend les flambées de maladies infectieuses et autres situations graves susceptibles de menacer la santé publique.

Le gouvernement fédéral participe aux soins de santé par le biais du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, qui fournit des paiements et des transferts fiscaux aux provinces et territoires, qui s'en servent comme ils entendent dans le cadre de leurs initiatives pour la santé et leurs programmes sociaux. Le gouvernement fédéral finance aussi périodiquement des initiatives sanitaires ponctuelles, les soins primaires et les soins à domicile figurant parmi les exemples récents. Les gouvernements provinciaux et territoriaux financent leurs autorités sanitaires respectives essentiellement sous forme de subventions. En Ontario, les municipalités se chargent de 50 % du financement pour la plupart des programmes locaux de santé publique. En 2002, les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux ont consacré quelque 79,354 milliards de dollars à la santé. En l'absence d'une définition normalisée de ce que l'on entend par santé publique, il est difficile d'obtenir une estimation précise des dépenses à ce chapitre. On peut néanmoins affirmer grosso modo que les services de soins personnels ont été 30 fois plus privilégiées que la santé publique.

Les mécanismes de santé publique existants pour des processus décisionnels participatifs ou l'échange systématique des données entre gouvernements sont plutôt faibles. Les gouvernements ont par ailleurs négligé d'attribuer les divers rôles et responsabilités à assumer en cas de crise sanitaire nationale. Du local au fédéral, chacun des paliers de gouvernement se doit de collaborer si l'on veut que le Canada en arrive à une approche intégrée en ce qui a trait à la santé publique et à la gestion des crises sanitaires. La flambée du SRAS a mis en lumière bien des domaines où la collaboration entre les diverses compétences s'avère moins qu'optimale. Loin d'être intégré, le système de santé publique a exhibé de graves lacunes.

L'expérience du SRAS au Canada

Après la Chine et Hong Kong, Toronto a été la région la plus durement frappée par le SRAS. Au 12 août 2003, on comptait 438 cas probables au Canada, y compris 44 décès. La majorité des cas de SRAS étaient concentrée en Ontario et tous les décès se sont produits dans cette ville. Le bilan a été particulièrement lourd parmi les professionnels de la santé : plus d'une centaine sont tombés malades et sont devenus des cas probables de SRAS, dont trois ont perdu la vie.

De fortes pressions ont été exercées sur le système de santé publique et des soins de santé à Toronto. Les professionnels de la santé régionaux, qui s'étaient mobilisés en première ligne pour endiguer la maladie, risquaient d'être contaminés, sans parler d'un stress physique et psychologique considérable. Nombre de patients ont eu besoin de soins intensifs, des hôpitaux ont dû fermer, des interventions chirurgicales non urgentes on été annulées et il était difficile de trouver suffisamment de fournitures adéquates pour combattre la maladie. Le SRAS a également placé des exigences sans précédent sur le système de santé publique, mettant à l'épreuve la capacité régionale à contenir les flambées et assurer la surveillance, la gestion de l'information et le contrôle de l'infection.

Même si les autorités de santé publique et les professionnels de la santé qui ont participé aux efforts pour contenir la propagation du SRAS ont effectué un travail admirable, il demeure que cette expérience a mis en relief certaines lacunes du système de santé publique canadien, notamment au niveau du système clinique et de son interface avec le système de santé publique. Outre le manque de capacité accrue pour intensifier les mesures face à cette crise, l'accès opportun aux résultats de laboratoire, le partage de l'information, la propriété des données et les recherches épidémiologiques ont également posé des problèmes. Les communications destinées au public étaient parfois contradictoires et on ne savait pas toujours qui était responsable de la réaction à la flambée épidémique.

L'expérience du SRAS a montré que le Canada n'est pas équipé pour faire face à une véritable pandémie. Le gouvernement de l'Ontario a lui aussi souligné que le système de santé publique de l'Ontario n'aurait pas pu surmonter deux flambées épidémiques ou crises simultanées à grande échelle comme celle du SRAS.Note de bas de page 22 La plupart des autres provinces ne seraient guère mieux armées et la capacité fédérale de soutenir une ou plusieurs provinces face à des crises sanitaires simultanées est limitée.

Le fait que les flambées du SRAS aient eu lieu dans la plus grande métropole du Canada a posé de nombreux défis. On peut cependant s'estimer heureux que le SRAS ait frappé Toronto plutôt qu'une de nos régions moins favorisées. En effet, dans les zones rurales et dans les petites villes, rares sont les hôpitaux qui comptent des résidents spécialistes en maladies infectieuses, les agents et les infirmières chargés de contrôler l'infection sont souvent des employés à temps partiel et le contrôle des infections n'est qu'un élément de plus parmi tant d'autres fonctions disparates telles la supervision des soins infirmiers ou la santé au travail. Dans les petites localités, les enquêtes et le contrôle des maladies transmissibles sont confiés aux infirmières et aux inspecteurs de la santé publique avec, dans le meilleur des cas, un seul médecin - qui ne possédera pas nécessairement une formation en matière de santé publique - pour leur prêter main forte et surveiller les activités. La multiplicité des tâches touchant toute une gamme d'activités allant de la puériculture et de l'immunisation au développement communautaire sont la règle plutôt que l'exception dans les unités rurales de santé publique, avec une spécialisation très limitée sur le plan des fonctions. Comment pouvons-nous renforcer le système de santé publique pour qu'il puisse relever les défis propres aux grandes régions métropolitaines et ceux qui sont propres aux régions rurales et aux petites localités?

 

Les leçons du SRAS

Les leçons du SRAS sont des éléments d'information critiques à l'heure de déterminer les améliorations à apporter au système de santé publique au Canada. Le renforcement des mécanismes de surveillance, l'amélioration de la coordinatioo parmi les divers paliers de gouvernement et les institutions pour contenir les flambées épidémiques, l'amélioration des stratégies de communication publique et le recrutement de nombreux spécialistes ne sont que quelques-uns des changements à envisager si le Canada doit être mieux préparé pour faire face à d'éventuelles crises.

Les séquelles du SRAS sont énormes : des morts, des proches et des amis dans le deuil, un bouleversement du système de santé et de graves incidences économiques. Fort heureusement, il ne s'est avéré que modérément contagieux et il est resté en deça d'une crise pandémique. Au Canada, la flambée s'est essentiellement concentrée dans une grande région urbaine dotée de toutes les ressources voulues sur le plan de la santé. Cela dit, la crise a rudement mis à l'épreuve la capacité locale, fédérale et provinciale d'y faire face et a fait ressortir les forces et les faiblesses des systèmes de santé publique et des soins de santé. Les connaissances acquises dans cette crise devraient aider le Canada à mettre en place un système de santé publique capable de faire face non seulement à une nouvelle flambée épidémique mais à une véritable pandémie.

Le temps n'est pas au relâchement. Le SRAS a été endigué, mais de façon temporaire peut-être, et l'automne et les maladies respiratoires qui l'accompagnent vont nous revenir bientôt. C'est donc dès maintenant que nous devons entreprendre les travaux nécessaires pour améliorer le système de santé publique et mieux équiper nos services cliniques.

Références

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