Commentaire – Protection des groupes vulnérables contre les méfaits du tabac pendant et après la pandémie de COVID-19

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Osnat C. Melamed, M.D., M. Sc.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2; Laurie Zawertailo, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 3; Robert Schwartz, Ph. D.Note de rattachement des auteurs 4Note de rattachement des auteurs 5Note de rattachement des auteurs 6; Leslie Buckley, M.D., M.H.P.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 7; Peter Selby, MBBS, M. Sc. S.Note de rattachement des auteurs 1Note de rattachement des auteurs 2Note de rattachement des auteurs 7Note de rattachement des auteurs 8

https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.10.02f
(Publié le 23 juin 2021)

Rattachement des auteurs
Correspondance

Osnat Melamed, 1025, rue Queen Ouest, Toronto (Ontario) M6J 1H1; tél. : 416-535-8501 poste 32942; courriel : Osnat.Melamed@camh.ca

Citation proposée

Melamed OC, Zawertailo L, Schwartz R, Buckley L, Selby P. Commentaire – Protection des groupes vulnérables contre les méfaits du tabac pendant et après la pandémie de COVID-19. Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada. 2021;41(10):310-316. https://doi.org/10.24095/hpcdp.41.10.02f

Résumé

Les groupes marginalisés sont touchés de manière disproportionnée par la pandémie actuelle. Parmi les effets directs, notons des taux d’infection supérieurs associés à une morbidité et à une mortalité accrues, les effets indirects découlant quant à eux de la réponse sociétale visant à limiter la propagation du virus. Ces groupes présentent également des taux de tabagisme nettement plus élevés que ceux de la population générale. Dans cet article, nous examinons, au moyen du cadre syndémique, la façon dont la pandémie a contribué à exacerber les méfaits du tabac chez ces groupes. Cette approche nous permet d’étudier les facteurs qui favorisent le cumul des méfaits du tabac et des méfaits de la COVID-19, en particulier une aggravation de la détresse psychologique, une augmentation potentielle du tabagisme, une exposition accrue à la fumée secondaire et un accès réduit aux services d’arrêt du tabac. Nous proposons ensuite des stratégies d’atténuation destinées à protéger les groupes défavorisés contre les méfaits du tabac, pendant et après la pandémie de COVID-19 : des services d’arrêt du tabac abordables, une approche proactive du traitement du tabagisme à l’aide des technologies de l’information, un dépistage et un traitement de la dépendance au tabac au moment où les personnes vont se faire vacciner contre la COVID-19, la prise de mesures pour instaurer une couverture universelle de la pharmacothérapie de sevrage du tabac, des politiques d’interdiction totale de fumer et une réglementation de la densité des points de vente au détail de tabac. Aujourd’hui plus que jamais, les cliniciens, les systèmes de soins de santé, les organismes de santé publique et les responsables des politiques de santé doivent agir de manière coordonnée pour protéger les groupes vulnérables contre les méfaits du tabac.

Mots-clés : COVID-19, pandémie, groupes vulnérables, tabac, tabagisme, disparités en matière de santé, lutte antitabac, statut socioéconomique, politique

Points saillants

  • Les groupes vulnérables et défavorisés sur le plan socioéconomique présentent des taux de tabagisme disproportionnellement élevés.
  • Le cadre syndémique est une approche biosociale qui permet de prendre en compte les risques de méfaits liés au tabac au sein des groupes vulnérables, risques qui sont renforcés par les changements induits par la pandémie.
  • La détérioration de la situation économique et l’aggravation des niveaux de stress, conjuguées à un accès limité aux soins de santé et au traitement du tabagisme, conduisent à une augmentation de la consommation de tabac et de l’exposition à la fumée secondaire.
  • Pour protéger les groupes vulnérables, il faut une action coordonnée qui passe par la réduction des obstacles au traitement du tabagisme, l’application de politiques antitabac et l’intégration du traitement du tabagisme dans les collectivités, sur les lieux de travail et dans les établissements de soins de santé qui offrent des services aux groupes défavorisés sur le plan socioéconomique.

Pourquoi le tabagisme a-t-il suscité l’attention pendant la pandémie de COVID-19?

Par rapport aux non-fumeurs, les fumeurs présentent des taux plus élevés d’infections respiratoires courantes comme la pneumonie, et le lien entre tabagisme et infections est bien établiNote de bas de page 1. Le tabagisme est responsable d’une multitude de mécanismes qui prédisposent aux infections respiratoires, notamment une altération structurelle des poumons (comme la constriction des voies respiratoires) et un dysfonctionnement des réponses immunitaires à médiation cellulaire et humoraleNote de bas de page 2. Il n’est donc pas surprenant que le SRAS-CoV-2 entraîne une morbidité accrue chez les fumeurs. Les premiers rapports provenant de Chine ont révélé que 26 % des patients atteints de la COVID-19 qui avaient développé des complications (mise sous ventilation, admission aux soins intensifs, décès, etc.) étaient fumeurs, ces derniers ne formant que 12 % des patients présentant une forme moins sévère de la maladieNote de bas de page 3.

Depuis lors, les données probantes se sont accumulées. Selon une méta-analyse récente, le tabagisme constitue un facteur de risque de formes graves de la COVID-19 (rapport de cotes [RC] regroupé = 2,17; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 1,37 à 3,46)Note de bas de page 4, et des données émergentes laissent entrevoir une relation dose-réponse entre le nombre de paquets-années et des conséquences graves de la COVID-19Note de bas de page 5. En outre, il existe un consensus sur le fait que les maladies liées au tabac (comme la maladie pulmonaire obstructive chronique et les coronaropathies, qui sont fréquentes chez les fumeurs et les ex-fumeurs) sont associées à une surmortalité due à la COVID-19Note de bas de page 6.

Le lien entre tabagisme et complications de la COVID-19 n’est pas passé inaperçu auprès du public et a incité bon nombre de personnes à cesser de fumer. Selon des sondages réalisés au Royaume-Uni, les fumeurs ont été plus nombreux à essayer d’arrêter de fumer pendant la pandémie que lors de l’année précédente (40 % contre 30 %)Note de bas de page 7. De plus, ils ont connu plus de succès dans leurs tentatives d’arrêt (21 % contre 14 %), et un plus grand nombre de fumeurs ont communiqué avec des services de counseling à distance tels que des lignes téléphoniques d’aide à l’arrêt du tabac (11 % contre 3 %) pour obtenir un soutien comportemental supplémentaireNote de bas de page 7. À l’inverse, la pandémie a créé de nombreux facteurs de stress, notamment des inquiétudes par rapport à la santé, une situation financière incertaine et un isolement social, qui se sont traduits par une détresse psychologique élevée, corrélat connu du tabagismeNote de bas de page 8. De fait, ces deux tendances opposées ressortent des études réalisées récemment auprès de fumeurs. Par exemple, une étude menée aux Pays-Bas auprès de fumeurs a révélé que 14 % d’entre eux avaient observé une diminution de leur tabagisme pendant la pandémie, tandis que 19 % avaient observé une augmentation. Les changements dans les comportements liés au tabac, dans un sens comme dans l’autre, étaient étroitement associés à des niveaux de stress élevésNote de bas de page 9.

Les données transversales de la série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes (SEPC) ont fait ressortir des tendances opposées similaires : 3 % des répondants ont déclaré avoir augmenté leur consommation de tabac pendant la pandémie, tandis que 4 % ont dit l’avoir diminuéeNote de bas de page 10. Conformément à l’étude néerlandaise susmentionnée, les facteurs de stress financier liés à la pandémie étaient prédicteurs d’une augmentation et d’une diminution du tabagisme au Canada. Cette étude met également en lumière les disparités socioéconomiques et l’évolution du tabagisme. Les personnes qui détiennent au plus un diplôme d’études secondaires étaient presque trois fois plus susceptibles d’augmenter leur consommation de tabac que celles ayant un diplôme universitaireNote de bas de page 10. Jusqu’à présent, les changements dans le comportement en matière de tabagisme en réponse au stress lié à la pandémie ont été observés dans des données issues de sondages non représentatifsNote de bas de page 11. Des études longitudinales populationnelles de plus grande envergure sont donc nécessaires pour examiner pleinement l’effet de la pandémie sur la prévalence du tabagisme et évaluer la présence de disparités socioéconomiques.

Le risque que la pandémie augmente l’intensité du tabagisme chez les fumeurs appartenant à des groupes défavorisés sur le plan social est préoccupant et justifie la prise de mesures immédiates, étant donné que, même avant la pandémie, le fardeau des problèmes de santé liés au tabac était plus lourd au sein de ces groupes. Les effets de la pandémie ont en outre contribué à aggraver les disparités en matière de santé.

Dans cet article, nous exposons d’abord les données probantes qui témoignent des disparités en matière de tabagisme entre les groupes aisés et les groupes défavorisés. Ensuite, à l’aide du cadre syndémique, nous expliquons la façon particulière dont la pandémie et ses effets sociétaux exacerbent les méfaits du tabac dans les groupes où les taux de tabagisme sont plus élevés. Enfin, nous proposons des stratégies d’atténuation, à ancrer dans la Stratégie canadienne sur le tabacNote de bas de page 12, destinées à protéger la santé des groupes défavorisés contre les méfaits du tabac, pendant et après la pandémie.

La prévalence du tabagisme avant la pandémie est plus élevée dans les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique

Le tabagisme reste la principale cause de décès évitable au Canada. Chaque année, environ 40 000 Canadiens meurent de maladies liées à la consommation de tabacNote de bas de page 13. L’adoption par le Canada de politiques de santé publique visant à limiter le tabagisme, telles que l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les campagnes antitabac dans les médias de masse, les restrictions sur la commercialisation des cigarettes, les lignes téléphoniques d’aide à l’arrêt du tabac financées par l’État et l’augmentation du prix des cigarettes, a permis de réduire le taux de tabagisme à un niveau historiquement bas de 15 %Note de bas de page 14.

Les groupes de population plus aisés appliquent davantage les interventions de santé publique que les groupes plus défavorisés sur le plan socioéconomiqueNote de bas de page 15. Ainsi, bien que les taux de tabagisme aient diminué à l’échelle de la population générale, les disparités en la matière se sont accentuées au fil du temps. Par exemple, les personnes qui occupent un emploi manuel sont deux fois plus susceptibles de fumer que celles qui exercent une profession libéraleNote de bas de page 15. De même, les personnes qui n’ont pas terminé leurs études secondaires sont trois fois plus susceptibles de fumer que les diplômés universitairesNote de bas de page 15. En outre, on a constaté que le taux de tabagisme était presque deux fois plus élevé chez les Canadiens autochtonesNote de bas de page 16 et une étude menée aux États-Unis a révélé un taux trois à quatre fois plus élevé chez les personnes qui présentent une maladie mentale ou un trouble de dépendanceNote de bas de page 17.

Les disparités en matière de tabagisme peuvent s’expliquer par une myriade de facteurs biopsychosociaux, dont une exposition accrue au tabac dans l’environnement social, des attitudes permissives à l’égard du tabagisme, un soutien social moindre pour arrêter de fumer ainsi que des niveaux supérieurs de détresse psychologique et de dépendance au tabac. Aux facteurs biopsychosociaux s’ajoutent des facteurs systémiques tels que l’application limitée des politiques antitabac sur les lieux de travail des personnes occupant un emploi manuel, l’absence de couverture universelle pour la pharmacothérapie de sevrage du tabac, la forte densité des points de vente au détail de tabac dans les quartiers à faible statut socioéconomique et une diminution du financement des mesures de santé publique en matière de lutte contre le tabagisme en raison de la baisse du taux de tabagisme au fil des ansNote de bas de page 18.

En conséquence, par rapport aux groupes plus aisés, les populations plus défavorisées ont un taux d’initiation au tabac plus élevé, un taux de tentative d’arrêt plus faible et un succès moindre pour une tentative donnéeNote de bas de page 19. La consommation disproportionnée de tabac au sein des groupes défavorisés est l’une des principales causes des inégalités en matière de santé auxquelles ces groupes font face : le fardeau en matière de santé lié au tabac contribue pour 40 % à la différence d’espérance de vie observée selon le niveau d’éducation au CanadaNote de bas de page 20. Cette situation est inquiétante, étant donné que la pandémie risque d’augmenter le tabagisme de manière disproportionnée dans les groupes vulnérables.

La COVID-19 mine les efforts de lutte contre le tabagisme et exacerbe les méfaits du tabac chez les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique

La COVID-19 a provoqué des changements sans précédent dans tous les aspects de la société. Pour limiter la propagation du virus, les autorités ont imposé des « confinements » généralisés ainsi que la fermeture d’entreprises, d’établissements d’enseignement, d’organismes communautaires, de lieux de culte et de nombreux services médicaux « non essentiels » et elles ont mis en œuvre des règles strictes de distanciation sociale.

Bien que ces mesures soient nécessaires pour protéger le public contre le virus, elles touchent de manière disproportionnée les groupes vulnérables tels que les personnes ayant un faible statut socioéconomique, les minorités racialisées et les personnes qui présentent un problème de santé mentale ou de dépendanceNote de bas de page 21. Par exemple, 38 % des Canadiens occupant un poste à faible revenu ont perdu leur emploi en mars et en avril 2020, comparativement à seulement 13 % pour les autres catégories d’emploisNote de bas de page 22. Le chômage est corrélé à une mauvaise santé physique et mentale, en particulier chez les personnes qui ne disposent pas d’un réseau de soutien socialNote de bas de page 23. La réduction de l’accès aux services de soins de santé, dont la plupart sont désormais offerts sous forme de télémédecine, a également touché de manière disproportionnée les groupes défavorisés sur le plan socioéconomique et mis en évidence la « fracture numérique » de la sociétéNote de bas de page 24. Les pertes de salaire, le chômage et l’accès réduit aux soins de santé ont favorisé un stress et une mauvaise santé mentale liés à la pandémie qui vont au-delà de ce que l’on observe dans la population générale. Par exemple, des pensées suicidaires ont été mentionnées en proportions plus élevées chez les Autochtones (16 %), chez les personnes handicapées (15 %) et chez les personnes à faible revenu (14 %) par rapport à la population générale (6 %)Note de bas de page 25. Dans l’ensemble, ces données montrent que les groupes vulnérables sont plus susceptibles de subir les méfaits de la pandémie.

Les points communs entre le risque de méfaits attribuables aux effets sociétaux de la pandémie et le risque de méfaits attribuables au tabac sont mieux perceptibles grâce au cadre syndémique, un cadre biosocial général destiné à saisir les facteurs sociaux et environnementaux favorisant le cumul des maladies et leurs interactionsNote de bas de page 26. Dans le cas présent, les inégalités présentes avant la pandémie en matière de tabagisme et le fardeau en matière de santé subséquent lié au tabac touchent surtout les populations défavorisées. Les effets disproportionnés de la pandémie sur ces groupes ont interagi de manière synergiqueNote de bas de page 27 et ont exacerbé les méfaits du tabac. Un certain nombre de facteurs expliquent cette synergie entre méfaits du tabac et pandémie.

Premièrement, les effets profonds de la pandémie sur les systèmes économiques, sociaux et de soins de santé se sont fait sentir de façon plus marquée au sein des groupes de population défavorisés, qui n’ont pas les moyens financiers ni le capital social nécessaires pour surmonter les difficultés encontrées. Il en a résulté une hausse de la détresse psychologique et, pour certains, une augmentation concomitante du tabagisme comme moyen d’y remédier. On peut également craindre que les personnes qui avaient cessé de fumer avant la pandémie ne recommencent à le faire en raison de l’augmentation des facteurs de stress dans leur vie, le stress étant un facteur de risque bien établi de rechuteNote de bas de page 28.

Deuxièmement, on a constaté des disparités en matière d’exposition à la fumée secondaire avant la pandémie, mettant en évidence une relation dose-réponse avec le statut socioéconomique. Par exemple, une étude réalisée au Québec a révélé que l’exposition à la fumée secondaire à la maison était presque cinq fois plus fréquente chez les jeunes des quintiles de revenu les plus bas que chez ceux des quintiles de revenu les plus élevésNote de bas de page 29. Étant donné que les consignes de rester à la maison émises par les autorités de santé publique ont probablement eu pour effet d’augmenter le nombre de fumeurs fumant à l’intérieur, il est probable qu’un plus grand nombre de personnes ayant un faible statut socioéconomique ont été et continueront d’être exposées à la fumée secondaire. L’usage de tabac à l’intérieur est particulièrement préoccupant dans les immeubles à logements multiples, où habitent principalement des familles à faible revenu, car la fumée est transportée par les systèmes de ventilation communs et touche donc plusieurs occupantsNote de bas de page 30. En outre, une exposition accrue à la fumée secondaire est corrélée à des effets indésirables sur la santé et à une augmentation de l’utilisation des soins de santéNote de bas de page 31.

Troisièmement, les systèmes de soins de santé jouent un rôle essentiel dans le dépistage du tabagisme et dans les efforts déployés pour aider les fumeurs à cesser de fumer. D’après des données provenant de l’Ontario, un vaste programme d’arrêt du tabac financé par le gouvernement, intégré aux milieux de soins primaires et offrant une pharmacothérapie gratuite suscite un plus grand intérêt chez les patients défavorisés sur le plan socioéconomique, plus de 50 % des participants à ce programme ontarien se situant dans les deux quintiles de revenu les plus faiblesNote de bas de page 32. La pandémie a fait peser sur les systèmes de soins de santé une charge sans précédent, entraînant des retards dans la prise en charge des maladies chroniques et dans le dépistage du cancer, ce qui risque de détourner l’attention de l’aide apportée aux fumeurs pour qu’ils cessent de fumer. Cette situation est préoccupante, étant donné que les tentatives de sevrage brutal sans aide, qui sont plus fréquentes chez les personnes à faible revenu que chez les personnes à revenu élevé, sont moins susceptibles de réussir à long termeNote de bas de page 14.

Quatrièmement, la pandémie a détourné l’attention et les ressources des établissements de santé publique, notamment le personnel et les fonds, vers la protection du public contre les méfaits directs des infections causées par la COVID-19. Les ressources disponibles pour les activités de lutte contre le tabagisme, telles que l’application de la loi, l’éducation et l’aide au sevrage, sont de ce fait moins nombreuses. Il est donc urgent d’agir pour protéger les personnes défavorisées sur le plan socioéconomique contre les méfaits du tabac, étant donné que les disparités liées au tabac sont aggravées par les effets sociétaux de la pandémie.

Protéger la santé des groupes défavorisés sur le plan socioéconomique contre les méfaits du tabac pendant et après la pandémie de COVID-19

Il est possible de réduire les méfaits du tabac chez les populations défavorisées pendant et après la pandémie grâce à la mise en œuvre de mesures coordonnées à plusieurs niveaux et conformes à la Stratégie canadienne sur le tabacNote de bas de page 12 (tableau 1).

Tableau 1. Mesures conformes à la Stratégie canadienne sur le tabac visant à protéger les groupes vulnérables contre les méfaits du tabac
Pilier Mesure
Arrêt Accroître l’accès à des programmes d’arrêt du tabac gratuits dans les établissements de soins de santé, en particulier ceux qui accueillent des patients présentant une prévalence élevée de tabagisme (comme les services de psychiatrie et de traitement des dépendances).
Offrir des programmes d’arrêt du tabac à distance (par téléphone et sur Internet) et une pharmacothérapie distribuée par voie postale.
Utiliser les technologies de l’information au sein des systèmes de santé pour inviter de manière proactive les fumeurs à participer à des programmes d’arrêt du tabac.
Augmenter le prix des cigarettes.
Effectuer le dépistage et le traitement du tabagisme au moment du dépistage et de la vaccination de la COVID-19.
Offrir un soutien en matière d’arrêt du tabac sur les lieux de travail et au sein des collectivités.
Protection Appliquer des politiques d’interdiction totale de fumer, en particulier sur les lieux de travail des personnes occupant un emploi manuel.
Assurer la mise en place de politiques d’interdiction de fumer dans tous les immeubles à logements multiples financés par le gouvernement.
Industrie Limiter la densité des points de vente au détail de tabac dans les quartiers à faible statut socioéconomique.
Interdire les rabais sur les produits du tabac.

Premièrement, il est nécessaire d’éliminer les obstacles à l’accès au traitement du tabagisme afin de permettre aux fumeurs de recevoir le traitement recommandé pour le sevrage du tabac, soit une combinaison de pharmacothérapie et de counseling comportemental. Les régimes d’assurance publique qui couvrent les médicaments de sevrage du tabac devraient être étendus aux travailleurs à faible revenu ou aux bénéficiaires de l’assurance emploi. Conformément aux mesures sociétales visant à limiter la propagation de la COVID‑19, le traitement du tabagisme peut se faire à distance, par des services de counseling téléphonique (lignes téléphoniques d’aide à l’arrêt du tabac) et par l’envoi postal de médicaments. La première pratique est déjà bien établie dans la plupart des administrations, la seconde ayant quant à elle connu des succès locaux, dont il convient d’élargir la portéeNote de bas de page 33.

Deuxièmement, pour que les fumeurs défavorisés ne soient pas sous-représentés dans les efforts généraux déployés en matière de santé publique, ces efforts devraient être soutenus par des mesures à l’échelle des collectivités. Par exemple, le traitement du tabagisme devrait être systématiquement offert dans les milieux communautaires qui fournissent des services aux populations vulnérables, tels que les agences de placement, les programmes d’aide sociale, les services de logement et d’hébergement pour les personnes itinérantes positives à la COVID-19 et les banques alimentaires. Pour y parvenir, il faudra une collaboration et une coordination entre les différents ordres de gouvernement, les services d’arrêt du tabac et les organismes communautaires.

Troisièmement, la plupart des grands établissements de soins de santé sont dotés de systèmes de technologie de l’information qui leur permettent de repérer les fumeurs parmi leurs patients. Cette approche proactive, qui consiste à inviter les fumeurs à suivre un traitement contre le tabagisme, s’est avérée efficace pour augmenter le taux d’acceptation du traitement chez les fumeurs défavorisés sur le plan socioéconomiqueNote de bas de page 34. De même, l’intégration du traitement du tabagisme au sein des établissements de soins de santé qui traitent les populations touchées par les disparités en matière de tabagisme, comme les hôpitaux psychiatriques et les programmes de traitement des dépendances, est également susceptible d’augmenter le taux d’acceptationNote de bas de page 35. Le traitement du tabagisme peut aussi être offert de manière proactive par une méthode à distance après le dépistage du tabagisme chez les personnes positives à la COVID‑19.

Quatrièmement, il faut une action gouvernementale coordonnée, sous la forme d’un ensemble d’interventions politiques, pour donner la priorité aux activités de lutte contre le tabagisme à l’heure actuelle, en particulier celles qui ont une incidence positive sur l’équité et qui sont susceptibles de réduire les méfaits au sein des groupes vulnérablesNote de bas de page 36. Par exemple, l’application de politiques d’interdiction totale de fumer sur les lieux de travail des personnes occupant un emploi manuel et dans les immeubles à logements multiples permettrait de réduire les disparités en matière d’exposition à la fumée secondaire. En outre, le coût des cigarettes étant plus prohibitif pour les fumeurs des groupes socioéconomiques inférieurs, l’augmentation du prix des paquets, conjuguée à une application plus stricte de la loi sur le marché noir du tabac, pourrait inciter de nombreuses personnes à arrêter de fumerNote de bas de page 37. La réglementation de la densité des points de vente au détail de tabac est un autre outil puissant pour lutter contre les disparités en matière de tabagismeNote de bas de page 38, et des études récentes tendent à indiquer qu’elle permet de réduire l’écart entre le nombre de points de vente au détail de tabac dans les quartiers à faible revenu et le nombre de points de vente au détail de tabac dans les quartiers à revenu élevéNote de bas de page 39.

Cinquièmement, conformément au cadre syndémique, les mesures visant à atténuer les facteurs systémiques qui contribuent aux disparités en matière de santé au sein des groupes vulnérables, tels que les possibilités limitées d’éducation ou d’emploi, l’insécurité en matière de logement, l’accès précaire aux soins de santé et la discrimination, sont susceptibles d’avoir une incidence positive sur le tabagisme et les conséquences liées au tabac ainsi que sur la santé en généralNote de bas de page 40.

Conclusion

Même avant la pandémie actuelle, les populations défavorisées sur le plan socioéconomique subissaient des disparités en matière de tabagisme et de problèmes de santé liés au tabac contribuant grandement aux inégalités en matière de santé. Le cadre syndémique est une approche conceptuelle qui permet de comprendre comment les risques sanitaires associés à la consommation de tabac avant la pandémie interagissent avec les effets sociétaux de la pandémie et comment, ensemble, ils accentuent le risque de méfaits liés au tabac au sein des groupes défavorisés. Le cadre fait également ressortir des mesures susceptibles d’atténuer une proportion non négligeable de ce risque, comme la réduction des obstacles à l’accès au traitement du tabagisme en utilisant des services de counseling à distance et en envoyant par la poste des médicaments de sevrage du tabac, la sensibilisation proactive des fumeurs inscrits dans les systèmes de soins de santé, l’application de politiques d’interdiction totale de fumer sur les lieux de travail des personnes occupant un emploi manuel et dans les immeubles à logements multiples et enfin l’intégration du traitement du tabagisme dans les organismes communautaires qui offrent des services aux personnes défavorisées sur le plan socioéconomique. Pour garantir la diminution des disparités en matière de tabagisme et de santé au fil du temps, ces mesures d’atténuation doivent être accompagnées de stratégies visant à réduire les facteurs systémiques à l’origine des inégalités sociales.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de relation, d’activité ou d’intérêt en lien avec le contenu de cet article. Les auteurs n’ont reçu aucun financement particulier pour la réalisation de ce travail.

Contributions des auteurs et avis

OM et PS ont conçu le projet du commentaire. OM, LZ, RS, LB et PS ont participé aux travaux d’analyse et d’interprétation. OM a rédigé le manuscrit. OM, LZ, RS, LB et PS ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important du manuscrit. OM, LZ, RS, LB et PS ont approuvé la version définitive du manuscrit.

Le contenu de l’article et les points de vue qui y sont exprimés n’engagent que les auteurs; ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

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