Microbiologie des infections sanguines en Ontario pendant la pandémie de COVID-19
Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Numéro : RMTC : Volume 50-3/4, mars/avril 2024 : Innovations dans la surveillance en santé publique
Date de publication : mars/avril 2024
ISSN : 1719-3109
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Volume 50-3/4, mars/avril 2024 : Innovations dans la surveillance en santé publique
Surveillance
Microbiologie des infections sanguines en Ontario, au Canada pendant la pandémie de COVID-19
Mohammad R Hasan1,2, Yasmeen M Vincent1,2, Daniela Leto1,2, Huda Almohri1,2
Affiliations
1 Département médical et scientifique, LifeLabs, Toronto, ON
2 Département de pathologie et de médecine moléculaire, Université McMaster, Hamilton, ON
Correspondance
Citation proposée
Hasan MR, Vincent YM, Leto D, Almohri H. Microbiologie des infections sanguines en Ontario, au Canada pendant la pandémie de COVID-19. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2024;50(3/4):128–2. https://doi.org/10.14745/ccdr.v50i34a05f
Mots-clés : infections sanguines, Ontario, COVID-19, hémoculture, microbiologie
Résumé
Contexte : Les infections sanguines causées par un large éventail de pathogènes bactériens et fongiques sont associées à des taux élevés de morbidité et de mortalité. Selon une estimation de 2017, le nombre d'incidences d'infections sanguines en Ontario est de 150 pour 100 000 habitants. L'épidémiologie des infections sanguines peut être influencée par de nombreux facteurs, notamment les restrictions sociales et de voyage et l'augmentation des taux d'hospitalisation en Ontario pendant la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19).
Objectifs : Cette étude visait à évaluer les changements dans la microbiologie des infections sanguines en Ontario pendant la pandémie de COVID-19 par rapport à la période prépandémique.
Méthodes : Les données rétrospectives sur les hémocultures (n = 189 106) de LifeLabs en Ontario (juillet 2018 à décembre 2021) ont été analysées. Les taux de positivité des hémocultures pour les pathogènes bactériens courants ont été comparés entre les périodes pré-COVID-19 (juillet 2018 à mars 2020) et COVID-19 (avril 2020 à décembre 2021) dans les milieux communautaires et hospitaliers, à l'aide du test du khi carré pour la signification.
Résultats : Au cours de la période COVID-19, les taux de positivité des hémocultures dans la communauté sont restés les mêmes, alors que les taux en milieu hospitalier ont été environ triplés (p = 0,00E-00). Dans la communauté, les taux d'isolement de la plupart des espèces bactériennes sont restés inchangés, à l'exception d'une augmentation des Enterococcus et d'une diminution de la Salmonella. Les taux d'organismes antibiorésistants ont également diminué de manière significative dans la communauté. Dans les hôpitaux, toutes les espèces bactériennes, y compris les organismes antibiorésistants, ont connu une augmentation significative des taux d'isolement au cours de la période COVID-19.
Conclusion : L'étude a révélé des changements dans la microbiologie des infections sanguines et suggère des changements dans l'épidémiologie pendant la pandémie de COVID-19 en Ontario, à la fois dans les hôpitaux et dans la communauté.
Introduction
Les infections sanguines ont une incidence considérable sur les établissements de santé et les communautés en raison des taux élevés de morbidité et de mortalité associés à ces infections Note de bas de page 1. Dans les hôpitaux, elles font partie des infections associées aux soins les plus courantes. Des études ont rapporté des taux d'incidence variables, allant de 1,5 à 4,0 cas pour 1 000 jours-patients. L'incidence des infections sanguines d'origine communautaire est plus faible, mais reste significative, et touche des personnes en dehors des établissements de santé Note de bas de page 2. En Ontario, d'après une étude de cohorte rétrospective à l'échelle de la population sur les infections sanguines en 2017, il y a eu 150 épisodes d'infections sanguines pour 100 000 habitants, avec un taux de mortalité à 30 jours de 17 % Note de bas de page 3.
Les agents responsables des infections sanguines varient en fonction du contexte, de la population de patients et des facteurs régionaux. Les bactéries à Gram positif sont souvent impliquées, ainsi que la Staphylococcus aureus, y compris les souches résistantes à la méthicilline (SARM), étant une cause majeure. Les staphylocoques négatifs à la coagulase, tels que Staphylococcus epidermidis, sont également fréquemment isolés. Les bactéries à Gram négatif, notamment Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae et Pseudomonas aeruginosa, contribuent de manière significative aux infections sanguines, en particulier dans les établissements de santé. Les pathogènes fongiques, tels que Candida, sont une cause importante d'infections sanguines chez les personnes immunodéprimées. L'émergence et la propagation de la résistance aux antimicrobiens posent des défis supplémentaires dans la gestion des infections sanguines. Le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline et les bactéries à Gram négatives productrices de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) ont été associées à une augmentation de la mortalité et des coûts des soins de santé Note de bas de page 1Note de bas de page 3.
L'épidémiologie des infections sanguines a évolué au cours des dernières décennies, sous l'effet de nombreux facteurs tels que l'évolution démographique, les méthodes de prestation des soins de santé et la mondialisation croissante Note de bas de page 1. Plus récemment, l'épidémiologie des infections sanguines dans la communauté et les hôpitaux pourrait avoir été influencée par les restrictions de mobilité et l'augmentation des taux d'hospitalisation associés à la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). Dans cette étude, nous avons évalué la microbiologie des infections sanguines en Ontario pendant la pandémie de COVID-19 et l'avons comparée à la période prépandémique.
Méthodes
Dans cette étude observationnelle rétrospective, les données des hémocultures (n = 189 106) réalisées par les laboratoires médicaux LifeLabs en Ontario de juillet 2018 à décembre 2021 ont été utilisées. Les cultures ont été prélevées chez des patients fréquentant des établissements de soins primaires et 36 hôpitaux de la province. Pour les hôpitaux, plus de 90 % des hémocultures provenaient de cinq hôpitaux communautaires généraux du Réseau local d'intégration des services de santé (RLISS) de Hamilton Niagara Haldimand Brant, qui comptent au moins 100 lits. Pour les hémocultures provenant des communautés, plus de 70 % provenaient de communautés urbaines. Les données ont été extraites sans aucune information permettant d'identifier les patients, conformément au code d'éthique de LifeLabs. Les taux de positivité des hémocultures pour tous les pathogènes et pour les pathogènes bactériens les plus fréquemment isolés ont été comparés entre la période pré-COVID-19 (juillet 2018 à mars 2020) et la période COVID-19 (avril 2020 à décembre 2021) pour les milieux communautaires et hospitaliers. Le test du khi-carré a été utilisé pour déterminer si les différences de proportions étaient significatives.
Résultats
Au cours des 21 mois qui ont précédé la mise en place des restrictions liées à la COVID-19 en Ontario, les taux globaux de positivité des hémocultures dans la communauté et dans les hôpitaux étaient respectivement de 2,8 % et de 8,06 %. Au cours des 21 mois de restrictions liées à la COVID-19, les taux globaux de positivité des hémocultures sont restés inchangés dans la communauté, mais ont augmenté de manière significative (environ trois fois; p = 0,00E-00) dans les hôpitaux par rapport à la période prépandémique précédente (tableau 1 et tableau 2).
Organisme | Période pré-COVID-19Tableau 1 note de bas de page a | Période COVID-19Tableau 1 note de bas de page a | Valeur pTableau 1 note de bas de page b | ||
---|---|---|---|---|---|
n | % | n | % | ||
Hémocultures totales | 32 411 | 100,00 | 25 860 | 100,00 | – |
Tous les organismes | 907 | 2,80 | 687 | 2,66 | 0,2971 |
Staphylocoque négatif à la coagulase | 275 | 0,85 | 247 | 0,96 | 0,1746 |
Escherichia coli | 118 | 0,36 | 69 | 0,27 | 0,0392 |
Streptocoques viridans | 97 | 0,30 | 97 | 0,38 | 0,1145 |
Salmonella | 89 | 0,27 | 13 | 0,05 | 0,0000 |
Staphylococcus aureus | 57 | 0,18 | 32 | 0,12 | 0,1094 |
Entérocoques | 41 | 0,13 | 66 | 0,26 | 0,0003 |
Klebsiella | 38 | 0,12 | 37 | 0,14 | 0,3875 |
Autres streptocoques | 15 | 0,05 | 15 | 0,06 | 0,5354 |
Pseudomonas | 12 | 0,04 | 4 | 0,02 | 0,1187 |
Levure | 10 | 0,03 | 13 | 0,05 | 0,2410 |
Streptococcus pneumoniae | 5 | 0,02 | 5 | 0,02 | 0,7205 |
Autre | 41 | 0,13 | 52 | 0,20 | 0,0250 |
Anaérobie | 56 | 0,17 | 26 | 0,10 | 0,0208 |
BLSE/AmpC | 35 | 0,11 | 11 | 0,04 | 0,0052 |
SPICE | 34 | 0,10 | 7 | 0,03 | 0,0004 |
SARM | 18 | 0,06 | 2 | 0,01 | 0,0020 |
Organisme | Période pré-COVID-19Tableau 2 note de bas de page a | Période COVID-19Tableau 2 note de bas de page a | Valeur pTableau 2 note de bas de page b | ||
---|---|---|---|---|---|
n | % | n | % | ||
Hémocultures totales | 88 170 | 100,00 | 42 665 | 100,00 | – |
Tous les organismes | 7 105 | 8,06 | 10 197 | 23,90 | 0,00E-00 |
Escherichia coli | 1 410 | 1,60 | 2 026 | 4,75 | 1,6E-244 |
Staphylocoque négatif à la coagulase | 1 045 | 1,19 | 1 698 | 3,98 | 6,6E-240 |
Staphylococcus aureus | 860 | 0,98 | 1 200 | 2,81 | 3,3E-138 |
Autres streptocoques | 461 | 0,52 | 593 | 1,39 | 8,88E-61 |
Klebsiella | 455 | 0,52 | 745 | 1,75 | 4E-106 |
Entérocoques | 424 | 0,48 | 648 | 1,52 | 6,98E-85 |
Streptocoques viridans | 245 | 0,28 | 376 | 0,88 | 4,02E-50 |
Streptococcus pneumoniae | 221 | 0,25 | 176 | 0,41 | 6,03E-07 |
Levure | 182 | 0,21 | 255 | 0,60 | 1,34E-30 |
Pseudomonas | 170 | 0,19 | 286 | 0,67 | 5,89E-43 |
Proteus mirabilis | 164 | 0,19 | 224 | 0,53 | 4,03E-26 |
Salmonella | 27 | 0,03 | 39 | 0,09 | 4,43E-06 |
Autre | 459 | 0,52 | 624 | 1,46 | 1,48E-69 |
Anaérobie | 260 | 0,29 | 420 | 0,98 | 1,89E-59 |
BLSE/AmpC | 182 | 0,21 | 171 | 0,40 | 2,1E-10 |
SPICE | 215 | 0,24 | 348 | 0,82 | 1,22E-49 |
SARM | 507 | 0,58 | 539 | 1,26 | 3,06E-39 |
Pendant la période prépandémique, les espèces bactériennes les plus fréquemment isolées dans les hémocultures de la communauté étaient les staphylocoques négatifs à la coagulase, E. coli, les streptocoques viridans, Salmonella, Staphylococcus aureus, et Enterococcus. Streptococcus pneumoniae et H. influenzae étaient rarement isolées dans les infections sanguines de la communauté, ce qui reflète peut-être une couverture vaccinale étendue pour ces deux espèces en Ontario. Pour la communauté, les taux d'isolement de la plupart des espèces bactériennes sont restés les mêmes ou ont très peu changé pendant la pandémie de COVID-19, sauf dans le cas d'Enterococcus et de Salmonella. Les taux d'Enteococcus ont augmenté d'environ deux fois (p = 0,0003) pendant la pandémie de COVID-19. La raison n'est pas clairement comprise, mais peut être attribuée à des modifications du microbiome intestinal favorisant Enterococcus et à une perméabilité intestinale accrue chez les patients atteints de COVID-19, qui ont été récemment décrites Note de bas de page 4. D'autre part, les taux de Salmonella dans les infections sanguines ont considérablement diminué (p = 0,0000) dans la communauté, ce qui est probablement associé aux restrictions de voyage et à la distanciation physique pendant la pandémie de COVID-19. Peut-être pour les mêmes raisons, les taux d'organismes antibiorésistants tels que les organismes Serratia, Pseudomonas, Proteus indole-positif, Citrobacter et Enterobacter (SPICE), les entérobactéries productrices de BLSE/AmpC et les SARM ont également diminué de manière significative (p < 0,05) dans la communauté Note de bas de page 5. Parmi les hémocultures positives de la communauté, les proportions relatives de plusieurs espèces bactériennes ont changé de manière significative au cours de la pandémie de COVID-19. Les proportions de staphylocoques négatives à la coagulase, de streptocoques viridans et d'Enterococcus ont augmenté de manière significative (p ≤ 0,05), alors que les proportions de Salmonella et d'organismes SPICE ont diminué de manière significative (p ≤ 0,001) (figure 1).
Dans les hôpitaux, les espèces bactériennes les plus fréquemment isolées au cours de la période pré-COVID-19 étaient E. coli, staphylocoques négatifs à la coagulase, S. aureus, d'autres streptocoques, Klebsiella et Enterococcus. Les taux d'isolement pour tous les groupes d'organismes, y compris les organismes antibiorésistants, ont augmenté de manière significative (deux à trois fois) au cours de la pandémie de COVID-19, même si le nombre total d'hémocultures était inférieur de moitié à celui rapporté au cours de la période prépandémique. Ces résultats sont cohérents avec les taux d'incidence plus élevés des infections sanguines d'origine hospitalière dans d'autres populations également Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8 et peuvent être liés à un taux plus élevé d'admission des patients atteints de COVID-19 dans les unités de soins intensifs. Dans les hôpitaux, les proportions relatives d'agents pathogènes récupérés à partir d'hémocultures positives n'étaient pas significativement différentes pour la plupart des agents pathogènes, à l'exception d'une augmentation significative de la proportion d'hémocultures positives avec staphylocoques négatifs à la coagulase (p ≤ 0,0001) et d'une diminution significative de la proportion d'hémocultures positives avec S. pneumoniae (p ≤ 0,0001) (figure 1). Une augmentation faible, mais significative (p ≤ 0,05) de la proportion d'hémocultures positives à Klebsiella a également été observée pendant la période COVID-19.
Discussion
Limites
Cette étude présente plusieurs limites. Bien que l'étude montre les taux de positivité des hémocultures pour une population représentative de l'Ontario, elle ne représente pas l'incidence exacte des infections sanguines en Ontario, car les données ont été analysées sur la base de numéros d'accès uniques aux spécimens au lieu d'identifiants de patients. De plus, comme les dates d'admission à l'hôpital n'étaient pas disponibles, le nombre d'hémocultures reçues des hôpitaux peut inclure une fraction d'hémocultures acquises dans la communauté. Il est probable qu'une petite proportion d'hémocultures positives, le plus souvent avec des staphylocoques négatifs à la coagulase et des streptocoques viridans, ont été signalées comme des contaminants potentiels. Toutefois, ces données n'ont pas pu être extraites de la base de données sur les hémocultures de LifeLabs.
Conclusion
Les données d'hémoculture sur les taux de positivité globaux et par espèce pour une large population représentative suggèrent qu'il y a eu des changements dans l'épidémiologie des infections sanguines en Ontario pendant la pandémie de COVID-19, à la fois dans les hôpitaux et dans la communauté.
Déclaration des auteurs
- M. R. H. — Conceptualisation, méthodologie, analyse des données, rédaction–version originale
- Y. M. V. — Méthodologie, analyse des données, rédaction, révision et édition
- D. L. — Méthodologie, analyse des données, rédaction, révision et édition
- H. A. — Méthodologie, analyse des données, rédaction, révision et édition
Tous les auteurs ont lu et approuvé le manuscrit final.
Le contenu de cet article et les opinions qui y sont exprimées n'engagent que les auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.
Intérêts concurrents
Les auteurs n'ont déclaré aucun conflit d'intérêts.
Remerciements
Les données rétrospectives ont été récupérées et analysées conformément au code d'éthique de LifeLabs, sans aucune information permettant d'identifier les patients.
Financement
Cette recherche n'a bénéficié d'aucune subvention spécifique de la part d'organismes de financement des secteurs public, commercial ou à but non lucratif.
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