Combattre dans les villes : Réflexions sur la bataille de Marawi

par Ann Bajo

Introduction

En 2017, la bataille de Marawi a permis aux forces de sécurité des Philippines de vivre une introduction à la guerre urbaine. Dans le cadre de cette bataille, les Forces armées des Philippines (FAP) traditionnelles et les forces d’opérations spéciales (FOS) ont eu à remettre en cause puis à transformer leurs perceptions liées au combat; en effet, elles employaient depuis longtemps des tactiques de guérilla contre les groupes rebelles dans les jungles et les terrains montagneux, mais cette fois-ci le terrain était urbain. Bien que le gouvernement philippin ait finalement réussi à vaincre les groupes terroristes Maute et Abu Sayyaf et à libérer Marawi, la victoire avait coûté très cher : elle avait entraîné des milliards de dollars de frais de remise en état, le déplacement de milliers de personnes et des centaines de morts. Les FAP s’étaient retrouvées mal préparées à combattre dans une zone urbaine. Résultat : Marawi avait fini en ruines et le conflit avait fait de nombreuses victimes civiles.Note de bas de page 1  Avant la bataille de Marawi, l’affrontement urbain le plus récent de l’armée des Philippines remontait au siège de Zamboanga en 2013. Les événements et la lutte à Marawi ont ouvert la page d’un nouveau chapitre sur l’avenir de la guerre terrestre pour les Philippines. Ces éléments ont montré l’évolution des tactiques, des techniques et des procédures des groupes terroristes et ont mis en évidence l’avancement des capacités et de l’équipement du Groupe Maute–Abu Sayyaf.Note de bas de page 2

Cet article offre un aperçu de l’expérience de l’armée des Philippines dans la guerre urbaine et souligne l’évolution du concept d’opération (CONOPS) des FAP pendant la bataille, en plus de faire ressortir quelques leçons pertinentes. La première section, qui décrit les expériences contemporaines des Philippines dans la guerre urbaine, met l’accent sur la crise de Zamboanga et fournit un aperçu de la bataille. La deuxième section décrit les principales phases de l’opération. La troisième section évalue les capacités des FAP en matière de guerre urbaine, en examinant les composantes suivantes : forces terrestres, membres du génie de combat et les systèmes d’aéronef sans équipage (UAS).

Les renseignements présentés dans l’article proviennent principalement de rapports publiés à l’interne, d’entretiens et de notes de recherche prises par l’auteure lors du déploiement à Marawi pour documenter la guerre pour le Groupe des opérations spéciales interarmées (JSOG). Il est important de mentionner que l’auteure a eu le privilège d’être la seule civile autorisée à résider dans la zone de combat principale pendant une période prolongée et qu’elle est par la suite devenue l’auteure de la Doctrine des opérations spéciales du JSOG. Comme le montre l’article, l’expérience des Philippines en matière d’opérations militaires en terrain urbain a révélé les limites des FAP dans la guerre urbaine et a souligné la nécessité d’un développement des capacités.

L’expérience des Philippines en matière de guerre urbaine

La crise de Zamboanga de 2013

La bataille de Marawi n’était pas la première bataille urbaine à laquelle les FAP avaient été confrontées. Le 9 septembre 2013, le Front de libération nationale Moro (MNLF) avait attaqué la ville de Zamboanga. Le gouvernement philippin était impliqué dans un conflit de longue date avec les rebelles Moro. La résistance Moro, qui remontait à la période coloniale, avait commencé pendant la colonisation espagnole alors que les Moros défendaient leurs terres et leur culture. La lutte s’était poursuivie sous la domination américaine et contre le gouvernement de Manille, en particulier en raison des politiques migratoires qui favorisaient les colons chrétiens. À la fin du XXe siècle, les groupes rebelles se sont progressivement transformés en factions armées, chacune militant pour les droits et l’autonomie du peuple Bangsamoro (communautés à majorité musulmane à Mindanao). Le premier groupe armé contemporain fut le MNLF, dirigé par Nur Misuari. Le gouvernement philippin a signé un accord de paix avec le MNLF qui a conduit à la création d’une région autonome dans le sud des Philippines. Plus tard, cependant, un autre groupe émergeait : le Front de libération islamique Moro (MILF), dirigé par Hashim Salamat. Ce groupe s’est séparé du MNLF en raison de son insatisfaction à l’égard de la direction de Misuari. Le MILF a gagné en force et en nombre, devenant finalement le groupe rebelle Moro le plus puissant. Le MNLF était profondément insatisfait du processus de paix entrepris par le gouvernement avec le MILF, qui avait finalement opté pour des méthodes plus diplomatiques et pacifiques pour rechercher la reconnaissance officielle de la population musulmane dans un contexte plus politique.

Le MNLF était insatisfait, car on avait négligé leurs accords précédents pendant les négociations entre le gouvernement philippin et le MILF.Note de bas de page 3  Devant cette situation, le MNLF a essayé de hisser le drapeau de la « République bangsamoro » autoproclamée à l’hôtel de ville de Zamboanga.Note de bas de page 4  L’affrontement a duré près de trois semaines et a entraîné le déplacement de plus de 100 000 personnes, environ 240 victimes civiles, et la fermeture de l’aéroport de la ville de Zamboanga, entravant ainsi l’activité économique dans la ville.Note de bas de page 5  La bataille de Zamboanga était une opération urbaine dans des conditions de précision imposant de sévères restrictions sur l’utilisation de la puissance de feu parce que les forces ennemies étaient largement mêlées aux non-combattants dans la ville.Note de bas de page 6  Même les otages ont été contenus et gérés à Zamboanga, ce qui ajoutait à la complexité de la situation. Il convient de noter que le personnel des FOS qui a opéré dans les batailles de Zamboanga et Marawi a décrit la première comme moins ardue parce que les bâtiments dans la ville étaient pour la plupart des bidonvilles faits de matériaux légers.Note de bas de page 7

Les FOS sont généralement les unités incontournables des FAP, et le JSOG est composé d’unités de lutte contre le terrorisme et de FOS facilement déployables des FAP. Avant l’attaque à Zamboanga, la communauté du renseignement des FAP avait recueilli des renseignements sur les plans du MNLF et il y avait eu des indices montrant que se préparait un assaut imminent sur la ville de Zamboanga, mais ces renseignements n’ont pas été traités efficacement.Note de bas de page 8  Malgré cela, l’armée s’est concentrée sur l’organisation d’une unité de combat d’élite bien équipée. En particulier, à la suite de l’attaque du MNLF, le JSOG a déployé le Bataillon de réaction léger (BRL) sous son contrôle opérationnel (OPCON). Le BRL avait été spécialement créé pour effectuer des opérations chirurgicales et des frappes de précision conçues pour les batailles rapprochées dans des endroits tels que les bâtiments, les bus et les trains. En outre, il avait été chargé de mener des opérations très sensibles, y compris la neutralisation des cibles de grande importance/objectifs rentables (CGI/OR), les sauvetages d’otages et la lutte contre-terrorisme.

Traditionnellement, les FAP avaient tendance à mettre sur pied de nouvelles unités chaque fois qu’un conflit majeur survenait, au lieu de développer le niveau de préparation des unités existantes, même si cette dernière solution aurait été plus logique sur le plan financier. Par exemple, au lieu d’améliorer son système de renseignement en réponse à la crise de Zampoanga et de Marawi, elles ont mis sur pied le Régiment de réaction léger (RRL), ce qui a conduit à la création du Commandement des opérations spéciales des FAP. Cela dit, compte tenu du succès du BRL à Zamboanga, l’armée des Philippines (AP) a étendu le BRL au RRL en 2014. À l’époque, l’AP ne savait pas que le RRL deviendrait l’une des principales unités de combat pendant les opérations à Marawi. Même les FOS des FAP ont relevé de nouveaux défis dans la guerre urbaine alors qu’elles se préparaient à combattre les groupes terroristes locaux dans la bataille de Marawi.

La bataille de Marawi (du 23 mai au 23 octobre 2017)

La bataille de Marawi a été un conflit armé de cinq mois entre les forces de sécurité des Philippines et les groupes terroristes locaux inspirés par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS), à savoir le Groupe Maute et le Groupe Abu Sayyaf (GAS). Officiellement connue sous le nom de ville islamique de Marawi, il s’agit d’une ville à prédominance musulmane habitée par le groupe ethnique Maranao. La persistance de la violence et du terrorisme à Marawi est influencée par divers facteurs, notamment les griefs historiques de la communauté musulmane, les disparités économiques, les tensions ethniques et religieuses, l’instabilité politique et la gouvernance inadéquate, les « rido » (querelles de clans), les mesures contre-terrrorisme inefficaces et les défis liés à la cohésion sociale.Note de bas de page 9  La culture généralisée des armes à feu parmi les Maranaos, ainsi que leur tendance à posséder des armes, ont soutenu davantage les groupes militants.Note de bas de page 10  Par conséquent, la résistance violente à l’autorité gouvernementale à Marawi a créé des conditions propices à l’hébergement et au recrutement de terroristes.Note de bas de page 11

Avant la bataille, les FAP ont récupéré des preuves vidéo révélant que le Groupe Maute-GAS planifiait une attaque majeure dans la ville de Marawi et dans d’autres endroits de Mindanao, une île majeure des Philippines longtemps tourmentée par la présence de séparatistes islamiques, de seigneurs de guerre locaux, de milices claniques et de rebelles communistes.Note de bas de page 12  Les images vidéo montraient Abdullah Maute, l’un des fondateurs du Groupe Maute, présidant une réunion avec ses cohortes, dont Isnilon Hapilon, le chef du GAS, dans laquelle ils planifiaient leurs opérations clandestines à Marawi.Note de bas de page 13  Leur objectif principal était de hisser un drapeau de l’EIIS à la Capitale provinciale de Lanao del Sur et de déclarer une wilayat (un territoire provincial de l’EIIS) à Lanao del Sur. Le groupe Maute-Abu Sayyaf avait initialement prévu d’attaquer Marawi trois jours après l’attaque préemptée du 23 mai, afin de coïncider avec le début du ramadan.Note de bas de page 14  Ils se prépositionnent dans la ville et reconstruisent le champ de bataille d’une manière qui leur était plus favorable.Note de bas de page 15

L’affrontement a commencé lorsqu’une mission visant à capturer Isnilon Hapilon s’est transformée en une fusillade mortelle.Note de bas de page 16  Les militants du Groupe Maute et du GAS ont attaqué la ville de Marawi, y compris le camp militaire, le poste de police et la prison de la ville, libérant ainsi 68 détenus. Ils ont occupé plusieurs bâtiments dans la ville, y compris l’hôtel de ville de Marawi, l’Université d’État de Mindanao et le centre médical Amai Pakpak, et ont pris plusieurs civils en otage au Collège Dansalan. Tout cela s’est produit au cours de la première journée de combats dans la ville de Marawi. Il s’est avéré que les militants planifiaient l’attaque depuis plusieurs semaines et étaient mieux préparés parce que le champ de bataille était leur ville natale.

La bataille de Marawi : leçons cruciales

La bataille a été un combat urbain de haute intensité avec les militants occupant des positions bien pensées pour mener leurs engagements et leurs embuscades.Note de bas de page 17  Le choix de Marawi comme champ de bataille était naturel pour les frères Maute, Omar Maute et Abdullah Maute. Marawi a servi de bastion aux frères Maute, et son statut de seule ville islamique aux Philippines l’a rendue favorable au groupe militant d’inspiration religieuse.Note de bas de page 18  L’emplacement offrait également un accès facile aux approvisionnements, au passage par des portes dérobées des renforts et aux voies d’évacuation.Note de bas de page 19  Les bâtiments et les structures autour de la ville ont été fortifiés et construits pour résister aux attaques des clans en raison des querelles claniques (rido) endémiques dans la région. En conséquence, en préparation de leur attaque du 26 mai, les combattants du Groupe Maute-GAS étaient déjà intégrés et bien prépositionnés autour de la ville de Marawi. À ce moment-là, la force d’attaque avait l’avantage et l’élan, ce qui s’est avéré désavantageux pour les forces du gouvernement en position de défense.

La bataille a commencé lorsqu’une opération spéciale des forces de sécurité des Philippines a déclenché prématurément le soulèvement prévu du Groupe Maute-GAS. Les opérations des FAP et de la police ont d’abord été réactives; ces forces étaient surprises, car elles ont rencontré un type et une ampleur de menace totalement inattendus, y compris une attaque majeure contre le camp de l’armée et des embuscades bien préparées. Les FAP tentaient simultanément de monter des opérations de sauvetage pour leurs camarades pris au piège, d’isoler la ville et, après plusieurs jours, de gérer un exode de réfugiés. Au fur et à mesure que la bataille progressait, les forces gouvernementales apprenaient et s’adaptaient, et leur CONOPS et l’organisation de leurs tâches évoluaient constamment. La campagne de Marawi peut être divisée en trois phases principales :

  • Phase 1 – Phase initiale : établissement du groupe d’objectifs « Bingo ». Il s’agissait d’une mission d’opérations spéciales pour capturer le chef du GAS, Isnilon Hapilon, dans une cachette, ce qui a déclenché l’attaque prévue du groupe militant.
  • Phase 2 – Déblaiement sectoriel : Plan opérationnel (PLANO) Libération. Ce plan comprenait la mise en œuvre d’un plan sectoriel pour le déblaiement de la ville et comprenait le développement du CONOPS dans la zone d’opérations (ZO) et la mise sur pied de la Force opérationnelle interarmées Marawi (FOI Marawi), fonctionnant comme un poste de commandement de mission attribuant des tâches essentielles à la mission aux unités d’effort principales.
  • Phase 3 – La poussée finale : la zone de combat principale et la neutralisation des CGI. Il s’agissait de la dernière poussée pour nettoyer la zone de combat principale et forcer les ennemis à se diriger vers une zone de constriction afin d’isoler les CGI. Il s’agissait aussi d’organiser le Groupe opérationnel interarmées pour les opérations spéciales Trident (JSOTF Trident).

La mission primordiale des FAP était d’éradiquer les éléments terroristes dans la ville de Marawi.Note de bas de page 20  Il était difficile pour les FAP d’exécuter une telle campagne, compte tenu de son manque d’expérience et de capacités dans la guerre urbaine. Par conséquent, la bataille s’est prolongée au-delà de la durée initialement prévue et a entraîné de graves dommages à la ville et de nombreuses victimes parmi sa population.

Phase 1 – Groupe d’objectifs « Bingo »

Le PLANO Bingo était une mission d’opérations spéciales visant à exécuter un mandat d’arrêt à haut risque contre Isnilon Hapilon dans une cachette identifiée à Basak Malutlot, dans la ville de Marawi, le 23 mai 2017. La mission a été conçue sur la base d’un groupe d’objectifs identifié par le « Naval Intelligence and Security Group-Western Mindanao ».Note de bas de page 21  Il a été affecté à l’Unité d’opérations spéciales interarmées 3 (JSOU3), composée de la 4e Compagnie de réaction légère, d’éléments de la 8e Unité navale d’opérations spéciales et d’une équipe de contrôleurs aériens avancés des Philippines.

Dès le début, alors que les forces gouvernementales s’approchaient de l’installation secrète où la cible était censée se cacher, elles ont été prises à partie par les cohortes de Hapilon. Malheureusement, la JSOU3 avait mal calculé l’étendue de l’emprise de l’ennemi dans la région. Elles ont été prises au dépourvu et se sont retrouvées immobilisées dans un combat qui a duré près de trois jours. Au cours de la première rencontre, deux membres des troupes gouvernementales ont été tués immédiatement et l’un d’eux a été grièvement blessé.Note de bas de page 22  Les forces gouvernementales n’ont pas réussi à arrêter Hapilon, qui a réussi à échapper au raid. L’exécution ratée du plan Bingo pour capturer Hapilon a forcé le Groupe Maute à mener son soulèvement prématurément. La bataille dans l’installation secrète a dégénéré en une campagne militaire plus large au cœur de la ville de Marawi alors que les groupes Maute et GAS sortaient de leur cachette et se déchaînaient, attaquant des établissements dans le centre de la ville.

Avec le recul, deux facteurs critiques ont contribué à l’échec de la mission gouvernementale : des renseignements inadéquats et des répétitions insuffisantes. Premièrement, le rapport de renseignement obtenu par les unités opérationnelles était inexact. La planification opérationnelle de la mission précédente s’était appuyée sur des renseignements humains, une photo de l’installation et des cartes Google montrant l’emplacement présumé de Hapilon.Note de bas de page 23  Les unités opérationnelles s’appuyaient sur les estimations initiales de 10 combattants ennemis, mais il est devenu évident qu’il y en avait environ 100 autour de Hapilon, y compris dans les maisons voisines.Note de bas de page 24

Deuxièmement, les FAP n’avaient pas établi d’ensemble de plans d’urgence pour la mission et n’avaient pas procédé à des répétitions d’urgence. Le rapport des services de renseignement indiquait que Hapilon était constamment en mouvement et qu’il pouvait se déplacer à l’improviste vers un autre endroit.Note de bas de page 25  En raison de l’urgence de la mission, la JSOU3 n’a effectué qu’une reconnaissance partielle de la zone cible et a eu peu de temps pour une répétition, diminuant ainsi le taux de réussite de la mission. L’unité n’a pas non plus réussi à élaborer un plan d’urgence pour les scénarios possibles ou à prendre en compte la réaction des ennemis pendant l’opération.Note de bas de page 26  La planification hâtive du PLANO Bingo peut être largement attribuée à la concurrence au sein de la communauté du renseignement. Avant le PLANO Bingo, les FAP, par l’intermédiaire de la Force opérationnelle interarmées Zampelan, avaient lancé une série d’opérations militaires pour traquer le chef du GAS, Hapilon, et les frères Maute, qui ont tous échoué.Note de bas de page 27  La pression exercée pour capturer Hapilon et les frères Maute provenait des récompenses monétaires offertes par le gouvernement américain et les Philippines à ceux qui parviendraient à capturer les CGI. Le gouvernement américain a offert une récompense de 5 millions de dollars pour la capture d’Hapilon, tandis que le président Duterte a offert environ 350 000 $ pour la capture d’Hapilon et chacun a offert 100 000 $ pour la capture des frères Maute.Note de bas de page 28  L’attention de la communauté du renseignement sur le ciblage de CGI était si intense que les renseignements exploitables, qui auraient pu potentiellement empêcher la bataille, manquaient malheureusement.

Compte tenu de l’intensité de la menace posée par les groupes militants, Mindanao a été placée sous la loi martiale conformément à la proclamation no 216 publiée par le président Duterte.Note de bas de page 29  L’opération menée à Marawi a nécessité des troupes supplémentaires alors que la situation continuait de s’aggraver. Cependant, en raison du peu de ressources de mobilité, il a fallu des semaines pour transporter les unités acquises à Marawi, ce qui montre les dangers qu’il y a à sous-estimer la taille et les capacités de l’ennemi ainsi qu’à ignorer la nature de la bataille.

Phase 2 – Déblaiement sectoriel :  PLANO Libération

Au cours de la phase 2, la fiabilité des renseignements laissait encore une fois à désirer pour soutenir efficacement toutes les phases de la bataille de Marawi.Note de bas de page 30  Au début de la phase 2, toutes les unités qui sont intervenues et qui ont été déployées à Marawi ont déclaré qu’elles avaient eu l’impression d’avoir « les yeux bandés » lorsqu’elles sont entrées dans la bataille. Les unités n’ont pas reçu de breffage précis des forces ennemies, et l’environnement opérationnel n’a pas été bien compris. Les breffages des services du renseignement étaient génériques et ne contenaient pas l’information tactique requise, comme la force, l’emplacement et le terrain de l’ennemi. La sous-estimation périodique de la force ennemie et l’incertitude concernant les emplacements ennemis ont compromis l’efficacité des unités opérationnelles.Note de bas de page 31  Lorsque certaines unités ont été déployées à la hâte pour renforcer les forces à Marawi, elles n’étaient pas préparées sur le plan logistique et manquaient de personnel et de fournitures suffisants pour soutenir leurs opérations. La situation, déjà sombre, a été aggravée par une « culture du cloisonnement », ce qui signifie que toutes les unités opérationnelles n’ont pas été incluses dans les breffages des services de renseignement.Note de bas de page 32  De plus, certaines unités opérationnelles ont dû fonctionner avec un équipement et des installations limités et une analyse du renseignement médiocre ou inadéquate, laquelle analyse aurait dû fournir des renseignements en temps réel à l’image commune de la situation opérationnelle tout au long de la bataille.Note de bas de page 33

Les forces de sécurité ont d’abord été empêchées d’entrer dans Marawi. L’ennemi contrôlait les ponts de Mapandi, de Bangolo et de Masiu, qui étaient les principaux points d’entrée de la ville, et installait des barrages routiers et des points de contrôle.Note de bas de page 34  Lors de l’une des premières rencontres, une tentative d’attaque frontale de l’ennemi sur un pont a fait 53 victimes parmi les Marines.Note de bas de page 35  En outre, les ennemis ont tendu une embuscade à un véhicule blindé de transport de personnel qui était censé évacuer les victimes, mais est resté piégé dans la fusillade pendant cinq jours.Note de bas de page 36  Il a fallu deux mois aux forces gouvernementales pour reprendre le pont de Mapandi, qui a ouvert un espace de manœuvre favorable pour les assauts ultérieurs. De même, les manœuvres d’enveloppement a permis aux forces gouvernementales d’obtenir une position avantageuse. D’autres unités qui se sont approchées de Marawi par le nord et le nord-est ont trouvé difficile d’entrer par le pont, car l’ennemi y avait fortifié sa position. En revanche, à l’approche de l’est, les FAP ont rencontré moins de résistance. Ces zones ont servi de voie d’approche pour les forces interarmées afin de limiter la présence de l’ennemi à Marawi.

Après avoir mis les forces en place, les FAP ont mis en œuvre le PLANO Libération, qui a conduit à la création de la FOI Marawi, conceptualisée comme une unité pour atteindre les objectifs suivants : mener des opérations militaires soutenues et isoler les zones de l’extrémisme; établir la sécurité et le contrôle civils; appuyer la remise en état et la restauration rapides de Marawi.Note de bas de page 37  La stratégie générale de la FOI Marawi était de diviser la ville en secteurs, de numéroter les bâtiments comme mesure de contrôle, de mener des opérations délibérées de déblaiement d’une pièce à l’autre et de sécuriser la zone. Les groupes opérationnels interarmées (GOI) ont été créés pour permettre la prise de décisions militaires à un niveau opérationnel.

Initialement, la FOI Marawi était composée de sept GOI qui complétaient les fonctions des uns et des autres, notamment la conduite d’opérations militaires ciblées (OMC), le sauvetage d’otages et de personnes piégées dans la zone de conflit, la facilitation du mouvement des personnes déplacées à l’intérieur du pays et la sécurisation des infrastructures essentielles.Note de bas de page 38  Au cours d’une opération de déblaiement de trois mois, les OMC ont réduit le nombre de barangays touchés (la plus petite unité administrative des Philippines) de 96 à 9. Les structures contrôlées par l’ennemi ont été considérablement réduites (de 2 500 à 1 000), et la force de l’ennemi a été réduite à 175. Pourtant, la FOI Marawi s’est encore étendue à 12 GOI composés de 8 753 membres des forces de sécurité des services majeurs des FAP et de la Police nationale des Philippines (PNP).Note de bas de page 39  Au fur et à mesure que les opérations Marawi se sont intensifiées et que la structure des forces s’est élargie, deux défis opérationnels importants sont devenus évidents : les opérations interarmées et le commandement et le contrôle (C2).

Opérations interarmées : l’une des principales raisons pour lesquelles les opérations interarmées ont fait face à des défis était que le service de combat, en particulier dans les communications, et le soutien logistique du combat, qui comprend la subsistance et la logistique, étaient principalement axés sur les services par nature. Le soutien au maintien en puissance fourni par l’Armée de terre a été principalement attribué aux unités et au personnel de l’Armée de terre, et il en a été de même pour d’autres services importants. Cet état d’esprit axé sur les services, c’est-à-dire « ce qui appartient à un service reste au sein d’un service », a causé des problèmes et allait à l’encontre du concept de « culture commune ». Marawi a développé les connaissances et le leadership des commandants philippins dans les opérations interarmées, interarmes et urbaines. La bataille, sans doute la première du genre aux Philippines, a mis à l’épreuve les capacités des commandants à prendre des décisions de combat lors du déploiement simultané d’actifs terrestres, navals et aériens en terrain urbain.

Les commandants de l’Armée de terre et de la Marine étaient des combattants et des chefs chevronnés et expérimentés, et ils étaient particulièrement compétents dans les tactiques spontanées de guérilla et de guerre de jungle. Sur la base de cet ensemble de compétences existantes, les commandants des FAP ont continué d’agir spontanément lorsqu’il s’agissait d’opérations interarmées et de guerres urbaines. La spontanéité est devenue un revers, car, en conséquence, certaines unités n’ont pas été déployées selon la doctrine pour des opérations urbaines.Note de bas de page 40  L’entraînement et les exercices interarmées permettront de combler les lacunes de l’expérience de combat en milieu urbain. L’absence de culture interarmées entre l’Armée de terre et la Marine était évidente quant à l’approche doctrinale, qu’il s’agisse de la puissance terrestre ou de la puissance navale, qui devrait être adoptée par le commandement de mission. Des exercices périodiques tels que Balikatan et Dangit Pa sont restés des plates-formes d’entraînement précieuses, mais ils sont insuffisants pour inculquer une culture commune. Les FAP ont également élaboré des doctrines, telles que des concepts d’opérations interarmées, mais celles-ci n’ont pas encore été ancrées et mises à l’essai dans l’espace de combat.

Commandement et contrôle : la bataille de Marawi a montré que le C2 est compromis face aux différents concepts opérationnels parmi les principaux services qui sont organisés en une force interarmées.Note de bas de page 41  Par exemple, le GOI Lawa (dirigé par un commandant de l’Armée de terre) a été activé pour prendre le contrôle des unités maritimes du régiment des forces spéciales (en vol) avec des ressources fluviales, de la garde côtière des Philippines et de la force maritime et d’action spéciale de la PNP pour sécuriser le lac Lanao. Cependant, l’Unité opérationnelle navale (UON) de la marine des Philippines est restée sous le contrôle du GOI Tiger (un commandant de la Marine). L’UON soutenait directement le GOI Tiger et menait des opérations maritimes dans le lac Lanao en coordination avec le GOI Lawa. Cependant, le GOI Tiger, composé des équipes de débarquement du bataillon des Marines (MBLT) et du Groupe des opérations spéciales des Marines, a insisté sur le concept de flotte-marine.Note de bas de page 42  Ainsi, l’UON n’a pas agi sur les ordres directs de GOI Lawa sans l’autorisation appropriée du GOI Tiger. Il s’agissait d’une situation difficile qui a posé un défi de taille au cours de cette période, entraînant à la fois un retard dans les opérations et des cibles inopinées manquées. Par exemple, le GOI Lawa a été créé pour assurer le déploiement efficace et sans entrave des ressources de surface, empêchant les combattants d’utiliser le lac comme voie d’évacuation ou de renforcement. Cependant, alors que le groupe militant était forcé de se diriger vers la zone restreinte, certains combattants se sont échappés par le lac, ce que le GOI Lawa n’a pas pu empêcher.

Un autre défi en termes d’interopérabilité et de problèmes de C2 a été l’incident du pont de Mapandi, qui a entraîné d’énormes pertes pour les Marines. La FOI Marawi a eu de la difficulté à atteindre à la fois le rythme opérationnel et les actions simultanées.Note de bas de page 43  L’incident était davantage une défaillance C3 (commandement, contrôle et communication), car il a dépassé les questions de C2 et a également créé des problèmes de communication. La FOI Marawi avait attribué à chaque groupe opérationnel un secteur dans lequel il devait mener simultanément des opérations de déblaiement pour pénétrer dans la ville. Ce plan comprenait l’organisation d’un bataillon de scouts rangers (BSR) relevant du GOI Musang au centre, d’une unité d’opérations spéciales interarmées (JSOU) relevant du GOI Vector à gauche, et d’une MBLT relevant du GOI Tiger à droite. Ce dernier a été désigné pour traverser le pont de Mapandi, en restant au niveau du JSOU. Cependant, la MBLT a pu avancer devant le BSR et le JSOU (qui affirment avoir demandé à la MBLT de s’arrêter) et s’est retrouvée vulnérable lorsqu’elle a traversé le pont de Mapandi. Au-delà du pont, l’ennemi a tendu une embuscade, et un flot de membres de la force ennemie a envahi l’emplacement de la MBLT, infligeant de lourdes pertes et rendant l’élément inefficace. La force ennemie a pu exploiter la position de la MBLT en raison d’un manque de coordination.Note de bas de page 44  Un autre incident a été les tirs fratricides des avions de la Force aérienne des Philippines (PAF) sur les 44e et 15e bataillons d’infanterie, tout en fournissant un appui aérien rapproché aux unités d’infanterie. Selon le rapport, la FOI Marawi n’a pas informé les unités au sol et les pilotes de la PAF de la disposition des troupes dans la zone de combat principale.Note de bas de page 45

Au début, la FOI Marawi avait un poste de commandement C2 faible qui déployait ses groupes opérationnels de manière indépendante, laissant les décisions concernant les mouvements et les manœuvres aux commandants tactiques de leurs ZO respectives. Bien que certains commandants au sol apprécient la flexibilité et l’indépendance, cela a produit des tactiques isolées sans tenir compte des questions opérationnelles et stratégiques sur le champ de bataille.Note de bas de page 46  La FOI Marawi, en tant que poste de commandement de mission, aurait dû fournir une image commune de la situation opérationnelle à l’ensemble de ses unités commandées. L’incident du pont de Mapandi et les incendies fratricides ont donné lieu à d’importantes leçons, soulignant la nécessité d’une unité de commandement et d’une synchronisation des efforts entre les GOI. Armé de ces connaissances et pour assurer la synchronisation des efforts dans la zone de combat principale, le JSOTF Trident a été créé en tant que niveau intermédiaire de commandement des FOS pour permettre une prise de décision rapide sans avoir besoin de l’approbation de la FOI Marawi et pour intégrer les efforts des FOS sous un seul commandement.

Phase 3 – La poussée finale : la zone de combat principale et la neutralisation des CGI

À la phase 3, la plupart des bâtiments et des infrastructures de Marawi et des environs avaient déjà été déblayés et sécurisés. La zone de combat principale avait été définie et les CGI et quelques autres ennemis avaient été piégés dans la zone de constriction, située dans le coin sud-ouest de la ville.Note de bas de page 47  La FOI Marawi a subi d’autres améliorations en vue de la poussée finale à travers la zone de combat principale. Le JSOTF Trident a fourni un C2 plus ciblé pour synchroniser les efforts de combat des différents GOI des FOS au sein de la zone de combat principale. Les GOI opérant sous le OPCON opérationnel du JSOTF Trident ont été déployés pour encercler l’ennemi et sécuriser les points qui donneraient aux forces gouvernementales un avantage sur l’ennemi.Note de bas de page 48

Au cours de la phase 3, il a été décidé que le GOI Musang assumerait le rôle central dans le plan global visant à neutraliser les CGI et les combattants restants. Les GOI Vector et Tiger devaient mener des opérations de soutien, détruisant les renforts ennemis et tenant le terrain dans les secteurs qui leur étaient assignés. Le GOI Lawa (maritime) a été chargé de sceller la zone de constriction du sud pour contenir l’ennemi et l’empêcher de s’échapper par le lac Lanao, ainsi que de bloquer l’entrée des renforts et des fournitures venant du sud vers la zone de combat principale. La principale faiblesse au cours de cette phase était autour du mauvais emploi des FOS. En règle générale, les FOS opèrent au sein d’une petite force et se déploient pour une courte période de temps.Note de bas de page 49  Cependant, tout au long de la bataille, les FOS ont été surutilisées et surexposées. Il aurait été préférable de déployer des forces traditionnelles, en particulier des bataillons d’infanterie, comme effort principal.

La mort d’Isnilon Hapilon et d’Omarkhayama Maute le 16 octobre 2017 a marqué la fin de l’emprise terroriste de 153 jours à Marawi. L’assassinat de CGI a toutefois suscité des désaccords entre les unités opérationnelles quant à l’équipe de tireurs d’élite responsable de la neutralisation de Hapilon. Ces désaccords soulignent le fait que la concurrence interne et le manque de cohésion de la réflexion entre les unités opérationnelles ont un effet néfaste sur la compétence militaire. Le lendemain de l’élimination des CGI, la ville de Marawi a été déclarée « libérée » par le président Duterte. Néanmoins, les combats se poursuivent et certains des terroristes restants retenaient encore des otages. La PNP a même envoyé un négociateur pour la libération des otages restants dans la région pendant que les opérations de déblaiement se poursuivaient.Note de bas de page 50  L’ancien secrétaire à la Défense Delfin Lorenzana a officiellement proclamé la fin des opérations de combat à Marawi le 23 octobre 2017.Note de bas de page 51

Renforcement des capacités : les enseignements de Marawi

La nécessité de développer des capacités de guerre urbaine n’a jamais été aussi impérative. La bataille de Marawi est une excellente étude de cas, offrant des idées et des leçons précieuses qui peuvent être déterminées et appliquées dans des contextes pertinents. Au fur et à mesure que les événements se déroulaient, il était devenu évident que certains facteurs favorisaient les défenseurs tandis que d’autres favorisaient les attaquants. Comme l’ont noté Knight et Theodorakis, les combattants qui ont des connaissances locales, une connaissance du terrain et des armes sophistiquées présentent un problème qui ne peut pas être résolu par le leadership militaire et l’entraînement seuls.Note de bas de page 52  Le clan Maute et le Groupe Abu Sayyaf ont eu un avantage, car les combats ont eu lieu dans leur ville natale et ils étaient équipés d’armes de grande puissance telles que des grenades propulsées par fusée.Note de bas de page 53

Voici quelques observations clés liées aux capacités nécessaires aux opérations urbaines :

  1. L’équipement est essentiel : il convient de noter que dans la bataille de Marawi, les FOS ont été davantage utilisées que les forces traditionnelles parce qu’elles étaient mieux équipées. En particulier, les FOS étaient nettement plus efficaces la nuit parce qu’elles avaient des équipements de combat de nuit. En raison d’un manque d’autres forces employables pour les batailles rapprochées, dans ce scénario, les FOS ont été mises à l’emploi. Plutôt que d’attribuer l’effort principal aux bataillons d’infanterie, les FOS ont également été déployées de manière sous-optimale pour sécuriser les bâtiments, les périmètres et les points de contrôle dans toute la zone. De plus, tout au long de la campagne, les unités d’infanterie ont reçu une formation minimale pour les opérations urbaines, qui sont généralement très exigeantes en personnel; il était donc nécessaire d’ajouter des contingents. Pour augmenter le personnel, des unités de réserve prêtes à l’emploi ont été activées pour sécuriser les points de contrôle et le périmètre. Outre la nécessité d’avoir plus de personnel, il est tout aussi crucial d’équiper les troupes de matériel de base pour la protection des forces, de matériel de combat de nuit et de mitrailleuses modernes afin d’assurer la grande disponibilité opérationnelle des bataillons d’infanterie pour la guerre urbaine.
  2. Les membres du génie du combat sont cruciaux dans la guerre urbaine : au cours de la bataille, les FAP ont pris conscience de l’importance des membres du génie du combat pour la mobilité, la contre-mobilité et la capacité de survie dans la guerre urbaine. Habituellement, les unités du génie de l’armée des Philippines sont employées à des fins de construction au lieu d’effectuer des missions de combat. Le 500e bataillon de combat du génie (ECB) a été nouvellement activé au début de la bataille et a joué un rôle important en ouvrant des brèches dans les murs en béton des bâtiments, en menant des opérations de recherche et de dégagement et en permettant le mouvement des plates-formes de puissance de feu.Note de bas de page 54  La 500e ECB a également effectué des tâches de déblaiement des routes, permettant aux troupes au sol et aux forces de manœuvre de passer. Comme l’unité du génie de combat nouvellement activée manquait d’équipement essentiel à la mission, les membres de l’unité ont été obligés d’innover afin d’accomplir leur mission. Des planches de bois ont été utilisées comme rampes et pour fournir une protection de la force aux membres du génie du combat qui conduisent des bulldozers, des véhicules blindés de transport de personnel, des pelles rétrocaveuses et des chargeuses frontales.Note de bas de page 55 
  3. Les systèmes d’aéronefs sans équipage changent la donne : les UAS sont devenus une capacité de transformation pour améliorer le renseignement, la surveillance et la reconnaissance (RSR), ainsi que l’acquisition d’objectif.Note de bas de page 56  Des aéronefs commerciaux sans équipage ont été utilisés par les forces amies et ennemies. Les UAS amis ont été marqués pour les distinguer de ceux de l’ennemi.Note de bas de page 57  Au cours de la bataille de Marawi, les États-Unis et l’Australie ont fourni des avions de surveillance Orion qui ont offert des mises à jour d’identification des objectifs en temps réel au personnel au sol. Plus tard, les FAP ont été en mesure d’acquérir des UAS Scan Eagle des États-Unis pour soutenir le RSR pour de futures opérations. Avec cela, l’utilisation d’aéronefs sans équipage est devenue une caractéristique régulière dans les opérations militaires des FAP.

Conclusion

La bataille de Marawi et les expériences des FAP offrent des renseignements précieux pour les planificateurs militaires du monde entier; il s’agit donc d’une étude de cas instructive. Marawi met en évidence les défis auxquels les armées sont confrontées lorsqu’elles opèrent en milieu urbain, en particulier lorsqu’elles utilisent leurs capacités existantes, notamment le matériel et l’équipement. Souvent, les capacités cinétiques actuelles s’avèrent relativement inefficaces en milieu urbain : elles nécessitent davantage de munitions et causent des dommages collatéraux et d’infrastructure considérables.Note de bas de page 58  Cette bataille rappelle de manière cruciale que les conflits en milieu urbain ont un coût non négligeable. Il va sans dire que les vestiges de la guerre dévastatrice au cœur de Marawi persistent.

Compte tenu du taux d’urbanisation du pays, il est très probable que les guerres futures se dérouleront dans les villes. La tendance mondiale à l’urbanisation est également évidente aux Philippines. C’est l’un des pays à la croissance la plus rapide au monde, et sa population devrait atteindre 141,7 millions d’habitants d’ici 2040.Note de bas de page 59  Manille, qui a une population de 13,7 millions d’habitants, est la ville la plus peuplée des Philippines et est considérée comme la ville la plus dense du monde, et les villes du sud des Philippines telles que Davao et Cagayan de Oro connaissent également une urbanisation rapide.Note de bas de page 60  Ces tendances indiquent que de futures attaques sont susceptibles de se produire dans les villes, entraînant potentiellement de nombreuses victimes civiles.

Compte tenu de l’environnement opérationnel et de la présence de militants, les planificateurs militaires des FAP et d’autres forces armées devraient prêter attention aux leçons tirées de Marawi. Cet événement est l’occasion de faire une introspection et, à terme, de développer des capacités pour mener efficacement la guerre urbaine. Comme nous l’avons vu dans le présent article, certains des principaux points à retenir comprennent la nécessité d’obtenir des renseignements très précis qui sont intégrés dans toutes les unités. Il faut également s’attacher à doter les unités d’un nombre élevé de personnes, toutes dotées des capacités/compétences adéquates et de l’équipement approprié. Comme on l’a noté plus haut, la tendance des FAP à établir de nouvelles unités plutôt qu’à améliorer les systèmes de défense existants s’est avérée contre-productive, car cette approche n’a pas abordé la question de l’état de préparation opérationnelle et de l’équipement du personnel militaire pour les batailles urbaines modernes. Enfin, les événements de Marawi nous mettent également en garde contre l’adoption d’une mentalité fortement axée sur les services, car elle entrave le développement de l’interopérabilité et de la culture qui la favorise. En conclusion, ces idées soulignent le besoin urgent pour les militaires de donner la priorité à la guerre urbaine, d’adapter les stratégies militaires et de former globalement leurs soldats et leurs soladates aux défis du champ de bataille de demain.

À propos de l’auteure

Ann Bajo est candidate doctorante à l’Université de Portsmouth et étudie le rôle de la Malaisie dans les conflits de Mindanao et de Pattani. Son domaine d’intérêt est la défense et la sécurité en Asie du Sud-Est. Ann Bajo a été chef de division au Bureau du Conseiller présidentiel pour la paix, la réconciliation et l’unité. Auparavant, elle avait travaillé dans les Forces armées des Philippines en tant qu’analyste de la défense pendant huit ans. Elle a écrit plusieurs ouvrages publiés à l’interne, notamment « Challenges to Military Operations in Urban Terrain in the Philippines », « China’s Military Militia and the Philippines’ Counterstrategy » et la Doctrine des opérations spéciales interarmées des FAP.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).

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2025-11-25