Guerre en zone urbaine : expériences et leçons tirées de Batticaloa, une ville dans l’est du Sri Lanka
par Colonel (à la retraite) Rajesh Singh
Contexte
Tensions ethniques et montée du séparatisme tamoul
Au cours de son histoire postcoloniale en Asie du Sud, le Sri Lanka (anciennement le Ceylan) a principalement évolué comme un État bouddhiste cinghalais. Cependant, des minorités importantes, dont les Tamouls et les musulmans, ont habité les régions du nord et de l’est. De nombreux Tamouls ont été amenés sur l’île pendant le régime colonial britannique pour travailler dans des plantations de thé. Au fil du temps, les demandes de participation accrue aux affaires locales et d’autonomie de la communauté tamoule se sont transformées en revendications d’un Eelam tamoul indépendant, couvrant les provinces du nord et de l’est. Dans les années 1980, il existait plusieurs groupes sécessionnistes tamouls actifs et armés. Les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) se sont finalement imposés comme force dominante, dirigés par leur chef emblématique, Velupillai Prabhakaran. Les TLET ont consolidé leur pouvoir en éliminant les groupes rivaux et sont devenus la figure centrale de la revendication d’une patrie tamoule.
Des décennies de tensions ethniques entre le gouvernement à majorité cinghalaise et la minorité tamoule, victime de discrimination et de marginalisation, ont mené à une lutte violente, attirant l’attention de la communauté internationale. En raison de ses liens ethniques et culturels avec la population tamoule, l’Inde est intervenue diplomatiquement tout au long des années 1980, ce qui a fait de cette question un sujet émotif et politiquement sensible. Les TLET ont également reçu un soutien politique et matériel de la part des pays occidentaux, motivés par des préoccupations humanitaires et le désir d’empêcher l’oppression des minorités. L’Inde a également plaidé en faveur d’une plus grande délégation des pouvoirs et d’une plus grande autonomie des provinces à majorité tamoule, position formalisée dans l’Accord indo-srilankais de 1987. Cet accord a mené au déploiement de la Force indienne de maintien de la paix (IPKF) dans la nation insulaire, marquant un chapitre important du conflit.
Déploiement de la IPKF au Sri Lanka
La IPKF était un contingent de l’armée indienne déployé dans le cadre de l’Accord indo-srilankais et avait pour mission de superviser la mise en œuvre de l’accord, de maintenir la paix et d’aider l’armée sri-lankaise à obtenir la remise des armes des TLET. Notamment, la force de la taille d’une division n’était pas destinée à entreprendre des opérations de combat. Bien que les TLET aient rendu certaines de leurs armes, ils ont conservé la plupart des armes et munitions sophistiquées. Prabhakar an s’est senti trahi par l’intervention de New Delhi et s’est opposé aux dispositions de l’Accord indo-srilankais. En conséquence, le groupe a attendu l’occasion de lancer des actions violentes contre les armées indienne et sri-lankaise. La IPKF a été prise au dépourvu lorsque les TLET ont lancé une série d’attaques contre les forces de sécurité, qui ont également causé des pertes civiles. Avant le début des hostilités, la plupart des zones situées à l’extérieur des camps de la IPKF avaient été lourdement minées par les TLET, ce qui avait entraîné d’importantes pertes initiales pour l’armée indienne. Cependant, les forces indiennes se sont rapidement adaptées et, à la fin de leur déploiement en 1990, lorsque la IPKF est devenue une force redoutable de cinq divisions, les TLET avaient été largement mis sur la défensive. Malgré cela, le retrait de la IPKF en 1990 a revigoré les TLET et entraîné la reprise de la guerre civile. Ce conflit a perduré jusqu’à la mort de Prabhakar an en mai 2009, entraînant de lourdes répercussions de part et d’autre.
Opérations urbaines à Batticaloa
Un récit personnel
Ce récit est fondé sur les opérations menées par l’auteur en tant que commandant de compagnie de fusiliers dans le milieu urbain de Batticaloa (est du Sri Lanka), où il a servi avec la IPKF pendant l’opération Pawan (1987 à 1990). L’auteur a sélectionné des incidents instructifs et qui constituent une référence pour les opérations menées dans des environnements complexes et de haute intensité. Bien que les TLET soient utilisés comme un exemple professionnel, l’intention n’est pas de commenter la nature politique ou idéologique du groupe, mais plutôt de faire la lumière sur les complexités des opérations urbaines et fournir des perspectives professionnelles qui peuvent être appliquées à tout adversaire dans des conditions opérationnelles similaires. L’auteur cherche à mettre en évidence les difficultés rencontrées lors des opérations urbaines, en particulier les avantages que peut avoir un adversaire invisible (terroriste, activiste ou insurgé et insurgée) et la manière de les neutraliser.
Même à l’époque, il y avait de nombreux manuels et écoles anti-insurrectionnelles qui enseignaient diverses tactiques et techniques pour les opérations urbaines. L’auteur n’a pas eu de désaccord avec ces ressources. Cependant, lorsqu’il a été question des opérations dans le milieu urbain de Batticaloa, l’auteur s’est concentré sur la compréhension de la géographie locale (le terrain et les personnes qui y vivent) comme déterminant clé du succès. Les engagements violents et les dispositifs explosifs de circonstance (IED) étant de plus en plus fréquents, l’auteur a constaté que les documents qui lui avaient été fournis comme lectures essentielles pour les opérations sur ce type de terrain n’étaient plus très utiles. La raison en est simple : ces documents avaient été rédigés sur la base de conditions idéales, qui perdaient rapidement leur pertinence dès que les premiers coups de feu étaient tirés ou qu’un IED était déclenché.
L’auteur a participé à des opérations en mer et dans la jungle, mais ces deux contextes géographiques ne seront abordés que dans la mesure où ils ont eu une incidence sur les opérations en milieu urbain. Le district de Batticaloa couvrait 2854 kilomètres carrés et comptait environ 400 000 habitants et habitantes dans les années 1980. La ville de Batticaloa s’étendait sur 10 kilomètres en direction nord-sud et sur 5 km en direction est-ouest. À l’est se trouve la mer, et à l’ouest les lagunes et les jungles, constituant ainsi les voies d’entrée et de sortie dans le milieu urbain pour les activistes. Le secteur où la population est dispersée et de densité variable à l’intérieur de la ville (qui comptait plus de 70 000 personnes en 1987) était le terrain clé – le champ de bataille, un espace de lutte entre les activistes et les contre-insurgés.
Leçon 1 : pour séparer les activistes ou les insurgés de la population, il faut plusieurs unités
Avant de pénétrer dans un milieu urbain aussi vaste que celui de Batticaloa, il serait souhaitable qu’une force de grande envergure, comme deux brigades ou une division complète, mène des opérations de bouclage et de fouille. Cela permet non seulement de séparer les insurgés de la population locale, mais aussi d’éviter que la zone urbaine ne devienne une forteresse, un bastion ou un point de lancement pour d’autres opérations à l’intérieur ou à l’extérieur de la zone.
Cependant, le bataillon n’avait pas le luxe de disposer d’un tel effectif à l’époque. Les premières opérations de recherche et de destruction interarmées de la taille d’une division n’ont été possibles qu’en février 1988, cinq mois après l’incorporation initiale du bataillon, lorsque trois divisions supplémentaires ont été déployées au nord et à l’est. La difficulté de mener des opérations avec des forces insuffisantes a soulevé des questions cruciales sur la manière dont le manque d’effectifs a affecté les opérations et sur les stratégies de remplacement qui pourraient être employées dans de telles circonstances. Si l’on se réfère à l’observation bien connue de T. E. Lawrence selon laquelle les insurrections sont alimentées par un petit pourcentage d’insurgés actifs au sein de la population, il devient évident que les insurgés et les contre-insurgés se disputent naturellement le contrôle du milieu urbain dans lequel réside la majorité de la population.Note de bas de page 1 Par conséquent, les opérations de contre-insurrection doivent idéalement commencer par cibler les centres urbains et expulser les insurgés de ces zones à l’aide d’unités suffisamment importantes pour mener à bien cette tâche.
Leçon 2 : les opérations urbaines nécessitent des effectifs considérables au sein de ces unités
En s’appuyant sur l’observation précédente, un aspect clé de la compréhension de la nature de ces opérations est le contexte changeant du lancement initial du bataillon à sa désincorporation éventuelle. Au départ, le bataillon faisait partie d’une brigade, qui comprenait trois bataillons et couvrait une zone s’étendant de Punan ai dans la partie nord du Sri Lanka à Amara, dans le sud, sur une distance de 115 km. Cette brigade faisait partie d’une seule division d’infanterie déployée pour des opérations dans le nord et l’est du Sri Lanka. Cependant, comme la résistance s’est intensifiée et que les opérations n’ont pas atteint l’élan et les résultats souhaités, trois divisions supplémentaires ont été déployées pour accroître l’efficacité opérationnelle dans la région. Ce changement d’échelle est important, car le nombre de forces impliquées peut grandement influencer les décisions concernant la portée et l’approche des opérations urbaines.
Si vous ne disposez pas des effectifs nécessaires, l’insurgé dispose d’espaces suffisants pour mener des opérations offensives. L’ennemi peut être omniprésent et déclencher le phénomène « partout et n’importe où ». Nous avons rapidement ressenti les répercussions de cette difficulté. Le 20 octobre 1987, un IED a explosé sur l’une des routes menant à la zone urbaine, tuant 21 soldats d’une compagnie de fusiliers voisine alors qu’ils se déplaçaient dans des véhicules. L’incapacité à dégager le centre urbain et les zones environnantes en raison d’un manque d’effectifs a permis aux TLET de se déplacer librement et de poser discrètement un IED sous un ponceau.
Leçon 3 : contourner la menace des IED
La menace des IED constituait un danger sérieux et constant pour les opérations, d’où la nécessité d’élaborer des stratégies efficaces pour détecter et neutraliser cette menace avant qu’elle ne fasse des victimes ou ne perturbe les missions. Avant la détonation du 20 octobre 1987, un insurgé avait enfoui un IED dans le côté boueux et mou du ponceau, avait tendu un fil sur une centaine de mètres et s’était caché dans les hautes herbes de la lagune. Une fois le véhicule sur le ponceau, l’insurgé a activé manuellement l’IED.
L’incident a mis en évidence des vulnérabilités critiques dans la sécurité des opérations et a entraîné une révision des tactiques. Il est devenu évident qu’avant tout mouvement de véhicule ou de convoi, les troupes au sol devaient non seulement tenter de trouver l’IED, mais aussi l’emplacement de la personne qui l’activerait. En réponse, l’auteur a mis en œuvre des instructions permanentes qui comprenaient la présence d’un représentant du génie ainsi que d’un assistant, d’un opérateur radio et de deux accompagnateurs. Ils se déplaçaient le long de la route avec des détecteurs électroniques pour repérer les IED. Pendant ce temps, la compagnie de fusiliers (au niveau de la section ou du peloton, selon la longueur de la route) avançait de 200 à 300 mètres de chaque côté pour repérer les insurgés cachés.
L’explosion d’IED a renforcé le sens de la prudence dans les opérations. À partir de ce moment, les véhicules n’étaient plus utilisés qu’en cas d’urgence ou comme porte-charge pour la logistique et étaient escortés par du personnel à pied entourant les convois. Cette approche est devenue connue sous le nom de « convois à pied » et est demeurée en place jusqu’en février 1988, lorsque du personnel supplémentaire a été embauché. Malgré les difficultés, le principe selon lequel l’infanterie est plus en sécurité à pied s’est avéré vrai, tant à l’époque qu’aujourd’hui et quel que soit l’effectif disponible. Cela nous amène à un autre aspect essentiel de l’agilité opérationnelle.
Leçon 4 : utiliser l’agilité, la mobilité et l’efficacité de l’infanterie débarquée
Il ne fait aucun doute qu’un soldat d’infanterie légèrement armé et équipé est plus efficace qu’un soldat lourdement équipé. Par exemple, l’équipement d’un soldat constitué d’un casque en kevlar, d’armes personnelles et de munitions, d’une armure protégeant l’avant et la fourche, et des pièces de protection ajoutées pour le devant, le dos et les côtés, a un poids total d’environ 60 livres. Dans n’importe quel contexte opérationnel, qu’il s’agisse de la domination de zone ou d’une mission de recherche et destruction, un soldat transportant 60 livres préférerait le déplacement à bord d’un véhicule plutôt que le déplacement à pied. Cependant, il est également évident que, malgré le poids, un soldat débarqué est souvent plus en sécurité et plus efficace dans les opérations, que ce soit en milieu urbain ou dans la jungle.
L’importance de l’infanterie légèrement armée et débarquée est devenue critique puisque la zone de responsabilité du bataillon s’étendait sur l’ensemble des districts de Batticaloa et d’Amara, qui couvraient une distance de 110 km entre Punan ai, au nord, et Amara, dans le sud. Cette approche s’est avérée vitale lors d’opérations comme l’ouverture d’itinéraire de Punan ai à Ampara, l’ouverture d’une voie ferrée de Punan ai à Batticaloa, la sécurisation de zones vulnérables et la conduite de missions de recherche et de destruction, d’opérations de bouclage et de fouille, de patrouilles multiples, d’opérations de dégagement de zone et d’opérations basées sur le renseignement, y compris des opérations nocturnes. Sur des terrains aussi vastes et infestés d’IED, il était clair que des colonnes transportées par véhicule n’auraient été ni en sécurité ni efficaces. Par ailleurs, l’infanterie lourdement surchargée n’aurait pas pu fonctionner continuellement, jour et nuit, avec le même niveau de sécurité et d’efficacité.
Leçon 5 : approcher et se déplacer dans les villes en plusieurs « rangs »
Bien que le bataillon ait été moins présent sur le terrain et que les TLET aient été omniprésents dans la ville, ces derniers étaient probablement aussi peu nombreux et se comptaient en dizaines plutôt qu’en centaines. Comme le bataillon, les TLET ne pouvaient pas être forts partout. En comprenant l’état d’esprit et les tactiques des insurgés, il est devenu évident qu’ils seraient également préoccupés par le fait d’être débordés ou entourés. Par conséquent, la méthode de l’auteur pour opérer dans des milieux urbains était simple : ne jamais avancer en file simple. Au lieu de cela, l’approche consistait à avancer vers une cible ou un objectif en plusieurs « rangs » d’infanterie à pied répartis sur 400 à 500 mètres. Cette stratégie permettait de s’assurer que les tireurs d’élite ou les commandos des TLET étaient toujours menacés de chaque côté. Même s’ils pouvaient tirer un ou deux coups, ils risquaient d’être interrompus et neutralisés. Cela a suscité la prudence et le doute dans l’esprit des insurgés, ce qui les a souvent contraints à ne pas tirer.
Leçon 6 : exercer un contrôle rigoureux des tirs
Dans un milieu urbain, il est très difficile de localiser le point exact d’où le feu a été ouvert par l’insurgé. Les balles semblaient toujours être dirigées vers soi et produisaient des sons qui semblaient provenir de toutes les directions, ce qui obligeait à être très prudent. Ainsi, en réponse à quelques tirs, si chaque soldat de la section, du peloton ou de la compagnie, pense qu’on lui a tiré dessus, toute la section se joint à la fusillade, perturbant par inadvertance ses propres tactiques de tir et de mouvement destinées à neutraliser la menace des insurgés.
Le 26 janvier 1988, la compagnie de fusiliers stationnée sur l’île Puliyantivu à Batticaloa a été ciblée par les TLET dans un assaut à tirs soutenus. Simultanément, les TLET ont encerclé un poste de police à proximité et ont mis le feu à certains magasins dans les environs. Le commandant a ordonné à la compagnie de localiser et de neutraliser immédiatement les commandos des TLET. Pour ce faire, il fallait neutraliser les insurgés qui tiraient déjà sur la compagnie depuis plusieurs directions, puis quitter la base opérationnelle de la compagnie et traverser la zone touchée en empruntant la seule chaussée qui reliait l’île au poste de police et aux zones environnantes. Fort de son expérience passée, l’auteur prévoyait que la chaussée serait prise pour cible si sa compagnie tentait de la franchir. Par conséquent, un peloton a été chargé de traverser la lagune à bord d’embarcations pour se rapprocher des forces des TLET autour du poste de police.
À l’aide de tactiques de feu et de mouvement efficaces, le peloton s’est efforcé de réduire la distance avec les insurgés, le groupe des mitrailleuses légères couvrant le déplacement de la section des fusiliers et vice versa. Cependant, lorsqu’ils ont atteint le point d’origine de l’assaut des TLET, le poste était abandonné. Le peloton a continué de se déplacer, passant d’une position suspectée d’être occupée par des insurgés à la suivante, pour constater que chacune d’entre elles était également vide, malgré un tir continu. Après plusieurs heures, le peloton avait couvert plusieurs kilomètres carrés, mais n’avait toujours pas établi de contact avec les TLET.
À mesure que le peloton avançait, ses efforts devenaient péniblement lents en raison de l’intensité des tirs. Ce n’est qu’après quelques heures que l’auteur s’est rendu compte que la situation était plus compliquée : non seulement les TLET tiraient de leur position, mais d’autres compagnies de fusiliers de son propre bataillon stationnés à la périphérie de la zone opérationnelle engageaient également leurs troupes par inadvertance – un cas de feu « bleu sur bleu sur rouge ». L’opération a finalement abouti, mais pas avant qu’environ 90 000 coups aient été tirés par les compagnies en périphérie. En revanche, le peloton de l’auteur en contact direct avec les TLET n’avait tiré que 200 à 300 coups.
Cette expérience a mis en évidence l’importance cruciale du contrôle des tirs, en particulier dans un milieu urbain. Les tirs incontrôlés non seulement compromettent et mettent en danger des vies et ses propres opérations, mais ils mettent aussi la vie de civils en danger et permettent aux insurgés de s’enfuir. Dans de tels milieux, un contrôle rigoureux du tir est essentiel au succès.
Leçon 7 : mener des raids et des opérations sélectives de bouclage et de recherche/destruction
Dans le cadre d’opérations de bouclage et de fouille à grande échelle, il était facile de perdre l’élément de surprise, à moins que l’objectif ne soit simplement de repérer les insurgés et de les séparer de la population. En revanche, les opérations sélectives de bouclage et de fouille en milieu urbain impliquaient moins de mouvements de troupes et laissaient les insurgés dans l’incertitude quant aux limites géographiques exactes du bouclage. Cette confusion les incitait à se réfugier à la périphérie du périmètre, où une embuscade judicieusement positionnée pouvait donner des résultats significatifs.
Lors d’une de ces opérations sélectives de recherche et de destruction interarmées à Chantiveli, un centre urbain satellite de Batticaloa, deux insurgés ont été tués. Une autre opération de bouclage et de fouille sélective a mené à la capture d’un insurgé clé qui a fourni des renseignements essentiels, ce qui a entraîné des raids sur les cachettes de la jungle et la récupération d’une grande cache d’armes et de munitions.
L’un des résultats les plus importants de ces opérations sélectives de bouclage et de fouille a été la capture du plus haut dirigeant des TLET dans Batticaloa au cours d’une grande opération dirigée par l’auteur. Cette opération était fondée sur les renseignements fournis par un informateur, « Victor », le secrétaire des finances des TLET, qui avait été capturé dans la ville de Batticaloa. Victor était responsable de la perception des taxes, et l’auteur a été en mesure de le surprendre avec deux véhicules approchant de directions opposées. Alors qu’il conduisait un véhicule léger, une jeep, l’auteur a tiré quelques coups près des pieds de Victor pour l’empêcher de courir et a été en mesure de le capturer avant qu’il puisse s’enfuir.
Quand les renseignements étaient fiables et bons, un raid devait être planifié avec le nombre minimum de troupes nécessaires pour créer la surprise et maintenir un contrôle rigoureux du feu, à la fois en termes de mouvement et de tir. La vitesse d’action et les mouvements rapides ont laissé peu de possibilités à l’ennemi, l’obligeant à un affrontement face à face. Lors d’un de ces raids, l’équipe de l’auteur, composée de seulement sept personnes, a établi le contact avec les insurgés, a bloqué leur sortie et a déclenché une fusillade. L’opération s’est soldée par la mort de quatre insurgés, dont un dirigeant nommé Arjun.
Leçon 8 : se concentrer sur le terrain et la souplesse dans l’art opérationnel
La concentration urbaine de Batticaloa était bordée par la jungle à l’ouest et la mer à l’est. Idéalement, les trois zones géographiques auraient dû être traitées comme une seule zone unifiée. Comme un ballon, si une pression était appliquée à un point, elle s’étendait dans d’autres directions. Avec des forces suffisantes, la totalité de l’étendue géographique devrait être contrôlée et les ressources/l’effectif utilisés à l’unisson. Cependant, sans les effectifs nécessaires, l’application de la force dans le seul milieu urbain aurait permis aux insurgés de s’enfuir dans la jungle ou, dans une moindre mesure, dans la mer. Quelques embuscades placées stratégiquement dans la jungle, alignées sur d’autres opérations urbaines, auraient aidé à entrer en contact avec des groupes insurgés qui tentaient de fuir. Pourtant, il est devenu évident d’expérience que, bien que certains insurgés opèrent dans les zones urbaines, de grands groupes organisés (en particulier du nord du Sri Lanka) opèrent à partir de la jungle.
Pour remédier à cette situation, l’auteur a demandé et obtenu la permission du commandant de lancer des opérations dans la jungle adjacente avec la compagnie de fusiliers complète. Connaissant la supériorité numérique des insurgés, la compagnie a été déployée avec deux pelotons à l’avant, chaque peloton se déplaçant en deux sections, le quartier général de la compagnie de fusiliers étant placé entre et derrière les deux pelotons. Après une heure ou deux de déplacement dans la jungle, la compagnie a croisé une rivière. L’auteur a immédiatement arrêté la compagnie et entamé des manœuvres pour traverser la rivière, ce qui a provoqué des tirs d’armes automatiques depuis les deux extrémités de la compagnie.
En adhérant à des pratiques rigoureuses en matière de tir et de contrôle, ainsi que de feu et de mouvement, la compagnie a pu éviter de tomber dans une embuscade et a semé le doute dans l’esprit des insurgés quant à la possibilité d’être débordés. Malgré ces mesures, les tirs automatiques ont continué de s'intensifier pendant une période prolongée. À partir de cela, le commandant a convenu avec l’auteur que les insurgés étaient beaucoup plus nombreux et que la poursuite de l’engagement entraînerait probablement de lourdes pertes. Par conséquent, des ordres ont été reçus pour suspendre l’opération. Cette expérience a démontré l’importance de la souplesse dans la planification opérationnelle. Si les insurgés avaient bloqué l’approche d’une zone ou d’un passage critique, l’opération se serait poursuivie. Cependant, comme la colonne se préparait à se retirer vers sa base dans la zone urbaine, il était possible de gérer le groupe d’insurgés plus efficacement, d’une autre manière, à un moment ultérieur.
Conclusion
Cet article a mis l’accent sur les principales leçons tirées des opérations menées dans les zones urbaines de Batticaloa. Les leçons identifiées dans l’article sont essentielles pour comprendre les implications, les répercussions et les conclusions spécifiques des opérations urbaines. Il est évident qu’avec un effectif bien entraîné, agile et légèrement armé (qu’il soit débarqué ou à bord de véhicules), les résultats obtenus peuvent dépasser de loin les ressources investies. La créativité, l’imagination et l’audace sont des qualités essentielles pour un commandant qui doit continuellement évaluer à la fois la force de l’insurgé et de ses propres forces avant l’application de la force, ainsi que la façon dont elle est appliquée.
L’auteur tire une grande satisfaction personnelle d’avoir dirigé la compagnie de fusiliers pendant cette période. La compagnie a gagné 14 des 25 prestations pour bravoure décernées au bataillon et, fait remarquable, il n’y a eu aucune perte pendant les près de deux ans du déploiement (1987 à 1989). Il a été profondément gratifiant d’assurer la paix à Batticaloa en empêchant les TLET de s’en prendre aux civils et aux minorités. La stabilisation de la région autour de Batticaloa et d’Ampara a même permis le bon déroulement des élections, ce qui constitue une autre réussite.
Parfois en infériorité numérique, parfois non, la compagnie ne s’est jamais sentie dépassée. Peu de temps après la désincorporation, il est devenu évident que les objectifs politiques n’avaient peut-être pas été pleinement atteints. Toutefois, les objectifs militaires étaient clairs et ont été poursuivis avec succès. L’objectif principal était d’engager le combat contre l’ennemi, souvent invisible, et, lorsque le contact était établi, de s’assurer qu’il ne s’échappait pas. L’insurgé n’a peut-être pas d’avant, de côté ou d’arrière clair, mais les manœuvres tactiques ont aidé à créer des flancs et à localiser l’ennemi. En fin de compte, cette approche a donné lieu à un succès et, selon l’auteur, à une victoire.
À propos de l’auteur
Rajesh Singh a commandé, en tant que capitaine puis major de campagne dans l’armée indienne, deux compagnies de fusiliers du 2e bataillon de l’infanterie légère de Maratha, ainsi qu’une compagnie mixte d’infanterie formée à partir de bataillons d’infanterie apparentés dans le cadre de l’opération Pawan (1987 à 1989). Il s’est vu décerner la médaille du Yudh Seva (médaille du service de guerre) pour avoir fait preuve d’un leadership exceptionnel dans le cadre de nombreuses opérations de haute intensité. Il a ensuite commandé le même bataillon en tant que colonel dans un contexte de contre-insurrection, puis l’a déployé dans une zone de très haute altitude le long du plateau tibétain.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).
