Rafales courtes : Leçons pour le Canada - Que peut nous enseigner Replicator?
Par Kristen Csenkey, PhD
L’Armée canadienne met actuellement la modernisation en priorité pour faire en sorte que nos forces correspondent au caractère actuel de la guerre. Dans ce contexte, le Canada peut explorer de plus en plus des domaines où il peut profiter des innovations des alliés, tout en contribuant efficacement à des objectifs de défense partagés et en faisant avancer nos propres objectifs stratégiques. L’une de ces occasions pourrait se trouver dans l’initiative américaine Replicator.
Replicator est une initiative du Département de la Défense des États Unis (É.-U.) visant à acquérir et à déployer rapidement des milliers de systèmes autonomes dans l’ensemble des domaines de la guerre. Son objectif principal est de combler les besoins opérationnels des Forces des É.-U. en mettant en service des capacités technologiques essentielles qui peuvent suivre le caractère changeant de la guerre.Note de bas de page 1 La première phase de l’initiative, maintenant appelée Replicator 1, a été lancée en août 2023, et la seconde phase, Replicator 2, a récemment été lancée en septembre 2024 et se concentrera sur le fait de contrer la menace posée par les petits systèmes aériens sans pilote. L’Unité d’innovation de la Défense des É.-U. désigne Replicator comme un « entonnoir d’investissement défini par le combattant » qui vise à « créer une voie d’accès aux capacités nouvelles, aux systèmes et aux partenaires de l’industrie. »Note de bas de page 2 Bien qu’un bon nombre de détails du programme demeurent classifiés, la secrétaire adjointe à la Défense des É.-U., Kathleen Hicks, explique que Replicator représente « davantage de navires, davantage de missiles, davantage de gens » et qu’il vise principalement à contrer les capacités de production de la Chine.Note de bas de page 3 Reconnaissant le besoin urgent de contrer des adversaires de force presque égale dans un contexte de sécurité mondiale de plus en plus dynamique, Replicator vise à améliorer le processus d’acquisitions pour la défense.
Dans l’ensemble, Replicator vise à maintenir une avance technologique décisive pour les forces armées des É.-U. en simplifiant l’approvisionnement et en tirant parti des innovateurs nationaux en matière de technologies de défense essentielles comme les systèmes aériens sans pilote. Cette approche est cruciale puisque le contexte évolutif de sécurité mondiale, marqué par des conflits de grande intensité et la montée de la menace d’entreprises liées à des États étrangers dans les chaînes d’approvisionnement essentielles, exige un changement dans l’acquisition de technologie militaire. Par exemple, l’utilisation en Ukraine par la Russie de systèmes aériens sans pilote de fabrication iranienne à faible coût illustre leur incidence sur la guerre moderne et souligne le besoin urgent de développer et de déployer des contre mesures.Note de bas de page 4
Outre le fait de maintenir le rythme des capacités adversaires, l’initiative Replicator vise à garantir de façon proactive que les É.-U. ont les outils pour demeurer agiles et s’adapter au contexte de menace changeant. Cela exige non seulement de produire et de maintenir des capacités pour contrer les technologies comme les systèmes aériens sans pilote, mais aussi de favoriser une relation plus innovatrice avec la base industrielle nationale de la défense. Le but est de faire en sorte que des capacités militaires essentielles soient mises à la disposition des forces des É.-U. dans des délais accélérés. L’initiative est déjà louangée par la direction des opérations spéciales des É.-U.Note de bas de page 5 et elle a piqué l’intérêt des branches des services.Note de bas de page 6
En comparaison, la voie d’accès actuel du Canada pour les nouvelles capacités est relativement lente, rigide et coûteuse. Le besoin est particulièrement évident dans l’Arctique, où l’importance géopolitique croissante de la région et les efforts de sécurité accrus soulignent le besoin urgent de technologies aptes, d’acquisition rapide pour surveiller et recueillir des données sur les activités qui y ont lieu. Or, l’entonnoir de l’approvisionnement est souvent bloqué ou rétréci. Cela fait contraste avec les but de l’initiative Replicator, qui est axée sur l’approvisionnement rapide, agile et économique. Les demandes qui prenaient dix ans à se concrétiser peuvent maintenant être menées à bien en une année ou moins.
Les Forces armées canadiennes doivent atteindre et maintenir la parité technologique avec nos alliés pour s’acquitter efficacement d’engagements opérationnels évolutifs, au pays comme à l’étranger. La rapidité de l’innovation et du développement technologique, conjuguée au rythme croissant des opérations des alliés – comme en témoigne l’accent mis par les É.-U. sur la coopération en matière de sécurité dans la région indopacifique – exige du Canada qu’il accélère de beaucoup notre propre modernisation militaire pour garder le rythme des capacités évolutives de nos alliés.
Certes, les Forces armées canadiennes ont le programme Innovation pour la défense, l’excellence et la sécurité pour mettre les innovateurs canadiens au fait des enjeux en matière de défense et de sécurité. Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada reconnaît comme il se doit le besoin d’une réforme de l’approvisionnement.Note de bas de page 7 Pourtant, de nombreux experts ont souligné les problèmes liés à l’état actuel de l’approvisionnement pour la défense au Canada. Récemment, le contre amiral (retraité) Ian Mack a fortement recommandé des améliorations concrètes plutôt que le récit continu des problèmes et des lacunes, y compris les attentes irréalistes, les procédés excessifs et l’aversion au risque.Note de bas de page 8 Bien que le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des Communes a publié un nouveau rapport suggérant des changements au processus d’approvisionnement, personne n’a encore proposé de tirer des leçons de l’initiative Replicator pour tirer parti des capacités innovatrices du Canada et de ses écosystèmes technologiques.Note de bas de page 9
Étant l’un des principaux chefs de file mondiaux en innovation, en quoi les connaissances et la technologie canadiennes cadrent elles avec Replicator, le cas échéant?Note de bas de page 10 Une réponse pourrait être : grâce à des partenariats intégrés.
Le concept de partenariats intégrés, présenté ici, a deux volets. Premièrement, comme les É.-U. s’attaquent à des enjeux opérationnels dans la région indopacifique et à l’échelle mondiale en accélérant l’intégration de technologies émergentes aux capacités de défense, des entreprises canadiennes ont l’occasion de jouer un rôle clé dans une chaîne d’approvisionnement nord-américaine digne de confiance. De plus, les partenariats intégrés peuvent tirer profit du contexte géopolitique actuel, où des sanctions en cours imposées aux entreprises chinoises, y compris aux fabricants de pièces d’UAV, créent un marché potentiel où l’expertise et la technologie canadiennes peuvent combler des lacunes.
Le Canada est fort d’une riche histoire d’innovation technologique, et la reconnaissance mondiale se maintient encore aujourd’hui. Par exemple, l’écosystème Toronto-Waterloo est souvent reconnu comme l’un des 20 meilleurs endroits au monde pour l’innovation. L’écosystème canadien de technologie quantique a nettement grandi et cela peut être dû en partie au parrainage national, grâce à l’investissement et aux partenariats entre le secteur privé et les universités.Note de bas de page 11 Cela donne lieu au second volet des partenariats intégrés : la définition d’une relation stratégique avec l’industrie.
L’absence continue d’une politique précise sur l’industrie pour la défense a été remarquée par les spécialistes, et ce, depuis des années. Le professeur agrégé émérite Craig Stone a fréquemment réitéré sa demande, formulée en 2008, pour une politique cadre nationale de niveau stratégique pour composer avec la complexité et les difficultés du contexte de sécurité mondial.Note de bas de page 12 Brian Gallant et Jordan Miller sont en faveur d’une stratégie exhaustive propre au secteur et qui permet une approche pansociétale aux problèmes complexes civils, militaires et commerciaux dans un monde en constante mouvance.Note de bas de page 13 Une stratégie industrielle nationale formulerait clairement l’engagement du Canada envers les alliés et prioriserait le potentiel national d’innovation.
Cela ne veut pas dire que de renforcer le capitalisme, la consommation débridée et le gaspillage potentiel de vestes ressources soit la solution pour défendre l’Amérique du Nord et mettre de l’avant les intérêts et les valeurs du Canada dans le monde. Les systèmes peu coûteux et de masse sont-ils toujours garants de la réussite opérationnelle? À l’inverse, les systèmes peu nombreux et complexes se traduisent-ils par une disponibilité technologique dans tous les domaines?Note de bas de page 14
Il n’y a pas de « solution magique » pour dissuader facilement les adversaires – pour reprendre la formule du capitaine de vaisseau (retraité) des É.-U. Thomas Shugart.Note de bas de page 15 L’influence à moyen et à long terme de Replicator est inconnue. Ce que nous savons, c’est que le Canada est le plus grand partenaire commercial des É.-U., son proche allié et son collaborateur en matière de sécurité et de défense. Gérer cette relation unique grâce à des partenariats stratégiques dans les technologies émergentes – dans le cadre de Replicator ou non – est l’un des moyens permettant au Canada de favoriser nos aptitudes à composer avec le paysage géopolitique en constant changement.
Au sujet de l’auteure
Kristen Csenkey, Ph.D. est chercheuse postdoctorante au Brian Mulroney Institute of Governance et au Carrefour des politiques numériques du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale. Ses recherches portent sur les approches sociotechniques en cyber gouvernance, défense et sécurité. Mme Csenkey a publié War on the Rocks, Le Rubicon, Canadian Naval Review, Canadian Foreign Policy Journal et le Journal of Cybersecurity. Elle cumule de nombreux postes de chercheuse, y compris au sein du Réseau canadien de sécurité maritime et du Réseau de sécurité et de défense nord-américain et arctique.
L’auteure est reconnaissante à la Dre Aditi Malhotra de ses commentaires et sa rétroaction utiles lors d’une version antérieure du présent article.
Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (juillet 2025).
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