Rafales courtes:
Les drones COTS ne sont pas des drones COTS : éviter une dangereuse idée fausse dans l’emploi opérationnel des UAS
par le Capt T.J. Curran
Au cours des deux dernières années, les professionnels militaires ont été inondés d’articles et de commentaires sur la prolifération des systèmes aériens sans pilote (UAS, pour « unmanned aerial system ») commerciaux sur étagère (COTS, pour « commercial-off-the-shelf ») utilisés comme armes dans la guerre en Ukraine. L’OTAN et les pays observant le conflit ont tous reconnu la nécessité de s’adapter rapidement à ce nouveau paradigme. Cependant, cette volonté de mise en œuvre rapide a mis en évidence des vulnérabilités importantes et susceptibles d’être fatales au sein de la Force.
Depuis 2023, l’armée britannique a franchi le pas en matière d’UAS COTS en adoptant une politique relativement simple permettant à toutes les unités de l’armée, quel que soit leur élément d’appartenance ou leur spécialité, d’acheter et d’utiliser des UAS commerciaux à des fins d’instruction et d’expérimentation. Dans le cadre de ce programme, les unités peuvent acheter les systèmes de leur choix, à condition de les inscrire et de les classer auprès de la Military Aviation Authority (MAA).Note de bas de page 1 Cette politique a entraîné une adoption rapide par des unités, comme le 2nd Battalion, The Parachute Regiment, qui utilisent désormais couramment des UAS commerciaux dans toutes leurs sous-unités.
Or, l’adoption de systèmes UAS COTS à des fins militaires a exposé l’armée britannique à des risques considérables en matière de sécurité opérationnelle et de protection de la force. L’idée fausse est la suivante : l’utilisation du terme « commercial-off-the-shelf (COTS) » dans les médias grand public et les reportages amateurs sur la défense est en réalité une erreur d’appellation. En effet, le DJI Mavic ou le Parrot Anafi que l’on peut acheter dans son magasin d’électronique local n’est pas le même drone que celui que l’on trouvera aujourd’hui sur les champs de bataille en Ukraine. De même, le terme « COTS » est souvent employé à tort pour décrire les systèmes UAS conçus à partir de composants commerciaux, mais expressément destinés à la guerre, ce qui atténue les vulnérabilités évoquées ci-dessous.
Les UAS COTS non modifiés sont truffés de vulnérabilités susceptibles d’être fatales et de limitations à leur utilité militaire. En effet, la plupart des UAS COTS contemporains transmettent la localisation et l’identification du système d’aéronef télépiloté (SATP) et du pilote, ce qui est désormais exigé par la loi pour les UAS COTS aux États-Unis.Note de bas de page 2 Les fabricants d’UAS peuvent également empêcher leurs plateformes de voler dans des zones réglementées définies par des coordonnées GPS ou en l’absence de signal GPS. Ces caractéristiques, qui contribuent à la sécurité publique au niveau national, sont dangereuses et limitent les opérateurs de drones dans une zone de guerre. Toute personne disposant d’un récepteur radio logiciel commercial bon marché pourrait exploiter ces vulnérabilités en manipulant les signaux GPS ou en interceptant en direct la localisation de l’opérateur.
Les forces ukrainiennes et russes achètent toujours des milliers d’UAS à des fabricants commerciauxNote de bas de page 3 (tels que DJI et Parrot), mais elles ne les envoient plus directement au front, comme elles le faisaient au début du conflit en 2022. À la place, les systèmes UAS COTS sont envoyés dans des ateliers situés derrière le front pour être modifiés à des fins militaires grâce au piratage du logiciel et du micrologiciel du drone et à l’intégration de composants tels que des puces de communication chiffrées, des câbles à fibre optique ou des récepteurs GPS renforcés. Ces modifications limitent les aspects exploitables de l’UAS.
Ce sont ces modifications qui rendent les systèmes UAS « non plus COTS » dangereux et dotés d’une capacité de combattre à l’heure actuelle. Sans ces modifications, les UAS COTS sont truffés de vulnérabilités qui empêcheront des opérations UAS réussies contre des adversaires, aussi peu préparés soient-ils, et tueront presque certainement leurs opérateurs par la révélation de leur position. L’évolution du champ de bataille est telle que l’ère des drones COTS a duré quelques mois, puis a disparu.
Depuis le début de l’année 2022, l’efficacité des organisations de guerre électronique (GE) des deux côtés garantit pratiquement que les UAS non renforcés seront exploités et vaincus. En mai 2023, le Royal United Services Institute, un prestigieux groupe de réflexion sur la défense et la sécurité basé au Royaume-Uni, a indiqué que l’Ukraine perdait environ 10 000 UAS par mois. Les systèmes de guerre électronique russes, principalement axés sur la lutte contre les systèmes aériens sans pilote (C-UAS), sont aussi prolifiques qu’un système tous les 10 km de front. De nombreux fabricants proposent, en plus de leurs produits UAS, un produit expressément conçu pour vaincre et exploiter leurs propres systèmes UAS. L’un de ces systèmes est l’AeroScope de DJI qui a fait son apparition sur le marché en 2017. Les Russes ont rapidement acheté de grandes quantités d’AeroScope au début de 2022 à la suite de l’utilisation des systèmes UAS DJI non modifiés par les Ukrainiens au début du conflit.Note de bas de page 4
Malheureusement, cette idée fausse majeure sur la nature des systèmes actuellement en service en Ukraine est très répandue. La grande majorité des Parrot et autres UAS achetés par l’armée britannique seraient un handicap absolu dans un combat réel contre un adversaire qUASi équivalent ou équivalent. Manifestement, même certaines des armées les plus professionnelles du monde ont été victimes de cette impression erronée.
Fort heureusement, la UK Cyber Force a admis le problème en avril 2024 et a décrété un moratoire sur l’utilisation à l’étranger de ces UAS COTS. Néanmoins, l’intégration des UAS COTS, de l’électronique commerciale et d’autres technologies est une évolution inévitable de la guerre moderne. Par chance, l’Ukraine a déjà été la première à apporter de nombreuses modifications nécessaires pour rendre la plupart des UAS COTS opérationnels dans un environnement de menace qUASi équivalente ou équivalente. Au lieu de cesser leurs activités à l’étranger, les forces armées britanniques pourraient investir dans la modification de leurs flottes d’UAS COTS afin d’atténuer les vulnérabilités inhérentes évoquées précédemment. Bon nombre de ces modifications, telles que le piratage CIA Jeep Doors, sont proposées gratuitement sur des sites de partage de fichiers en accès libre comme GitHub.
Le rythme de l’innovation sur le champ de bataille est stupéfiant. Les officiers supérieurs ukrainiens estiment qu’une innovation sur le champ de bataille, telle qu’une nouvelle liaison de communication plus résistante, dure environ trois mois avant que la contre-mesure à cette technologie ne la suive.Note de bas de page 5 Nous, membres des Forces armées canadiennes (FAC), devons veiller à ce que notre adoption des leçons retenues du champ de bataille soit pleinement éclairée et continuellement réexaminée. Les FAC doivent adopter les innovations des UAS COTS pour demeurer une force de combat pertinente. Nous devons également nous assurer que nous disposons des connaissances et des systèmes sous-jacents nécessaires pour nous adapter et innover à une vitesse pertinente, plutôt que d’apprendre demain les leçons d’hier.
À propos de l’auteur
Taylor Curran est capitaine au sein du Corps des transmissions royal du Canada. Titulaire d’un baccalauréat en génie électrique obtenu au Collège militaire royal (2019), il s’est spécialisé dans la guerre électromagnétique. Il a passé trois ans au sein du 21 Régt GE à Kingston et a participé à deux déploiements dans le cadre de l’opération REASSURANCE où il a occupé des fonctions relatives à la guerre électronique. Il est actuellement officier d’échange de l’Armée canadienne au sein du 14th Signal Regiment (EW), au Royaume-Uni, où il occupe le poste d’officier de l’instruction régimentaire.
Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (août 2025).