Rafales Courtes:
Critique de livre - No Names No Pack Drill: An Oral History of Canadians at War in Afghanistan
Compte rendu du H. Christian Breede, Ph.D

Steve MacBeth
Toronto, Double Dagger Books, 2024
475 pp.
ISBN: 978-1998501212
Nous avons tous nos histoires. Ces conversations anodines qui sont devenues la dernière chose que nous avons dite à un camarade de combat. La pure chance de survivre à une période de service. Le caractère aléatoire de la violence et de la mort. Les larmes, les rires, la joie et la peur.
Nous avons tous des histoires à raconter à propos de notre service en Afghanistan.
J’ai entendu parler du projet de livre de Steve MacBeth pour la première fois alors qu’il travaillait avec notre équipe au Centre d’études sur la politique internationale et de défense à l’Université Queen’s. C’était en 2019. Et j’ai trouvé son projet à la fois fascinant et unique. Je n’ai jamais réussi à m’asseoir avec lui pour contribuer à cet important travail. Je jette donc un regard sur cet ouvrage sans intérêt dans le projet, outre de faire la critique d’un livre rédigé par une personne que je tiens en haute estime.
Ce que MacBeth a accompli dans No Names No Pack Drill est remarquable. Ce livre est une contribution unique et précieuse à la littérature sur la guerre, qui a défini une génération de militaires canadiens. No Names No Pack Drill est un outil incroyablement utile pour apprivoiser nos expériences personnelles en Afghanistan. Durant ma lecture, j’ai été ému et touché par les histoires des militaires qui faisaient écho aux expériences que j’ai vécues. D’un point de vue académique, le livre est rempli de données qui reflètent des comptes rendus précieux d’expériences de première main dans ces lieux, mais qui valident également une grande partie de ce que les FAC tentent de renforcer aujourd’hui. Bref, ce livre ne s’adresse pas uniquement aux vétérans et aux militaires en service actif.
C’est un livre volumineux. Comme on peut le lire dans l’introduction, il s’agit d’une compilation de 150 histoires – certaines ne comptent que quelques lignes, tandis que d’autres s’étendent sur plusieurs pages. Les histoires sont plus ou moins structurées par sujet, qui couvre la préparation, l’arrivée, l’adaptation au rythme proverbial du déploiement et le retour au pays. Chaque sujet est ensuite divisé en chapitre thématique de longueur variée – de moins de 15 pages à beaucoup plus que 75 pages. Par moments, l’inégalité dans la longueur des chapitres a pour effet malheureux de submerger le lecteur, car les histoires individuelles se fondent parfois les unes dans les autres, et peuvent sembler répétitives.
C’était peut-être voulu. Comme le révèle une grande partie de la littérature sur la guerre – et les témoignages et les titres des rubriques du présent livre le confirment – la guerre est une épreuve. Bon nombre des histoires de ce livre sont puissantes et dures. Les personnes qui ont jugé bon de s’asseoir avec MacBeth et de partager leur histoire devraient être saluées pour leur franchise et leur vulnérabilité. Le lecteur a l’impression d’avoir le privilège de se trouver dans la même pièce que l’auteur, et d’écouter les histoires. La touche éditoriale légère apportée par MacBeth est aussi digne de mention et rend justice aux histoires individuelles; le lecteur a l’impression d’entendre la voix des militaires qui racontent chacun leur histoire.
Bien que les choix éditoriaux de l’auteur concernant l’organisation sont judicieux, des thèmes supplémentaires recoupent les chapitres. Une fois de plus, cela témoigne simplement de la richesse des données – les histoires – qui ont été recueillies. Les thèmes sont répartis en deux grands groupements. Le premier groupement est lié à l’expérience des vétérans tandis que le deuxième porte sur la façon dont le livre contribue aux discussions actuelles à propos de la profession des armes et ce que cela signifie d’être membres des FAC.
Dans le premier groupement, les thèmes de l’empressement de la validation par l’intermédiaire du contact avec l’ennemi, le chaos qui s’en suivrait, le rôle de la chance et les sentiments de culpabilité sont révélés d’une histoire à l’autre. Dans toutes les histoires recueillies par MacBeth, les militaires ont parlé de l’empressement pour les contacts avec l’ennemi qui se dissipait rapidement, de la surcharge sensorielle et des charges d’adrénaline qui faisaient constamment partie de l’expérience, de l’acceptation du fait que, même en faisant tout correctement, vous pourriez finir à la morgue ou blessé, et de la culpabilité de survivre et de laisser des êtres chers derrière. Ces histoires sont parfois difficiles à lire et à assimiler, mais elles sont également une source de réconfort dans le processus de partage de telles expériences. Si elles interpellent les lecteurs – surtout les vétérans – elles devraient les réconforter qu’ils ne sont pas seuls. C’est l’effet que cela a eu sur moi.
Le deuxième groupement de thèmes donne des renseignements importants sur ce que cela signifie d’être un membre de la profession des armes au Canada. D’abord et avant tout, le rôle du jugement revient souvent dans les histoires relatées dans le livre. Le jugement – la capacité de gérer l’incertitude d’une situation et de faire le meilleur choix – est au cœur de notre profession. Les histoires présentées dans ce volume en témoignent. Un autre thème portait sur l’importance des équipes tant comme source de motivation que comme partie intégrante de la réalisation des tâches – surtout dans les situations les plus difficiles. Un troisième thème est le désir constant de maintenir le professionnalisme face à la peur, à la colère, à la frustration et à la tristesse. En effet, les militaires qui se sont racontés dans ce livre ont constamment parlé de la nécessité de maintenir une attitude professionnelle et ne pas succomber à la tentation de représailles ou de vengeance.
L’auteur ne craint pas d’aborder les récents événements en Afghanistan. Ce volume offre la meilleure réparation que je n’ai encore vue. Vers la fin de l’ouvrage, un militaire laisse entendre que le fait de demander si la mission en valait la peine passe à côté de l’essentiel. Rien ne remplace la perte d’un être cher. Les militaires étaient tout à fait conscients – même quand ils étaient en déploiement – que le message national de restauration de la paix et de la stabilité en Afghanistan n’allait pas fonctionner. Pendant qu’ils étaient là, ils ont simplement essayé de rendre la vie des gens de l’Afghanistan un peu plus simple parce que c’était leur travail.
Cela soulève une dernière question, qui devrait susciter davantage de réflexion et d’analyse. Les histoires font remarquer qu’il s’agissait de la première fois qu’une force professionnelle, composée de volontaires qui avaient choisi de faire une carrière militaire, participait à une mission de combat prolongée. Cela a créé des pressions uniques sur la mission, des militaires déployés qui se sont succédé par rotation dans le théâtre aux demandes de cours professionnels et d’instruction à leur retour au Canada, au côté plus laid du carriérisme en tant que facteur dans la planification opérationnelle pendant le déploiement. Les postes de commandement pendant le déploiement étaient convoités et hautement vénérés et le rendement avait des conséquences pour la progression de carrière au-delà de la présence du Canada en Afghanistan. Ce sont toutes des questions qui doivent être posées à propos de l’expérience en Afghanistan.
No Names, No Pack Drill fournit une riche base d’information à travers les histoires de personnes qui ont vécu la présence du Canada en Afghanistan. Les personnes qui souhaitent développer davantage la profession des armes devraient lire cet ouvrage, y réfléchir, en tirer des leçons et le consulter. Il s’agit d’une excellente source pour les vétérans qui cherchent à trouver un peu de réconfort à l’idée de savoir qu’ils ne sont pas seuls, ainsi que pour toutes les personnes curieuses de connaître tous les aspects de la mission en Afghanistan.
Ce livre est une mine d’or — à lire absolument.
À PROPOS DE L’AUTEUR
H. Christian Breede est un analyste de la recherche aux Concepts professionnels et développement du leader à l'Académie canadienne de la Défense. Officier d’infanterie retraité avec une expérience de déploiement en Haïti (2004) et en Afghanistan (2008-2009), Christian détient un doctorat en études de la guerre du Collège militaire royal du Canada. Il a offert des cours et il a publié des ouvrages sur des sujets comme la politique étrangère, la culture militaire et le leadership.
Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (janvier 2025).