Critique de livre - Architecture, Urban Space and War: The Destruction and Reconstruction of Sarajevo - Mirjana Ristic
RISTIC, Mirjana. Palgrave Macmillan Cham, 2018, 260 pages.
ISBN : 978-3-319-76770-3
Critique préparée par Noorulain Naseem et Muneeba Nawaz Khan, analystes de la recherche basés au Pakistan
Dans l’ouvrage Architecture, Urban Space and War, Mirjana Ristic examine l’interaction complexe qui existe entre l’architecture, le patrimoine culturel, l’aménagement urbain et les conflits sociopolitiques. Axée sur la guerre civile en ex-Yougoslavie (1992-1995) dans la République de Bosnie-Herzégovine, l’étude de cas de l’ouvrage porte sur Sarajevo et permet d’analyser la relation entre ces facteurs. Les travaux de Mirjana Ristic s’inscrivent dans le cadre d’une littérature émergente sur la guerre qui vise à faire ressortir l’augmentation alarmante du nombre de victimes civiles dans les conflits modernes.
L’ouvrage explore la manière dont les villes servent de scènes au changement sociétal et à la résistance contre la violence et l’oppression par l’adaptation, l’appropriation et la transformation d’éléments architecturaux et d’espaces publics. Mirjana Ristic apporte une contribution précieuse à la littérature sur la guerre entre la Bosnie, la Serbie et la Croatie, laquelle a entraîné la désintégration de l’ex-Yougoslavie. Le carnage qui s’est déroulé pendant la guerre a coûté cher en vies civiles et a conduit à des crimes horribles, dont le génocide de Srebrenica. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a établi que des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées entre septembre 1992 et août 1994.
Mirjana Ristic explique comment la destruction des espaces urbains de la ville de Sarajevo par la Bosnian Serb Army (BSA) a constitué une stratégie militaire qui a entraîné la ségrégation sociale des groupes ethniques. Elle affirme que l’architecture et l’urbanisme ont été instrumentalisés pendant le conflit de Sarajevo pour semer la violence, la peur et la division. La géographie et la morphologie urbaine de la ville ont été utilisées pour répandre la violence et transformer la ville en un « paysage de la peur ». Des tirs isolés, des bombardements et des actes de terrorisme ont été utilisés pour cibler des personnes et des bâtiments afin de créer la terreur et de faire pression sur les dirigeants politiques de Bosnie-Herzégovine pour qu’ils acceptent la division ethnique de Sarajevo proposée par la BSA. Bien qu’il ne soit pas qualifié de génocide, le siège de Sarajevo a impliqué le meurtre systématique de civils non armés et la destruction de l’architecture de la ville en tant que stratégie de guerre. Cette approche visait à saper la résilience collective de la population de Sarajevo et suggère une stratégie globale de l’armée serbe pour isoler, séparer et cibler les Bosniaques sans faire de distinction entre les combattants et les non-combattants.
L’auteure s’est appuyée sur les travaux de Deleuze et Guattari (1987), en utilisant le concept d’assemblage, qui explore la relation entre le changement social et les réseaux sociaux. Elle s’appuie fortement sur la cartographie de l’architecture urbaine détruite pendant le conflit. Cela permet d’évaluer les répercussions de la guerre sur les infrastructures civiles et les effets subséquents sur la résilience et les expériences des communautés à Sarajevo. L’ouvrage se penche sur le terme « warchitecture », examinant comment et pourquoi l’armée serbe a ciblé des installations urbaines civiles pour terroriser, démoraliser et traumatiser la population civile. Selon l’auteure, l’objectif était de porter atteinte à l’identité collective et aux idéologies politiques ancrées dans les infrastructures d’importance sur le plan religieux, communautaire et national. Les espaces urbains et communautaires ne présentant pas de menace militaire directe, les prendre pour cible était une tentative de susciter la peur et d’isoler et de marginaliser la population civile. Les lignes de combat floues à Sarajevo ont permis de piéger les non-combattants, faisant d’eux l’une des principales cibles de l’armée serbe. Mirjana Ristic emploie le terme « urbicide » pour exprimer l’idée que le ciblage de l’infrastructure urbaine visait à éteindre l’essence de la vie urbaine et l’esprit collectif de la population.
Certains bâtiments, dont l’hôtel de ville et le journal Oslobodjenje, ont été pris pour cible en raison de leur importance multiethnique. Le fait de les endommager ou de les détruire permettait d’exacerber la fragmentation de la ville selon des critères ethniques. Le ciblage des bâtiments du patrimoine bosniaque (musulman de Bosnie) et islamique, y compris les mosquées, met en lumière le fait que les musulmans étaient la cible principale. Les mosquées servaient de « lieux de rencontre pour les activités séculaires d’une communauté » et étaient également des lieux où les résidents pouvaient obtenir une aide humanitaire.
Les attaques ont été perçues comme une tentative d’effacer l’identité des communautés et de créer une situation où les gens n’ont aucun souvenir de leur passé. Une telle violence a été considérée comme une « dimension culturelle du génocide » ou comme un nettoyage ethnique par d’autres moyens. En brûlant les documents culturels, en rasant les mosquées et les églises catholiques et en détruisant les cimetières au bélier-niveleur, les forces nationalistes ont voulu se prémunir contre d’éventuelles revendications de ceux qu’elles avaient déplacés et dépossédés.
L’ouvrage étudie également les réponses improvisées et adaptatives des civils à la guerre moderne. Un aspect important exploré est la « résilience adaptative » de la population de Sarajevo pendant le siège. Face à la violence et à la terreur incessantes, les habitants sont devenus des architectes autodidactes, modifiant leurs espaces de vie pour se protéger. La résistance civile à la terreur et à la violence en temps de guerre a compris divers modèles et pratiques spatiales, y compris l’adaptation d’espaces souterrains, semi-enterrés et en surface. Cela a conduit à la création de nouveaux espaces et modèles de vie urbaine, tels que des expositions, des théâtres, des films et des concerts. Les résidents se protégeaient lors de leurs déplacements en marchant rapidement et en courant aux carrefours. Les vêtements de sport étaient très répandus et les bicyclettes servaient à transporter les marchandises. Les automobiles étaient souvent camouflées aux couleurs de l’armée, présentaient des impacts de balles et n’avaient pas de fenêtres. Les transports publics sont rarement en service.
En outre, l’ouvrage se concentre sur l’après-conflit, en examinant les efforts de reconstruction et les controverses qui les entourent. Par exemple, la reconstruction d’Oslobodjenje s’est avérée difficile dans la période d’après-guerre en raison du double effacement du bâtiment – représentant à la fois la perte de l’importance passée et des idéaux d’avant-guerre de fraternité et d’unité. La reconstruction des mosquées a suscité un débat et une opposition parmi les Bosniaques religieux et laïques et les résidents d’autres ethnies. La guerre a également eu des répercussions sur la langue. Avant la guerre, la langue officielle de la Bosnie-Herzégovine était le serbo-croate. Cependant, après la guerre, chaque groupe l’a rebaptisé pour qu’il corresponde à son titre ethnique : le bosniaque (lié aux Bosniaques), le serbe (utilisé par les Serbes) et le croate (utilisé par les Croates). L’écriture romaine est devenue l’écriture officielle pour le bosniaque et le croate, tandis que le cyrillique a été utilisé pour le serbe. Les stratégies de guerre visant à cibler les monuments architecturaux culturels, sociaux et sociétaux ont conduit à l’enracinement du conflit et de la violence ethnique sur le plan du groupe, altérant à jamais le potentiel d’intégration socioculturelle de Sarajevo.
Dans l’ensemble, Architecture, Urban Space and War propose une approche pluridisciplinaire pour comprendre les dimensions spatiales des conflits politiques. Sarajevo est une étude de cas cruciale pour analyser la différence entre le nationalisme civique et l’ethnonationalisme. L’ouvrage combine des cadres théoriques, une cartographie urbaine et une analyse empirique afin de mettre en lumière l’interaction complexe entre l’architecture, l’espace urbain et la dynamique de la guerre. Il fournit des informations précieuses aux universitaires, aux urbanistes, aux architectes et à tous ceux qui s’intéressent à l’impact profond des conflits sur les villes et les sociétés. Elle souligne l’importance durable des espaces architecturaux et urbains dans la formation de la mémoire collective, de l’identité et de la résilience face à l’adversité.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).
