Atteindre de l’état de préparation opérationnelle au moyen de jeux de guerre : adapter l’Armée canadienne pour relever les défis imminents
par Majore Mikalena Halos
Alors que l’Armée canadienne s’efforce de devenir une force solide, modernisée et efficace, on ne saurait trop insister sur l’importance de la réflexion stratégique et de la créativité. Il est important de posséder un équipement moderne et efficace. Cependant, comprendre les tactiques associées à ces nouvelles capacités s’avère sans doute tout aussi essentiel que les capacités elles-mêmes. Le Canada, de même que ses alliés, a bouclé la boucle en réintroduisant une pratique ancestrale, utilisée dans les guerres anciennes et modernes, pour éclairer les tactiques et les stratégies : les jeux de guerre.
Par définition, un jeu de guerre est une simulation ou une modélisation qui reflète un scénario de conflit militaire. Il peut être utilisé pour étudier la prise de décisions, la stratégie, la déception ou la logistique en créant ou en recréant un scénario dans lequel chaque joueur est confronté à une force ennemie consciente et réfléchie dans un environnement contrôlé. Bien que d’autres méthodes d’instruction aient leurs mérites, aucune ne peut reproduire la complexité et l’exhaustivité de la simulation de conflits obtenues grâce aux jeux de guerre. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’instruction de niveau supérieur, jusqu’au niveau divisionnaire.Note de bas de page 1
Il existe des éléments de preuve documentés de l’existence de jeux de guerre tout au long de l’histoire : depuis les historiens grecs anciens Thucydide et Polybe, qui analysaient les décisions tactiques, contribuant ainsi indirectement à l’étude et à la répétition de la guerre, jusqu’à Georg Leopold von Reiswitz, à qui l’on attribue l’exemple plus récent et plus notable du « Kriegsspiel » (terme allemand signifiant « jeu de guerre »), élaboré dans les années 1820 à l’intention de l’armée de terre prussienne. Durant la Seconde Guerre mondiale, on a accru l’utilisation croissante des jeux de guerre pour planifier les opérations et informer les commandants. Depuis, cette pratique a évolué avec l’apparition de jeux de guerre modernes assistés par ordinateur (et l’accès moderne à l’information), qui permettent d’accroître la capacité à modéliser des opérations militaires complexes et les technologies qui les rendent possibles.Note de bas de page 3
L’Armée canadienne est en train de moderniser ses forces de plusieurs façons : capacités, technologie, tactiques, instruction, organisation et structure des forces. Pour étudier de quelle façon les nouvelles capacités peuvent se comporter face à des adversaires modernes, les jeux de guerre offrent une occasion incroyable de mettre à l’essai ces capacités et la manière dont nous les utilisons dans un environnement sûr, souple et rentable. Le jeu de guerre nous donne un aperçu de la réflexion stratégique des entités amies et ennemies, des capacités requises, ainsi que des forces et des faiblesses doctrinales/conceptuelles des deux forces.
La puissance des jeux de guerre modernes a été reconnue par bon nombre de nos partenaires alliés. Par exemple, notons le programme « Future Study Program » de l’armée de terre américaine, une série de jeux de guerre stratégiques visant à analyser les défis futurs en matière de sécurité et à éclairer la planification de la défense; l’exercice australo-américain TALISMAN SABRE, un jeu de guerre multinational axé sur la planification des mesures à prendre en cas de crise et les interventions d’urgence, qui permet de renforcer les capacités militaires des deux pays; et l’exercice CERBERUS, dirigé par le Royaume-Uni, qui visait à montrer les capacités de combat et à renforcer l’interopérabilité entre les forces britanniques et allemandes.Note de bas de page 4
En ce qui concerne nos propres forces et capacités, l’Armée canadienne a recours à la simulation de guerre pour appuyer ses efforts de modernisation. Plus récemment, pendant deux semaines en avril 2025, le Centre de guerre terrestre de l’Armée canadienne (CGTAC), appuyé par le Centre de guerre interarmées du Canada (CGIC) et l’Équipe de modernisation de l’Armée (EMA), a coordonné un jeu de guerre qui a permis de tester la structure, l’emploi et les capacités d’un Groupe-brigade mécanisé du Canada (GBMC) de 2027 et 2033 contre un adversaire de force équivalente. Le jeu s’est déroulé à Valcartier, au Québec, durant deux semaines. Deux équipes, représentant un GBMC et un groupe-brigade adverse, se sont rencontrées dans un théâtre d’opérations euratlantique. Le scénario prévoyait une rencontre dans le cadre d’opérations de combat majeures, au cours desquelles les deux équipes tentaient de s’emparer d’objectifs clés. Au total, quatre spirales ont été réalisées, où l’on a reproduit le même scénario, mais modélisé les structures des brigades sur la base des capacités actuelles et futures qui devraient être mises en place entre 2027 et 2033. Les membres du personnel de la brigade, en équipe de dix, ont été affectés à leurs fonctions respectives afin de s’assurer que les joueurs disposaient des connaissances et de l’expérience nécessaires pour jouer leur rôle de manière appropriée et de cerner les lacunes et les faiblesses liées à l’emploi qui sont apparues tout au long de l’activité. Au total, les joueurs et les observateurs ont soumis 131 observations sur divers sujets tactiques et opérationnels.
Tout en abordant les principales faiblesses, vulnérabilités et lacunes des structures actuelles et proposées du GBMC, on a notamment indiqué ce qui suit :
On a déterminé que l’écart entre la fonction Détection et la fonction Action ont représenté un défi étant donné le manque de connaissance de la situation pour pleinement utiliser l’équipement au front et maximiser ses avantages. Il s’est avéré difficile d’exécuter certaines manœuvres et on a constaté un manque de capacité offensive. Les ressources liées à la fonction Détection n’étaient pas adéquatement regroupées, et aucune pénétration n’a été possible en profondeur.
Si le régiment de cavalerie lourde s’est montré efficace face aux bataillons de chars, il a toutefois entraîné d’importantes pertes. On a eu recours à des tirs a priori, y compris des tirs indirects et des champs de mines dispersables, et on pourrait être appelé à revoir les règles d’engagement (RE) afin de permettre une réponse plus rapide.
Quelle que soit la tournure prise par les événements, notre puissance de feu était inférieure. On doit réévaluer la lutte contre les contrebatteries ennemies. La portée élargie de l’artillerie à roquettes est essentielle pour neutraliser l’artillerie d’appui, ce qui permet une meilleure concentration des tirs et une maniabilité accrue en combat rapproché, ce qui accroît l’efficacité globale.
Les systèmes sans pilote et les munitions rôdeuses nécessitent beaucoup moins d’entretien et offrent un impact considérable qui peut être exploité. L’utilisation de munitions rôdeuses comme plateformes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance accroît notre capacité d’identification tout en nous donnant la possibilité de frapper.
Les QG ont besoin d’installations plus petites. Les fonctions liées à la guerre électronique nécessitent la capacité de fournir des postes de commandement leurres et des objectifs de grande importance.
À l’issue du jeu de guerre, le CGIC, le CGTAC et l’EMA ont compilé toutes les données, défini des modèles observables et formulé des recommandations basées sur les contributions des joueurs et sur ces données. Un rapport de 42 pages détaillant la structure du jeu de guerre, les conclusions et les recommandations constitue déjà un point de départ vers la modification du plan de développement des capacités de l’Armée canadienne pour l’avenir.
Après le succès de cette activité et les nombreuses leçons retenues de son déroulement, l’Armée canadienne entreprend la prochaine étape dans le domaine des jeux de guerre : le combat au niveau divisionnaire. De nombreux aspects de la guerre n’ont pas été abordés dans le cadre de cette activité, notamment les tirs de précision en profondeur ainsi que l’influence de la surveillance spatiale et des interférences de la guerre électronique. Bon nombre de ces aspects ont désormais une influence considérable sur le champ de bataille actuel. À mesure que la modernisation s’accélère, de nouveaux domaines opérationnels devront être intégrés aux exercices de simulation afin de continuer à préparer notre personnel à prendre des décisions dans un environnement de plus en plus complexe et multiforme. Afin de s’assurer que l’Armée canadienne analyse ces domaines, une campagne de jeux de guerre a été mise sur pied. Elle mettra l’accent sur les opérations de façonnage, les opérations habilitantes, ainsi que le soutien médical, le soutien logistique et le maintien en puissance. Il est temps que l’Armée canadienne joue son rôle, c.-à-d. être un acteur influent qui participe à l’évolution de la guerre moderne, de même que faire des progrès vers la constitution d’une force puissante, létale et technologiquement avancée.
À propos de l’auteure
La majore Halos, officière des transmissions, exerce actuellement des fonctions au sein du Centre de guerre terrestre de l’Armée canadienne (CGTAC) à Kingston, en Ontario. Elle s’est enrôlée dans les Forces armées canadiennes en 2016 et a été affectée au Régiment des transmissions interarmées des Forces canadiennes à Kingston, en Ontario. Dans le cadre de cette affection, elle a participé à un déploiement au Mali dans le cadre de l’opération PRESENCE en 2019. Depuis son enrôlement, elle a eu trois enfants. Elle exerce toujours des fonctions au sein du CGTAC à titre de coordonnatrice des jeux de guerre et chef de l’équipe d’expérimentation interarmées.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).
