Retour vers le futur : réexaminer l’usage de la « suprématie de neutralisation » pour l’emporter et atténuer la destruction globale dans la guerre urbaine

par Charles Knight, Ph. D.

À Groningue, cependant, la 2e Division d’infanterie du Canada allait faire face à une résistance beaucoup plus forte. Elle allait également devoir composer avec une nouvelle contrainte… [Les Canadiens] n’utiliseraient pas d’artillerie et d’appui aérien contre la ville, car il était entendu que les dommages à la ville devaient être évités dans la mesure du possible. Cela marquait un écart par rapport aux tactiques de bombardement que les Canadiens avaient utilisées lors d’attaques urbaines antérieures comme à Ortona et à Caen, et obligeait la 2e Division à non seulement ajuster ses tactiques pour tenir compte de la perte de puissance de feu, mais aussi pour minimiser les pertes civiles et les dommages collatéraux. [Traduction]Note de bas de page 1 

Introduction

Le conflit en Ukraine a mis l’accent sur les zones urbaines, tandis qu’à Gaza, les combats sont intensément urbains. En Ukraine, ce qui a commencé comme une invasion et une confrontation entre deux armées conventionnelles non préparées au combat urbain a dégénéré en tactiques et dépenses qui rappellent la Grande Guerre. Malgré la technologie avancée de l’armée israélienne, ses opérations à Gaza ont causé d’importants dommages politiques et physiques, mettant en évidence les graves conséquences de la guerre urbaine.

Lorsque les attaquants sont incapables de manœuvrer, ils ont souvent recours à la puissance de feu et à l’assaut progressif, ce qui entraîne de nombreuses pertes civiles et des dommages collatéraux massifs. Cette tendance, observée dans les récentes batailles urbaines telles que celles de Marioupol et de Bakhmut, rappelle les conflits à Falloujah, Raqqa et Mossoul, où les défenseurs ont incité les attaquants à utiliser les bombardements. En Ukraine, où les deux camps utilisent l’artillerie à une échelle industrielle et des véhicules blindés, les combattants attaquants paient un prix tout aussi élevé.

La question qui se pose est la suivante : les forces occidentales peuvent-elles éviter le type de combat urbain conventionnel destructeur que l’on observe en Ukraine? Les analystes suggèrent que la guerre urbaine persistera, étant donné les incitatifs politiques et tactiques qu’elle offre.Note de bas de page 2  Bien que les dirigeants militaires britanniques et américains reconnaissent la nécessité de se préparer à combattre dans les villes,Note de bas de page 3  les armées occidentales, façonnées par des décennies de contre-insurrection et de préparation à la guerre de manœuvre dans les plaines d’Europe, montrent des signes d’investissement incohérent dans la capacité de guerre urbaine. Par exemple, alors que les Allemands, les Français et les Singapouriens ont chacun construit d’excellentes « villes » d’instruction, cela ne résout pas leurs problèmes de manque de munitions et de plateformes appropriées. Dans l’ensemble, cette situation rend les armées occidentales potentiellement vulnérables, surtout si l’évaluation d’Anthony King selon laquelle nos armées sont trop petites pour l’emporter dans les villes s’avère exacte.Note de bas de page 4 

Cependant, ce problème peut être résolu. Les succès historiques laissent entendre que les applications ciblées d’une plus grande puissance de feu, même si elles sont utilisées en nombre limité, peuvent compenser les limites de la taille de la force. Paradoxalement, une telle approche peut réduire la destruction et les souffrances urbaines totales. Cet article suggère que les armées occidentales s’inspirent des succès passés en matière de guerre urbaine interarmes et reviennent à l’application du principe de guerre de la concentration de la force pour parvenir à une suprématie de neutralisation. Pour ce faire, il conviendrait de doter les éléments de tête des capacités requises pour neutraliser immédiatement les points de résistance. La clé est la disponibilité. Bien que l’utilisation d’une puissance de feu écrasante soit la norme en terrain découvert, elle ne fait pas partie de l’idéologie actuelle sur les combats urbains. Des décennies de contre-insurrection incitent à la prudence et au recours privilégié à l’infanterie, ce qui est souvent insoutenable. En règle générale, lorsqu’une force aux ressources limitées subit des pertes, elle revient à des tirs indirects moins discriminants et plus destructeurs.

Cet article souligne qu’historiquement, dans certains cas, le recours à une force directe écrasante a permis de réduire localement le nombre total de victimes et les dommages collatéraux. Il suggère que le rétablissement d’une capacité puissante et assurée de pénétration et de neutralisation des menaces derrière des structures est crucial. De plus, il existe d’autres façons de neutraliser (c.-à-d. de rendre inefficace ou inutilisable) un ennemi urbain, y compris le recours à des systèmes d’ingénierie permettant de remodeler le champ de bataille et d’acquérir la capacité de combattre dans l’obscurcissement.

Les arguments en faveur du changement sont présentés dans le cadre d’une analyse de la probabilité, de la nature et des défis des opérations urbaines, suivie d’un examen d’un exemple de capacité de suprématie de neutralisation du Commonwealth britannique, d’une analyse de sa nature, d’un examen des leçons tirées de l’utilisation historique des véhicules terrestres sans équipage (UGV), d’une explication de la technologie d’obscurcissement pertinente et, en conclusion, d’une description des éléments de la capacité urbaine nécessaire. Il est important de noter que, bien que les systèmes d’aéronef sans équipage aient récemment modifié radicalement les combats, y compris dans les centres urbains, cet article s’inspire plus particulièrement des contextes historiques dans lesquels les UGV ont été présents à grande échelle.

Guerre urbaine : probabilité et défis 

La guerre urbaine est à la fois de plus en plus probable et de plus en plus difficile pour les armées occidentales. Les analystes affirment depuis longtemps que « l’avenir de la guerre est dans les villes » [Traduction]Note de bas de page 5 . Cela découle logiquement des quatre mégatendances de Kilcullen : croissance démographique, urbanisation, littoralisation et connectivité, qui, ensemble, dictent un avenir urbain pour la planète.Note de bas de page 6  La notion selon laquelle les armées peuvent éviter de s’engager dans un combat désavantageux dans les villes est réfutée par des cas tels que l’attaque initiale, politiquement motivée, des États‑Unis contre Falloujah en 2004,Note de bas de page 7  qui était en grande partie une réaction émotionnelle impulsive aux images des corps horriblement mutilés de quatre entrepreneurs militaires privés américains. Elle a été menée en dépit de conseils militaires fermes et prémonitoires, et a eu des conséquences stratégiques désastreuses pour l’ensemble du conflit.Note de bas de page 8 

La violence apparemment inévitable dans l’avenir urbanisé de l’humanité peut être comprise en examinant trois facteurs clés : la couverture urbaine, les conflits communautaires et l’urbanisation. Toutefois, il ne s’agit pas des seuls facteurs. Les villes continueront d’être des objectifs militaires parce qu’elles sont des centres de communication, de ressources et de pouvoir politique. La majeure partie de la population mondiale vivant dans des zones urbaines mal desservies et en croissance rapide, l’espace rural est plus limité aujourd’hui qu’il ne l’était lors des conflits antérieurs. En outre, compte tenu de la concentration des communautés, les frictions entre celles-ci et la concurrence pour des ressources limitées entraînent des conflits. Par ailleurs, les adversaires qui évitent la détection des capteurs aériens peuvent chercher la couverture physique du tissu urbain, tandis que les ennemis asymétriques de l’Occident peuvent chercher la proximité des civils pour inhiber la pleine puissance des armes modernes. Les villes sont devenues leurs espaces de combat préférés.Note de bas de page 9 

Image 1 : Les trois moteurs du combat urbain
Figure 1 : Les trois moteurs du combat urbain

Graphique illustrant la croissance de l’urbanisation, l’augmentation des conflits communautaires et l’objectif des adversaires de chercher une couverture physique et politique pendant un conflit.

Les combats contemporains dans les zones urbaines posent un éventail de problèmes militaires et politiques, y compris celui de la non-préparation.Note de bas de page 10  Il pourrait être utile de reconnaître qu’il existe des complications potentielles causées par le terrain physique et les complexités découlant de la présence de populations.Note de bas de page 11  Les opérations militaires amènent les membres des populations à assumer des rôles allant de personnes à charge à adversaires, influençant ainsi le récit de la guerre informationnelle et entraînant des conséquences politiques imprévisibles. Ainsi, alors que les murs rendent la guerre urbaine compliquée, les populations la rendent véritablement complexe.Note de bas de page 12

Le combat urbain rapproché : le recours par défaut au bombardement

Il ne fait aucun doute que les bâtiments permettent de tendre des embuscades. Par le passé, l’élimination d’opposants obstinés des bâtiments, que ce soit à Jérusalem en l’an 60 ou à Marawi en 2017, a entraîné des pertes additionnelles en vies humaines. Les combattants doivent encore et encore pénétrer dans des espaces clos, se battant souvent à un ratio de 1:1 sans le soutien de leurs camarades lorsqu’ils pénètrent de tels espaces. Une fois à l’intérieur, les combattants peuvent être pris en embuscade ou tomber dans des pièges. Pour éviter cela, la réponse privilégiée a été d’éliminer la menace en détruisant les bâtiments par le feu ou des tirs d’artillerie. Depuis la fin du XIXe siècle, il existe une autre méthode : les explosifs brisants (EB). Avec une diminution de la précision et du risque pour l’utilisateur, les EB peuvent être placés, lancés, tirés directement sur une trajectoire plane par des canons, tirés indirectement à haute altitude par des mortiers et des obusiers, ou largués par des avions.

Les bombes aériennes EB en chute libre et les obus et bombes de mortier tirés indirectement se dispersent en vol, répartissant les effets létaux sur une zone et étendant ainsi la destruction urbaine. Bien que la suprématie aérienne lors des conflits récents ait permis aux armées occidentales d’utiliser les munitions à guidage de précision larguées par avion de manière plus sélective, la dévastation n’a pas été évitée : Amos Fox l’a qualifiée de « paradoxe de la précision » [Traduction].Note de bas de page 13  Au cours des 60 dernières années, il y a eu peu de cas où une armée est venue à bout d’une défense urbaine déterminée et compétente sans avoir recours à de vastes bombardements aériens ou d’artillerie.

Souvent, le recours à la puissance de feu indirecte a été le seul moyen de frapper l’ennemi en terrain urbain ou de soutenir un élément isolé. Par exemple, lors de la tentative de prise de contrôle de Marawi par l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIS) et le groupe Maute en 2017, des soldats des Forces armées des Philippines sont tombés dans une embuscade et leurs véhicules blindés ont été détruits, laissant les survivants pris au piège. Seuls des tirs de protection aériens et d’artillerie menés sur plusieurs jours ont empêché les soldats d’être submergés par l’ennemi.Note de bas de page 14  Marawi est un cas inhabituel où une telle puissance de feu a été utilisée rapidement et où les contraintes sont apparues plus tard. En règle générale, dans les zones peuplées, il y a des restrictions strictes sur la puissance de feu qui s’assouplissent au fur et à mesure que des pertes amies surviennent. Dans les batailles urbaines en Tchétchénie, en Irak et au Levant, il y a des exemples où il semble qu’une fois que les assaillants ont subi des pertes allant d’une section à un peloton, il y a eu un passage officiel ou non officiel à des tactiques plus robustes.Note de bas de page 15  Dans les situations où les attaquants possédaient une puissance de tir directe écrasante ou des bouteurs blindés, ils les utilisaient. Autrement, ils comptaient sur l’artillerie indirecte et la puissance aérienne. Les défis militaires, éthiques et politiques de ce type de bombardement de zone demeurent importants.

D’un point de vue tactique, une ville réduite à l’état de ruines devient un obstacle permanent à l’intérieur duquel un défenseur peut se battre, se déplacer et se cacher. Sur le plan opérationnel et parfois stratégique, ses installations, ses routes et ses approvisionnements sont refusés à l’attaquant. La destruction des infrastructures et des ressources peut générer des problèmes politiques, comme un changement dans le récit de guerre contre l’attaquant, et des défis moraux avec un potentiel de pertes immédiates et de dommages civils réverbérants liés aux maladies, aux pénuries alimentaires et aux flux de réfugiés.Note de bas de page 16  Les niveaux catastrophiques de dommages causés par la guerre urbaine ont motivé la mise en œuvre d’initiatives de la société civile et du droit international humanitaire (DIH) visant à restreindre l’utilisation des « armes explosives à zone d’effet étendue » qui, si elles sont adoptées, sont susceptibles d’imposer des contraintes tactiques supplémentaires.Note de bas de page 17  En tout état de cause, si les bombardements indirects affaiblissent et suppriment temporairement les défenseurs, ils ne parviennent souvent pas à les neutraliser.

Comme le soutient cet article, il y a de meilleures façons de mener la lutte urbaine, parce que nos armées les ont utilisées autrefois. À partir de la seconde moitié de 1944, les armées alliées occidentales ont évité le bombardement des zones urbaines pour des raisons politiques, mais ont surmonté des défenses urbaines soigneusement préparées. Paradoxalement, la concentration locale de la puissance de feu à des niveaux de suprématie de neutralisation, y compris la guerre des flammes, s’est avérée supérieure sur le plan éthique et tactique : les dommages civils ont été considérablement réduits.

Formations interarmes et neutralisation directe

La Seconde Guerre mondiale a montré qu’un combat urbain efficace exige une puissance de feu ciblée et des formations interarmes : l’intégration de bas niveau et synergique de l’infanterie, des blindés, du génie et d’autres armes. Chaque « arme » a contrecarré les vulnérabilités de ses compagnons et a renforcé leurs forces : l’infanterie a protégé les chars de l’infanterie ennemie, la puissance de feu des chars a systématiquement détruit les positions ennemies repérées par l’infanterie et les ingénieurs ont coupé ou tracté de nouvelles routes pour les chars et l’infanterie à travers les bâtiments et les décombres, en utilisant de grosses charges de démolition pour détruire les obstacles et les centres de résistance. Comme en terrain découvert, l’application du principe de concentration de la force a permis de mener à bien la mission, de gagner en rapidité et de réduire les pertes. Le mécanisme principal était la neutralisation de l’ennemi par :

  • la destruction des positions ennemies dans les bâtiments, mais aussi de façon moins évidente par :
  • l’ouverture de nouveaux chemins pour éviter les champs de tir et les mines,
  • la création d’écrans physiques ou obscurcissants pour la manœuvre.

Le combat interarmes urbain a dû être appris. À la fin des années 1930 (comme peut-être aujourd’hui), la plupart des armées de terre considéraient les villes comme un terrain de combat pour l’infanterie après avoir constaté la perte de chars dans des embuscades urbaines en Espagne et en Chine. Elles ont découvert que les bâtiments limitaient la capacité d’une force d’infanterie supérieure à concentrer ses tirs d’armes légères sur des positions ennemies insurmontables. Cela a accentué l’importance des tirs d’armes de soutien plus puissants, en particulier les tirs directs, parce qu’ils pouvaient être précis et immédiatement disponibles.

L’utilité de l’appui-feu protégé par des blindés est devenue évidente lors des invasions de la Pologne, de la France et de l’URSS. L’infanterie allemande a réalisé des progrès relativement rapides, soutenue par l’artillerie Begleitbatterien équipée de véhicules blindés automoteurs armés de canons de 75 mm connus sous le nom de Sturmgeschuetz. En réponse à cette tactique, les Soviétiques ont déployé le SU‑76, doté d’armes similaires. Dans la seconde moitié de la bataille de Stalingrad, la doctrine des deux armées a mis l’accent sur le tir direct et rapproché de EB. Les alliés occidentaux sont parvenus à la même conclusion, comme en témoigne l’utilisation par les Canadiens de chars et de canons antichars lors de la bataille d’Ortona en 1943, où, dans la mesure du possible, les assauts de l’infanterie contre les bâtiments ont été menés dans des pièces détruites par des obus ou des explosifs placés à la main.

La technique de l’infanterie lors des combats interarmes de la Seconde Guerre mondiale a évolué pour devenir l’antithèse du combat rapproché (CR) débarqué « chirurgical » contemporain. L’entrée était précédée par l’utilisation libérale de grenades et de tirs d’armes légères à travers les murs, les planchers et les plafonds. Les pertes de non-combattants n’étaient pas une considération clé. La Wehrmacht tirait des grenades à fusil Schiessbecher de 30 mm à travers les fenêtres et les portes.Note de bas de page 18  L’Armée américaine enseignait qu’il était « suicidaire » d’entrer dans une pièce sans d’abord s’assurer que tous les ennemis à l’intérieur étaient morts ou hors de combat. Elle mettait l’accent sur des techniques telles que le perçage de trous dans les murs intérieurs pour y placer des grenades, de préférence des grenades percutantes M3 avec une charge explosive quatre fois supérieure à celle des grenades à fragmentation.Note de bas de page 19  De même, le drill de déchargement au niveau de la section du Commonwealth britannique s’articulait autour d’une section qui suivait et soutenait les deux bombardiers qui bombardaient systématiquement toutes les pièces d’un bâtiment. Les assauts étaient non seulement menés à l’aide de mitrailleuses, mais également de HE, de mortiers de 2 pouces, de lanceur et de tirs de chars de l’extérieur du bâtiment dirigés par le commandant de peloton. Fait révélateur, un officier britannique commandant les troupes pendant la bataille de Goch en 1945 a observé : « nous n’avons presque jamais vu un Allemand vivant » [Traduction], ce qui indique que les défenseurs s’étaient retirés ou étaient morts avant que les équipes de dégagement n’entrent dans les bâtiments ou les salles.Note de bas de page 20  Plus important encore, toutes les armées de terre ont appris à concentrer leurs forces et à réduire le besoin de déblaiement en utilisant des explosifs brisants comme munitions, de préférence livrées à partir d’une plateforme blindée capable de résister et avec l’instantanéité et la relative précision du tir direct.

Tir direct décisif

Le combat urbain sur le front de l’Est a enseigné aux armées adverses que, même si des canons d’un calibre d’environ 75 mm dotés d’une charge de EB de 500 g (typique) pouvaient neutraliser les défenseurs dans des bâtiments plus légers, réduisant et mettant ainsi fin à l’opposition efficace dans les centres de résistance préparés, les structures en pierre et en ferrociment exigeaient au moins des obus de calibre moyen dotés d’une charge de EB d’environ 5 kg. Les deux camps ont développé des canons automoteurs lourdement blindés pour les combats de rue. L’expérience allemande avec le Sturmpanzer armé d’un canon de 150 mm a mené au Sturmtiger qui, comme démontré à Varsovie en 1944, pouvait détruire des centres de résistance dans de grands bâtiments au moyen d’un seul projectile de mortier de 380 mm avec une charge EB de 125 kg. L’ISU‑152 soviétique, connu pour son blindage lourd et sa fiabilité, pourrait être considéré comme une des plateformes d’appui-feu urbaines les plus efficaces jamais mises en service. Les obus pénétrant le béton et à fusion retardée tirés par son canon à grande vitesse de 152 mm pouvaient percer plusieurs murs et exploser profondément à l’intérieur des bâtiments défendus.

Les effets tactiques décisifs des grosses têtes militaires EB contre les bâtiments défendus ont également incité les Soviétiques à improviser des moyens de tirer des roquettes Katyusha M13/M30 depuis l’intérieur de bâtiments sur des objectifs adjacents, à des distances allant jusqu’à 30 mètres. Lors de la bataille de Berlin, ces roquettes ont détruit plus de 120 bâtiments. Une modification a consisté à encastrer la roquette d’origine dans 50 kg de TNT supplémentaires pour créer une « torpille terrestre » capable « d’éliminer la garnison d’un bâtiment » d’un seul coup [Traduction].Note de bas de page 21

En comparaison, avant l’invasion de l’Europe, les alliés occidentaux ne pensaient pas avoir besoin d’armes blindées à tir direct plus puissantes, sauf pour percer les défenses en béton du mur de l’Atlantique. Ce n’est que lorsque les commandants ont ignoré la doctrine que la puissance de ces armes a été révélée. Par exemple, lors de la bataille d’Aix-la-Chapelle en 1944, une force d’assaut interarmes basée sur deux bataillons d’infanterie américains a lutté pour avancer contre une défense allemande résolue. L’utilisation d’un canon automoteur non blindé de 155 mm, spécialement placé pour le tir direct, a eu des effets immédiats et importants. Les défenseurs se sont rapidement retirés des bâtiments frappés par ses obus à retardement, car il créait des brèches successives dans les murs intérieurs, permettant à l’infanterie de progresser discrètement. Enfin, il a commencé à frapper le bunker en béton du poste de commandement. Pour citer le commandant allemand, le colonel Wilck : « Lorsque les Américains commencent à utiliser des canons de 155 mm comme fusils de tireur d’élite, il est temps d’abandonner » [Traduction].Note de bas de page 22

Contraintes alliées relatives aux tirs indirects

Comme c’est le cas pour l’Armée russe aujourd’hui, l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale considérait l’artillerie comme le « Dieu de la guerre » sur tous les terrains, avec des bombardements de zone massifs précédant les attaques urbaines. Dans les larges routes et avenues des villes industrielles de l’URSS occidentale, l’obstruction par les décombres était rarement prohibitive. Dans les vieilles villes plus denses de Pologne, les constructions à ossature de bois dominaient et brûlaient rapidement, forçant les défenseurs à évacuer les lieux. Dans des cas comme l’assaut contre la ville moyenne d’Insterburg (aujourd’hui Tchernyakhovsk), la résistance dans les ruines n’a duré que quelques heures. Les alliés occidentaux ont cependant dû apprendre à se battre sans compter sur une telle puissance de feu. Les attaques contre les zones urbaines après le jour J, y compris celles de Caen, du Havre et de Boulogne, ont été précédées de bombardements aériens, tuant de nombreux civils français et créant des obstacles continus. Les conséquences politiques et tactiques ont obligé les alliés à changer de tactique, en évitant les bombardements aériens et en limitant les tirs d’artillerie indirects plus lourds. En dépit de ces restrictions, à la fin de 1944, les armées du Commonwealth britannique avaient maîtrisé les opérations interarmes en milieu urbain et étaient en mesure de nettoyer de manière répétée et régulière des villes bien défendues, avec un faible niveau de pertes.Note de bas de page 23 

Suprématie de neutralisation avec tir direct : un exemple canadien

À la fin de 1944 et en 1945, les formations d’infanterie canadiennes ont traversé les Pays-Bas jusqu’en Allemagne. Manœuvrant à travers les tirs défensifs et les champs de mines dans leurs véhicules blindés de transport de troupes Kangaroo sans tourelle, elles ont mené avec succès des assauts urbains successifs à un coût modeste en intégrant étroitement le combat avec les unités du génie d’assaut blindées britanniques de la 79e Division blindée du général Percy Hobart.Note de bas de page 24

Même si les limites imposées aux bombardements aériens signifiaient que les rues n’étaient plus bloquées par les décombres, les positions et les champs de tir des défenseurs sont restés intacts. La capacité des Allemands à attaquer à partir d’un défilement latéral constituait un défi particulier. L’obscurcissement par la fumée a favorisé l’avancée des Canadiens. Ces derniers ont utilisé des grenades à main au phosphore blanc (WP) et des bombes de mortier de 2 pouces pour permettre aux chars et à l’infanterie de se diriger sans être vus vers de nouvelles positions de tir (un perfectionnement d’une technique apprise lors de la bataille d’Ortona). Néanmoins, au fur et à mesure de leur progression, les chars armés de canons de 75 mm étaient vulnérables aux embuscades antichars, particulièrement lorsqu’ils étaient exposés à des tirs multiples pour neutraliser des bâtiments défendus. L’absence d’un canon automoteur blindé s’est fait cruellement sentir, mais une autre capacité est venue combler l’écart. Le recours aux véhicules d’assaut blindés de combat du génie équipés de lames de bouteur, de lance-flammes ou de canons de démolition qui avaient été conçus pour surmonter les obstacles le jour J s’est avéré essentiel pour l’emporter en milieu urbain.Note de bas de page 25

Le char lance-flammes Churchill Crocodile et l’Armoured Vehicle Royal Engineer (AVRE) étaient lourdement blindés et lents, mais ils avaient une capacité exceptionnelle à franchir les obstacles urbains et les décombres, tandis que les bouteurs blindés Centaur pouvaient dégager de nouvelles voies pour éviter les zones d’abattage ennemies. Les Canadiens ont mis au point une puissante technique d’assaut. Chaque fois que l’infanterie de tête rencontrait une résistance, elle se mettait à couvert et un Crocodile tirait une flamme de démonstration dans la rue. La piste brûlante et fumante obscurcissait la ligne de visée des canons antichars ennemis, tandis que la chaleur rayonnante dissuadait l’avancée de l’infanterie avec des armes antiblindées portatives. Un AVRE avançait ensuite et tirait une bombe de démolition de 12,7 kg. Les munitions, conçues pour ouvrir une brèche dans les emplacements en béton lourd, faisaient s’effondrer les bâtiments et créaient des nuages de fumée et de poussière qui maintenaient l’obscurcissement. Le Crocodile suivant enflammait alors la cible brisée. Les défenseurs allemands normalement déterminés avaient tendance à se replier.Note de bas de page 26

Le recours aux armes à flamme pour exercer la suprématie de neutralisation

La capacité de suprématie de neutralisation des armes à flamme est intuitive et a été démontrée dans tous les théâtres de la Seconde Guerre mondiale par les changements provoqués par ces armes dans le comportement des troupes attaquées.Note de bas de page 27  Par exemple, le rythme des combats de l’armée américaine, en 1944, pour capturer le port fortifié de Brest s’est accéléré lorsque 15 lance-flammes blindés britanniques sont arrivés.Note de bas de page 28  De même, plus tard cette année-là, alors qu’ils combattaient pour éliminer les parachutistes alliés encerclés autour d’Arnhem, les Allemands ont d’abord subi de lourdes pertes en dégageant les bâtiments. En utilisant des canons d’assaut automoteurs et des lance-flammes, les Allemands ont pu chasser les parachutistes des centres de résistance.Note de bas de page 29 

Il y a un paradoxe moral contre-intuitif. Le feu est une arme horrible et cause sans doute des souffrances excessives. Cependant, bien que son utilisation lors des batailles de 1945 dans les basses terres ait causé l’incendie des bâtiments ciblés et de ceux qui leur étaient adjacents, il y a eu beaucoup moins de destructions et de victimes de toutes sortes que lors des bombardements aériens et d’artillerie urbaine de 1944 en Normandie. Cet article ne plaide pas en faveur du retour de la capacité de lance-flammes, bien que son utilité soit soulignée par les développements chinois actuels en matière d’armes à flamme,Note de bas de page 30  mais l’utilisation réussie de lance-flammes blindés par le Commonwealth démontre la puissance tactique des formations interarmes qui applique de manière synergique des effets contre lesquels l’ennemi ne peut se protéger.

Exercer la suprématie de neutralisation

La suprématie de neutralisation est psychologique. Toutes les formations interarmes cherchent à écraser l’ennemi avec des effets concurrents et des dilemmes tactiques, mais dans l’environnement urbain physiquement protecteur, le concept met l’accent sur la génération de « l’impuissance militaire ». L’idée d’effets inexorables est bien illustrée par l’utilisation par Israël de gros bouteurs D30 « doobi » lourdement blindés pour faire s’effondrer des bâtiments plutôt que de les dégager lors des opérations à Djénine en 2002. Les combattants de la résistance islamiste, apparemment déterminés à devenir des martyrs, se sont rendus de manière inattendue. L’un d’eux a expliqué qu’il avait agi ainsi parce qu’il n’avait pas pu remplir son obligation idéologique de tuer un soldat ennemi.Note de bas de page 31  Certains Israéliens en ont tiré une leçon : dans des combats urbains aussi rapprochés, le ratio chars/bouteurs devrait être de 1:1. La masse n’est peut-être pas une condition préalable. À Aix-la-Chapelle, « rendre la résistance futile » a été la contribution psychologique décisive d’un seul canon automoteur non blindé de 155 mm.

L’idée maîtresse est que les éléments de tête rendent rapidement les points de résistance inefficaces ou intenables. Pour ce faire, il faut les détruire purement et simplement, répartir les décombres sur leurs champs de tir et de mines, aveugler leurs champs de tir ou créer des voies pour avancer à couvert. De tels réaménagements nécessitent des explosifs et des machines. Cette compréhension est absente de la conception occidentale de la guerre urbaine dans le cadre de la « contre-insurrection », représentée par l’adoption non critique des techniques de CR des forces d’opérations spéciales.

Anthony King a inventé le terme « forcification spéciale » pour décrire le détournement des méthodes mises au point pour les opérations de récupération dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.Note de bas de page 32  Les assauts rapides et groupés élaborés par les forces d’opérations spéciales pour la lutte contre le terrorisme sont vulnérables aux engins explosifs ou aux contre-attaques et difficiles à coordonner avec une puissance de feu explosive rapprochée provenant de l’extérieur du bâtiment : un avantage décisif abandonné. Paradoxalement, alors que les forces conventionnelles ont adopté avec enthousiasme les méthodes de CR, dans les batailles urbaines comme à Mossoul, les FOS ont changé leurs tactiques pour le combat urbain, se spécialisant dans l’utilisation de munitions guidées de grande taille. L’histoire n’offre que peu d’exemples de « suprématie » de l’infanterie, permettant à celle-ci d’éliminer rapidement des bâtiments des défenseurs déterminés sans avoir recours à des tirs directs ou sans subir de lourdes pertes, et ces exemples mettent en évidence l’importance des effets explosifs.

Lors de la bataille de Berlin en 1945, les Soviétiques ont utilisé localement les stocks capturés de Panzerfaust pour avancer rapidement en ouvrant des brèches successives dans les murs intérieurs. De même, dans les années 1960, des détonations successives d’explosifs puissants en vrac (souvent équivalant à plusieurs kilos de TNT) ont permis aux sapeurs vietnamiens de lancer des attaques à l’aide de charges de sacoche, ainsi que des assauts rhodésiens contre les quartiers généraux des insurgés à l’aide de « charges de carcasse ». La reconnaissance de l’utilité pour les troupes débarquées de disposer d’un puissant outil de neutralisation a mené à la mise au point par les Soviétiques du lanceur RPO‑A, doté d’une tête militaire thermobarique produisant l’effet de souffle d’un obus d’artillerie moyen. Lors des batailles de Grozny, à la fin de 1995, ces armes ont modifié les tactiques, les techniques et les procédures urbaines russes, avec des volées de tir d’appui-feu de trois personnes qui ont éliminé toute résistance des bâtiments, éliminant ainsi le besoin de combat de dégagement. L’enseignement que l’on peut en tirer est que l’infanterie a besoin d’armes de combat avec des ogives beaucoup plus puissantes que les lanceurs de 40 mm, 66 mm ou même 84 mm qui prédominent dans les forces armées occidentales. Cependant, les effets explosifs seuls, même lorsqu’ils sont délivrés par des munitions de précision, ne permettent pas de vaincre un ennemi agile comme les islamistes à Mossoul. Il faut donc des engins blindés.  

La grande valeur de l’AVRE Centurion britannique, aujourd’hui hors services, et du véhicule de combat du génie (VCG) américain M60 est qu’ils ont remodelé le champ de bataille avec des moyens explosifs et mécaniques. Ces véhicules équipés de bouteurs étaient armés de canons de 165 mm capables de tirer un projectile avec quatre fois plus d’explosifs que le plus gros obus de chars (18 kg contre 4 kg dans les munitions HESH de 120 mm). Les VCG occidentaux contemporains n’ont plus de telles capacités et la dépendance contemporaine aux chars de combat principaux (CCP) pour l’appui-feu urbain peut représenter un risque pour une plateforme de grande valeur produisant un effet explosif moindre que les autres solutions. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’emploi par les Soviétiques de roquettes de démolition à courte portée et à forte charge, capables de percer des murs en béton, comme décrit ci‑dessus, n’était pas unique, et les Chinois ont repris ce concept pour leur dernier VCG. La plupart des belligérants de la Seconde Guerre mondiale ont expérimenté avec des roquettes de démolition montées sur des véhicules blindés et le concept d’une petite plateforme dotée de plusieurs tubes d’armes capables de « sauter » et de tirer une volée a été démontré de façon convaincante par l’Ontos de 6 × 106 mm, qui a soutenu le Corps des Marines des États‑Unis pendant la bataille de Hué. Il convient de noter que ces capacités ne nécessitent plus d’équipage; il peut s’agir de UGV.

Neutralisation robotique

Les UGV ont un potentiel évident de transformation du combat terrestre.Note de bas de page 33  Cependant, malgré l’adoption rapide des UGV par les États-Unis pendant l’insurrection irakienne, les efforts massifs de recherche et développement qui ont suivi et les impressionnantes démonstrations de postes de tir télécommandés (PTT), les armées occidentales ont hésité à les adopter. Cette réticence peut être attribuée à un certain nombre de raisons, notamment l’incertitude concernant les liaisons de commande par radiofréquences, particulièrement face aux contre-mesures électroniques, et la menace des munitions antirayonnement ennemies.

En Ukraine, la transformation du combat par drones dans les airs est suivie au sol. Selon les observations, les deux parties utilisent avec succès des UGV pour des tâches de démolition et de guerre électronique, bien que l’efficacité des PTT des UGV déployés près de la ligne de front soit moins claire. En milieu urbain, cependant, des facteurs comme la proximité des opérateurs par rapport aux UGV et des distances d’engagement plus courtes atténuent les défis techniques. Nous savons qu’à l’heure actuelle, les véhicules de base peuvent atténuer certains des risques aigus du combat urbain, comme ils l’ont fait il y a plus de 70 ans.

Les UGV ont été utilisés pour la première fois de manière opérationnelle et pour neutraliser les défenses pendant la guerre d’hiver de 1939. Les Soviétiques ont déployé deux bataillons de téléchars, des chars T‑26 radiocommandés dotés d’un équipage optionnel et délivrant des charges fumigènes, des lance-flammes ou des charges de démolition de 500 kg. Malgré des problèmes de commande, ils ont joué un rôle dans la percée de la ligne défensive de Mannerheim. Les purges menées par Staline au sein de l’agence de développement Ostehburo et l’exécution d’ingénieurs chevronnés ont eu raison de la capacité des chars téléguidés. Toutefois, de manière indépendante, un UGV de démolition à guidage filaire conçu par l’intégnieur militaire Alexandre Petrovich Kazantsev a été brièvement utilisé avec succès par les Soviétiques sur plusieurs fronts en 1941.Note de bas de page 34

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la mise en service par la Wehrmacht de 10 000 UGV de génie d’assaut télécommandés Funklenkpanzer est mieux connue, en particulier le Goliath.Note de bas de page 35  Ce véhicule de démolition compact, en forme de losange, à chenilles et guidé par câble, a livré 60 ou 100 kg de HE. L’autre principal UGV était le Borgward B‑IV, un véhicule blindé à chenilles de la taille d’une voiture qui a été conduit jusqu’à la zone cible par un soldat, puis commandé par radio à partir d’un autre VBC. Sa fonction était de larguer une charge de 500 kg. Même si les UGV n’ont pas répondu aux attentes des Allemands en matière de déminage, les deux types de véhicules se sont avérés utiles en milieu urbain pour ouvrir des brèches et détruire des centres de résistance. Lors de l’assaut de Sébastopol en 1942, ils ont détruit 36 bunkers et 12 positions d’artillerie, et pendant le soulèvement de Varsovie en 1944, ils ont joué un rôle clé dans l’élimination des principales fortifications polonaises.Note de bas de page 36  Les rapports allemands et soviétiques sur l’utilisation des UGV dans un contexte urbain pendant la Seconde Guerre mondiale soulignent que les UGV doivent être :

  1. suffisamment gros pour avoir une garde au sol adéquate, une capacité de franchissement de marches et des espaces dans les décombres et les obstacles urbains;
  2. blindés ou suffisamment résilients pour survivre à un affrontement avec des armes légères ordinaires;
  3. contrôlés par un opérateur capable de surveiller directement leur trajectoire;
  4. dotés de moyens de contrôle résilients;
  5. utilisés dans un contexte toutes armes.

Ces connaissances ont non seulement influencé la conception du Springer, un UGV de démolition de la taille d’une voiture vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais elles demeurent également pertinentes encore aujourd’hui. Bien que sacrifiable comme le Goliath, le Springer était plus gros et relativement étroit avec de hauts barbotins pour franchir les obstacles urbains. En tant que distillation de plusieurs milliers d’engagements urbains, il représente un bon guide pour la configuration d’UGV urbains polyvalents, grâce aux systèmes de commande conçus au cours de 50 années de neutralisation robotisée d’engins explosifs. Une version contemporaine à propulsion électrique pourrait être construite pour un prix inférieur à celui d’un missile Javelin. Elle aurait le volume intérieur nécessaire pour évacuer un blessé ou déplacer du matériel, de l’équipement générateur de fumée ou des munitions pour un système d’arme. À l’instar du Springer, il serait conduit dans la zone d’opérations et, de là, opéré par câble jusqu’à ce que celui-ci soit brisé, puis par signal radio à faible signature. Il serait capable d’effectuer des brèches mécaniques et assistées par explosifs directs et d’autres tâches d’ingénierie. Cependant, plutôt que de transporter des charges de démolition, il pourrait être muni de roquettes de démolition à courte portée, ce qui lui donnerait la capacité de neutraliser, comme un char d’assaut, les forces aéroportables.

La neutralisation par UGV ne se limite pas aux effets explosifs. Elle peut aussi refaçonner le champ de bataille afin de rendre les défenseurs inefficaces. Plusieurs pays ont réussi à convertir des coques de CCP obsolètes en VCG sans équipage. Avec de nouvelles boîtes de vitesses, des roues motrices plus grandes et une lame de bouteur, ils offrent des capacités similaires à celles d’un bouteur et de nombreuses utilisations au-delà du champ de bataille urbain. Ces types à « silhouette basse » sans tourelle ou superstructure importante sont particulièrement adaptés pour pousser rapidement les voies de manœuvre à travers les bâtiments avec un risque minimal de déloger les poutres de soutien horizontales.

Neutralisation par la fumée

La fumée est utilisée depuis des millénaires pour brouiller les pistes en temps de guerre, mais son utilisation massive lors d’opérations de combat en milieu urbain est mal connue du public, peut-être en raison (nécessairement) du peu d’images. Lors de la bataille de Cherbourg, un bataillon de mortiers américain a tiré 11 899 obus au WP de 4,2 pouces. Pendant la Seconde Guerre mondiale, toutes les armées disposaient d’unités spécialisées dans les produits chimiques et les fumigènes, qui étaient régulièrement employées pour fournir un obscurcissement afin de couvrir la brèche dans une zone urbaine et, par la suite, pour permettre aux troupes de traverser des zones dégagées pour attaquer des centres de résistance.Note de bas de page 37  Les Allemands mettaient l’accent sur leurs roquettes fumigènes Nebelwerfer, tandis que les équipes de l’Armée rouge utilisaient des pots fumigènes et des obus de mortier; les deux armées utilisaient des grenades fumigènes pyrotechniques dans les bâtiments. Les alliés occidentaux utilisaient régulièrement des obus d’artillerie et de mortier et des grenades à main au WP – non seulement pour masquer les mouvements à découvert, mais aussi pour frapper et neutraliser les bâtiments défendus en bloquant leurs champs de vision déjà restreints. L’utilisation tactique des techniques fumigènes a été négligée, malgré les technologies de vision qui augmentent leur utilité.

Depuis de nombreuses années, les armées occidentales disposent de blindés capables de combattre dans la fumée et la poussière translucides à l’aide d’imageries thermiques (IT), comme cela a été démontré de façon convaincante lors de la bataille du 73 Easting pendant la guerre du Golfe en 1991. Cet avantage remarquable a récemment été donné à l’infanterie avec des systèmes d’imagerie thermique montés sur la tête, ou montés sur une arme avec des connexions câblées à des écrans montés sur la tête, permettant de « tirer dans les coins ». Pourtant, il semble que seule l’Armée de défense d’Israël ait exploité la technique du combat dans la fumée comme méthode de combat urbain débarqué.

En revanche, depuis les années 1980, les armées occidentales ont réduit leurs stocks de munitions fumigènes et l’entraînement avec ces munitions. Les manœuvres urbaines dans des écrans de fumée efficaces ne sont presque jamais pratiquées. Cela peut découler de la reconnaissance des préoccupations du DIH concernant l’utilisation de WP dans les zones urbaines, du risque mortel pour les non-combattants des obus fumigènes à éjection et à émission de base, ou de considérations de sécurité liées à l’inhalation de fumées cancérigènes et à l’aversion pour le risque découlant de la méconnaissance des grenades au WP.

La technologie offre une voie d’avenir. Les masques respiratoires conventionnels n’offrent pas de protection, contrairement aux versions à recirculation – ils filtrent l’air expiré pour en extraire le dioxyde de carbone, alors que de petites quantités d’oxygène sont fournies par une bouteille ou un générateur chimique. Les troupes qui utilisent des masques à recirculation et des systèmes d’IT peuvent pénétrer dans des espaces fermés (et souterrains) saturés de fumée pour se déplacer et attaquer l’ennemi alors que les adversaires ne peuvent rien voir. Dans la mesure où l’objectif principal de l’utilisation de la fumée est d’obscurcir et que les composés explicitement toxiques sont évités, cette utilisation ne devrait pas enfreindre la convention sur les armes chimiques.

Pour répondre aux préoccupations humanitaires, certains obscurcissants présentent un risque considérablement réduit pour les non-combattants. Cela comprend les générateurs de fumée électromécaniques à base de vapeur (tels que ceux utilisés dans les boîtes de nuit), le glycol thermique ou les mélanges huileux pour générer de grands volumes de brouillard de condensation inoffensif. Les systèmes d’obscurcissement par parachute extracteur peuvent utiliser des fusées à combustible solide, à corps léger et à faible coût pour transporter des charges utiles sur plusieurs kilomètres. Une simple fusée déploie un parachute extracteur pour ralentir le transporteur à une vitesse inoffensive, ce qui disperse une charge utile de pastilles de fumée brûlant à basse température. La combinaison de fumée à faible risque, de recirculation et d’équipement d’IT offre une occasion sans précédent de combattre comme des borgnes au royaume des aveugles.

Prochaines étapes

Le présent document a examiné la nature du combat rapproché urbain à l’aide d’exemples historiques pour souligner la valeur de la capacité de suprématie de neutralisation. Fait important, il démontre que sans ces capacités, et compte tenu des avancées technologiques qui favorisent les défenseurs, un combat offensif urbain est susceptible de devenir un combat d’usure que les petites armées occidentales ne peuvent soutenir. Toutefois, nous pouvons obtenir un avantage tactique remarquable en combinant des méthodes éprouvées avec des technologies contemporaines, comme suit :

1) Obscurcissement – Les moyens d’imposer un obscurcissement visuel et thermique et de combattre à l’intérieur de celui-ci devraient constituer une priorité de développement accéléré. On peut s’attendre à ce qu’ils procurent un grand avantage psychologique, qu’ils redonnent de la marge de manœuvre en milieu urbain et qu’ils permettent des combats intérieurs et souterrains. Peut-être plus important encore, ils offrent aux forces occidentales les avantages politiques de pouvoir combattre efficacement dans les zones urbaines en réduisant les dommages collatéraux. Il est possible d’intégrer des munitions fumigènes opaques à l’IT à des munitions translucides pour aveugler les systèmes ennemis dans le cadre d’un plan plus sophistiqué.

  1. À court terme, il y a un besoin urgent de moyens d’obscurcissement instantané pour remplacer la grenade au WP au niveau le plus bas. Le handflammpatrone (lance-fumée à main) de 40 mm en est un exemple.
  2. Les fusées fumigènes pyrotechniques offrent un moyen peu coûteux, éprouvé et peu dangereux de diffuser des obscurcissants. Elles peuvent être lancées à partir de simples remorques ou de modules montés sur des véhicules.
  3. Les systèmes de visée thermique et les masques à recirculation ont fait leurs preuves en service. La maîtrise de leur utilisation intégrée dans un environnement obscur est exigeante, mais offre un créneau que les soldats occidentaux compétents occuperont plus facilement que leurs concurrents.

2) UGV – Les systèmes robotiques offrent une énorme promesse d’avenir, mais aujourd’hui, bon nombre des risques aigus de guerre urbaine pourraient être atténués en mettant rapidement en service des systèmes basés sur des configurations mécaniques existantes éprouvées en milieu urbain, intégrées à des systèmes électroniques robustes.

  1. Les VCG contemporains sont des plateformes sophistiquées à haut rendement qui peuvent être télécommandées. Leur valeur pour les opérations urbaines est sous‑estimée. On peut soutenir qu’une formation interarme urbaine devrait disposer d’autant de VCG que de CCP.
  2. Les UGV blindés de base, de taille moyenne et de type Springer, offrent un outil permettant de percer de nouvelles voies de manœuvre à travers les bâtiments, de déplacer des stocks et des victimes et de monter des armes, en particulier des roquettes à courte portée capables de pénétrer les murs en béton armé avec de grosses charges explosives.
  3. Une arme d’épaule pour espace confiné capable de lancer une ogive équivalente à plusieurs kilos de TNT dans un bâtiment offre une capacité décisive de combat urbain.
  4. Des munitions d’ouverture de brèches pouvant être tirées à distance permettent de franchir rapidement une série de murs ou d’obstacles.
  5. Un système modulaire de charge de démolition avec caméras et télécommande par radio et par fil, ainsi que des dispositifs équipés de caméras de type « throwbot » qui éjectent les grenades offrent des options tactiques améliorées et une conformité au droit international humanitaire.

3) Puissance de feu explosive de l’infanterie – La technologie des munitions a créé l’occasion de placer une puissance de feu très importante entre les mains des troupes débarquées pour attaquer ou percer des murs à une distance sécuritaire. Ni ces outils ni des charges de démolition faciles d’emploi ne sont largement utilisés. Cela devrait changer afin de permettre la destruction rapide des positions ennemies et la défaite d’une défense mobile, et pour limiter les risques et la nécessité d’une autorisation d’assaut. De plus, les dispositifs à détonation commandée associés à des caméras amélioreront, lors du dégagement, la possibilité de distinguer les civils des combattants et permettront une attaque légitime dans les espaces sans visibilité pendant la défense.

L’adoption et l’intégration des capacités susmentionnées offrent aux armées occidentales la possibilité de transformer le combat rapproché urbain en avantage éthique et tactique. Il ne cessera pas d’être exténuant, dangereux et psychologiquement épuisant, mais on peut s’attendre à ce que la recherche de la suprématie de neutralisation apporte les mêmes avantages qu’en 1944-1945, soit un succès tactique constant et moins de pertes amies, civiles et même ennemies.

À propos de l’auteur

Charles Knight a consacré quatre décennies à l’étude des méthodes de combat en milieu urbain, en se concentrant sur les systèmes sans équipage et les représentations médiatiques de la guerre urbaine. Il enseigne la sécurité stratégique, la guerre non conventionnelle et le terrorisme à la Charles Sturt University, la University of New South Wales et à l’Académie militaire Thérésienne en Autriche. Son doctorat portait sur la coercition dans la contre‑insurrection et sa thèse de maîtrise portait sur les vulnérabilités urbaines, éclairées par du travail sur le terrain dans la guerre civile libanaise et au Cambodge, ainsi que par le service opérationnel auprès de diverses forces armées. En Australie, il a commandé le 2/17RNSWR et il compte plus d’une décennie d’expérience dans les forces d’opérations spéciales. Il sert actuellement comme réserviste à l’Australia Army Research Centre.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).

Détails de la page

2025-11-24