Page 10 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le trichloroéthylène

9.0 Classification et évaluation

9.1 Évaluation du risque de cancer

Il y a maintenant plusieurs études épidémiologiques qui indiquent que le TCE est cancérogène et qui mentionnent constamment les mêmes tissus cibles et les mêmes types de tumeurs. Certaines ne sont toutefois pas suffisamment significatives sur le plan statistique ou comportent des facteurs de confusion attribuables à une exposition simultanée à d'autres substances présentes dans l'eau potable ou en contexte industriel et peuvent donc ne pas suffire pour déduire l'existence d'un lien de cause à effet entre le TCE et le cancer chez les êtres humains. Les preuves de la cancérogénicité du TCE chez deux espèces de rongeurs sont néanmoins suffisantes, même si les sites et les types de tumeurs varient selon le sexe et l'espèce. La pertinence de ces constatations pour les êtres humains est étayée par la concordance des tissus cibles entre les animaux et les êtres humains dans le cas des cancers et des autres effets et la prise en considération d'informations mécanistes dans le contexte des différences métaboliques interspécifiques. On a observé une cancérogénicité chez des animaux exposés au TCE à la fois par inhalation et par ingestion et les réponses ont tendance à augmenter avec la dose.

Plusieurs métabolites du TCE sont génotoxiques et certains sont reconnus comme étant cancérogènes ou probablement cancérogènes pour l'être humain. On soupçonne certains métabolites du TCE d'être cancérogènes et de faire intervenir des mécanismes non génotoxiques comme la cytotoxicité et l'altération de la transmission des signaux des cellules, deux phénomènes qui peuvent être pertinents pour les êtres humains. De plus, certains des métabolites du TCE excrétés par des animaux qui ont une tumeur ressemblent aux métabolites excrétés par des êtres humains atteints de cancers semblables (Birner et coll., 1993; Lash et coll., 2000). Une masse importante de données probantes indique que plusieurs mécanismes différents causent la cancérogénicité observée du TCE chez les animaux et semblent reliés au mécanisme des effets des métabolites du TCE. Il se peut que les réponses tumorales différentes au TCE soient attribuables aux différences pharmacocinétiques entre les sexes et les espèces.

Les augmentations importantes des tumeurs du rein chez le rat (NTP, 1983, 1990), des tumeurs du poumon chez la souris (Fukuda et coll., 1983; Maltoni et coll., 1986, 1988; NTP, 1988) et des tumeurs du testicule chez le rat (Maltoni et coll., 1986, 1988; NTP, 1988) sont les principaux résultats jugés les plus pertinents dans l'évaluation du poids des données probantes sur la cancérogénicité du TCE chez les êtres humains. Même si la pertinence pour les êtres humains des tumeurs du poumon observées chez la souris soulève des doutes, il est impossible de conclure que le mécanisme ayant provoqué les tumeurs n'est pas pertinent pour les êtres humains exposés au TCE. Des dosages in vitro et in vivo indiquent que le TCE semble en outre faiblement génotoxique (PISC, 1985).

Compte tenu du poids suffisant de la preuve de cancérogénicité dans deux espèces d'animaux de laboratoire, il est possible de classer le TCE dans le groupe II (probablement cancérogène pour l'être humain). Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC, 1995), qui considère maintenant le TCE comme substance du groupe 2A, probablement cancérogène pour l'être humain, a confirmé ce classement.

L'évaluation du risque de cancer que pose le TCE était fondée sur des tumeurs du rein que l'on a observées chez des rats des deux sexes et chez des êtres humains. Les données probantes relatives aux tumeurs du rein sont raisonnables à plusieurs niveaux. Même si les tumeurs étaient peu nombreuses, les constatations étaient reproductibles. De telles tumeurs sont rares chez les rats et leur apparition chez des animaux dosés a donc été jugée biologiquement significative. On a aussi observé de telles tumeurs chez des rats Sprague-Dawley exposés au TCE par inhalation (Maltoni et coll., 1986). Il y a des similitudes entre les sites et les caractéristiques histopathologiques des tumeurs observées dans les dosages biologiques chez des patients humains et des rats (Vamvakas et coll., 1993, 1998). Les métabolites dérivés des intermédiaires probables de la bioactivation du TCE sont identiques chez les êtres humains et chez les animaux de laboratoire (Dekant et coll., 1986; Birner et coll., 1993). De faibles augmentations des tumeurs rénales chez les rats mâles à des doses provoquant des dommages rénaux ne peuvent être jugées non pertinentes pour les êtres humains; les données épidémiologiques appuient la conclusion selon laquelle le TCE peut causer le cancer du rein chez les humains. Les nouvelles données probantes qui associent l'exposition au TCE chez les êtres humains à une transformation (mutation du gène VHL) au niveau du nucléotide 454 sont des données probantes importantes propres à l'exposition au TCE qui produisent une empreinte génétique associant des tumeurs rénales à l'exposition au TCE (Bruning et coll., 1997a,b).

On a utilisé le modèle linéaire à stades multiples (LSM) (Santé Canada, 2003a) pour calculer les risques unitaires dans le cas des types de tumeurs du rein observées chez les rats. La génotoxicité possible associée à certains métabolites du TCE, et en particulier le DCVC et le DCVG, justifie l'utilisation d'un modèle linéaire (LSM), même si l'utilisation d'une méthode non linéaire pourrait se défendre vu que le TCE pourrait avoir un mode d'action mixte (mutagénicité et cytogénicité) et que le rat est plus sensible à la néphropathie. On a calculé les risques unitaires dans le cas des données portant sur les tumeurs du rein (NTP, 1988, 1990). On a appliqué un coefficient d'échelle allométrique au calcul du risque unitaire final en supposant qu'un rat pèse 0,35 kg et un être humain, 70 kg.

Les risques unitaires calculés (Santé Canada, 2003a) pour des adénomes du tubule et des adénocarcinomes du rein regroupés chez des rats (souches ACI, Augusta, Marshall et Osborne-Mendel) à la suite d'une exposition au TCE par voie orale d'une durée de 103 semaines (NTP, 1988, 1990) se sont établis à 8,11 × 10-4 (mg/kg p.c. par jour)-1 chez les mâles et à
5,82 × 10-4 (mg/kg p.c. par jour)-1 chez les femelles, tandis que les risques unitaires dans le cas des adénocarcinomes des tubules rénaux chez les rats à la suite d'une exposition par inhalation d'une durée de 104 semaines (Maltoni et coll., 1986) se sont établis à 1,20 × 10-4 (mg/m³)-1 chez les mâles et à 8,1 × 10-5 (mg/m³)-1 chez les femelles. Le risque unitaire de
8,11 × 10-4 (mg/kg p.c. par jour)-1 pour les adénomes du tubule et les adénocarcinomes du rein combinés chez les rats mâles (étude d'une exposition par voie orale) a été choisi parmi les valeurs ci-dessus. Il correspond au risque unitaire le plus élevé et constitue donc la valeur la plus conservatrice.

En se fondant sur l'évaluation du risque de cancer et en supposant un risque de cancer « de minimis » (essentiellement négligeable) de 10-6, on peut calculer la concentration maximale acceptable (CMA) de TCE dans l'eau potable de la façon suivante :

CMA = [70 kg × 10-6] / [8,11 × 10-4 (mg/kg p.c. par jour)-1 × 4,0 Leq/jour] 0,022 mg/L (22 µg/L)

où :

  • 70 kg représente le poids moyen d'un adulte;
  • 10-6 représente le niveau de minimis de risque de cancer individuel excédentaire théorique pendant toute une vie;
  • 8,11 × 10-4 (mg/kg p.c. par jour)-1 représente le risque unitaire calculé à partir du modèle LSMNote de bas de page 3;
  • 4,0 Leq/jour représente le volume quotidien d'eau consommée par un adulte, qui tient compte de l'exposition par des voies multiples (voir la section « Exposition »).

On a calculé de la même façon des valeurs de risque unitaire en utilisant la méthode LSM pour les différents types de tumeurs pertinents (y compris les tumeurs du foie, du testicule et les lymphomes) observés au cours des études sur la cancérogénicité du TCE pour les rongeurs. On a utilisé ces valeurs de risque unitaire pour estimer des valeurs recommandées, que l'on a ensuite comparées à la valeur calculée à partir du paramètre final ci-dessous de reproduction et de développement. Dans l'ensemble, même lorsqu'on utilise le modèle LSM qui est probablement plus conservateur, les valeurs recommandées fondées sur la cancérogénicité dépassent celles que l'on a calculées comme paramètre final pour le système reproducteur et le développement.

9.2 Évaluation du risque d'effets autres que le cancer

Dans le cas des effets autres que le cancer, il est possible de calculer une dose journalière admissible (DJA) en tenant compte de toutes les études et en choisissant l'effet critique qui se produit à la dose la plus faible, en choisissant une dose (ou un point de départ) à laquelle l'effet critique n'est pas observé ou se produirait à une incidence relativement faible (p. ex., 10 %) et en réduisant cette dose par un facteur d'incertitude afin de tenir compte des différences entre les conditions de l'étude et celles de l'exposition environnementale des êtres humains.

Le choix de l'étude sur la toxicité pour le développement (Dawson et coll., 1993) utilisée pour évaluer le risque d'effets autres que le cancer reposait sur la pertinence du milieu utilisé (eau potable), la faible dose à laquelle des effets ont été observés (qui coïncide avec la plus faible dose avec effet nocif observé dans toutes les études animales analysées), la gravité de l'effet critique (malformations cardiaques) et la présence de preuves d'effets semblables (p. ex., anomalies cardiaques) tirées d'études épidémiologiques (Lagakos et coll., 1986; Goldberg et coll., 1990; MDPH, 1994; Bove et coll., 1995), ainsi que l'observation de malformations semblables dans des études réalisées sur des métabolites du TCE (Smith et coll., 1989, 1992; Epstein et coll., 1992, 1993; Johnson et coll., 1998a,b). Bien qu'il soit reconnu que l'étude de Dawson et coll. (1993) ne constitue pas l'étude idéale à utiliser pour une évaluation des risques en raison de ses limitations méthodologiques intrinsèques, elle a été choisie pour le calcul de la recommandation car on l'a considérée comme la meilleure étude disponible ayant utilisé l'eau potable comme milieu d'exposition et ayant examiné le paramètre le plus sensible (à savoir, les effets sur la reproduction). De plus, les anomalies cardiaques signalées par Dawson et coll. (1993) ont été corroborées par Johnson et coll. (2003). Bien que l'étude de Johnson et coll. (2003) puisse être utilisée pour l'évaluation des risques, on a estimé que celle de Dawson et coll. (1993) était plus appropriée comme étude clé, car elle montre une relation dose-réponse plus claire. Enfin, le choix d'une étude clé ayant examiné les effets sur la reproduction a été fait sur la base de recherches en progression en matière d'effets du TCE sur le développement et par mesure de prudence (en d'autres termes, pour assurer une protection contre d'éventuels effets sur la reproduction, même si la relation de cause à effet n'a pas été entièrement établie sur le plan scientifique).

Comme on a seulement trouvé une LOAEL au cours de l'étude critique, on a utilisé la méthode de dose repère ou « Benchmark dose » (BMD) pour calculer la NOAEL. Cette méthode est acceptée depuis peu pour l'évaluation du risque d'effets autres que le cancer (Haag-Gronlund et coll., 1995; EPA des États-Unis, 1995) en raison des nombreux avantages qu'elle offre par rapport à la méthodologie NOAEL/LOAEL/facteur d'incertitude. La dose repère, par exemple, est dérivée de données tirées de la courbe dose-réponse complète pour l'effet critique plutôt que du groupe de dose unique à la NOAEL ; il est possible de la calculer à partir d'ensembles de données où l'on n'a pas déterminé la NOAEL (comme dans le cas présent), ce qui évite d'avoir à appliquer un facteur d'incertitude supplémentaire à la LOAEL (PISC, 1994; Barton et Das, 1996; Clewell et coll., 2000). On a suggéré pour la dose repère une limite de confiance plus faible comme substitut approprié de la NOAEL (Crump, 1984; Barton et Das, 1996). On définit plus précisément une dose repère à limite de confiance plus faible (BMDL) comme une estimation avec limite de confiance plus basse à 95 % dans le cas de la dose qui correspond à un niveau de risque de 1 à 10 % de plus que les niveaux de fond (Barton et Das, 1996). La définition de la dose repère comme limite de confiance plus basse explique la puissance statistique et la qualité des données (PISC, 1994).

C'est pourquoi on a utilisé la méthode BMD (Santé Canada, 2003b) pour calculer une dose à laquelle l'effet critique ne serait pas observé ou aurait une incidence relativement faible, compte tenu des données sur la tératogénicité tirées de l'étude critique de Dawson et coll. (1993). Même s'il s'agit de données sur la toxicité pour le développement, on a utilisé des techniques normalisées de dosage biologique puisqu'on ne disposait pas de données individuelles sur la mère et ses petits. Les données sur la toxicité pour le développement comportent habituellement une variation extrabinomiale attribuable à « l'effet de portée », c'est-à-dire que les petits de la même mère se ressemblent plus qu'ils ressemblent à ceux d'autres mères. À cause du manque de données, on n'a pu tenir compte de cette variabilité dans la présente analyse. Le principal scénario de dosage comprenait une exposition des mères à la fois avant et pendant la gestation, puisque cette exposition représente le plus fidèlement celle à laquelle on s'attendrait dans la population humaine. Plus précisément, l'incidence d'anomalies cardiaques chez les petits s'est établie à 7/238 (2,9 %), 23/257 (8,2 %) et 40/346 (9,2 %) à des doses de 0, 1,5 mg/L et 1 100 mg/L (0, 0,18 et 132 mg/kg p.c. par jour).

On a utilisé le logiciel THRESH pour calculer, à partir des données tirées de ce régime de dosage, la BMD et sa limite de confiance plus basse à 95 % correspondant à une augmentation de 1 %, 5 % et 10 % du risque supplémentaire de malformations cardiaques chez le foetus par rapport au risque naturel (Howe, 1995). On a soumis l'ajustement du modèle à un test chi-carré de détermination du manque d'ajustement qui a produit une valeur p significative de <0,0001. Le modèle ajusté a produit des BMD inférieures BMDL01, BMDL05 et BMDL10 de 0,014, 0,071 et 0,146 mg/kg p.c. par jour respectivement (Santé Canada, 2003b).

On a choisi la valeur BMDL10 comme valeur par défaut, comme on l'a proposé et fait ailleurs (Haag-Gronlund et coll., 1995; Barton et Das, 1996). Cette valeur demeure une estimation incertaine de la NOAEL pour les raisons suivantes : (1) les données ne précisent pas la forme de la courbe dose-réponse dans la plage des valeurs de BMDL10; (2) on a utilisé deux groupes de doses seulement pour estimer la valeur BMDL10, puisqu'on a éliminé le groupe supérieur afin de supprimer le manque d'ajustement; (3) on n'est pas certain du niveau de BMDL qui représente le mieux la NOAEL. Appliquant la même méthode d'évaluation du risque d'effets autres que le cancer dans le cas du TCE, Haag-Grondlund et coll. (1995) ont toutefois observé que toutes les doses sans effet observé (NOEL) étaient plus élevées que la dose repère correspondant à un risque supplémentaire de 1 %, et que 42 % des NOAEL et 93 % des doses minimales entraînant un effet observé (LOEL) étaient plus élevées que la dose repère, ce qui correspondait à un risque supplémentaire de 10 %. C'est pourquoi on a choisi la valeur BMDL10 de 0,146 mg/kg p.c. par jour, qui représente le mieux la NOAEL.

On peut calculer ainsi la DJA dans le cas du TCE :

DJA = [0,146 mg/kg p.c. par jour]/100 = 0,00146 mg/kg p.c. par jour (1,46 µg/kg p.c. par jour)

où :

  • 0,146 mg/kg p.c. par jour représente la valeur BMDL10 calculée de la façon décrite ci-dessus;
  • 100 représente le facteur d'incertitude (×10 pour tenir compte de la variation interspécifique, ×10 pour tenir compte de la variation intraspécifique).

À partir de la DJA calculée au moyen de la méthode BMD, on peut calculer la CMA de la façon suivante :

CMA = [0,00146 mg/kg p.c. par jour × 70 kg × 0,2] / 4,0 Leq/jour = 0,00511 mg/L (5,11 µg/L)

où :

  • 0,00146 mg/kg p.c. par jour représente la DJA calculée ci-dessus;
  • 70 kg représente le poids moyen d'un adulte;
  • 0,2 représente la valeur implicite du facteur d'attribution pour l'eau potable;
  • 4,0 Leq/jour représente le volume quotidien d'eau consommée par un adulte, qui tient compte de l'exposition par des voies multiples (voir la section « Exposition »).

Une autre approche, plus classique, aurait été de calculer une valeur en partant des concentrations utilisées dans l'étude effectuée en 1993 par Dawson et coll. (0, 1,5 et 1 100 ppm) et en convertissant ces données en doses reflétant la consommation réelle (Tardif, 2004). En se basant sur les quantités ingérées indiquées (µL/jour de TCE), sur un poids corporel moyen de 306 g par rat (gain de poids moyen de 112 g pendant le traitement) et sur la densité du TCE, qui est de 1,44 g/ml, les concentrations de 0, 1,5 et 1 100 ppm correspondraient alors à des doses de 0, 1,18 et 70 mg/kg p.c. par jour, respectivement. L'utilisation d'une LOAEL de 1,18 mg/kg par jour et d'un facteur d'incertitude approprié de 1 000 donnerait une valeur de 4,13 µg/L. L'utilisation d'une telle approche permettrait d'obtenir une valeur cohérente avec la CMA recommandée de 5 µg/L.

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