Page 10 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le sélénium

Partie II. Science et considérations techniques (continué)

9.0 Effets sur la santé

9.1 Effets chez les humains

9.1.1 Caractère essentiel

Santé Canada, l'Institute of Medicine (Otten et coll., 2006) et d'autres organisations internationales considèrent que le sélénium est un élément essentiel (Expert Group on Vitamins and Minerals, 2002; National Institutes of Health, 2011; OMS, 2011). Le sélénium joue un rôle important dans la défense antioxydante, la réponse immunitaire et la régulation d'hormones thyroïdiennes sous la forme de diverses protéines séléniées (Zeng et coll., 2009; Rayman, 2012). Ces protéines séléniées participent directement à la transcription de l'acide désoxyribonucléique (ADN), à la synthèse et à la maturation des protéines, au flux calcique et à l'élimination des espèces oxydantes (Forceville, 2006). Une concentration plasmatique de sélénium située entre 70 et 90 µg/L est jugée suffisante pour obtenir une bonne activité enzymatique (Institute of Medicine, 2000).

Dans le cas du sélénium, l'Institute of Medicine a établi un apport nutritionnel recommandé (ANR) de 55 µg/jour pour les adolescents et les adultes (14 à 70 ans) vivant au Canada et aux États-Unis (Otten et coll., 2006). La détermination de cette valeur repose sur deux études d'intervention réalisées chez des humains (une population d'hommes chinois présentant une déficience en sélénium ayant reçu entre 10 et 90 µg de sélénométhionine sous forme de suppléments pendant huit mois, et une population de Néo-Zélandais dont l'apport en sélénium est faible ayant reçu de la sélénométhionine pendant 20 semaines). Ces études ont permis de mesurer la quantité de sélénium nécessaire à l'obtention d'une activité glutathion peroxydase maximale (Institute of Medicine, 2000). La dose moyenne de sélénium requise pour atteindre un plateau de l'activité de la glutathion peroxydase dans les deux études correspondait à 45 µg/jour (en tenant compte d'un ajustement pondéral dans le cas des adultes nord-américains). Cette valeur a été transformée en un ANR de 55 µg de sélénium par jourNote de bas de page 1 chez les personnes de 14 ans et plus. Le paramètre choisi était l'activité enzymatique, car on a observé une activité insuffisante de l'enzyme chez les habitants d'une région où la maladie de Keshan est endémique, du fait d'un faible apport de sélénium.

Chez les jeunes (1 à 18 ans), l'ANR augmente progressivement de 17 à 55 µg/jour. Chez les nourrissons (0 à 12 mois), l'ANR est de 15 à 20 µg/jour, et chez les femmes enceintes et qui allaitent, il est de 59 à 70 µg/jour (Institute of Medicine, 2000).

On ne s'attend pas à observer une carence en sélénium au Canada, car l'alimentation constitue le principal apport. Par ailleurs, l'EAT (Santé Canada, 2011) indique que la population satisfait l'ANR établi par l'Institute of Medicine. Les produits de santé naturels (par une supplémentation en sélénium) peuvent également contribuer de façon considérable à l'apport quotidien.

9.1.2 Carence

Une carence en sélénium entraîne une diminution de l'activité de la glutathion peroxydase, et se solde par un risque accru d'inflammation et d'athérosclérose et possiblement une augmentation de l'occurrence des maladies chroniques (Turner et Finch, 1991; Blankenberg et coll., 2003; Kohrle et Gartner, 2009).

Lorsque l'apport moyen est de 10 µg/jour, on soupçonne que le sélénium peut causer la maladie de Keshan, caractérisée par une cardiomyopathie (Yang, 1984), et la maladie de Kashin-Beck, qui se manifeste par des rhumatismes. Le sélénium est aussi associé à une forme de crétinisme lié à une hypothyroïdie (Spallholz, 2001; OMS et FAO, 2004; Xia et coll., 2005). Il est possible de réduire l'incidence de la maladie de Keshan et de prévenir cette maladie si on ajoute du sélénium dans l'alimentation des personnes vivant dans les régions de Chine où l'apport en sélénium est très faible (Yang, 1984; Cheng et Qian, 1990; Patterson et Levander, 1997). Cependant, d'autres facteurs comme certains virus et d'autres carences nutritionnelles pourraient aussi contribuer à ces maladies (Burk, 2002; Rayman, 2008).

Un apport en sélénium inférieur à 10 µg/jour peut entraîner une faiblesse musculaire, une myalgie et une insuffisance cardiaque chez certains nourrissons (OMS et FAO, 2004).

9.1.3 Toxicité aiguë

Les manifestations les plus courantes de la toxicité aiguë au sélénium sont les vomissements, les crampes musculaires, la fatigue et les diarrhées. Ce type de toxicité peut aussi mettre la vie en danger lorsque les signes suivants apparaissent : œdème pulmonaire, état comateux, troubles du tube digestif, arythmie et dysfonctionnement des reins et du foie.

Chez l'humain, certaines intoxications aiguës liées à une exposition au sélénium sont causées par l'ingestion accidentelle ou suicidaire de produits contenant du sélénium, par exemple de produits destinés au bleuissage des armes (encaustique pour métaux). Le sélénium serait le principal agent toxique des encaustiques pour métaux, lesquels contiennent 2 % à 9 % d'acide sélénique (ou d'acide sélénieux) et 2 % à 4 % de cuivre dans une solution acide. Comme ces produits sont corrosifs et présentent un pH de 1, on s'attend à voir apparaître des brûlures gastriques, entre autres effets. Nuttall (2006) a publié des études de cas classiques, dont les quatre qui suivent.

On a assisté au rétablissement complet d'un homme de 56 ans (poids non mentionné dans le rapport) ayant ingéré 1,7 g de sélénite. Il a vomi une heure après l'ingestion et a été admis à l'hôpital quatre heures plus tard. Il se plaignait de douleurs abdominales, sa muqueuse oropharyngée était érythémateuse, et l'électrocardiographie présentait un aplatissement de l'onde T. La plupart des signes ont disparu après deux semaines (Gasmi et coll., 1997).

Une adolescente de 15 ans (pesant 52,5 kg) a avalé 400 mL d'un vermifuge concentré destiné aux moutons contenant du sélénate à la concentration de 5 mg/mL, ce qui correspond à une dose de 22,3 mg/kg p.c. Elle a vomi 20 minutes après l'ingestion et a été conduite à l'hôpital où elle a été traitée. L'électrocardiogramme était anormal et l'aplatissement de l'onde T a atteint un plateau au jour 3 pour graduellement disparaître après deux semaines. La concentration de l'aspartate aminotransferase et de la phosphatase alcaline, des enzymes hépatiques, ainsi que de la bilirubine était perturbée, mais elle est presque revenue à la normale après une semaine. La concentration sérique de sélénium était de 3 100 µg/L le jour de l'hospitalisation, de 2 100 µg/L au jour 3 et de 480 µg/L au jour 4. La jeune fille s'est rétablie sans présenter de séquelles (Civil et McDonald, 1978).

Une femme de 40 ans (poids non mentionné dans le rapport) a ingéré plus de 90 mL d'un produit destiné au bleuissage des armes (4 % d'acide sélénique, 2,5 % de sulfate de cuivre dans une solution d'acide chlorhydrique). Elle a vomi et a présenté des hémorragies de l'estomac, un œdème pulmonaire et une congestion rénale. Le décès, causé par une insuffisance cardiaque, est survenu huit heures après l'incident, et la concentration sanguine post-mortem de sélénium était de 2 600 µg/L. La concentration de sélénium dans les tissus était de 9 à 90 fois celle que l'on mesure chez un patient en bonne santé, et la concentration de cuivre dans les tissus était d'environ deux fois cette dernière. La concentration de sélénium la plus élevée a été décelée dans les poumons (12,7 µg/g de poids humide, comparativement à 0,15 µg/g chez une personne en bonne santé) et le rein (14,2 µg/g de poids humide, comparativement à 1,09 µg/g chez une personne en bonne santé) (Matoba et coll., 1986).

L'ingestion de 15 mL d'un agent destiné au bleuissage des armes par un petit garçon de deux ans (poids non mentionné dans le rapport) a entraîné plusieurs épisodes de vomissements et de diarrhée. Les premiers signes de l'intoxication se sont manifestés pendant quelques jours et étaient associés à une concentration plasmatique de sélénium de 285 µg/L. Parmi les signes, citons un état comateux, des brûlures du tube digestif, une arythmie, un dysfonctionnement rénal et hépatique et une acidose métabolique. Le garçon a fini par souffrir de complications respiratoires et est décédé (Nantel et coll., 1985).

Les concentrations sanguines de sélénium se situant entre 1 500 et 3 100 µg/L ont été associées à une intoxication modérée (Civil et McDonald, 1978; Lombeck et coll., 1987); on observe des troubles gastro-intestinaux transitoires avec des concentrations sanguines de sélénium variant entre 410 et 930 µg/L. L'ingestion de doses élevées de sélénium contenu dans des produits commercialisés peut être fatale; cependant, on a aussi assisté à des rétablissements. Les décès sont liés à la quantité ingérée et à la concentration sanguine de sélénium (Civil et McDonald, 1978; Lombeck et coll., 1987; Gasmi et coll., 1997; Kise et coll., 2004). Il a été établi que la concentration sanguine post-mortem chez les personnes décédées était supérieure à 2 600 µg/L (Koppel et coll., 1986; Schellmann et coll., 1986).

9.1.4 Études de cas : intoxication par l'ingestion de suppléments

Après une auto-administration de suppléments de sélénium sous forme de comprimés, il peut se manifester des signes semblables à ceux apparaissant à long terme au cours de la sélénose (perte de cheveux et des ongles, haleine à l'odeur d'ail, troubles gastro-intestinaux, irritabilité et fatigue).

Pendant environ deux à quatre semaines, 210 Américains ont consommé un produit de santé naturel contenant du sélénite inorganique à la dose médiane de 41 mg/jour. Un sujet a été hospitalisé, et la majorité des personnes présentaient les signes classiques de la sélénose (c'est-à-dire anomalie des ongles, perte de cheveux, haleine à l'odeur d'ail, troubles gastro-intestinaux) (MacFarquhar et coll., 2010).

Une étude, comprenant une analyse selon l'intention de traiter, a été menée chez des patients présentant un grave choc septique. On a administré aux patients du sélénite (4 000 µg le premier jour, 1 000 µg par la suite durant neuf jours) par perfusion intraveineuse continue pendant 10 jours. Aucun événement indésirable lié au sélénite n'a été déclaré (Forceville et coll., 2007). Ce traitement se justifiait par le fait que l'on observe une chute de la concentration sérique de sélénium chez les patients en état critique et en choc septique grave (Geoghegan et coll., 2006). L'état de ces patients pourrait être associé à une baisse de la défense anti-oxydante, qui pourrait être contrebalancée par les effets de la perfusion. À l'opposé, l'effet pro-oxydatif du sélénium pourrait également inhiber la liaison du NF-κB à l'ADN, ce qui réduirait la réponse inflammatoire.

Un homme de 36 ans (poids non révélé) a pris deux comprimés de sélénium dont la concentration se situait entre 2 500 et 5 000 µg/g toutes les heures pendant quelques jours puis 10 comprimés par jour par la suite (R.F. Clark et coll., 1996). Il a souffert de diarrhée, de fatigue et de paresthésie (picotement aux extrémités) et a perdu des cheveux pendant la première semaine, puis est devenu chauve après deux semaines. Ses ongles se sont colorés par la suite. Deux semaines après l'arrêt des suppléments, ses cheveux se sont remis à pousser et les signes neurologiques ont disparu. L'analyse sanguine et les tests biochimiques cliniques ont donné des résultats normaux. La concentration sérique de sélénium était de 8,26 µmol/L (concentration normale : 0,70 à 1,65 µmol/L), ce qui correspond à 650 µg/L si l'on utilise un facteur de conversion de 78,74 µg/µmol.

Une femme de 55 ans a ingéré environ 24 mg de sélénium (espèce chimique et durée totale de la consommation non spécifiés) quotidiennement. Elle a souffert de diarrhées pendant six semaines, suivies d'une perte de cheveux pendant deux semaines. Elle a également eu des crampes musculaires, des douleurs articulaires, de la fatigue et de la difficulté à se concentrer (Sutter et coll., 2008).

Une femme de 57 ans a avalé des comprimés contenant 31 mg de sélénium à l'état élémentaire et/ou organique et d'autres vitamines et minéraux tous les jours pendant 70 jours (FDA, 1984). Après deux mois, ses ongles étaient cassants, elle perdait ses cheveux et ses ongles, et l'extrémité de ses doigts était enflée et présentait des plaies avec écoulement purulent. Elle souffrait de nausée et de vomissements, son haleine sentait le lait sûr, et sa fatigue s'aggravait. On ne dispose d'aucune donnée sur son rétablissement.

Patterson et Levander (1997) ont fait état d'une étude de cas (sources de l'étude d'origine non mentionnées) qui décrivait une tentative de prévenir la maladie de Kashin-Beck chez des enfants chinois par l'administration d'une dose de 250 µg de sélénite pendant 60 jours, suivie d'une dose de 500 µg/jour pendant 60 autres jours. Aucun effet indésirable n'a été observé.

Un homme de 62 ans a consommé 913 µg de sélénite sous forme de comprimés tous les jours pendant deux ans. Ses ongles sont devenus cassants et son haleine avait une odeur d'ail (Yang et coll., 1983). Les signes ont disparu lorsqu'il a cessé la prise des comprimés.

Au cours d'une étude d'intervention randomisée et contrôlée par placebo, 88 adultes américains en bonne santé ont ingéré du sélénite, de la sélénométhionine ou des levures enrichies en sélénium à des doses de 200, 400 ou 600 µg/jour pendant 16 semaines. On n'a constaté aucun effet indésirable (Burk et coll., 2006).

En général, la prise de doses élevées de sélénium sous forme de suppléments entraîne l'apparition de signes semblables à ceux d'une exposition chronique au sélénium.

9.1.5 Exposition chronique

L'exposition chronique à des doses élevées de sélénium cause une intoxication appelée sélénose. Certaines études avancent que le sélénium pourrait avoir des effets sur d'autres fonctions de l'organisme, par exemple le métabolisme du glucose. Cependant, comme ces études présentent des limites, il est impossible de tirer des conclusions définitives.

9.1.5.1 Sélénose

L'exposition sur une longue durée à des concentrations élevées de sélénium présentes dans les aliments entraîne une sélénose, maladie caractérisée par la perte de cheveux, des anomalies ou une perte des ongles, des anomalies cutanées, une haleine à l'odeur d'ail, des caries dentaires et, dans les cas graves, un dysfonctionnement du système nerveux.

La base de données la plus complète qui existe sur la sélénose dérive d'une population assez considérable vivant dans une région sélénifère située dans le comté d'Enshi, en Chine.

De 1961 à 1964, une éclosion de sélénose a touché 49,2 % des 248 habitants de cinq villages fortement exposés du comté d'Enshi, dont l'apport quotidien moyen en sélénium était de 4,99 mg (3,20 à 6,69 mg) ou 94,4 µg/kg p.c. par jour (Yang et coll., 1983; Patterson et Levander, 1997). On a calculé l'apport en sélénium après avoir recueilli des données sur les habitudes alimentaires des sujets et analysé des échantillons de légumes et de céréales représentatifs. La concentration de sélénium des aliments allait de 4,0 à 11,9 mg/kg. Cette période de grand apport en sélénium a coïncidé avec une famine. Les personnes touchées manifestaient des signes de sélénose, soit une perte de cheveux et d'ongles, une haleine à odeur d'ail et, dans les cas plus graves, des troubles du système nerveux (fatigue, irritabilité, anesthésie périphérique, perte de sensation dans les extrémités, convulsions), une altération de la peau et des troubles gastro-intestinaux. Les signes ont disparu après une modification du régime alimentaire. On a estimé l'apport en sélénium en se basant sur une mesure de la concentration de sélénium dans les céréales et les légumes (formes organiques de sélénium), l'urine et le sang entier. La concentration de sélénium dans l'eau potable de la population à l'étude représentait généralement 2 % à 3 % de l'apport total en sélénium. La concentration moyenne de sélénium mesurée dans 11 échantillons d'eau potable était de 54 µg/L (Yang et coll., 1983). Parmi ces échantillons, quatre étaient tirés des eaux de surface d'un village associé à une prévalence élevée de sélénose et présentaient une concentration moyenne de sélénium de 139 µg/L (117 à 159 µg/L). Les sept autres échantillons provenaient de différentes sources, et leur concentration moyenne en sélénium était de 5 µg/L. La concentration moyenne de sélénium du sol charbonneux de la région s'élevait à 300 mg/kg. Ce sol était responsable de la teneur élevée en sélénium des plantes. On a recueilli des échantillons au cours de trois périodes. La concentration de sélénium dans 10 échantillons de charbon prélevés dans la région où la sélénose est endémique était de 291 mg/kg en 1966, de 367 mg/kg en 1967 et de 84 123 à 92 800 mg/kg en 1978. La famine survenue pendant cette période était causée par une sécheresse, ce qui a forcé les villageois à consommer une plus grande quantité de légumes et de maïs et moins de riz et d'autres aliments protéinés. Ce changement d'alimentation aurait contribué à aggraver la toxicité au sélénium (Yang et coll., 1983).

Dans une étude subséquente menée dans le comté d'Enshi entre 1985 et 1986, l'apport quotidien moyen de sélénium, fondé sur une exposition à vie, a été classé comme faible (70 µg), modéré (200 µg) ou élevé (1 300 µg) dans 50 à 75 familles (n = 349 adultes) (Yang et coll., 1989a). Afin d'estimer l'apport total en sélénium, on a administré un questionnaire portant sur les habitudes alimentaires et les antécédents des signes de toxicité aux familles, et on a mesuré la teneur en sélénium d'une large gamme d'aliments (cuits et crus). Ensuite, on a dégagé une équation de régression en se fondant sur la corrélation qui existe entre les estimations de l'apport et la concentration de sélénium dans les tissus (sang entier, urine, cheveux, ongles des mains et des pieds). Cette équation a permis d'estimer l'apport en sélénium chez les personnes dont la concentration sanguine de sélénium est connue. Les signes de sélénose ont été classés en fonction de la gravité des altérations de la peau et des ongles des mains ainsi que la perte de cheveux : + ou ++ (++ étant plus grave que +) (Yang et coll., 1989b). La fréquence et la gravité des signes n'étaient pas proportionnelles à la concentration sanguine de sélénium (pas de relation dose-réponse), ce qui indique une variabilité individuelle. Ces signes ne sont pas apparus chez les personnes dont la concentration sanguine de sélénium était de 1 000 µg/L ou moins. Les sujets dont la concentration sanguine de sélénium se situait entre 1 000 et 2 000 µg/L présentaient des signes de sélénose de gravité ++ (3 % à 7 %) et + (10 % à 35 %). Quarante-cinq pour cent des personnes dont la concentration sanguine en sélénium était égale ou supérieure à la fourchette allant de 2 000 à 3 300 µg/L ou plus manifestaient des signes de sélénose dont la gravité était classée + seulement (on n'a signalé aucune personne dont les signes de sélénose présentaient une gravité ++). Les signes étaient généralement présents (97 % du temps) chez les personnes ayant plus de 18 ans, et on n'a relevé aucun signe chez les enfants de moins de 12 ans. On a constaté un allongement du temps de prothrombine chez 45 % des personnes dont la concentration sanguine de sélénium était supérieure à 1 000 µg/L. Des signes persistants de sélénose se sont manifestés chez cinq Chinois dont la concentration sanguine de sélénium se situait entre 1 054 et 1 854 µg/L. Les auteurs ont calculé qu'une concentration sanguine de sélénium de 1 054 µg/L correspondait à un apport de 910 µg/jour et ont déterminé que ces valeurs constituaient respectivement la concentration sanguine minimale de sélénium et l'apport minimal de sélénium causant une toxicité.

Ces cinq patients ont été choisis pour subir une évaluation de suivi en 1992, car ils présentaient l'apport le plus faible associé à des signes manifestes de sélénose et leurs signes étaient persistants (Yang et Zhou, 1994). Entre 1986 et 1992, une partie de leur alimentation et du maïs qu'ils consommaient ont été remplacés par des céréales importées (riz et céréales commercialisées) dont la concentration en sélénium était plus faible. En 1992, leurs signes avaient disparu, et leur concentration sanguine en sélénium avait chuté d'une valeur moyenne de 1 346 µg/L à 968 µg/L, cette dernière équivalant à un apport moyen de 819 µg/jour. Les auteurs ont établi une dose sans effet nocif observé (NOAEL) de 819 µg/jour. Cette valeur a été arrondie à 800 µg/jour par l'Institute of Medicine afin de calculer l'apport maximal tolérable (AMT). Les détails fournis sur l'apport en sélénium en relation avec les signes de sélénose par l'étude de Yang et coll. (1989a, b) et l'étude de suivi menée sur les cinq personnes intoxiquées qui se sont rétablies (Yang et Zhou, 1994) sont suffisants pour justifier la mise en œuvre d'une évaluation du risque d'intoxication au sélénium.

On a relevé quelques limites possibles aux résultats des études de Yang et de ses collaborateurs (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994). Par exemple, les indicateurs de santé de ces études observationnelles n'étaient pas exhaustifs. Aucune information n'a été fournie sur l'incidence de la famine et du faible contenu protéique de l'alimentation sur les effets du sélénium sur la santé de la population. En outre, la cohorte a été exposée à une concentration relativement élevée de sélénium dans l'eau potable, mais la principale source d'exposition était l'alimentation, dans laquelle prédominait la sélénométhionine, une forme organique de sélénium. La combustion de charbon utilisée à des fins de cuisson pourrait aussi avoir contribué à l'apport en sélénium, par inhalation, mais aucune donnée quantitative n'a été fournie.

Bien que ces biais potentiels puissent avoir influencé la quantification de l'exposition, les données sur la toxicité du sélénium provenant de ces études menées sur un nombre relativement élevé de sujets (n = environ 400) sont précieuses pour analyser la réponse en fonction de la dose. Cette étude est également utile en raison de sa pertinence et du lien de cause à effet qui existe entre l'apport en sélénium et les problèmes de santé. La corrélation entre la teneur en sélénium des aliments consommés par les sujets et la concentration de sélénium des divers tissus permet d'estimer quantitativement l'apport, d'établir une NOAEL et de l'utiliser dans l'évaluation du risque d'intoxication au sélénium.

D'autres études, appuyant les résultats des études de Yang et de ses collaborateurs (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994), sont décrites dans les paragraphes qui suivent.

Pendant deux ans, 142 sujets des deux sexes vivant dans le Dakota du Sud et le Wyoming de l'Est, une autre région aux niveaux élevés de sélénium, ont été randomisés afin de participer à une enquête fondée sur un examen clinique (Longnecker et coll., 1991). Cette population a consommé des céréales ayant une concentration élevée en sélénium (moyenne de 239 µg/jour, apport le plus élevé de 724 µg/jour). Il existait une corrélation entre l'apport et la concentration de sélénium dans le sang, le sérum, l'urine et les ongles. On a également recueilli en double des échantillons des plats et des boissons consommés en vue de mesurer le sélénium. Les concentrations élevées de sélénium dans le sang entier et les ongles étaient associées à des signes moins nombreux, dont la paresthésie et une léthargie accrue. L'apport en sélénium était aussi corrélé avec la concentration d'aminotransférase présente dans le sérum. Comme les blessures subies par les exploitants de ranch pouvaient influencer les paramètres physiologiques, les auteurs ont fait appel à une variable indicatrice (exploitant de ranch ou non) afin de garantir la répartition aléatoire des personnes. Après avoir effectué une correction en fonction du statut, on a constaté que les signes de sélénose n'étaient plus significatifs. Malgré une analyse statistique et un protocole d'étude peu détaillés, les doses que les auteurs affirment être associées à aucun signe de sélénose sont cohérentes avec les résultats des études de Yang et de ses collaborateurs (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994).

Dans une étude transversale réalisée auprès de 448 personnes âgées de 15 à 87 ans vivant en Amazonie (bassin de la rivière Tapajos, Brésil) et ayant une alimentation riche en sélénium, on n'a observé aucun signe de sélénose (Lemire et coll., 2012). La concentration de sélénium dans le sang variait entre 103 et 1 500 µg/L. Comme la population a aussi été exposée au mercure, les auteurs avancent que cette exposition concomitante pourrait avoir eu un effet protecteur contre la sélénose.

Dans une étude ayant permis de comparer l'état de santé de 111 enfants vivant dans une région rurale et sélénifère du Venezuela avec celui de 50 enfants vivant en milieu urbain dans la ville de Caracas (Jaffe et coll., 1972), on a constaté que les enfants habitant en milieu rural présentaient des concentrations plus élevées de sélénium dans le sang (813 µg/L vs 355 µg/L) et dans l'urine (636 µg/L vs 224 µg/L). Bien que certains signes de sélénose soient présents chez les enfants vivant en zone rurale (dermatites et anomalies des ongles), les auteurs ont conclu qu'il n'y avait aucune manifestation claire de toxicité pouvant être attribuable au sélénium en raison des nombreuses différences entre les deux sous-populations.

On n'a décelé aucun signe de sélénose chez les Inuits du Groenland (n = 222 sujets des deux sexes) (Hansen et coll., 2004). La concentration moyenne de sélénium dans le sang entier se situait dans une plage de 80 à 1 890 µg/L, et il a été établi que la peau de baleine constituait la principale source de l'apport, avec une concentration en sélénium de 47,9 µg/g.

En conclusion, on a examiné les effets de la sélénose et caractérisé ceux-ci dans une population de Chinois dont l'apport alimentaire en sélénium était élevé (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994). Aucun signe de sélénose n'a été observé dans les sous-populations d'enfants ayant participé aux études menées en Chine, au Venezuela, au Groenland et en Amazonie.

9.1.5.2 Effets sur le cancer

Comme le sélénium n'est pas considéré comme un agent cancérogène, on s'est penché sur son potentiel anticancérogène dans le cadre de plusieurs études (Hurst et coll., 2012; Rayman, 2012).

Un examen systématique de la base de données Cochrane, en particulier l'analyse de plusieurs études d'observation et d'essais contrôlés et randomisés, permet de penser que le sélénium aurait un effet protecteur contre le cancer (Dennert et coll., 2011). La méta-analyse de 13 études d'observation prospectives a montré une baisse de l'incidence du cancer (rapport de cotes [RC] = 0,69, IC à 95 % = 0,53 à 0,91) et de la mortalité par cancer (RC = 0,55, IC à 95 % = 0,36 à 0,83) chez les deux sexes. Les organes dans lesquels on a observé la plus grande réduction du risque de cancer étaient la vessie (RC = 0,67, IC à 95 % = 0,46 à 0,97), les poumons (RC = 0,75, IC à 95 % = 0,54 à 1,03) et la prostate (RC = 0,78, IC à 95 % = 0,66 à 0,92). L'ensemble des résultats des études d'observation laisse penser qu'il existe un léger effet protecteur du sélénium sur l'incidence du cancer chez les personnes présentant une concentration élevée de sélénium (biomarqueurs de l'exposition : sang, ongles et cheveux) par rapport aux personnes présentant une faible concentration de sélénium (RC = 0,69, IC à 95 % = 0,53 à 0,91). Les auteurs affirment qu'il est difficile de tirer des conclusions sur la validité de cette tendance en raison de l'hétérogénéité des données. L'examen comprenait également l'analyse de six essais cliniques randomisés portant sur le cancer de la prostate, des cancers de la peau autres que le mélanome et le cancer du foie, dont la Nutritional Prevention of Cancer (NPC) et le Selenium and Vitamin E Cancer Prevention Trial (SELECT), les deux essais d'envergure les plus importants faisant uniquement appel à une supplémentation en sélénium. Sur les six essais cliniques randomisés, deux ont été menés avec de la levure enrichie au sélénium afin de prévenir les cancers de la peau autres que le mélanome, un avec de la sélénométhionine pour prévenir le cancer de la prostate et trois avec de la levure enrichie avec du sélénium ou du sélénite pour prévenir le cancer du foie. On a observé une baisse de la mortalité par cancer colorectal, de la prostate, du poumon et cancers totaux, ainsi qu'une baisse de l'incidence du cancer de la prostate dans l'étude NPC et dans l'étude d'observation Third National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES III). Après un suivi moyen de 7,4 années, chez les sujets ayant reçu des suppléments de sélénium dans le cadre de l'étude NPC, on a relevé une augmentation du taux des cancers de la peau autres que le mélanome (risque relatif [RR] = 1,17, IC à 95 % = 1,02 à 1,34) et des carcinomes épidermoïdes cutanés (RR = 1,25, IC à 95 % = 1,03 à 1,51). Une augmentation de l'incidence du carcinome épidermoïde cutané a également été observée chez les sujets faisant partie des tertiles supérieurs (105,6 à 122,0 ng/mL et > 122,4 ng/mL) (RR = 1,49, IC à 95 % = 1,05 à 2,12; et RR = 1,59, IC à 95 % = 1,11 à 2,30). Toutefois, comme on le décrit plus loin, il faut interpréter ces résultats avec prudence. L'augmentation de l'incidence des cancers cutanés autres que le mélanome a surtout été observée dans un sous-groupe de personnes soignées dans un centre de traitement du cancer (Macon, Géorgie) et ayant reçu 200 µg de sélénométhionine par jour au cours de l'essai (Duffield-Lillico et coll., 2003; Reid et coll., 2008). Les sujets étaient des patients présentant des antécédents de cancer cutané et dont la peau avait fortement subi les méfaits du soleil (Duffield-Lillico et coll., 2003; Reid et coll., 2008). Selon les observations, le risque de carcinome épidermoïde cutané ou de cancer de la peau autre que le mélanome n'était pas proportionnel à la dose administrée : on n'a pas relevé chez le groupe ayant reçu 400 µg de sélénométhionine par jour de différence significative pour ce qui est du risque de cancer, le taux de risque (TR) étant de 0,91 (IC à 95 % = 0,69 à 1,20) et de 1,05 (IC à 95 % = 0,72 à 1,53), respectivement. Après avoir effectué une correction en fonction des cas apparus au début de l'essai, on n'a décelé aucune augmentation significative du risque de carcinome épidermoïde cutané (TR non fourni par l'auteur) (Dennert et coll., 2011). Les raisons expliquant les différents effets observés entre les doses et entre les lieux demeurent obscures, mais on soupçonne qu'ils sont reliés au hasard, car la distribution des facteurs était semblable entre les lieux (Dennert et coll., 2011).

À l'aide d'une méta-analyse réalisée sur 12 études (neuf sur le sélénium plasmatique ou sérique, trois sur le sélénium des ongles de pied; n = 13 254), on a examiné le lien entre le risque de cancer de la prostate et des biomarqueurs du sélénium (Hurst et coll., 2012). L'analyse comprenait des essais contrôlés et randomisés, des études cas-témoins et des études de cohorte prospectives. L'augmentation de la concentration plasmatique ou sérique de sélénium (jusqu'à 170 ng/mL) était associée à une diminution du risque de cancer de la prostate. De même, une concentration de sélénium dans l'ongle de pied située entre 0,85 et 0,94 µg/g était associée à une réduction du risque de cancer de la prostate (RR estimé = 0,29; IC à 95 % = 0,14 à 0,61). Cependant, une concentration dans l'ongle de pied supérieure à 0,94 µg/g semblait accroître le risque de cancer, mais les auteurs n'ont pas commenté ou donné de détails sur cette tendance.

L'essai NPC était un essai clinique randomisé et mené à double insu, conçu pour mesurer l'incidence du cancer de la peau chez des sujets à qui on a administré un supplément de levure enrichi en sélénium, surtout de sélénométhionine (200 µg par jour), pendant une durée moyenne de 4,5 années entre 1983 et 1991 (L.C. Clark et coll., 1996, 1998). La population à l'étude était formée de 1 312 hommes américains présentant des antécédents de cancer de la peau (Duffield-Lillico et coll., 2003). On n'a noté aucune protection contre le cancer de la peau, mais on a observé une baisse significative de l'ensemble des cancers (TR = 0,75, IC à 95 % = 0,58 à 0,97) et de l'incidence du cancer de la prostate (RR = 0,48, IC à 95 % = 0,28 à 0,80) par rapport au placebo. Dans une étude de suivi ayant eu lieu en 2002, les résultats présentés s'échelonnaient de 1991 à 1996 (Duffield-Lillico et coll., 2002). Ces résultats ont confirmé une tendance à la baisse pour ce qui est de l'incidence de l'ensemble des cancers et de l'incidence du cancer de la prostate. Cependant, la baisse de l'incidence du cancer du poumon (TR = 0,74, IC à 95 % = 0,44 à 1,24) et du cancer colorectal (TR = 0,46, IC à 95 % = 0,21 à 1,02) n'était plus significative. La baisse de l'incidence du cancer de la prostate était statistiquement significative chez les hommes qui présentaient au départ une faible concentration sérique de sélénium (< 121,2 ng/mL) et une faible concentration de l'antigène prostatique spécifique (< 4 ng/mL) (Clark et coll., 1998). La protection observée dans l'essai NPC se limitait aux hommes dont la concentration plasmatique de sélénium était inférieure à 121,6 µg/L (Duffield-Lillico et coll., 2002).

SELECT est un essai de phase III, randomisé et mené à double insu dans lequel on a recruté 35 533 hommes âgés de plus de 50 ans, sans signe clinique de cancer de la prostate et vivant aux États-Unis (y compris Puerto Rico) et au Canada (Klein et coll., 2003). On a administré du sélénium (200 µg de sélénométhionine par jour) sous forme d'un supplément aux participants. Les hommes, qui présentaient une concentration de l'antigène prostatique spécifique inférieure à 4 ng/mL au début de l'essai, ont fait l'objet d'un suivi pendant 7 à 12 ans qui consistait en un toucher rectal normal. On n'a noté aucune baisse de l'incidence du cancer de la prostate (TR = 1,04, IC à 95 % = 0,90 à 1,18) avec la supplémentation en sélénium comparativement au groupe placebo (Klein, 2009; Lippman et coll., 2009). On n'a observé non plus aucune augmentation dans les paramètres secondaires que sont les événements cardiovasculaires et le risque de mortalité. Toutefois, on a arrêté l'essai bien avant son terme en raison d'une augmentation statistiquement non significative du risque de cancer de la prostate dans le groupe vitamine E et du risque de diabète sucré de type II dans le groupe sélénium (RR = 1,07, IC à 99 % = 0,94 à 1,22).

NHANES III (1988 à 1994) est une étude épidémiologique longitudinale réalisée à l'aide d'un échantillonnage en grappe à plusieurs degrés visant à recenser l'état de santé d'un échantillon représentatif de la population des États-Unis (16 573 adultes). La concentration sérique moyenne de sélénium était de 125,6 µg/L chez 13 887 personnes (Bleys et coll., 2008). Il existait une corrélation inverse entre les concentrations pouvant aller jusqu'à 130 µg/L et le TR de la mortalité toutes causes confondues, par tous les cancers, par cancer colorectal, par cancer des poumons et par cancer de la prostate lorsqu'on compare les tertiles (< 117 µg/L, 117 à 130 µg/L et > 130 µg/L) de la concentration sérique de sélénium à l'aide du modèle de régression des risques proportionnels de Cox. Lorsque la concentration sérique de sélénium dépassait 130 µg/L, la mortalité par tous les types de cancer et la mortalité toutes causes confondues augmentaient de façon non significative. Il est cependant impossible de tirer une relation de cause à effet fondée sur les études d'observation.

Une étude menée sur 2 065 résidants de Reggio Emilia, en Italie, portait sur une évaluation de la mortalité attribuable à un apport relativement élevé de sélénate présent dans l'eau potable (7 à 9 µg/L) au cours d'une période de 12 ans (Vinceti et coll., 2000). Les auteurs ont relevé une légère augmentation de la mortalité causée par les tumeurs chez les personnes exposées à des concentrations élevées de sélénate (ratio standardisé de mortalité [RSM] = 1,17, IC à 95 % = 0,96 à 1,42) comparativement au reste des habitants de la ville, qui ont été exposés à une concentration moyenne de sélénate dans l'eau potable de 1 µg/L. Cependant, cette étude comportait plusieurs limites, notamment le manque d'analyse statistique, des concentrations physiologiques du sélénium et des corrections en fonction du mode de vie, de la consommation d'alcool et du tabagisme. Par ailleurs, on n'avait pas déterminé le degré d'exposition et les caractéristiques de la population témoin. Par conséquent, il n'est pas possible de tirer des conclusions valables à partir de cette étude.

D'autres études épidémiologiques ont fait état d'une association inverse entre le sélénium et le cancer. Selon une étude menée au Maryland sur le cancer des poumons auprès de 25 802 personnes, il existe une association inverse (r = −0,58) mais non significative (P = 0,08) entre la concentration sérique de sélénium et le risque de cancer des poumons (RC non fourni par les auteurs) (Comstock et coll., 1997). Dans une autre étude de cohorte menée sur 10 940 personnes vivant aux États-Unis, on a associé 111 patients cancéreux à 210 patients témoins non atteints d'un cancer en fonction de leur âge, de leur sexe, de la race, des antécédents de tabagisme et de l'état de santé en général, et on les a suivis pendant cinq ans (Willett et coll., 1983). Les concentrations sériques de sélénium (transformation logarithmique) se sont révélées être plus faibles chez les patients cancéreux (0,129 ± 0,002 µg/mL [erreur-type de la moyenne (ETM)]) que chez les témoins (0,136 ± 0,002 µg/mL [ETM]) (tests de t appariés, P = 0,02 en ce qui concerne l'association entre l'ensemble des cancers et la concentration de sélénium). Les cancers gastro-intestinaux présentaient l'association inverse la plus forte avec la concentration de sélénium (cas : 0,114 µg/mL; témoins : 0,134 µg/mL; P = 0,01).

Au cours de l'étude European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC), on a examiné la relation qui existe entre les facteurs environnementaux et les effets sur la santé de 520 000 personnes vivant dans les 10 pays européens suivants : Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Pas, Norvège, Espagne, Suède et Royaume-Uni (Allen et coll., 2008). On a analysé les données de 959 patients atteints d'un cancer de la prostate au moment de l'échantillonnage sanguin et de 1 059 témoins appariés dont l'âge médian était de 60 ans. La moyenne géométrique de la concentration plasmatique de sélénium était de 71,9 µg/L et de 70,6 µg/L chez les cas de cancers et les témoins, respectivement. Après avoir effectué une comparaison entre le quintile supérieur (> 84 µg/L) et le quintile inférieur (< 62 µg/L) de la concentration plasmatique de sélénium, on n'a relevé aucune corrélation entre la concentration et le risque de cancer de la prostate (RR = 0,96, IC à 95 % = 0,70 à 1,31), avec ou sans correction pour tenir compte du tabagisme, de la consommation d'alcool et d'autres facteurs, et indépendamment du stade de la maladie.

En conclusion, les études épidémiologiques réalisées chez l'humain sur le lien qui existe entre le sélénium et le cancer ne sont pas cohérentes entre elles. Rien n'indique clairement qu'une exposition élevée au sélénium cause une diminution ou une augmentation du risque de cancer, et par conséquent, qu'il existe un quelconque effet, ont conclu l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture en 2004 (OMS et FAO, 2004). Des études d'observation ont fait état d'une association inverse entre la concentration de sélénium et le risque de cancer (Fairweather-Tait et coll., 2011; Rayman, 2012); cependant, les résultats des essais sont mitigés. On a observé des effets bénéfiques sur le cancer dans les essais dans lesquels la concentration sanguine de sélénium était relativement faible avant l'administration de suppléments de sélénium (Boosalis, 2008; Rayman, 2012).

9.1.5.3 Effets cardiovasculaires

Les preuves épidémiologiques appuyant l'existence d'un lien entre le sélénium et les maladies cardiovasculaires sont contradictoires. Les études d'observation font généralement état d'une relation inverse entre la concentration de sélénium et les maladies cardiovasculaires, en particulier dans les populations où l'apport est faible (Flores-Mateo et coll., 2006; Rayman et coll., 2011). À l'opposé, les résultats d'études plus récentes laissent penser qu'il existe une relation dose-réponse en U. Par ailleurs, il se peut que des effets indésirables apparaissent lorsque la concentration de sélénium est inférieure ou supérieure à un intervalle de valeurs physiologiques (Stranges et coll., 2010; Rees et coll., 2012).

Au cours d'une méta-analyse réalisée par Flores-Mateo et coll. (2006), on a regroupé séparément les résultats provenant de 25 études d'observation (14 études de cohorte prospectives et 11 études cas-témoins) et de six études randomisées publiées entre 1982 et 2005 afin d'établir s'il existe un lien entre des biomarqueurs du sélénium, et la santé cardiovasculaire et l'efficacité d'une ingestion de suppléments pour prévenir des coronaropathies, respectivement. Dans les études cliniques randomisées, on a observé une baisse non significative (RR = 0,89, IC à 95 % = 0,68 à 1,17) du risque d'événements coronariens lorsque des suppléments de sélénium sont administrés; toutefois, les auteurs ont conclu que les essais étaient de petite envergure et que d'autres suppléments nutritifs avaient été pris en plus du sélénium dans la plupart des études, ce qui s'est soldé par des résultats non concluants. L'essai NPC était l'un d'entre eux. On n'a noté aucune augmentation du risque de toutes les maladies cardiovasculaires après l'administration quotidienne de suppléments constitués de 200 µg de sélénométhionine dans cette étude après une période de suivi de 7,6 années (TR = 1,03, IC à 95 % = 0,78 à 1,37) (Stranges et coll., 2006). À l'opposé, on a constaté une association inverse modérée dans les études d'observation. Compte tenu de la concentration sanguine ou sérique du sélénium, une augmentation de 50 % de la concentration de sélénium était associée à une baisse significative (24 %) du risque de maladie cardiovasculaire (RR = 0,76, IC à 95 % = 0,62 à 0,93); cependant, les auteurs ont questionné la validité de ce résultat, car les études d'observation antérieures où l'on avait administré d'autres antioxydants et vitamines n'étaient pas fiables et n'ont pas été appuyées par des essais cliniques permettant de déterminer leur efficacité en matière de prévention des maladies cardiovasculaires.

Dans des études transversales et des études d'observation longitudinales plus récentes, on a obtenu des résultats mitigés, ce qui semble indiquer une relation dose-réponse non linéaire entre le sélénium et les maladies cardiovasculaires (Bleys et coll., 2008). L'augmentation de la concentration de sélénium jusqu'à un niveau de 130 à 150 µg/L dans l'organisme était associée à une protection possible contre les maladies vasculaires dans l'étude de suivi de NHANES III sur la mortalité (Bleys et coll., 2008), alors que des effets indésirables de type cardiovasculaire ont été observés dans les analyses transversales de populations ayant une concentration élevée de sélénium, comme celles vivant aux États-Unis (Laclaustra et coll., 2009, 2010). Ces données proviennent de mesures de la concentration sérique de sélénium réalisées chez 13 887 adultes américains des deux sexes ayant participé à l'étude NHANES III.

Toutefois, il convient d'interpréter avec prudence les résultats des études transversales, en raison de la possibilité d'une causalité inverse et des effets confusionnels possibles produits par des facteurs inconnus ou non mesurés. En outre, il est à noter que des résultats récents provenant d'un essai clinique mené au Royaume-Uni (essai UK-PRECISE) laissent croire que les suppléments de sélénium auraient des effets bénéfiques potentiels sur les lipides sanguins chez un groupe de volontaires âgés dont la concentration de sélénium était relativement faible (Rayman et coll., 2011). On ignore si ces résultats sont transposables à d'autres populations.

Par ailleurs, dans les analyses post-hoc de l'essai NPC, on a noté que la prise de suppléments de sélénium (200 μg/jour sous la forme de levure enrichie en sélénium) n'était pas associée de manière significative aux divers paramètres de maladies cardiovasculaires après un suivi de 7,6 ans (TR = 1,03, IC à 95 % = 0,78 à 1,37) (Stranges et coll., 2006).

Dans une étude prospective réalisée auprès de 636 personnes chez lesquelles on soupçonnait une coronaropathie, les patients ayant l'activité glutathion peroxydase la plus élevée dans les hématies présentaient un TR de 0,27 (IC à 95 % = 0,15 à 0,58; < 0,001) par rapport aux patients associés à une activité plus faible, ce qui semble indiquer un effet bénéfique du sélénium (Blankenberg et coll., 2003).

Comme le mode d'action du sélénium sur le système cardiovasculaire n'est pas déterminé clairement, des études supplémentaires menées avec une vaste gamme de concentrations de sélénium sont nécessaires afin d'examiner le lien qui existe entre le sélénium et les maladies cardiovasculaires (Stranges et coll., 2010; Rayman et coll., 2011).

En conclusion, les résultats des études épidémiologiques et des essais cliniques réalisés sur les effets du sélénium sur les maladies cardiovasculaires sont mitigés et n'indiquent pas pour le moment un effet protecteur du sélénium (Stranges et coll., 2010; Rees et coll., 2012). Comme les données des études NPC, SELECT et UK-PRECISE tiraient leur origine d'analyses post-hoc de l'essai principal, on se questionne sur la robustesse des résultats provenant d'analyses de paramètres secondaires ou d'analyses de sous-groupes effectuées dans le cadre d'essais cliniques (Freemantle, 2001; Brookes et coll., 2004).

9.1.5.4 Lien avec le diabète

Plusieurs études ont examiné le lien entre le sélénium et le diabète, mais les résultats obtenus sont mitigés.

De nombreuses études d'observation ont fait état d'effets protecteurs contre le diabète ou d'une baisse de l'incidence de dysglycémie chez des personnes ayant une concentration relativement élevée en sélénium (Navarro-Alarcón et coll., 1999; Stapleton, 2000; Kljai et Runje, 2001; Rajpathak et coll., 2005; Bleys et coll., 2007; Kornhauser et coll., 2008; Akbaraly et coll., 2010). Par exemple, l'analyse de l'ensemble des résultats provenant d'études longitudinales menées avec deux cohortes aux États-Unis indique une association inverse entre la concentration de sélénium dans les ongles de pied et l'incidence du diabète de type II, le risque de diabète étant plus faible dans les quintiles de concentration de sélénium dans les ongles de pied (valeur de P pour la tendance = 0,01) (Park et coll., 2012). Toutefois, d'autres études d'intervention et d'observation, telles que l'analyse secondaire de l'essai clinique intitulé Supplementation with Antioxidant Vitamins and Minerals (SU.VI.MAX), ont révélé une plus grande incidence ou une plus grande prévalence du diabète de type II chez les sujets présentant une concentration élevée de sélénium (Czernichow et coll., 2006; Bleys et coll., 2007; Laclaustra et coll., 2009).

Après deux analyses secondaires d'essais cliniques randomisés, qui ont conservé la répartition aléatoire d'origine, on a observé certaines associations positives entre la concentration de sélénium et l'incidence de diabète. Toutefois, il est difficile de tirer des conclusions à partir de ces résultats, car les essais n'ont pas été spécifiquement conçus pour évaluer les effets du sélénium sur le diabète. Dans l'étude SELECT (décrite dans la section 9.1.5.2), on a relevé un risque accru non significatif de diabète de type II (RR = 1,07, IC à 95 % = 0,94 à 1,22, P = 0,16) après l'administration de sélénométhionine à raison de 200 µg/jour à 35 533 hommes que l'on a suivis pendant 7 à 12 ans (Klein, 2009; Lippman et coll., 2009). Dans l'essai NPC (décrit dans la section 9.1.5.2), toutefois, l'augmentation des cas de diabète de type II observés était significative (TR = 1,55, IC à 95 % = 1,03 à 2,33, P = 0,03). En outre, après avoir mesuré la concentration plasmatique de sélénium, on a relevé une augmentation significative du risque, qui était liée à la dose (P = 0,038) dans les tertiles de concentration plasmatique de sélénium de départ (TR = 2,70, IC à 95 % = 1,30 à 5,61, dans le tertile supérieur, > 121,6 µg/L) (Stranges et coll., 2007).

Dans les études NPC et SELECT, le diagnostic du diabète de type II se fondait sur une autodéclaration ou l'usage de médicaments contre le diabète plutôt que sur des biomarqueurs. Cette façon de procéder peut avoir entraîné une mauvaise classification (sous-diagnostic) du diabète au début ou pendant les essais. Toutefois, il est peu probable que la répartition des sujets dans les différents groupes de traitements soit biaisée, car la méthodologie randomisée en double aveugle a été utilisée. Il est impossible de généraliser les résultats et de les appliquer à la population générale, car les participants randomisés ont été choisis de façon sélective dans ces essais. L'échantillon de l'essai NPC était formé de personnes âgées (âge moyen de 63,2 ans) présentant des antécédents de cancer de la peau et vivant dans l'Est des États-Unis. Enfin, l'échantillon de l'essai UK-PRECISE était constitué d'un groupe de personnes âgées volontaires relativement en bonne santé, de race blanche pour la plupart, âgés de 60 à 74 ans et recrutés auprès de quatre omnipraticiens situés dans différentes régions du Royaume-Uni.

Les conclusions tirées des résultats obtenus des essais cliniques randomisés menés sur des paramètres secondaires comme le diabète ne permettent pas d'évaluer le risque posé par le sélénium présent dans l'eau potable. La faiblesse de ces essais provient notamment du fait qu'ils ont été conçus pour évaluer les effets anticancérogènes d'une dose de suppléments de sélénium, ce qui ne permet pas d'établir une exposition jugée sécuritaire à un contaminant de l'environnement. Aussi, l'association post-analyse établie entre le sélénium et les paramètres secondaires pourrait être influencée par des facteurs de confusion et un plan d'étude inadéquat. Dans l'ensemble, les résultats sont mitigés, et il est impossible de tirer une conclusion définitive sur le lien qui existe entre l'apport en sélénium et l'apparition de diabète à l'heure actuelle (Stranges et coll., 2010; Rees et coll., 2012).

9.1.5.5 Lien avec d'autres maladies

Plusieurs autres maladies, telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA) (Vinceti et coll., 2010) et le glaucome (Bruhn et coll., 2009) pourraient être associées au sélénium, mais le manque de preuves et les difficultés méthodologiques ne permettent pas de tirer des conclusions probantes.

Dans une étude cas-témoins en population menée à Reggio Emilia, en Italie, on a noté un lien entre le sélénium et la SLA (Vinceti et coll., 2010). Après avoir tenu compte des cofacteurs et d'autres facteurs liés à l'exposition, on a relevé une association entre la consommation d'eau potable dont la concentration de sélénium était supérieure ou égale à 1 µg/L et un risque accru de SLA (RR = 4,2, IC à 95 % = 1,1 à 16). L'étude semble indiquer qu'une SLA induite par le sélénium pourrait apparaître à un faible degré d'exposition par l'eau potable, mais les estimations semi-qualitatives et rétrospectives de l'exposition sont jugées inadéquates pour permettre une évaluation du risque. En outre, il a pu y avoir un biais de sélection, car les sujets ont été sélectionnés dans une population où une grappe de sclérose latérale amyotrophique et une contamination par le sélénium avaient déjà été décelées par les chercheurs.

Dans une étude cas-témoins de petite envergure (Bruhn et coll., 2009), on a observé une prévalence de glaucome considérablement plus élevée dans les tertiles moyens et supérieurs (183,5 à 215,9 ng/mL; 218,5 à 398,8 ng/mL) de la concentration sérique de sélénium que dans le tertile inférieur (127,3 à 182,6 ng/mL). Toutefois, on n'a constaté aucune relation dose-réponse dans les tertiles de la concentration de sélénium dans l'humeur aqueuse de l'œil. Il se peut que la petite taille de l'échantillon et le ratio témoin-cas (~1:1) aient entravé la correction tenant compte des facteurs de confusion. Les auteurs ont aussi mentionné l'existence d'une publication interne sur un essai de l'Université d'Arizona dans laquelle on a relevé un lien entre la prévalence de glaucome et la concentration sanguine de sélénium, mais n'ont fourni aucun autre détail.

On considère que le sélénium est essentiel au fonctionnement de la glande thyroïde (Johnson et coll., 2010). Les effets du sélénium sur le métabolisme de la thyroïde ont été évalués dans un examen qui a porté sur deux études transversales et trois études d'intervention menées en Nouvelle-Zélande (Thomson et coll., 2005). La corrélation entre la concentration plasmatique de sélénium et l'état de la glande thyroïde n'était pas significative dans les études transversales. On a observé une baisse significative (P = 0,0045) de la thyroxine après l'administration de différentes concentrations de sélénométhionine à 52 adultes répartis dans cinq groupes (0, 10, 20, 30 ou 40 mg) dans une seule étude d'intervention. L'objectif de l'étude était d'évaluer les effets de l'administration de suppléments de sélénium sur l'activité de la glutathion peroxydase; les sujets présentaient de faibles concentrations de sélénium plasmatique (moins de 100 µg/L) (Duffield et coll., 1999).

9.1.6 Toxicité pour le développement et la reproduction

Comme les travaux sur la toxicité du sélénium pour le développement et la reproduction effectués chez les humains sont rares, il n'existe pas de preuve concluante sur la toxicité de cette substance sur ces deux plans. Aucune étude n'a prouvé la tératogénicité du sélénium chez l'humain (OEHHA, 2010). Selon l'Institute of Medicine (2000), il n'existe aucun compte rendu indiquant des symptômes de tératogénicité chez des nourrissons nés de mères dont l'apport de sélénium est élevé (sans toxicité).

À Rivalta, en Italie, Vinceti et coll. (2000) ont relevé la proportion d'avortements spontanés et de malformations congénitales chez des femmes ayant bu de l'eau potable dont la concentration en sélénate variait de 7 à 9 µg/L pendant la grossesse, comparativement aux femmes ayant bu de l'eau potable dont la concentration en sélénate était inférieure à 1 µg/L, entre 1972 et 1988. Après avoir examiné les dossiers de naissance informatisés (n = 1974) de tous les résidants de Rivalta dans les registres du Bureau général de l'état civil, on n'a relevé aucun effet indésirable sur la reproduction humaine, à l'exception d'une augmentation non significative du taux d'avortement (ratio des taux = 1,73, IC à 95 % = 0,62 à 4,8).

Le Western Human Nutrition Research Center de l'Agricultural Research Service de Californie a évalué les effets du sélénium chez environ 30 hommes en bonne santé, âgés entre 18 et 45 ans, pendant un an (Hawkes et Turek, 2001). Les participants ont été séparés et ont reçu une alimentation riche (300 µg/jour) ou pauvre (10 µg/jour) en sélénium pendant 99 jours, le sélénium des aliments étant remplacé par le sélénite aux jours 111 à 117 selon les concentrations respectives. Dans le groupe ayant reçu une alimentation riche en sélénium, la mobilité des spermatozoïdes avait diminué de 32 % à la 13e semaine et de 17 % à la semaine 17 comparativement à la mobilité de départ (semaine 0). La concentration et le nombre de spermatozoïdes a chuté de plus de 50 % dans les deux groupes. Toutefois, les auteurs ont avancé que des facteurs environnementaux et des facteurs liés à l'alimentation pourraient constituer des variables de confusion. Dans une expérience récente menée par les mêmes chercheurs, où les participants étaient plus nombreux (n = 42) et la durée plus longue (48 semaines), on n'a constaté aucune différence dans la qualité du sperme (Hawkes et coll., 2009). On n'a décelé aucun effet sur le métabolisme des hormones thyroïdiennes (concentration sanguine de triiodothyronine et de thyroxine), la composition corporelle (masse maigre et masse adipeuse) ou la réponse vasculaire (diamètre des artères et débit sanguin) dans une cohorte constituée d'hommes en bonne santé auxquels on a administré 300 µg de levure enrichie en sélénium tous les jours pendant trois à six semaines (Hawkes et coll., 2008).

L'OEHHA (2010) a également fait état d'études de cas chez qui on a examiné la qualité et la quantité des spermatozoïdes. En général, on n'a observé aucune corrélation ou corrélation positive entre ces paramètres et la concentration sanguine de sélénium. Par exemple, dans une étude transversale menée aux États-Unis, on n'a relevé aucune relation significative entre le sélénium et la proportion d'anomalies congénitales en 1986 au Nebraska (42 collectivités sur 453 s'approvisionnaient d'une eau potable dont la concentration en sélénium était supérieure à 0,01 mg/L). En outre, on n'a noté aucun effet tératogène lié à une grande exposition au sélénium (concentration urinaire moyenne des sujets de 0,38 mg/L) au Vénézuela.

En conclusion, on ne dispose d'aucune preuve claire indiquant un effet toxique du sélénium sur le développement ou la reproduction.

9.2 Effets sur les animaux de laboratoire

Les effets d'une exposition au sélénium sur les animaux de laboratoire sont variables, et il a été établi qu'ils dépendent de nombreux facteurs : espèce et type (rongeurs ou animaux d'élevage), espèce chimique du sélénium, dose, durée et voie d'exposition, alimentation, état physiologique, présence d'autres contaminants ou nutriments, stress, etc. (Valdiglesias et coll., 2009). On considère également que le sélénium est essentiel à la santé des animaux (Davis et coll., 1999; Nogueira et Rocha, 2011).

9.2.1 Toxicité aiguë

Les animaux de laboratoire ayant été exposés à des concentrations très élevées de sélénium manifestent une insuffisance respiratoire, une nécrose et une congestion du rein et du foie ainsi qu'une baisse de l'activité locomotrice (Civil et McDonald, 1978; Griffiths et coll., 2006). Dans le cas du sélénite, les doses létales médianes par voie orale (DL50) relevées dans les publications se situaient entre 3,2 et 50 mg/kg p.c. chez la souris et le rat (Morss et Olcott, 1967; Pletnikova, 1970; Cummins et Kimura, 1971; Vinson et Bose, 1981; Plasterer et coll., 1985; Griffiths et coll., 2006). La DL50 par voie orale chez le cobaye femelle était de 2,3 mg/kg p.c. et chez la lapine, de 1 mg/kg p.c. (Pletnikova, 1970).

La forme de sélénium administrée a une incidence sur la toxicité aiguë (Nuttall, 2006). Cummins et Kimura (1971) ont observé des différences considérables dans les valeurs de DL50 par voie orale de rats Sprague-Dawley après l'administration de différentes formes de sélénium (ayant divers états d'oxydation et différentes solubilités). Les valeurs de DL50 par voie orale s'élevaient à 7 mg/kg p.c. pour le sélénite, à 138 mg/kg p.c. pour le sulfure de sélénium et à 6 700 mg/kg p.c. dans le cas du sélénium à l'état élémentaire. Les signes apparaissant dans les 18 à 72 heures suivant l'administration et avant le décès comprenaient une activité pilomotrice, une baisse de l'activité, une dyspnée, la diarrhée, l'anorexie et la cachexie (perte de poids). Il existait une bonne corrélation entre la concentration sanguine de sélénium et les effets toxiques observés en fonction des différentes formes de sélénium administrées.

Des valeurs de DL50 ont été publiées pour d'autres formes de sélénium : 35,9 mg/kg p.c. (souris mâles) pour la sélénocystéine et 4,07 à 37,3 mg/kg p.c. (rats et souris) pour la levure enrichie en sélénium (Vinson et Bose, 1981; Sayato et coll., 1997). Il n'existe aucune donnée fiable pour le sélénate administré par voie orale.

En conclusion, il a été démontré qu'une exposition aiguë au sélénium cause une insuffisance respiratoire, une nécrose du foie et des reins, une activité plus faible, une dyspnée, des diarrhées et la mort.

9.2.2 Exposition à court terme

Chez les animaux de laboratoire ayant été exposés à court terme à du sélénium administré par voie orale, on a observé une moins grande consommation d'eau, un comportement qu'on a jugé être responsable de la perte pondérale et de la dégénérescence médullaire rénale subséquentes. En outre, une posture voûtée, une diminution du poids du cœur, de la rate et du thymus, une hypertrophie hépatocellulaire centrilobulaire, une hypertrophie des cellules de la zone glomérulée des surrénales, un retard de croissance et des anomalies du système cardiovasculaire, de l'appareil respiratoire, de l'appareil rénal, du système endocrinien, du système nerveux et du système tégumentaire (peau et cheveux) ont été signalés.

Dans une étude réalisée par l'U.S. National Toxicology Program (Abdo, 1994), on a exposé des rats F344/N et des souris B6C3F1 (10 de chaque sexe par concentration) à du sélénate ajouté dans l'eau potable à des concentrations de 0, 3,75, 7,5, 15, 30 ou 60 mg/L tous les jours pendant 90 jours. On a estimé que ces concentrations étaient équivalentes aux doses de sélénium suivantes : 0, 0,1, 0,2, 0,4, 0,6 et 1,1 mg/kg p.c. par jour chez les rats mâles; 0, 0,1, 0,2, 0,4, 0,6 et 0,8 mg/kg p.c. par jour chez les rats femelles et 0, 0,3, 0,5, 0,8, 1,5 ou 2,6 mg/kg p.c. par jour chez la souris. Dans le groupe ayant reçu 60 mg/L, tous les rats sont morts (à la 11e semaine pour les mâles et la 6e semaine pour les femelles). Le poids corporel moyen des rats ayant reçu 30 mg/L et des souris ayant reçu 30 et 60 mg/L était plus faible (13 % à 29 %) que celui des animaux témoins. On a relevé une moins grande consommation d'eau chez les rats et les souris ayant été exposés à 15 mg/L et plus. L'administration de sélénate à des concentrations supérieures ou égales à 7,5 mg/L était associée à une incidence accrue de dégénérescence médullaire rénale chez le rat, possiblement attribuable à la déshydratation. On a jugé que la déshydratation était responsable de la réduction du volume d'urine observé et de l'augmentation du nombre d'érythrocytes, de l'hématocrite, de la concentration d'hémoglobine, de l'activité de l'alanine aminotransférase, de la concentration de l'azote urique et de la densité de l'urine chez le rat. On n'a constaté aucune lésion rénale chez la souris. Les valeurs obtenues après analyse biochimique du sang des souris traitées étaient semblables à celles des témoins.

Dans la même étude réalisée par le National Toxicology Program (Abdo, 1994), on a également exposé des rats F344/N et des souris B6C3F1 (10 animaux de chaque sexe par groupe de dose) à du sélénite ajouté dans l'eau potable à des concentrations de 0, 2, 4, 8, 16 ou 32 mg/L quotidiennement pendant 13 semaines. On a estimé que ces concentrations étaient équivalentes aux doses de sélénium suivantes : 0, 0,08, 0,13, 0,2, 0,4 et 0,8 mg/kg p.c. par jour chez les rats mâles; 0, 0,08, 0,13, 0,2, 0,4 et 0,9 mg/kg p.c. par jour chez les rats femelles et 0, 0,14, 0,3, 0,5, 0,9 ou 1,6 mg/kg p.c. par jour chez la souris. Deux rates exposées à une concentration de 32 mg/L sont mortes. Le poids corporel moyen était plus faible (17 % à 54 %) chez les rats et les souris exposés à 32 mg/L comparativement à celui des témoins. Chez le rat et la souris, la baisse de la consommation d'eau était inversement proportionnelle à la concentration de sélénite. Le sélénite a induit des altérations semblables à celles du sélénate chez le rat pour ce qui est des paramètres hématologiques, de biochimie clinique et d'analyse urinaire. Il se peut aussi que ces effets aient été induits par la déshydratation. Le sélénite, à des concentrations égales ou supérieures à 0,8 mg/L, a aussi augmenté l'incidence de dégénérescence médullaire rénale chez le rat. La déshydratation peut avoir joué un rôle dans les effets observés chez le rat et la souris. Le sélénite n'a pas causé de lésions chez la souris.

Certains effets liés à la diminution de la consommation d'eau et des lésions papillaires rénales ont été observés à une dose plus faible (7,5 mg/L), mais l'auteur a estimé que la NOAEL chez le rat était de 0,4 mg/kg p.c. par jour pour le sélénate et le sélénite (exprimés comme équivalent de sélénium), compte tenu de la mortalité, de la baisse pondérale, de la diminution de la consommation d'eau et des lésions papillaires rénales (Abdo, 1994). La NOAEL estimée chez la souris était de 0,8 mg/kg p.c. par jour pour le sélénate (exprimé comme équivalent de sélénium) et de 0,9 mg/kg p.c. par jour pour le sélénite (exprimé comme équivalent de sélénium), compte tenu de la baisse du poids corporel et de la consommation d'eau.

Des rats Sprague-Dawley (10 à 13 rats de chaque sexe par groupe de dose) ont été exposés à du sélénate ajouté dans l'eau potable à des doses de 0, 7,5, 15 et 30 mg/L (équivalant à des doses de 0, 0,5, 0,8 et 1,1 mg/kg p.c. selon l'estimation) pendant 30 jours (NTP, 1996). Les femelles ont été réparties dans trois groupes : péri-conception, gestationnel et cytologie vaginale. Le poids corporel des mères et des mâles avait diminué dans tous les groupes ayant reçu des doses de sélénate. Les groupes exposés à 0,8 et à 1,1 mg/kg p.c. présentaient des signes de toxicité, par exemple surrénales de petite taille et pâles, épaississement de la paroi de l'estomac, adhérence de l'estomac à des organes abdominaux, hypertrophie et hypotrophie des reins, hypertrophie de la rate et nodules à l'endroit de l'implantation. On n'a calculé aucune NOAEL, car on a observé une diminution du poids corporel dans tous les groupes traités.

Des souris suisses ont été exposées quotidiennement à du sélénite ajouté dans l'eau potable à des concentrations variant entre 1 et 64 mg/L pendant 46 jours (Jacobs et Forst, 1981b). On a relevé une baisse du taux de survie et une baisse du poids corporel à la concentration de 64 mg/L, les femelles étant moins tolérantes que les mâles, alors que les concentrations de 1, de 4 et de 8 mg/L ont amélioré la survie et la croissance. Les auteurs n'ont pas calculé de NOAEL.

Les effets d'une préparation de levure enrichie en sélénium ont été évalués chez des rats Sprague-Dawley (des deux sexes) et chez des chiens beagle (des deux sexes) pendant 28 ou 90 jours (Griffiths et coll., 2006). Le sélénium contenu dans la levure était présent sous forme de sélénométhionine (98 %). Dans l'étude d'une durée de 28 jours, on a administré aux rats des doses de sélénium de 0, 0,1, 0,51, 2,0 ou 5,1 mg/kg p.c. par jour (n = 6 par groupe), et on a administré aux chiens des doses de sélénium de 0, 0,045, 0,225 ou 1,125 mg/kg p.c. par jour (n = 4 par groupe). Dans l'étude d'une durée de 90 jours, on a administré aux rats des doses de sélénium de 0, 0,23, 0,36 ou 0,61 mg/kg p.c. par jour (n = 20 par groupe), et aux chiens des concentrations de sélénium de 0, 0,06, 0,2 ou 0,6 mg/kg p.c. par jour (n = 8 par groupe). On a aussi administré du sélénite à un autre groupe de rats à raison de 0,35 mg/kg p.c. par jour, et à un autre groupe de chiens 0,6 mg/kg p.c. de sélénite par jour dans l'étude d'une durée de 90 jours. On n'a constaté aucune mortalité attribuable au traitement dans les groupes. Dans l'étude d'une durée de 28 jours effectuée chez le rat, on a observé une posture voûtée dans le groupe ayant reçu une dose égale ou supérieure à 0,51 mg/kg p.c. par jour. Les animaux des groupes ayant reçu les deux doses les plus élevées ont été sacrifiés en raison de leur posture voûtée qui est apparue à partir du jour 4. On a observé une salivation excessive chez les chiens ayant reçu la plus forte dose ainsi qu'une diminution du nombre d'érythrocytes, une baisse de la concentration d'hémoglobine et une diminution de la valeur d'hématocrite dans les groupes ayant reçu 0,225 mg/kg p.c. par jour. Au cours de l'étude de 90 jours, on a noté une réduction de la consommation d'aliments dans tous les groupes de rats. En outre, aux doses de sélénium supérieures à 0,23 mg/kg p.c. par jour et dans le groupe sélénite, on a observé une perte de fourrure, une posture voûtée, une diminution du poids du cœur, du thymus et de la rate chez les rats mâles, une hypertrophie hépatocellulaire centrilobulaire et une hypertrophie de la zone glomérulée des surrénales. Dans les groupes de chiens ayant été traités pendant 90 jours à la concentration de 0,6 mg/kg p.c. par jour, on a constaté une maigreur ainsi qu'une baisse du nombre d'érythrocytes, de la concentration d'hémoglobine, de l'hématocrite et de la concentration moyenne d'hémoglobine par cellule. Dans le groupe ayant reçu 0,2 mg/kg p.c. par jour, on a relevé des concentrations élevées de cholestérol. Les NOAEL étaient de 0,1 mg/kg p.c. par jour chez le rat et de 0,045 mg/kg p.c. par jour chez le chien dans l'étude d'une durée de 28 jours. Elles étaient de 0,23 mg/kg p.c. par jour chez le rat et de 0,06 mg/kg p.c. par jour chez le chien dans l'étude de 90 jours.

Des signes de sélénose (perte de poils, lésions des sabots) sont apparus chez les animaux d'élevage (veaux, bouvillons et cochons) auxquels on a administré du sélénite, de la sélénométhionine ou de la levure enrichie en sélénium (organique) soit dans l'alimentation ou par gavage (sélénite ou levure enrichie en sélénium à une concentration supérieure à la plage de 5 à 20 mg/kg de nourriture dans le cas des cochons, et sélénite et sélénométhionine à une concentration allant de 0,28 à 0,8 mg/kg de poids corporel chez les bouvillons et les veaux) dans des études de courte durée (O'Toole et Raisbeck, 1995; Kim et Mahan, 2001; Kaur et coll., 2003).

L'OEHHA (2010) a décrit plusieurs études portant sur les effets sur la santé observés chez la souris et le rat après une exposition de courte durée (14 jours à 3 mois) au sélénite, au sélénate et à des composés organiques comme la sélénométhionine administrés par voie orale. Le rat était l'espèce la plus sensible, et on a observé des effets indésirables à des concentrations supérieures à la NOAEL, située entre 0,026 et 0,50 mg/kg p.c., notamment un retard de croissance et des anomalies du système cardiovasculaire, du foie, de l'appareil respiratoire, des reins et du système endocrinien. La NOAEL la plus élevée observée pour ces effets sur la santé était de 1,67 mg/kg p.c. dans le cas du sélénite après une exposition de 13 semaines. Les formes organiques de sélénium, comme la sélénométhionine, ont induit les mêmes effets indésirables à des concentrations supérieures à la NOAEL, située entre 0,125 et 0,320 mg/kg p.c. chez le rat. Ces effets ont aussi été observés chez la souris, la NOAEL variant entre 0,20 et 7,17 mg/kg p.c. On a relevé l'apparition d'anomalies gastro-intestinales, oculaires et musculaires à des doses supérieures à 7,17 mg/kg p.c. chez la souris. La sélénométhionine a induit les mêmes effets, outre les anomalies neurologiques, à des doses supérieures à la NOAEL, qui variait de 1,36 à 1,96 mg/kg p.c. chez la souris. Les cochons, les veaux et les singes ont présenté les mêmes effets indésirables que le rat, de même que des anomalies neurologiques et cutanées, après une exposition par voie orale à des doses supérieures à la NOAEL, située entre 0,014 et 1,25 mg/kg p.c. La sélénométhionine a induit ces effets à des doses supérieures à la fourchette de 0,08 à 1,25 mg/kg p.c.

9.2.3 Exposition à long terme et cancérogénicité

La plupart des études de cancérogénicité menées avec le sélénate, le sélénite et les composés organoséléniés ont donné des résultats négatifs chez des animaux de laboratoire. L'exposition au sélénium peut retarder l'apparition de tumeurs induites chimiquement. Les signes distinctifs d'une exposition chronique au sélénium sont les anomalies des sabots, des cornes et des poils.

La maladie alcaline est la manifestation la plus caractéristique découlant d'une exposition chronique au sélénium (par l'ingestion de nourriture destinée aux animaux ou de plantes accumulant le sélénium) chez les gros animaux comme les vaches, les bouvillons et les cochons (Zhang et Spallholz, 2011). Cette maladie se caractérise par une maigreur, une rigidité, une boiterie, la perte de poils et la fente des sabots (O'Toole et Raisbeck, 1995). Parmi les signes de la maladie alcaline, on a aussi relevé une atrophie du cœur et du foie, de l'anémie et une érosion des os (Moxon, 1937). Les animaux de laboratoire exposés à long terme à des doses variant entre 0,1 et 0,57 mg/kg p.c. présentaient les effets toxiques suivants : perte de poids, toxicité pour les reins et le foie (congestion des organes, dégénérescence graisseuse dans les cellules parenchymateuses, lésions hyperplasiques, amyloïdose, néphrite, nécrose) (Nelson et coll., 1943; O'Toole et Raisbeck, 1995; O'Toole et coll., 1996; OEHHA, 2010).

Plusieurs études à long terme ont été entreprises afin de déterminer si le sélénate ou le sélénite induisent des tumeurs chez les animaux de laboratoire. Schroeder et Mitchener (1971a) ont administré du sélénite ou du sélénate ajouté dans l'eau potable à la concentration de 2 mg/L (0,14 mg/kg p.c. par jour)Note de bas de page 2 à des rats Long-Evans après le sevrage. La dose a été augmentée à 3 mg/L (0,21 mg/kg p.c. par jour) à un an d'âge, et l'administration s'est poursuivie jusqu'au décès naturel. La toxicité intrinsèque du sélénite était associée à un taux de mortalité élevé chez les rats mâles, mais à un taux inférieur chez les femelles. Le sélénate n'a pas induit de signe particulier de toxicité pendant la première année. Les effets toxiques relevés à l'autopsie étaient une augmentation des plaques aortiques et de la concentration sérique de cholestérol à la fois chez les mâles et les femelles. Les rats ayant reçu du sélénate dans leur nourriture ont développé à un âge plus précoce un plus grand nombre de tumeurs (30 contre 20, ~ 0,001) et un plus grand nombre de tumeurs malignes (20 contre 11, < 0,01) que les rats témoins.

À l'opposé, on n'a pas constaté de différence significative dans l'incidence des tumeurs lorsque le sélénite ou le sélénate était administré à la dose de 3 mg/L dans l'eau potable à des souris suisses CD au cours de leur vie. On a cependant observé une réduction du poids corporel chez les femelles, une augmentation du poids corporel chez les mâles et un déclin manifeste de la santé générale chez les souris (Schroeder et Mitchener, 1972).

Dans une étude du U.S. National Cancer Institute menée par Tinsley et coll. (1967), 1 437 rats des deux sexes répartis dans 34 groupes alimentaires différents (nourriture fournie à volonté) ont reçu du sélénite ou du sélénate à des concentrations allant de 0,5 à 16 mg/kg de nourriture de concentration protéique variable au cours de huit périodes d'une durée située entre 28 et 1 150 jours. On a observé une diminution de la consommation de nourriture chez les mâles ayant reçu une concentration égale ou supérieure à 4 mg/kg de nourriture. On a constaté une diminution du taux de croissance proportionnelle à l'augmentation de la concentration de sélénium. Le sélénate a eu un effet réducteur plus prononcé sur le poids corporel que le sélénite chez les rats femelles. On a constaté des effets toxiques du sélénium dans presque tous les tissus autopsiés, mais principalement dans le foie (lésions en foyer, cellules anormales), à la concentration de 0,5 à 16 mg/kg de nourriture. Parmi les autres organes touchés, citons les surrénales (vésiculation du cortex), le pancréas (œdème interstitiel, hyperplasie et congestion), le myocarde (infiltration de macrophages et de lymphocytes et prolifération du tissu adventice), la rate (congestion, hyperplasie et déplétion, réticulose, sclérose) et les reins (néphrite interstitiel, présence de kystes). Les seuls paramètres non touchés étaient la concentration d'érythrocytes et le poids de la rate. La teneur protéique élevée de l'alimentation a réduit la gravité des lésions. Les lésions hyperplasiques au foie n'ont pas disparu après l'arrêt de la prise de sélénium. L'augmentation graduelle de la dose de sélénite ou de sélénate à 4 mg/kg de nourriture n'a pas induit de tolérance au sélénium (compte tenu de la durée de vie) comparativement à l'administration directe de 4 mg/kg de nourriture. Selon une étude de suivi au cours de laquelle on a analysé les tissus de ces rats, aucun néoplasme n'a été induit (Harr et coll., 1967).

Une autre étude de longue durée a permis d'évaluer l'effet de l'administration de sélénite dans l'eau potable à la concentration de 1, de 4 ou de 8 mg/L (10,3, 32,3 et 49,8 µg/jour) à des souris suisses des deux sexes pendant 47 semaines (Jacobs et Forst, 1981b). On n'a noté aucun effet significatif sur la survie, peu importe la dose. Tous les animaux ont pris du poids; toutefois, le groupe ayant reçu 8 mg/L n'a gagné que la moitié du poids pris par les animaux témoins. Aucune altération significative des paramètres biochimiques sériques (alcaline aminotransferase, aspartate aminotransferase, alcaline phosphatase) n'a été observée. Dans les groupes on n'a constaté aucun signe de néoplasie.

9.2.4 Génotoxicité

La génotoxicité du sélénium a été évaluée dans une grande gamme de systèmes. On a obtenu des résultats positifs et négatifs et observé des effets protecteurs (Ferguson et coll., 2012). De nombreuses données laissent croire que le sélénium empêche les lésions de l'ADN in vitro et in vivo (Davis et coll., 1999; Letavayová et coll., 2006). En outre, il a été établi que cet élément réduit les effets toxiques de plusieurs cancérogènes, dont le cadmium et l'arsenic, in vitro dans des cellules animales et humaines (Davis et coll., 1999; Zhou et coll., 2009; Zwolak et Zaporowska, 2012).

Toutefois, des doses élevées de sélénite et de sélénate peuvent entraîner une génotoxicité in vitro et in vivo selon les données de plusieurs essais, notamment l'essai de recombinaison avec Bacillus subtilis mesurant les lésions subies par l'ADN, le test d'Ames sur Salmonella, la mesure des aberrations chromosomiques, le test des comètes, le marquage à la désoxyuridine triphosphate des terminaisons coupées par la désoxynucléotidyle transférase terminale (essai TUNEL) et la recombinaison à la méiose en fonction de la fréquence des enjambements chez Drosophila melanogaster (Noda et coll., 1979; Norppa et coll., 1980a, b,c; Whiting et coll., 1980; Ray, 1984; Khalil, 1989; OMS et FAO, 2004; Valdiglesias et coll., 2009).

9.2.4.1 Observations in vitro

Les résultats des essais de génotoxicité in vitro sont non concluants et varient en fonction de la concentration et de la forme de sélénium utilisées. En général, les concentrations élevées et le sélénite donnent des résultats positifs (Letavayová et coll., 2006).

Différents essais ont montré le potentiel génotoxique du sélénium. Par exemple, le sélénate et dans une plus grande mesure, le sélénite, induisent une détérioration de l'ADN dans l'essai de recombinaison réalisé avec Bacillus subtilis (Nakamuro et coll., 1976) et la substitution d'une paire de base dans des souches de Salmonella typhimurium TA100 et TA104 (Noda et coll., 1979; Kramer et Ames, 1988). À l'aide d'essais de recombinaison de Kada effectués avec Bacillus subtilis, il a aussi été démontré que le sélénite et le sélénate endommagent l'ADN (Noda et coll., 1979). À l'opposé, on n'a signalé aucune génotoxicité du sélénite avec l'essai employant Bacillus et le test d'Ames sur Salmonella/microsome (Lofroth et Ames, 1978; U.S. EPA, 1991a; Valdiglesias et coll., 2009).

Le sélénite s'est révélé génotoxique et mutagène, car il a induit une conversion génique, une mutation inverse, un enjambement à la mitose, des cassures double brin de l'ADN, des mutations déplaçant le cadre de lecture et la formation de colonies aberrantes chez la levure Saccharomyces cerevisiae (Anjaria et Madhvanath, 1988; Letavayová et coll., 2006). On a émis l'hypothèse que les effets génotoxiques du sélénite étaient causés par la production de dérivés réactifs de l'oxygène (Letavayová et coll., 2008). Par ailleurs, la génotoxicité du sélénite chez la levure était accentuée par l'addition de glutathion (Anjaria et Madhvanath, 1988). La réaction du sélénite avec le glutathion produit des dérivés réactifs de l'oxygène, comme il est expliqué à la section 9.3 ci-dessous (Mézes et Balogh, 2009).

Le sélénite, le sélénate et la sélénométhionine sont génotoxiques dans les fibroblastes humains en culture primaire et les lymphocytes purifiés du sang périphérique, les effets toxiques étant mesurés par la fragmentation de l'ADN, les aberrations chromosomiques, les bris de brins d'ADN, les échanges de chromatides sœurs et l'induction de micronoyaux (Lo et coll., 1978; Ray et Altenburg, 1982; Khalil et Maslat, 1990). Le sélénite induit des lésions de l'ADN et des aberrations chromosomiques (bris et fragments) dans les fibroblastes humains en culture, alors que le sélénate améliore légèrement la réparation de l'ADN (Lo et coll., 1978). Aussi, le sélénite et la sélénométhionine induisent des aberrations chromosomiques (fragments et bris) et un ralentissement de la division cellulaire chez les lymphocytes humains en culture primaire (Khalil, 1989; Biswas et coll., 2000). Le sélénite était plus clastogène que le sélénate. Le sélénite, le sélénate et le séléniure induisent des aberrations chromosomiques et une synthèse non programmée de l'ADN, une mesure de la réparation active de l'ADN dans des cellules ovariennes de hamster chinois (Whiting et coll., 1980). Les effets sont accrus en présence de fractions S9 et d'un ajout de glutathion. Ils sont par contre atténués par la présence d'antioxydants comme la superoxyde dismutase, ce qui appuie l'effet pro-oxydatif du sélénium, comme l'explique Drake (2006). On n'a pas observé d'effets génotoxiques dus au sélénium organique (sélénocystéine, sélénocystamine et sélénométhionine) dans des cellules ovariennes de hamster chinois.

En conclusion, la sélénométhionine et les formes inorganiques de sélénium se sont avérées génotoxiques in vitro, cette génotoxicité découlant de la production d'une plus grande quantité de dérivés réactifs de l'oxygène selon les hypothèses.

9.2.4.2 Observations in vivo

Les résultats des études in vivo varient et n'établissent pas un profil clair de génotoxicité, bien que l'on ait obtenu des résultats positifs à des concentrations élevées (allant de 0,15 mg/kg de nourriture à une valeur proche de la DL50 chez des animaux de laboratoire).

Des doses élevées de sélénite (5, 10 et 20 µmol/kg p.c.) injectées par voie intrapéritonéale ont induit des bris d'ADN dépendants de la dose (test des comètes) dans des hépatocytes de rats Sprague-Dawley (n = 5 rats mâles par dose) (Yu et coll., 2006) ainsi que des échanges de chromatides sœurs et des aberrations chromosomiques dans la moelle osseuse de hamster chinois (n = 20 de chaque sexe) (Norppa et coll., 1980c). Norppa et coll. (1980c) affirment qu'à ces fortes doses, trois hamsters sont décédés quelques heures après l'injection de sélénium. Dans une autre étude réalisée avec des souris mâles NMRI avec le même protocole, on a observé des aberrations chromosomiques dans les cellules de la moelle osseuse, mais pas dans les spermatocytes en culture primaire (Norppa et coll., 1980a).

L'administration de sélénite (0, 0,15 ou 2,0 mg/kg de nourriture) pendant 10 semaines dans l'alimentation de rats Sprague-Dawley a induit une augmentation dépendante de la dose des 8-hydroxy-2′-désoxyguanosine (8-OHdG), un indicateur des lésions oxydatives dans l'ADN (Wycherly et coll., 2004). Ceci concorde avec les résultats des études in vitro montrant le rôle joué par les dérivés réactifs de l'oxygène dans l'induction de lésions de l'ADN.

Par ailleurs, 49 chiens beagle mâles âgés (correspondant à des hommes âgés de 62 à 69 ans) ont été nourris pendant sept mois avec une alimentation normale ou une alimentation à laquelle on a ajouté de la sélénométhionine ou de la levure enrichie en sélénium à une concentration correspondant aux besoins nutritionnels (3 µg/kg p.c.) ou supérieure à ces derniers (6 µg/kg p.c.) (Waters et coll., 2003, 2005). Les cassures de brins d'ADN observées dans les cellules du cerveau et de la prostate (> 90 % des cellules épithéliales), mesurées par le test des comètes, ont révélé une détérioration non linéaire de l'ADN - c'est-à-dire, une relation en U en fonction de la dose (Waters et coll., 2005). Dans une publication antérieure du même groupe et faisant appel au même protocole, on a mesuré une moins grande détérioration de l'ADN (test des comètes) et une augmentation de l'apoptose (essai TUNEL) (Waters et coll., 2003).

Chez l'humain, le sélénite injecté ou administré par voie orale sous forme de comprimés (0,004 à 0,050 mg/kg p.c. par jour pendant 1 à 13,5 mois) n'a pas induit d'aberrations chromosomiques dans les lymphocytes (Norppa et coll., 1980c).

En conclusion, les effets génotoxiques et oxydatifs ou la protection contre ces effets in vitro et chez les animaux causés par les formes organiques et inorganiques de sélénium varient en fonction de la dose, du système et de l'essai utilisé. On a observé une génotoxicité in vitroet in vivo, mais rien n'indique de façon probante que le sélénium est directement génotoxique. Les résultats positifs observés aux doses élevées seraient attribuables à la production de dérivés réactifs de l'oxygène, et non à l'activité directe du sélénium sur l'ADN, comme le montre l'augmentation de la concentration de 8-OHdG (EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies, 2000; Drake, 2006; Letavayová et coll., 2006, 2008).

9.2.5 Toxicité pour la reproduction et le développement

On dispose de peu de publications portant sur des études évaluant la toxicité du sélénium pour la reproduction et le développement. Les quelques cas de toxicité pour la reproduction et le développement observés chez des animaux de laboratoire sont associés à une toxicité chez la mère.

9.2.5.1 Effets sur la reproduction

Rosenfeld et Beath (1954) ont exposé des rats pendant deux générations à du sélénium inorganique sous forme de sélénate dans l'eau potable à une concentration de 1,5, 2,5 ou 7,5 mg/L (dose non spécifiée par les auteurs). On n'a constaté aucun effet indésirable sur la reproduction chez les rats exposés à la concentration de 1,5 mg/L dans l'eau potable. Toutefois, dans le groupe ayant reçu 2,5 mg/L, on a relevé une toxicité maternelle (perte de poids, mortalité accrue) de même qu'une baisse de 50 % de la fécondité et de la fertilité des femelles. À la dose la plus élevée (7,5 mg/L), la croissance et la survie des ratons ont été entravées. On n'a réalisé aucun examen histologique sur les organes reproducteurs.

Des rats Sprague-Dawley ont été exposés à du sélénate dans l'eau potable à une concentration de 0, 7,5, 15 ou 30 mg/L (estimée équivalente à une dose de 0, 0,5, 0,8 ou 1,1 mg/kg p.c. par jour) pendant 30 jours (n = 10 à 13 rats de chaque sexe par groupe de dose) (NTP, 1996). Les femelles ont été réparties dans trois groupes : périconception, gestationnel et cytologie vaginale. Dans tous les groupes ayant reçu une dose de sélénate, le poids des mâles et des mères avait diminué. La fonction reproductrice (baisse du nombre de ratons vivants et du poids de ces derniers, nombre d'implants et survie des ratons) était altérée uniquement à la concentration de 1,1 mg/kg p.c. par jour. On a noté uniquement des effets mineurs sur la fonction reproductrice des mâles (variation du poids des testicules et de l'épididyme aux concentrations de 0,8 et de 1,1 mg/kg p.c. par jour). Par conséquent, on a jugé que le sélénate n'était pas un agent toxique pour la reproduction ou le développement, car il diminue le poids corporel à des doses inférieures aux doses ayant un effet sur la reproduction.

De l'eau contenant du sélénate à la concentration de 3 mg/L a été administrée à volonté à trois générations de souris CD. Le sélénium a augmenté le nombre d'avortons et l'infécondité des trois générations (Schroeder et Mitchener, 1971b).

Des souris mâles BALB/c ont été nourries avec un régime alimentaire à base de levure de boulangerie enrichie en sélénite à diverses concentrations (0 à 1,02 mg/kg) pendant 4 ou 8 semaines (Shalini et Bansal, 2008). Le nombre de spermatozoïdes et leur mobilité avaient diminué, alors que la peroxydation des lipides dans les testicules, les cassures de brins d'ADN, les défauts de flagelle et la fusion de la partie centrale du spermatozoïde étaient augmentés à des concentrations de sélénite qui, selon les auteurs, entraînent une carence (0,02 mg/kg) ou sont excessives ou supérieures aux besoins nutritionnels (1,02 mg/kg) comparativement à la concentration correspondant à ces besoins (0,22 mg/kg). On a observé une augmentation significative de la dégénérescence des mitochondries, d'une mauvaise condensation de la chromatine et de cassures de brins d'ADN dans les spermatozoïdes à quatre semaines à une concentration de 0,02 mg/kg (niveau entraînant une carence) comparativement aux concentrations excessives et aux concentrations correspondant aux besoins. Les effets étaient généralement plus prononcés après huit semaines. Aucun autre effet sur la santé n'a été signalé par les auteurs.

Une étude a été réalisée sur la capacité de reproduction de souris mâles BALB/c que l'on a nourries avec une alimentation à base de levure de boulangerie enrichie en sélénite à diverses concentrations (0 à 1,02 mg/kg) durant 8 semaines (Kaur et Bansal, 2005). Seules les souris ayant reçu une alimentation carencée en sélénium (0,02 mg/kg) étaient associées à une baisse significative du nombre de spermatocytes au stade pachytène et de spermatides jeunes et matures, du nombre de spermatozoïdes et de la fertilité comparativement aux souris témoins ayant reçu une alimentation dont la teneur en sélénium était jugée adéquate (0,2 mg/kg). Les souris ayant reçu une alimentation dont la teneur en sélénium était excessive ou supérieure aux besoins nutritionnels (1,02 mg/kg) ne présentaient pas de différences significatives par rapport aux souris témoins pour ce qui est de ces paramètres.

On a constaté une augmentation de la peroxydation des lipides dans une autre étude menée par le même auteur à l'aide du même protocole d'exposition des souris (Shalini et Bansal, 2007). L'auteur y faisait état d'une baisse de la fertilité (< 0,001) et de la taille des portées (< 0,05) chez les souris ayant reçu un régime alimentaire dans lequel la concentration de sélénium était excessive ou supérieure aux besoins nutritionnels (1,02 mg/kg). On a observé une augmentation des protéines NF-κB et de l'oxyde nitrique (indicateur de l'inflammation) chez les souris carencées en sélénium uniquement.

Les concentrations élevées de sélénite ingérées par les rats dans leur alimentation (2 ou 4 mg/kg) pendant cinq semaines ont réduit le poids corporel, celui des testicules et celui de la partie caudale du canal épididymaire ainsi que la viabilité des spermatozoïdes, alors qu'une exposition à 4 mg/kg a entraîné une diminution de la mobilité des spermatozoïdes et une augmentation du nombre d'anomalies dans la partie centrale des spermatozoïdes (Kaur et Parshad, 1994). On a constaté une grande variabilité interindividuelle des anomalies touchant les spermatozoïdes de rats.

On considère que le sélénate présent dans l'eau potable n'a pas d'effet toxique sur la reproduction ou le développement, car il diminue le poids corporel des rats à des doses inférieures aux doses ayant un effet sur la reproduction dans l'étude du NTP.

9.2.5.2 Effets sur le développement

L'exposition des mères au sélénium présent dans l'eau potable à la concentration de 3 ou 6 mg/L n'a pas produit d'effet tératogène. On a signalé un retard de la croissance du fœtus lorsque des souris femelles hébergées dans des cages ventilées individuellement avaient reçu des doses élevées de sélénite (6 mg/L) dans l'eau potable 30 jours avant la gestation et 15 jours pendant celle-ci. Selon l'étude, il n'y avait aucune différence dans la taille de la portée entre les groupes ayant reçu le sélénium. Les auteurs n'ont fait état d'aucun effet sur la mère (Nobunaga et coll., 1979).

Une étude a révélé des malformations chez les petits après une administration par voie orale de sélénite (4 à 19 mg/kg p.c.) ou de sélénate (17 à 21 mg/kg p.c.) à des hamsters gestantes (Ferm et coll., 1990). Cependant, ces malformations étaient associées à des effets toxiques graves chez les mères (perte de poids et épuisement), entraînant une mortalité de 50 % des animaux à la dose de sélénite de 19 mg/kg p.c., administrée par voie orale. L'augmentation du nombre d'encéphalocèles (fréquente chez cette souche) chez le fœtus et une longueur vertex-coccis plus courte étaient associées à une baisse pondérale chez la mère et/ou une diminution de la consommation de nourriture, pour un traitement unique ou répété. Comme la malnutrition générale et la perte de poids chez les mères constituent des facteurs aggravant le risque d'apparition d'anomalies chez le fœtus, il est impossible de tirer des conclusions sur les effets tératogènes du sélénium à partir des résultats de cette étude.

Quatre singes ont été nourris selon un régime alimentaire de base semi-purifié enrichi au sélénite (200 µg/kg) au cours des 2 à 4 derniers mois de la gestation. Les petits ne présentaient aucun signe d'anomalie. Les femelles ont été accouplées de nouveau et ont donné naissance à quatre autres petits en bonne santé (Butler et coll., 1988).

Des rats femelles ayant reçu du sélénium dans leur alimentation à une concentration supérieure aux besoins nutritionnels (sélénite à 3 ou à 4,5 mg/kg) pendant huit semaines avant de s'accoupler ont porté des fœtus dont le développement était normal (Bergman et coll., 1990).

En résumé, il a été établi que le sélénium causait certains effets toxiques sur la reproduction et le développement chez les animaux de laboratoire (rats et souris); cependant, les résultats ne sont pas cohérents entre les études. Par conséquent, il est impossible de tirer quelque conclusion que ce soit.

9.3 Mode d'action

On cherche à connaître le mode d'action du sélénium principalement pour expliquer ses effets bénéfiques et son potentiel anticancérogène. Les mécanismes de son action toxique ne sont pas bien connus, mais on croit qu'ils empruntent plusieurs voies métaboliques. La perturbation de l'équilibre d'oxydoréduction de la cellule causée par une baisse du ratio glutathion/disulfure de glutathion, la hausse de l'activité oxydative et le remplacement des atomes de soufre dans les protéines entraînent des effets toxiques tels que des anomalies touchant les ongles et les cheveux (EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies, 2000; Zhong et Oberley, 2001; Nogueira et Rocha, 2011; Zhang et Spallholz, 2011).

9.3.1 Effets toxiques

Les mécanismes moléculaires expliquant la toxicité du sélénium demeurent obscurs. Certains avancent que plusieurs événements jouent un rôle sur ce plan (EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies, 2006). La toxicité du sélénium est largement causée par son effet pro-oxydant, qui se traduit par la production de peroxyde d'hydrogène et de dérivés réactifs de l'oxygène participant aux lésions tissulaires (Spallholz, 1997; Letavayová et coll., 2008; Brozmanová et coll., 2010). Cet effet pro-oxydant découle d'une déplétion en glutathion, en S-adénosylméthionine (un précurseur des groupes aminopropyles et du glutathion; régule également l'activité de plusieurs enzymes) et d'une baisse de la concentration de la vitamine E dans le foie (Anundi et coll., 1984; Scarlato et Higa, 1990; Expert Group on Vitamins and Minerals, 2003; EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies, 2006; Tiwary et coll., 2006). De fait, lorsqu'on a incubé des levures avec de la sélénométhionine à la concentration de 0,25 mmol/L, les composés thiolés étaient moins nombreux et la croissance cellulaire a ralenti. Les effets indésirables étaient renversés par l'ajout de cystéine (Kitajima et coll., 2012). Par ailleurs, l'incubation d'hépatocytes avec du sélénite à une faible concentration (30 à 100 µmol/L) a induit une augmentation de la consommation d'oxygène, a oxydé le glutathion et a induit la déplétion de la nicotinamide adénine dinucléotide phosphate, un donneur d'électrons (NADPH) (Anundi et coll., 1984; Kim et coll., 2004). Dans une autre étude, on a injecté à des souris du sélénite à la dose de 5 nmol/g p.c. On a mesuré une baisse marquée de la quantité d'adénosylméthionine dans le foie dont l'inhibition de la méthionine adénosyltransferase constituerait le mécanisme d'action (Hoffman, 1977). Ce phénomène entraîne aussi la déplétion du groupe sulfhydryle dans le foie. La nature duelle du sélénium, qui agit potentiellement comme antioxydant et oxydant, a été mise en évidence dans une lignée cellulaire humaine tirant son origine d'un hépatome, exposée à du sélénite en présence ou en l'absence de composés inhibiteurs ou inducteurs du glutathion (Shen et coll., 2000).

Par ailleurs, les formes organiques et inorganiques de sélénium peuvent interagir avec le soufre des groupes sulfhydryles, des groupes ayant un rôle crucial dans les protéines et d'autres molécules, comme le glutathion (Spallholz, 1997). Cette interaction peut aussi donner lieu à la formation de composés intermédiaires réactifs, comme les sélénosulfures et le méthylséléniure, qui réagissent avec d'autres thiols pour diminuer le glutathion à la fois in vitro et in vivo chez les animaux, puis s'ensuit une production d'anion superoxyde et de peroxyde d'hydrogène (Spallholz, 1997; Nogueira et Rocha, 2011; Zhang et Spallholz, 2011). Le sélénium inhibe donc les enzymes contenant du thiol, comme la méthionine adénosyltransférase, la succinate déshydrogénase, la lactate déshydrogénase et la NADP+-isocitrate déshydrogénase (Mézes et Balogh, 2009). La diminution de la quantité de protéines antioxydantes contenant du thiol peut aussi se traduire par une production indirecte de dérivés réactifs de l'oxygène (Mézes et Balogh, 2009). L'augmentation des dérivés réactifs de l'oxygène peut induire une cascade d'événements, dont la peroxydation des lipides, des lésions de l'ADN et une perte de l'intégrité et de la perméabilité de la membrane (p. ex. membrane des organites), ce qui mène à une libération des enzymes lysosomiales et à la nécrose des tissus (Mézes et Balogh, 2009).

Selon une autre théorie sur le mécanisme de la toxicité, les concentrations élevées de sélénium entraîneraient le remplacement du soufre par le sélénium (Letavayová et coll., 2006). Par exemple, le sélénium pourrait être responsable de l'absence de soufre dans les acides aminés, par exemple dans les groupes sulfhydryles du glutathion, des groupes cruciaux participant à la défense antioxydante (Pickrell et Oehme, 2002). Ce type de remplacement peut inhiber la synthèse protéique et l'activité des protéines réparant l'ADN.

Des analyses effectuées in vitro sur des cellules tumorales indiquent que des événements oxydatifs joueraient un rôle, qui n'est peut-être pas propre aux cellules cancéreuses, dans la toxicité induite par le sélénium. Une production accrue de dérivés réactifs de l'oxygène et une induction de l'apoptose ont été observées in vitro dans différentes lignées cellulaires cancéreuses (Yoon et coll., 2001; Drake, 2006; Guan et coll., 2009; Kandas et coll., 2009).

On a émis l'hypothèse que le risque accru de diabète résultant d'un apport élevé en sélénium serait causé par une activité antioxydative excessive (Steinbrenner, 2011). Cette dernière entraînerait l'élimination du peroxyde d'hydrogène, qui agit normalement comme intermédiaire (second messager) dans le mécanisme de la sécrétion d'insuline par le pancréas et dans la transmission de signaux après la liaison de l'insuline à son récepteur. C'est la raison pour laquelle les fortes concentrations d'antioxydants induites par le sélénium pourraient peut-être réduire la sensibilité à l'insuline.

9.3.2 Effets bénéfiques

Il est paradoxal que les effets bénéfiques du sélénium soient causés d'un côté, par son rôle dans la défense antioxydante qui se traduit par son incorporation dans les enzymes dépendantes du sélénium comme la glutathion peroxydase et, d'un autre côté, par ses effets pro-oxydants, qui entraînent l'apoptose des cellules cancéreuses (Valdiglesias et coll., 2009). La forme chimique du sélénium influence son activité biologique; les formes organiques sont généralement moins toxiques et sont incorporées plus facilement dans les sélénoprotéines (Chen et coll., 2000; Spallholz, 2001; Yan et DeMars, 2012). Toutefois, les composés séléniés tant organiques qu'inorganiques accroissent l'activité de la glutathion peroxydase et le potentiel antioxydatif cellulaire in vitroet in vivo (Dalla Puppa et coll., 2007; Erkekoğlu et coll., 2011; de Rosa et coll., 2012; Moon et coll., 2012).

On s'entend pour dire que le sélénium est un élément essentiel (Foster et Sumar, 1997; Expert Group on Vitamins and Minerals, 2002; CCME, 2009; EFSA Panel on Dietetic Products, Nutrition and Allergies, 2010; OMS, 2011). Il joue un rôle dans la défense antioxydante, la régulation du système immunitaire, certaines activités des cellules endothéliales et la régulation des hormones thyroïdiennes en faisant partie intégrante de diverses sélénoprotéines (Zeng et coll., 2009). Ces protéines participent directement à la transcription de l'ADN, à la synthèse et à la maturation des protéines, à l'influx calcique et à l'élimination des espèces oxydantes (Forceville, 2006). Il a aussi été établi que le sélénium exerce un effet antagoniste sur les effets oxydatifs d'autres métaux, tel le mercure. La sélénométhionine contrebalance la baisse de superoxyde dismutase et de glutathion et l'augmentation de malondialdéhyde observée chez des rats exposés au mercure (Su et coll., 2008). La préincubation de cellules de gliome C6 avec 50 µmol/L de sélénométhionine a abaissé la quantité de dérivés réactifs de l'oxygène attribuables au mercure (Kaur et coll., 2009). De même, le sélénite (10 µg/L) a un effet protecteur contre une baisse de l'activité de la thioredoxine réductase du foie de la dorade marbrée (n = 78) (Branco et coll., 2012). L'activité des sélénoprotéines dépend de la présence de l'acide aminé sélénocystéine au site catalytique. On croit que les concentrations plasmatiques de sélénium situées entre 70 et 90 µg/L contribuent au bon fonctionnement des enzymes (Institute of Medicine, 2000). Une carence en sélénium entraîne le dysfonctionnement de nombreux systèmes, et se manifeste par une inflammation, des maladies athérosclérotiques et peut-être une augmentation de la prévalence de maladies chroniques (Turner et Finch, 1991; Kohrle et Gartner, 2009).

La préincubation de cellules endothéliales humaines avec du sélénite de sodium à la concentration de 5 à 40 nmol/L pendant 24 heures a conféré une protection significative contre les effets oxydatifs du tert-butylhydroperoxyde (Miller et coll., 2001). L'activité de la glutathion peroxydase cytoplasmique (GPX-1), de la phospholipide hydroperoxide glutathion peroxydase (GPX-4) et de la thioredoxine réductase était aussi induite par le sélénite (Miller et coll., 2001). La préincubation avec du sélénite (30 nmol/L) ou de la sélénométhionine (10 nmol/L) à des concentrations faibles confère une protection contre les lésions oxydatives endommageant l'ADN dans les cellules cancéreuses de la prostate LNCaP (test des comètes) induites par le rayonnement ultraviolet A ou le peroxyde d'hydrogène (de Rosa et coll., 2012).

Les mécanismes permettant de prévenir le cancer ne sont pas encore élucidés. On a émis l'hypothèse que les effets anticancérogènes du sélénium faisaient appel à plusieurs mécanismes (Stewart et coll., 1997; Redman et coll., 1998; Drake, 2006; Jackson et Combs, 2008; Valdiglesias et coll., 2009). Par exemple, le sélénium peut altérer l'expression des enzymes détoxifiantes de phase I et II, inhiber la formation d'adduits, induire l'apoptose de lignées de cellules cancéreuses et agir comme un agent antiprolifératif et antioxydant (Lawson et Birt, 1983; McCarty, 1998; Davis et coll., 1999; Keck et Finley, 2004; Letavayová et coll., 2006; Guan et coll., 2009; Jariwalla et coll., 2009; Wang et coll., 2009). Il semble que les sélénoprotéines constituent un élément important protégeant contre le cancer (Diwadkar-Navsariwala et coll., 2006; Zeng et coll., 2009).

Selon divers essais effectués sur des cellules tumorales, le stress oxydatif joue un rôle dans l'induction de l'apoptose. Par exemple, le sélénite a induit une déplétion de glutathion dépendante de la dose et une augmentation de l'apoptose (détachement des cellules et fragmentation de l'ADN, mesurés par l'essai TUNEL) à des concentrations variant entre 1 et 100 µmol/L (Stewart et coll., 1997). On a également observé une apoptose induite par un stress oxydatif dans des cellules d'adénocarcinome de la prostate humaine hormono-dépendantes (LNCaP) et dans une lignée cellulaire de foie Cheng exposée à des doses élevées de sélénite (Zhong et Oberley, 2001; Kim et coll., 2004; Kandas et coll., 2009). Aussi, une apoptose, causée par une production accrue de dérivés réactifs de l'oxygène et une phosphorylation de la p53 (induction de l'apoptose en réponse à des lésions de l'ADN), une dépolarisation mitochondriale et un clivage par la caspase, ont été observés dans des cellules de leucémie humaine NB4 exposées au sélénite (Guan et coll., 2009). En effet, le sélénite et le méthylsélénol sont des agents pro-oxydants jouant un rôle direct ou indirect dans l'oxydation d'enzymes contenant de la cystéine comme la protéine kinase C et le glutathion. On a montré que l'oxydation directe du site catalytique de la protéine kinase C par le sélénite entraînait l'apoptose (Drake, 2006). En outre, la réaction du sélénite avec le glutathion produit l'ion séléniure (CH3Se), qui peut réagir avec l'oxygène pour produire le radical libre O2.. Une plus grande production de dérivés réactifs de l'oxygène cause une diminution de la quantité de glutathion, un plus grand nombre de lésions de l'ADN et l'apoptose (Drake, 2006; Letavayová et coll., 2006).

Il a été démontré que l'ajout d'antioxydants au milieu in vitro inhibe la mort de cellules tumorales mammaires induite par le sélénite (Zhong et Oberley, 2001). Ces effets semblent être bénéfiques, car il s'agit ici d'inhiber la croissance de cellules cancéreuses, mais cet effet corrobore aussi le potentiel oxydatif toxique attribuable aux composés séléniés dans les cellules normales (Zhang et Spallholz, 2011).

Des essais randomisés portant sur une vaste gamme de concentrations de sélénium faciliteraient la détermination de l'apport optimal en sélénium dans la population générale, ce qui permettrait de maximiser les avantages de cette substance pour la santé tout en évitant les effets toxiques potentiels à long terme. Aussi, l'apport optimal chez une personne dépend probablement du polymorphisme des gènes des sélénoprotéines, polymorphisme qui peut également avoir une incidence sur le risque de maladies, notamment les maladies coronariennes et l'accident ischémique cérébral (Alanne et coll., 2007; Rayman, 2012). Dans les travaux à venir portant sur les effets des suppléments de sélénium sur l'apparition de maladies chroniques, on devrait porter attention aux interactions potentielles qui existent entre le patrimoine génétique et l'apport en sélénium ou la concentration de sélénium.

9.3.2.1 Protection conférée par le sélénium contre la formation de tumeur chez les animaux

Chez plusieurs espèces, il a été établi que le sélénium inhibait le nombre et la taille des tumeurs induites chimiquement et retardait le moment de leur apparition (Jacobs, 1980; Jacobs et Forst, 1981a; Ankerst et Sjogren, 1982; Lane et Medina, 1985; Ip et coll., 1991, 2000; U.S. EPA, 1991a; Woutersen et coll., 1999; ATSDR, 2003; OMS, 2011).

Afin de démontrer que le sélénium protège contre le cancer, les souris femelles consanguines C3H/St, une souche qui développe des adénocarcinomes mammaires à une fréquence élevée, ont reçu au cours de leur vie différentes concentrations de sélénite ajoutées dans l'eau et une alimentation enrichie ou pauvre en sélénium. Les groupes de souris ayant reçu du sélénite à la dose de 0,0, 0,1, 0,5 ou 1,0 mg/L dans leur eau, ainsi qu'une alimentation de Wayne enrichie en protéines (concentration de sélénium de 0,45 mg/kg), présentaient une incidence réduite des tumeurs, et les animaux étaient plus âgés au moment de l'apparition des tumeurs (c.-à-d. apparition retardée des tumeurs) de manière dépendante de la dose (Schrauzer et coll., 1978). Dans une autre étude, un groupe de souris ayant reçu un régime alimentaire de Concord faible en protéines (concentration de sélénium de 0,15 mg/kg) présentaient une réduction de la taille des tumeurs, un ralentissement de la croissance des tumeurs et moins de tumeurs malignes lorsque du sélénium était ajouté à l'eau potable à une concentration de 0,1, 0,5 ou 2 mg/L comparativement aux témoins (Schrauzer et coll., 1978).

En ce qui a trait aux tumeurs induites par des produits chimiques, on a injecté par voie intrapéritonéale un agent cancérogène mammaire, le méthylnitroso-urée, à la dose de 50 mg/kg p.c. à des rats Sprague-Dawley âgés de 55 jours (Ip et coll., 2000). Puis on a leur a donné une alimentation contenant une concentration de base de sélénium sous forme de sélénite (0,1 mg/kg) ou une alimentation enrichie comprenant de la méthylsélénocystéine (3 mg/kg) ou du chlorure de triphénylsélénonium synthétique et hydrosoluble (30 mg/kg) pendant six semaines. Contrairement aux témoins ayant reçu l'alimentation de base (0,1 mg/kg sous forme de sélénite), le méthylsélénocystéine a abaissé le nombre total de lésions intracanalaires précancéreuses mammaires de 60 % (23 lésions contre 57 chez les témoins). Toutefois, la méthylsélénocystéine n'a eu aucun effet sur le potentiel de prolifération de ces cellules précancéreuses, comme des biomarqueurs du cycle cellulaire l'ont révélé (antigène nucléaire de la prolifération, cycline D1, réplication de l'ADN). Dans le groupe ayant reçu la méthylsélénocystéine, on a constaté une augmentation de la quantité de protéine p27/Kip 1, qui joue peut-être un rôle dans la prévention des tumeurs, compte tenu de l'action inhibitrice de la protéine sur la transition d'un cycle cellulaire à l'autre et de son effet inducteur sur la différentiation. À l'opposé, le chlorure de triphénylsélénonium (30 mg/kg) a diminué le nombre de lésions de grande taille et la prolifération cellulaire.

La plus grande activité de l'enzyme antioxydante glutathion peroxydase pourrait jouer un rôle dans la prévention du cancer et d'autres maladies chroniques (Nogueira et Rocha, 2011). Le sélénium à la fois organique et inorganique (sélénite) a augmenté l'activité glutathion peroxydase et la concentration sanguine de sélénium chez six singes femelles rhésus exposés à des concentrations allant de 0,25 à 0,5 µg/mL pendant 11 mois (Butler et coll., 1990).

En conclusion, il a été établi dans les études effectuées avec des animaux que le sélénium n'était pas cancérogène. La maladie alcaline est la manifestation la plus fréquente apparaissant après une exposition à long terme au sélénium chez les gros animaux comme les bovins, les bouvillons et les cochons (Zhang et Spallholz, 2011).

9.3.3 Comparaison entre les effets des formes organiques et inorganiques de sélénium

La plupart des publications épidémiologiques existantes portent sur l'exposition aux formes organiques de sélénium naturellement présentes dans les aliments plutôt que sur l'exposition aux formes inorganiques. Les études approfondies portant sur les différences de mécanisme d'action entre les formes inorganiques et organiques du sélénium sont rares. Bien qu'il existe des études détaillées dans lesquelles des animaux ont été exposés à des formes inorganiques, les données sur l'exposition humaine au sélénium organique sont plus fiables, comme il est expliqué ci-dessous.

Les formes organiques et inorganiques de sélénium ont des effets semblables sur la santé et partagent les mêmes voies métaboliques chez l'humain. Ainsi, les composés séléniés organiques et inorganiques sont métabolisés en séléniure et incorporés dans les sélénoprotéines (Gromadzińska et coll., 2008; Rayman, 2012). Une préincubation avec du sélénite (30 à 500 nmol/L) ou de la sélénométhionine (10 nmol/L) à des concentrations faibles a protégé des cellules microgliales et des cellules cancéreuses de la prostate LNCaP contre les lésions oxydatives de l'ADN (test des comètes) induites par le rayonnement ultraviolet A, des phtalates ou le peroxyde d'hydrogène (Dalla Puppa et coll., 2007; Erkekoğlu et coll., 2011; de Rosa et coll., 2012). Le sélénite et la sélénométhionine n'ont pas modifié de façon significative le poids corporel, le poids des tumeurs, l'induction de l'apoptose ou l'angiogenèse tumorale lorsqu'on les a administrés par voie orale à la dose de 3 mg/kg p.c. chez des souris sans thymus auxquelles on avait préalablement injecté des cellules cancéreuses épithéliales (xénogreffe), alors que l'acide méthyséléninique a ralenti le développement du cancer (Li et coll., 2008).

Les formes organiques et inorganiques de sélénium augmentent l'activité de la glutathion peroxydase et diminuent la quantité de dérivés réactifs de l'oxygène in vitroet in vivo lorsqu'elles sont administrées par voie orale à des animaux de laboratoire ou à des humains (Thomson et coll., 1982; Pehrson et coll., 1999; Dorea, 2002; Kaur et coll., 2005; Xia et coll., 2005; Gromadzińska et coll., 2008; Abedelahi et coll., 2010). En outre, on a réussi à prévenir la maladie de Keshan chez des Chinois ayant reçu des suppléments de sélénite (Yang, 1984; Cheng et Qian, 1990).

Par ailleurs, les formes organiques et inorganiques de sélénium prises à des doses élevées causent une déplétion des composés thiolés tels que le glutathion et induisent un stress oxydatif et des signes de sélénose in vitroet in vivo chez l'humain et les animaux de laboratoire (O'Toole et Raisbeck, 1995; Reid et coll., 2004; Griffiths et coll., 2006; Forceville, 2007; MacFarquhar et coll., 2010; Kitajima et coll., 2012; Misra et coll., 2012). Le sélénite et la sélénométhionine à la concentration de 1 µmol/L nuisent tous deux à la cascade de phosphorylation induite par des dérivés réactifs de l'oxygène dans les cellules musculaires en réponse à l'insuline (Pinto et coll., 2011). Toutefois, comme on le décrit à la section 9.2, on a aussi constaté quelques différences dans les effets induits par les formes inorganiques et organiques du sélénium. Ces différences peuvent être à l'origine d'une expression génétique modifiée, comme l'indiquent les variations du degré d'expression génique (mesurées dans le muscle gastrocnémien, le cortex cérébral et le foie à l'aide d'un microréseau d'ADN) induites chez la souris par l'ajout de 1 µg/kg p.c. de sélénite, de sélénométhionine ou de levure enrichie en sélénium à l'alimentation pendant 100 jours (Barger et coll., 2012). Toutefois, comme on ne dispose pas d'études mécanistes documentant les différences entre les effets des diverses formes de sélénium, il est impossible de tirer des conclusions définitives à l'heure actuelle.

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