Page 11 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le sélénium

Partie II. Science et considérations techniques (continué)

10.0 Classification et évaluation

Le Centre international de recherche sur le cancer a classé le sélénium dans le groupe 3, soit dans la catégorie de substances inclassables quant à leur cancérogénicité pour l'être humain (CIRC, 1975). La grande majorité des études épidémiologiques et animales n'indiquent pas une augmentation de l'incidence du cancer à la suite d'une vaste gamme d'expositions de longue durée au sélénium par voie alimentaire ou par la prise de suppléments; on a même avancé un effet protecteur (Harr et coll., 1967; Klein et coll., 2003; Longtin, 2003; OMS, 2011; Ferguson et coll., 2012).

Le sélénium est un élément nutritif essentiel et un constituant de plusieurs protéines et enzymes de l'organisme connues pour jouer des rôles importants, notamment la régulation des hormones thyroïdiennes et la défense antioxydante (Institute of Medicine, 2000; Otten et coll., 2006). Une carence en sélénium peut entraîner des maladies chroniques telles que la maladie de Keshan (caractérisée par une cardiomyopathie) et la maladie de Kashin-Beck (caractérisée par des rhumatismes) (Yang, 1984) et peut aussi être associée à une forme de crétinisme liée à de l'hypothyroïdie (Spallholz, 2001; OMS et FAO, 2004; Xia et coll., 2005). Afin de protéger la population canadienne des maladies susmentionnées, Santé Canada a adopté l'ANR établi pour le sélénium par l'Institute of Medicine (2000). Ce dernier a recommandé un apport quotidien variant entre 15 et 55 µg de sélénium par jour selon le groupe d'âge. Au Canada, la carence en sélénium est peu probable, car les estimations provenant de l'EAT (2005 à 2011) indiquent que la population canadienne respecte l'apport alimentaire quotidien recommandé par l'Institute of Medicine, l'alimentation étant la principale source de sélénium.

La toxicité au sélénium survient généralement lorsque l'exposition est beaucoup plus élevée que l'apport quotidien recommandé. Les signes de sélénose résultant d'une exposition à long terme à des concentrations élevées de sélénium se caractérisent par une perte de cheveux, des anomalies ou la perte des ongles, des anomalies cutanées, une haleine à l'odeur d'ail, des caries dentaires et, dans les cas plus graves, un dysfonctionnement du système nerveux.

Les études réalisées par Yang et ses collègues portaient sur les signes de sélénose apparus dans une population chinoise du comté d'Enshi exposée à des concentrations élevées de sélénium (Yang et coll., 1989a, b) et le suivi de cinq personnes sensibles s'étant rétablies et provenant de la même population (Yang et Zhou, 1994). La source de sélénium était principalement alimentaire (à base de végétaux) (Yang et coll., 1983). On a classé l'apport comme étant faible, moyen ou élevé, après l'avoir estimé à l'aide d'un questionnaire que l'on avait distribué et de mesures du sélénium dans les aliments. Les signes de la sélénose ont été classés selon leur gravité (Yang et coll., 1989b). On n'a pas décelé de signes chez les personnes dont la concentration sanguine de sélénium était égale ou inférieure à 1 000 µg/L. Les concentrations sanguines de sélénium situées entre 1 000 et 2 000 µg/L ont induit des signes chez une proportion de personnes pouvant aller jusqu'à 35 %, alors que celles égales ou supérieures à la plage de 2 000 à 3 300 µg/L ont induit les signes chez 45 % des personnes. On a principalement observé des signes (97 % du temps) chez des adultes. On a relevé des signes persistants de sélénose chez cinq Chinois dont la concentration sanguine de sélénium variait entre 1 054 et 1 854 µg/L. Les auteurs ont calculé que la concentration sanguine de sélénium de 1 054 µg/L correspondait à un apport de 910 µg/jour et ont établi que ces valeurs constituaient la concentration sanguine minimale de sélénium et l'apport minimal de sélénium entraînant des effets toxiques, respectivement. Selon les auteurs, l'apport quotidien maximal sûr en sélénium est de 750 à 850 µg/jour.

Après avoir corrigé leur alimentation, ces cinq patients ont participé à une étude de suivi (Yang et Zhou, 1994). En 1992, les signes avaient disparu, et la concentration sanguine de sélénium avait chuté d'une valeur moyenne de 1 346 µg/L à 968 µg/L, cette dernière représentant un apport moyen de 819 µg/jour, valeur que les auteurs ont établi comme étant la NOAEL. Après avoir tenu compte des variations interindividuelles, les auteurs ont déterminé que l'apport quotidien maximal sûr était de 400 µg/jour (ce qui correspond à une concentration sanguine de sélénium de 0,559 mg/L).

Les études pertinentes de Yang et de ses collègues (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994) présentaient certaines limites, mais elles fournissent des données qualitatives et quantitatives utiles pour évaluer la réponse en fonction de la dose et caractériser les risques associés à un apport élevé en sélénium. L'absence de signes dans d'autres populations dont l'exposition par voie alimentaire est grande appuie la valeur de la NOAEL fixée par Yang et ses collègues et l'Institute of Medicine (Otten et coll., 2006) comme base sur laquelle fonder l'évaluation du risque. Les résultats tirés des études menées par Longnecker et coll. (1991) et Lemire et coll. (2012), également réalisées dans des régions fortement sélénifères, confirment les résultats des études de Yang et de ses collègues, puisqu'on n'a pas observé de signes de sélénose à des expositions pouvant aller jusqu'à 724 µg/jour et à des concentrations sanguines de sélénium pouvant atteindre 1 500 µg/L, respectivement. L'AMT calculé par l'Institute of Medicine se fonde sur une sous-population d'adultes, puisque la sélénose est un effet sur la santé à long terme et qu'aucun signe de sélénose n'a été observé chez les enfants dans les études menées en Chine, au Vénézuela et en Amazonie (Institute of Medicine, 2000). L'Institute of Medicine (2000) affirme qu'il n'existe aucune région sélénifère connue au Canada ou aux États-Unis associée à des cas connus de sélénose.

Certaines études épidémiologiques et essais cliniques ont fait état d'associations entre une grande exposition au sélénium et des effets indésirables possibles sur la santé. Les résultats de l'essai NPC (Stranges et coll., 2007) et de l'essai SELECT (Klein, 2009; Lippman et coll., 2009) laissent penser qu'il existe peut-être une association entre l'apport en sélénium et le risque de diabète dans une population dont l'apport en sélénium est élevé, comme la population des États-Unis. Quelques études épidémiologiques ont également indiqué une association entre l'exposition au sélénium et d'autres maladies, comme la SLA (Vinceti et coll., 2010) et le glaucome (Bruhn et coll., 2009). Ces effets sont importants et peuvent être liés à l'apport en sélénium, mais on se questionne sur la pertinence de généraliser ces résultats à la population canadienne. Par ailleurs, cette généralisation aurait ses limites. Dans ces études, il faudrait également tenir compte des nombreux biais et facteurs de confusion jouant un rôle dans le développement de ces maladies (Santé Canada, 2012b; Thayer et coll., 2012). Des essais conçus pour mesurer les effets d'une exposition au sélénium sur certaines maladies doivent être menés avant que l'on puisse tirer des conclusions.

L'AMT, qui représente l'apport nutritionnel le plus élevé ne posant probablement aucun risque d'effets indésirables sur la santé chez la plupart des personnes dans la population générale, a été calculé par l'Institute of Medicine (2000) comme suit :

Équation 1

L'équation utilisés d'afin de calculer l'apport maximal tolérable de sélénium.

où :

  • 0,8 mg/jour représente la NOAEL (arrondie par l'Institute of Medicine, 2000) établie par Yang et ses collaborateurs (Yang et coll., 1989a, b; Yang et Zhou, 1994);
  • 2 représente le facteur d'incertitude (FI) utilisé par l'Institute of Medicine (2000) afin de protéger les personnes sensibles.
Équation 1 - Description textuel
L'apport maximal tolérable (AMT) de 0,4 mg/jour pour le sélénium est calculé en divisant la dose sans effet nocif observé (NOAEL) de 0,8 mg/jour par le facteur d'incertitude de 2.

Santé Canada a adopté cet AMT de 400 µg de sélénium par jour établi par l'Institute of Medicine (2000). Selon l'Institute of Medicine (2000), rien n'indique une sensibilité accrue de certains groupes d'âge aux effets toxiques du sélénium.

Compte tenu de cet AMT, la valeur basée sur la santé (VBS) pour le sélénium dans l'eau potable est calculée comme suit :

Équation 2

L'équation utilisés pour calculer la valeur basée sur la santé pour le sélénium dans l'eau potable.

où :

  • 0,4 mg/jour représente l'AMT établi par l'Institute of Medicine (2000);
  • 0,20 est le facteur d'attribution par défaut pour l'eau potable; il est été utilisé comme valeur seuil, étant donné que l'eau potable n'est pas une source importante d'exposition au sélénium, et que des données indiquent la présence importante du sélénium dans un des autres milieux (c.-à-d. les aliments; Krishnan et Carrier, 2013) ; et
  • 1,5 L/jour représente le volume d'eau consommée quotidiennement par un adulte.
Équation 2 - Description textuel
La valeur basée sur la santé (VBS) de 0,053 mg/L (arrondie à 0,05 mg/L) est calculée en multipliant l'apport maximal tolérable de 0,4 mg/jour par la proportion de l'apport quotidien de sélénium attribué à l'eau potable (0,20), et en divisant le produit de cette opération par le volume d'eau consommé quotidiennement par un adulte, soit 1,5 L.

10.1 Considérations internationales

L'Integrated Risk Information System de l'U.S. EPA a classé le sélénium comme étant une substance chimique qui ne peut pas être classée quant à sa cancérogénicité pour l'humain (classe D), car les données sur les humains et les éléments de preuve quant à sa cancérogénicité chez les animaux sont insuffisantes (U.S. EPA, 1991a). Parmi les composés séléniés figurent deux exceptions, le sulfure de sélénium et le disulfure de sélénium, considérés par l'U.S. EPA comme faisant partie de la classe B2 : cancérogènes probables pour les humains compte tenu de données suffisantes sur les animaux, mais insuffisantes sur les humains, et d'une étude par gavage exhaustive menée chez la souris et le rat (NCI et NTP, 1980; U.S. EPA, 1991b). Comme ces composés ne sont pas hydrosolubles (ATSDR, 2003) et que les principales voies d'exposition en ce qui les concerne sont la voie dermique et l'inhalation, il n'est pas nécessaire d'en tenir compte dans l'évaluation du risque posé par le sélénium dans l'eau potable.

D'autres organisations ont énoncé des lignes directrices ou des règlements sur la concentration de sélénium dans l'eau potable en se fondant sur l'étude en population chinoise (Yang et Zhou, 1994) ou américaine (Longnecker et coll., 1991) ou directement sur l'AMT de 0,4 mg/jour (basé sur les études en population chinoise) établi par l'Institute of Medicine.

La concentration maximale de contaminants de l'U.S. EPA (MCL - Maximum Contaminant Level) pour le sélénium est de 50 µg/L, ce qui équivaut dans ce cas particulier à l'objectif de concentration maximale de contaminants (MCLG - Maximum Contaminant Level Goal), « car les méthodes d'analyse ou les techniques de traitement ne posent aucune contrainte » (U.S. EPA, 2012). Le MCLG (U.S. EPA, 1991a) était fondé sur les données de l'étude chinoise menée par Yang et coll. (1989a, b). Dans le cadre de son examen sur six ans, l'U.S. EPA (2012) a déterminé que « le MCL et le MCLG pour le sélénium protègent toujours la santé humaine ».

Le California Office of Environmental Health Hazard Assessment (OEHHA, 2010) a établi un objectif de santé publique qui est de 30 µg/L de sélénium dans l'eau portable. Le calcul de cette valeur a pris en compte une NOAEL (0,015 mg/kg p.c. par jour) induisant des effets toxiques non cancéreux (perte de cheveux et anomalies des ongles) observés dans les études en population menées en Chine. La limite actuelle en Californie (MCL) pour le sélénium est de 50 µg/L, et a été adoptée par le California Department of Health Services en 1994. Cette valeur se fonde sur un règlement de 1991 de l'U.S. EPA.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS, 2011) a établi une valeur recommandée provisoire pour l'eau potable de 40 µg/L en se fondant sur l'AMT de l'Institute of Medicine, qui est de 0,4 mg/jour, en tenant compte d'un facteur d'attribution de 20 % et d'une consommation de 2 L d'eau potable par jour. Cette valeur recommandée provisoire était basée sur des incertitudes inhérentes à la base de données scientifiques. Il est à noter qu'une valeur recommandée de sélénium dans l'eau potable n'est pas nécessaire pour la plupart des États membres et qu'il était essentiel de trouver un équilibre entre les apports recommandés et les apports indésirables lors de la détermination de cette valeur.

En Australie, la concentration de sélénium recommandée dans l'eau potable est de 10 µg/L (NHMRC et NRMMC, 2011) et se fonde sur l'absence d'effets associés à un apport de sélénium moyen de 0,24 mg/jour dans le cas de personnes vivant dans des régions riches en sélénium du Dakota du Sud et du Wyoming de l'Est sur une période de deux ans (Longnecker et coll., 1991). La valeur recommandée tenait compte d'un facteur d'attribution de 10 % et d'une consommation d'un volume de 2 L d'eau par jour chez un adulte de 70 kg.

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