Jeux de guerre dans le domaine médical : se préparer à réussir dans des conflits de haute intensité

Par le Colonel Max Talbot, MSM, CD, la lieutenante-colonelle Edith Arbour, CD, le capitaine Jon Jeffrey, CD, le major Gabriel Painchaud, CD et M. David Redpath

Dans les conflits futurs, les tirs ennemis et la guerre électronique pourraient compromettre l’accès rapide aux transfusions et aux interventions chirurgicales en perturbant les éléments de la force médicale déployés à l’avant et leurs lignes de communicationNote de bas de page 1 . En outre, les frappes en profondeur peuvent créer un champ de bataille non linéaire où de petites équipes médicales doivent être réparties sur une vaste zone afin de prodiguer des soins à des blessés dispersés géographiquement. Dans de telles conditions, la doctrine de l’OTAN préconisant l’administration de soins avancés dans l’heure ou les deux heures suivant la blessure peut être difficile à suivreNote de bas de page 2 . Les jeux de guerre offrent une méthode flexible pour explorer ce problème.

Les auteurs et l’auteure ont récemment mis au point Lifeline Latvia, un jeu de guerre non classifié basé sur un réseau de points de contrôle, conçu pour fournir des renseignements sur la prestation de soins médicaux à un groupement tactique participant à un engagement de haute intensité. Le prototype du jeu a été testé à deux reprises, avec des scénarios différents, pendant deux ;jours consécutifs en mars 2025. Des experts en la matière commandaient les points clés durant ces séances de jeu libre. Le combat était réglé de manière abstraite afin de permettre aux participants de se concentrer sur les activités médicales. Les effets des armes ennemies étaient fondés sur des informations de source ouverte, jugées suffisamment détaillées pour un jeu de guerre dans le domaine médical.

Cinq décisions clés en matière de conception pourraient inspirer les futurs jeux de guerre dans le domaine médical. Premièrement, la durée d’une heure des tours de jeu a permis de simuler la pratique physiologique dans un laps de temps pertinent sur le plan médical, tout en conservant la jouabilité. Deuxièmement, une probabilité de mortalité par heure était attribuée aux patients instables. Par exemple, un patient en état de choc grave et souffrant d’une hémorragie pouvait se voir attribuer une probabilité de mortalité de 40 % par heure (par tour de jeu) sans traitement, qui était déterminée par le tirage aléatoire d’une carteNote de bas de page 3 . Après la transfusion sanguine et l’intervention chirurgicale, le taux de mortalité diminuait progressivement jusqu’à zéro, sur la base de l’hypothèse simplificatrice selon laquelle le taux de mortalité postopératoire due aux blessures serait négligeable à court terme. Les responsables du jeu ont ainsi évité toute évaluation subjective de la mortalité qui aurait pu être un processus long et sujet à interprétation. Troisièmement, le jeu a permis de mettre en évidence l’avantage marginal de positionner les équipes chirurgicales plus en avant en simulant de manière réaliste l’incidence de patients présentant une hémorragie non compressible et la détérioration de leur état physiologiqueNote de bas de page 4 . Les hémorragies non compressibles constituaient un élément important du jeu, car l’un des objectifs des équipes chirurgicales déployées sur le terrain est de réduire la mortalité évitable liée à ce type de blessures. Quatrièmement, la durée d’application des garrots a été prise en compte et notée. Une application prolongée peut causer des complications locales et systémiques qui peuvent être évitées grâce à des protocoles de réévaluation des garrots destinés au personnel médical et/ou grâce à un transport rapide vers une équipe chirurgicaleNote de bas de page 5 . Par conséquent, le jeu a également tenté de prendre en compte la réduction de l’ischémie des membres obtenue par le rapprochement des équipes chirurgicales du lieu de la blessure. Enfin, on a exclu les blessures relativement mineures afin de ne pas encombrer le jeu et de se concentrer sur les patients dont l’état pouvait être significativement amélioré par le système médicalNote de bas de page 6 .

Ces caractéristiques du jeu ont mis en évidence les différents avantages et inconvénients liés au positionnement des équipes chirurgicales dans l’espace de bataille. En principe, une équipe chirurgicale peut assurer en temps opportun l’hémostase et la revascularisation lorsqu’elle est positionnée près du lieu de la blessure. Cependant, une plus grande exposition aux tirs ennemis, des lignes d’approvisionnement peu fiables et des conditions chirurgicales médiocres peuvent limiter l’efficacité de l’équipe, voire menacer sa survieNote de bas de page 7 . Par conséquent, la proximité du chirurgien par rapport au lieu de la blessure peut être limitée par les conditions tactiques qui prévalent. De plus, les équipes chirurgicales ont une mobilité réduite une fois qu’elles ont reçu les patients, ce qui rend leur emplacement au début d’une intervention encore plus critique. Au cours du deuxième jeu, ces problèmes sont apparus clairement. Par exemple, une équipe déployée à l’avant a accumulé une file d’attente de blessés nécessitant une intervention chirurgicale, a eu des difficultés à obtenir un moyen de transport pour évacuer les patients et a finalement subi une frappe cinétique directe. Tel que prévu, le jeu a fourni une plateforme pour explorer le défi que représente le positionnement des équipes chirurgicales.

Le jeu a notamment suscité des discussions sur les tactiques nécessaires pour permettre à de petites équipes chirurgicales d’intervenir dans la zone rouge. Parmi les tactiques avancées qui méritent d’être prises en considération figurent la déception, les fortifications, la réduction des signatures, le camouflage multispectral et les contre-mesures visant les systèmes aériens sans piloteNote de bas de page 8 . L’adoption de tactiques avancées par les unités médicales exigera une étroite collaboration entre l’Armée canadienne et le Groupe des Services de santé des Forces canadiennesNote de bas de page 9 . En raison de l’évolution rapide des technologies et des tactiques ennemies, il n’est pas possible de trouver une solution permanente. Des jeux de guerre, des exercices réalistes, l’expérience acquise au cours des déploiements et une innovation agressive seront nécessaires en permanence pour conserver un avantage concurrentiel.

Le jeu a également permis de tirer des observations importantes sur les ambulances, la logistique liée aux produits sanguins, le transport d’urgence ainsi que le commandement et le contrôle. Comme dans de nombreux jeux de guerre, les résultats de chaque action ont un potentiel de généralisation limité, car ils dépendent fortement des décisions des joueurs et d’évènements aléatoires. Cependant, certaines tendances intéressantes observées dans le jeu serviront à l’élaboration d’exercices, de modèles et de recherches opérationnelles futurs.

Au-delà des observations tactiques, le jeu a créé une valeur ajoutée considérable en offrant une tribune pour des conversations professionnelles. Le rythme rapide du jeu exigeait des discussions directes et non hiérarchiques, ce qui a créé un environnement propice à l’apprentissage et favorisé la collaboration. Les joueurs ont coopéré pour évacuer et soigner les blessés, souvent en adoptant des mesures créatives qui ne provenaient pas de la doctrine. De plus, de nombreux participants ont mieux compris le point de vue des membres d’autres professions ou unités. Les auteurs estiment que les jeux de guerre devraient être plus largement adoptés dans le domaine de la médecine militaire en raison de leurs nombreuses applications pour le renforcement de l’esprit d’équipe et le perfectionnement professionnel.

Les auteurs encouragent tout particulièrement la poursuite de l’élaboration de jeux de guerre dans le domaine médical axés sur le théâtre des pays baltes. Les prochains jeux pourraient améliorer les mécanismes de jeu, mettre en scène des formations plus importantes et inclure des ressources médicales alliées. Une participation accrue du personnel de l’Armée canadienne et de la Lettonie améliorerait également la fidélité du jeu et accélérerait l’intégration des éléments de la force médicale au sein de la Brigade multinationale en Lettonie.

À propos des auteurs et de l’auteure

Le colonel Max Talbot est chirurgien orthopédiste de la Force régulière affecté au Centre universitaire de santé McGill.

La lieutenante-colonelle Edith Arbour est officière de gestion des services de santé et officière supérieure d’état-major pour la génération de personnel au quartier général des Services de santé des Forces canadiennes.

Le major Gabriel Painchaud est officier de gestion des services de santé et stagiaire du Programme de commandement et d’état-major interarmées 52. Le major Painchaud a dirigé la mise sur pied de l’unité médicale multinationale de Lettonie entre 2022 et 2024.

David Redpath et Jon Jeffrey sont des concepteurs et des analystes de jeux expérimentés au sein de la Section des jeux de guerre interarmées du Centre de guerre interarmées du Canada. Le capitaine Jeffrey est également commandant de batterie au sein du 30e Régiment d’artillerie de campagne.

Les auteurs et l’auteure remercient sincèrement la Direction – Opérations des services de santé de son soutien inestimable tout au long de ce projets.

Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales courtes du Journal de l'Armée du Canada (octobre 2025).

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2025-10-02