Combat urbain et tactiques urbaines des petites unités : observations russes des forces territoriales ukrainiennes

par Lester W. Grau, Ph. D. et Charles K. Bartles, Ph. D.Note de bas de page 1

Introduction

Seulement deux mois après le début de « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine en 2022, la maison d’édition du ministère de la Défense russe a publié un numéro dans son journal de renommée, le Армейский Сборник [Bulletin de l’Armée de terre], destiné au lectorat de niveau opérationnel. Il est particulièrement intéressant de noter que le numéro contient des articles qui font autorité sur le type de combat auquel les Russes sont confrontés en ce moment en Ukraine. L’information a donc été diffusée plus rapidement que ce qui est habituel pour l’armée russe, qui a tendance à être prudente avec l’information qu’elle diffuse à ses soldats et à ses officiers. Même si l’article « Combat in a City » (Combat dans une ville), écrit par le colonel A. Kondrashov et le lieutenant-colonel D. Tanenya, représente certainement l’adversaire que la Russie affronte actuellement sans le nommer, une grande partie des renseignements trouvés dans l’article proviennent possiblement de l’expérience de combat des Russes en Tchétchénie, en Syrie et dans l’est de l’Ukraine avant le conflit actuel. L’article présente une vision tirée de sources libres du combat russe dans des zones bâties et une description détaillée des forces territoriales et irrégulières. Il s’agit d’un article rapide avec des leçons dégagées pour les Forces armées russes. D’autre part, l’article ne cherche pas à représenter la doctrine russe et il ne tient pas compte de toutes les tactiques militaires russes et ukrainiennes utilisées ni de tous les évènements survenus. Cependant, un point qui n’échapperait pas au lectorat militaire russe est l’utilisation à peine voilée des unités ukrainiennes établies localement, comme les brigades de défense du territoire, les patrouilles de police à affectation particulière, ainsi que d’autres unités indigènes volontaires, comme l’ennemi principal dans l’article « Combat dans une ville ». Le présent article examine en détail la manière dont la Russie vit le combat contre ce qu’elle appelle des « formations armées illégales » (FAI), c’est-à-dire les chasseurs et les forces territoriales de l’Ukraine, et souligne ses rencontres avec l’ennemi (l’Ukraine) dans la guerre en zone urbaine. L’analyse de l’ennemi par un commandant interarmes est difficile, puisque celui-ci doit déterminer la grosseur, les tactiques et les capacités des FAI.

Impressions de l’article « Combat dans une ville » de Kondrashov et Tanenya

Organisation du combat

Contrairement aux actions militaires précédentes de la Russie en Afghanistan, en Tchétchénie et en Syrie, son « opération militaire spéciale » en Ukraine est confrontée à un ennemi mieux organisé et armé plus lourdement. Les combats dans les zones bâties sont particulièrement complexes. Le combat en zone urbaine exige une préparation minutieuse, dictée par la nature à plusieurs niveaux de la ville, une compréhension approfondie de l’ennemi et la détermination des points forts et faibles de l’ennemi ainsi que des objectifs essentiels de celui-ci. Tous ces points sont déterminants pour le succès de la bataille.Note de bas de page 2  Les commandants, les états-majors et les combattants ont besoin de persévérance, de patience, de compétences, d’initiative, d’approches non standard, d’énergie et d’esprit de décision.

Les forces russes affirment que, dans le combat en zone urbaine en cours en Ukraine, elles combattent des « bataillons territoriaux » irréguliers qui mélangent des tactiques de diversion terroristes aux tactiques traditionnelles de combat en zone urbaine. L’ennemi (l’Ukraine) diffère des forces régulières en ce qui concerne l’organisation et ne dispose pas d’un tableau d’effectifs et de dotation standard. La taille de la force peut varier entre quelques douzaines et des milliers de militaires. L’expérience de combat contemporain russe montre que les forces ennemies sont souvent au départ des groupes désorganisés de 60 à 100 militaires armés principalement de fusils, mais aussi d’armes modernes, comme des missiles de défense aérienne tirés à l’épaule, des mitrailleuses, des grenades propulsées par fusée, des lance-grenades antichars, des fusils sans recul, des mines et même des chars et des Boyevaya Mashina Pekhoty (BMP) [des véhicules de combat d’infanterie soviétiques ou russes]. De manière générale, ces groupes établissent des postes de contrôle dotés de 10 à 15 militaires aux points d’accès clés des zones urbaines. Les postes de contrôle possèdent généralement un mortier de 82 mm ou de 120 mm et une ou deux camionnettes munies de mitrailleuses lourdes, de fusils sans recul SPG-9 ou de missiles antichars.

En périphérie de la ville, l’ennemi place des chars, des BMP et des ZSU 23-4 « Shilka », soit une mitrailleuse antiaérienne à quatre canons, ou des pièces d’artillerie servant au tir direct. À l’intérieur de la ville, la majorité des véhicules blindés (chars et BMP) sont déployés pour défendre les postes de commandement, les dépôts de munitions et l’armement, ainsi que les itinéraires de manœuvre et les ateliers d’usinage qui produisent des engins explosifs improvisés et qui réparent l’équipement. Ces véhicules protègent aussi les sites d’entraînement, les hôpitaux de campagne, les cours de première instance et les prisons.Note de bas de page 3 

Selon l’expérience russe, une FAI ennemie protège au départ une ville au moyen d’une défense ferme statique avant de passer à une défense de manœuvre.Note de bas de page 4  Elle exploite des bâtiments importants situés jusqu’à deux ou trois pâtés de maisons de la ligne prévue de conflit. Pour ralentir le rythme des forces en progression, elle utilise la puissance de feu concentrée de diverses armes, mène des contre-attaques et met en place des zones de feux croisés et des embuscades. En règle générale, la défense est organisée en un seul échelon avec une réserve. Le système de tirs coordonnés, la création d’obstacles et la capacité de déployer rapidement une puissance de combat sur divers axes demandent une attention particulière. Des débris de bâtiments détruits peuvent bloquer les voies d’approche et les intersections essentielles avec des obstacles qui peuvent atteindre jusqu’à cinq mètres de hauteur.

En périphérie de la zone peuplée, l’ennemi prépare des fossés et des remblais antichars et utilise souvent des bouteurs (blindés ou non blindés) pour ce genre de travail. Les positions de tir sont préparées au rez-de-chaussée des édifices et des boîtes remplies de roches et des sacs de sable renforcent ces positions. Des murs, qui sont renforcés par des boîtes remplies de roches et des sacs de sable, dissimulent et protègent les déplacements entre édifices, tandis que des abris dans des sous-sols protègent les combattants contre les attaques d’artillerie et les attaques aériennes. Des tunnels souterrains et des passages couverts entre les édifices facilitent le mouvement discret des réserves, des groupes d’assaut ou des forces qui battent en retrait. Une fougasse, soit un mortier improvisé en remplissant d’explosifs et de projectiles un trou creusé dans le sol ou la roche, est utilisée pour protéger les voies d’approche des centres de résistance.Note de bas de page 5  Des caméras Web cachées surveillent les voies d’approche dangereuses de l’ennemi. Des postes de commandement et des points de distribution et de maintenance se trouvent généralement dans des sous-sols pour mieux les protéger contre les attaques aériennes. Par ailleurs, des sacs de sable et de terre sont utilisés aux premiers et deuxièmes étages comme protection supplémentaire contre les attaques aériennes.Note de bas de page 6

Afin de réduire les risques d’une attaque aérienne, les véhicules blindés, les pièces d’artillerie et les dépôts de ravitaillement sont souvent situés près des zones d’habitation civile et des bâtiments communautaires, comme des hôpitaux, des écoles et des églises. L’analyse récente des actions de combat montre que l’ennemi n’effectue généralement pas de défense passive. Dans chaque bâtiment qui se situe sur la ligne de contact, il y a généralement des équipes de quatre ou cinq combattants (trois personnes qui utilisent des fusils, un grenadier et un tireur d’élite) qui effectuent de l’observation, règlent l’artillerie et se livrent à des tirs de harcèlement afin d’épuiser leur ennemi et le coincer dans un bâtiment déjà miné. Les équipes de tireurs d’élite et les observateurs de l’artillerie opèrent à partir des étages supérieurs. Chaque partie de la défense a un élément de réserve composé de 20 à 30 combattants, muni de camionnettes prêtes à renforcer les positions avancées en 3 à 5 minutes. Les points de ravitaillement en munitions et l’horaire de rotation du personnel aident à conserver les positions défensives pendant de longues périodes.Note de bas de page 7  Alors qu’une avancée des Russes commence, une FAI ukrainienne renforce ses positions de combat à l’aide d’un maximum de 20 combattants dans chaque bâtiment. Si la FAI est incapable de conserver ses positions de combat et une percée est imminente, elle effectuera un retrait organisé et détruira volontairement le bâtiment abandonné pendant que les forces russes le saisissent. La FAI effectuera une progression par dépassement jusqu’au prochain bâtiment afin de ralentir le rythme de l’avancée. Elle lancera également des contre-attaques limitées au moyen de militaires, d’armes et de tirs nourris afin de renforcer sa force dans certaines directions dans le but d’infliger des pertes, d’améliorer la capacité de combat des détachements ou des groupes de défense et d’évacuer les blessés.

Pendant une défense ferme, une FAI essaie de consolider sa défense à moins de 100 mètres des forces assaillantes russes pour limiter le nombre de victimes causées par les frappes aériennes massives et les tirs d’artillerie. Les combattants se déplacent entre des bâtiments par des brèches dans les murs, un réseau de chemins et des passages souterrains, et entre les étages au moyen d’échelles et de planches maison. Pour réduire les répercussions des tirs dirigés dans les rues étroites et les bâtiments rapprochés, ils étendent le matériel d’écran dans ces zones et utilisent des grenades fumigènes improvisées. Des passages aménagés permettent à la FAI de se déplacer de manière secrète et sécuritaire à travers les bâtiments de la ville.Note de bas de page 8 

Figure 1 : Défense d’une ville au moyen d’une formation armée illégale
Figure 1 : Défense d’une ville au moyen d’une « formation armée illégale »Note de bas de page 9

Une carte schématique présentant un plan défensif pour une zone urbaine composée de plusieurs bâtiments, subdivisée par des routes et parsemée de petites zones boisées. Des symboles tactiques illustrent les différents éléments de la défense, tels que décrits dans le texte de l’article.

La figure 1 illustre une zone bâtie caractérisée par de grands immeubles commerciaux et des tours d’habitation qui se défend contre une attaque russe dans une ville de l’Europe de l’Est. Des fougasses externes et internes bloquent les voies d’accès des routes principales, tandis que des champs de mines antipersonnels et antichars, avec des obstacles en fil barbelé, entourent la ville. Des camionnettes munies d’armes antichars sont postées en périphérie de la ville. Des postes inclinés et des obstacles en forme de hérisson bloquent les routes principales qui mènent dans la ville et les positions défensives forment un anneau autour de celle-ci. Des pièces d’artillerie automotrices et remorquées sont placées de manière à couvrir les voies d’approche principales avec des tirs directs. Des chars sont déployés pour protéger les points d’accès clés ou rester avec les forces de réserve dans les zones de parc boisé. Les mortiers, qui dominent les combats urbains et causent la majorité des pertes, se trouvent dans les cours des immeubles d’appartements. Les routes principales divisent la ville en secteurs. Chacun de ces secteurs a un poste de commandement et des tunnels qui relient les bâtiments et les secteurs. Des camionnettes patrouillent aussi dans les rues principales.

Au cours du combat, les FAI tirent des mortiers et des roquettes dans les zones contrôlées par la Russie où les forces et les civils russes sont présents. Elles utilisent des mortiers militaires, des lance-roquettes multiples et des armes de différents calibres produites localement. Dans le combat en zone urbaine, les Ukrainiens peuvent aussi utiliser des armes maison et des charges explosives fabriquées à partir de ballons à gaz de 10 litres remplis d’ammoniac, d’acide nitrique, d’aluminium en poudre et d’un dispositif de mise de feu. Ces charges possèdent un rayon d’explosion qui peut atteindre jusqu’à deux kilomètres.Note de bas de page 10  Notamment, la FAI possède des plates-formes de tir mobiles, dont des mortiers, d’autres pièces d’artillerie, des chars et des camionnettes armées. Les mortiers sont tirés et réglés, à partir de positions temporaires et cachées, à l’aide de données de tir préétablies. Généralement, la FAI effectue au plus trois tirs de mortier au même endroit. Une fois que le tir a été effectué, les mortiers sont jugés « hors d’état », ils sont ensuite déplacés à un nouvel endroit à une certaine distance et cachés. Ou bien, une camionnette peut assurer le transport du mortier à une zone de tir différente.

Lorsque la formation armée illégale utilise des chars en mode de tir mobile, ceux-ci sont placés à un endroit préparé, mais ne portent qu’un obus principal et un minimum de carburant. La FAI croit que cette stratégie améliore la capacité de survie du char si celui-ci se fait frapper par un missile antichar, puisqu’il n’y a aucune munition et peu de carburant pour le faire exploser. Un messager en motocyclette livre des obus de remplacement et une petite quantité de carburant selon les besoins. Si l’on tient compte du manque d’équipement lourd dans une formation armée illégale, les combattants sont particulièrement axés sur le retrait et la préservation en bon état de cet équipement pour un usage futur.Note de bas de page 11

Examiner la FAI

Les tactiques des FAI diffèrent beaucoup. Un détachement de FAI peut comprendre des représentants de différents gouvernements et différentes bandes armées, ainsi qu’un nombre important de volontaires, dont plusieurs possèdent une vaste expérience militaire, y compris un service en Afghanistan il y a plus de 30 ans. Ces expériences diverses permettent aux commandants du détachement de s’adapter créativement aux circonstances changeantes. Dans certains cas, particulièrement lorsqu’elles sont financées par des sources externes qui soutiennent les forces spéciales ukrainiennes, des plus petits groupes de FAI sont intégrés à des unités plus grandes, qui peuvent ressembler à des structures militaires qui vont des escouades aux brigades. Chaque détachement de FAI peut être composé de groupements de combat pouvant comprendre jusqu’à 500 militaires, avec un groupe de réserve de la même grosseur.Note de bas de page 12

Lorsqu’on détermine la composition et la taille des FAI ukrainiennes, il est essentiel de tenir compte de leurs circonstances particulières. Elles ont souvent des « réserves » composées de sympathisants de la population locale qui vivent dans les mêmes blocs de logement. Bien que ces sympathisants puissent sembler inoffensifs aux yeux de l’observateur moyen russe, plusieurs possèdent des armes cachées. La réserve réelle est composée d’anciens membres actifs d’une FAI qui se sont vu refuser le statut de volontaire et la participation aux FAI, qui ont été désarmés, puis légalisés. De manière périodique, ces deux groupes sont intégrés dans les détachements actifs de combattants pour participer aux opérations majeures, effectuer la reconnaissance et troubler les observateurs. Les tactiques des FAI sont fondées sur les principes suivants :

  • étroit contact avec la population;
  • actions exécutées principalement par des petits détachements et groupes;
  • mobilité généralisée des détachements;
  • connaissance et utilisation habile du terrain pour tendre des embuscades et mettre en place des postes avantageux tactiquement;
  • utilisation active des conditions de visibilité limitée, surtout pendant la nuit;
  • sélection rigoureuse des cibles d’attaque, élaboration d’un plan d’action simple et réaliste;
  • reconnaissance approfondie, précédée par les opérations des détachements;
  • opérations secrètes et surprises qui utilisent la ruse militaire;
  • exécution soudaine de tirs à courte distance, puis se replie vers un lieu sûr;
  • pendant le repli, utilisation de petites embuscades et de combattants isolés qui traversent des terrains étroits où il est difficile de se déplacer et qui tirent à une distance modérée pour couvrir le repli du détachement, en même temps de réaliser leurs tâches;
  • étroite collaboration entre le personnel lors de la conduite d’opérations;
  • établissement d’un bon ordre sur les forces épuisées;
  • offre d’un soutien psychologique pendant les opérations;
  • organisation de la sécurité et de la reconnaissance.Note de bas de page 13

La FAI utilise une stratégie qui combine des tactiques de diversion terroristes à celles du combat militaire traditionnel. Les petits détachements de la FAI couvrent un vaste territoire, ce qui crée ainsi l’effet d’être « partout ». Dans la mesure du possible, elles effectuent leurs opérations la nuit, qui leur sert de couverture efficace et leur permet de rester cachés et de créer un effet de surprise. Cette tactique induit la confusion et la panique au sein des forces ennemies, perturbe le contrôle des sous-unités et peut mener à des engagements réussis contre des forces supérieures. La nuit, les combattants se regroupent souvent pour exécuter des attaques surprises. Pour ce faire, ils battent en retraite le long d’itinéraires planifiés et préparent des embuscades pour les forces qui les poursuivent. Ils choisissent stratégiquement les lieux d’embuscades près des avant-postes et des garnisons de différentes unités. La nuit est également avantageuse pour les provocations et les trêves (pourparlers, négociations). Les dirigeants des combattants en sont responsables, en règle générale, avec une tierce partie, généralement les organismes de la loi et de l’ordre.Note de bas de page 14

Les tactiques des FAI sont surtout offensives et comprennent des éléments de guerre partisane. Les FAI assurent rarement la défense, sauf dans les zones où leur base se situe, aux points essentiels pour leurs fonctions, dans certaines zones habitées et aux points nécessaires pour l’encerclement ou des actions menaçantes. Les activités principales de leurs détachements sont les embuscades le long des voies de communication et les raids sur des petites garnisons, ainsi que les attaques de tireurs d’élite. Les FAI effectuent aussi des actes terroristes à grande échelle afin de capturer des otages. Un aspect notable de la guerre partisane moderne est la vaste utilisation d’une grande variété de moyens contemporains pour la guerre des mines.

Figure 2 : Mines des FAI dans les rues de la ville (modèle)
Figure 2 : Mines des FAI dans les rues de la ville (modèle)Note de bas de page 15 

Le minage des FAI dans les rues de la ville inclut de nombreux moyens contemporains, tels que des fougasses radiocommandées ou équipées systèmes de détonation laser, des fougasses leurres dissimulant d'autres charges en profondeur, ainsi que diverses mines, notamment des mines à fragmentation bondissantes sur les routes. Un réseau de tunnels reliant plusieurs bâtiments permet le déplacement à l’intérieur et autour de ce dispositif défensif.

Les commandants de combat en chef de la FAI ajoutent les éléments suivants à leur planification :

  • lorsque les forces régulières progressent dans un vaste front, les détachements de FAI rompent le contact et se replient en petits groupes afin de tendre des embuscades et d’exécuter des ripostes;
  • les détachements ne participant pas aux engagements frontaux ouverts. Plutôt, ils se replient afin d’occuper des positions nouvelles et plus avantageuses;
  • les détachements ne restent pas proches des forces ennemies longtemps. Ils se replient rapidement sans être remarqués afin de trouver de meilleures cachettes ou des positions plus avantageuses;
  • les attaques massives ne sont menées qu’avec une force importante;
  • des petites sous-unités sont utilisées pour attaquer des escouades, se procurer des armes et répondre aux attaques;
  • des mortiers, des fusils sans recul et des armes similaires sont utilisés contre des objectifs importants et des positions fortifiées tenues par les forces régulières. Des petits groupes peuvent se regrouper pour former une force plus grande en mesure d’infliger d’importantes pertes au moyen de tirs concentrés.Note de bas de page 16 

Les objectifs des raids et des attaques des FAI sont notamment les postes de garde, les postes de contrôle de trafic, les postes de fin de route, les bureaux des commandants, les aérodromes et les dépôts de ravitaillement. Le but est de saisir, de détruire ou de neutraliser ces objectifs. Les raids réussis nécessitent toujours une reconnaissance approfondie et une désinformation efficace, souvent facilitée par la population locale. Les commandants doivent étudier la manière de s’approcher de l’objectif, de mettre en place des systèmes pour la sécurité, les signaux et les obstacles, et d’évaluer les capacités, la synchronisation et les voies d’approche pour leurs forces. La surprise est toujours un facteur clé dans ces opérations. Un raid typique comprend jusqu’à 30 militaires séparés dans des groupes précis : préreconnaissance, élimination de la sécurité, force de couverture et force principale (groupe d’assaut).

Le groupe de préreconnaissance progresse vers l’objectif pour effectuer de l’observation et cerner les changements dans le système de sécurité, ainsi que les meilleures voies d’approche et les itinéraires de désengagement potentiels. En cas de rencontre surprise avec un ennemi plus puissant, ce groupe se replie sur le côté, loin du gros des troupes pour effectuer une attaque de tir coordonnée avec les forces principales. Il est important de mentionner que le groupe de préreconnaissance est composé des membres de la population locale.Note de bas de page 17  De surcroît, le groupe d’élimination de la sécurité établit son poste près de l’objectif, bloque les voies des manœuvres potentielles à l’aide de la force d’alerte ou de la réserve, et établit des voies d’approche pour les unités de réserve désignées pour aider la force de protection. Après le raid, le groupe d’élimination de la sécurité rejoint le gros des troupes du détachement.Note de bas de page 18  Le gros des troupes (groupe d’assaut) se déplace derrière le groupe d’élimination de la sécurité et attaque rapidement afin de capturer ou détruire l’objectif. S’il est incapable de maintenir l’objectif, ou si l’objectif s’est déplacé, le groupe se replie rapidement de la zone en petit groupe et se disperse.Note de bas de page 19  À l’occasion, un groupe spécial, dont l’objectif est de créer une distraction, est mis sur pied pour soutenir l’opération.Note de bas de page 20 

La FAI utilise une autre tactique complémentaire à son raid pour épuiser l’ennemi : des tirs systématiques qui visent des groupes militaires ou les unités. Des petits groupes de combattants (5 à 10 militaires) exécutent généralement cette tactique la nuit. Plusieurs groupes se déplaceront vers l’objectif. Un groupe provoquera le tir ennemi pendant que les autres groupes s’attaquent aux postes de tir ennemis exposés. Ils peuvent aussi s’adapter à la situation et effectuer des fusillades rapides et rapprochées depuis leurs véhicules.Note de bas de page 21 

Tireurs d’élite et embuscades

Les tireurs d’élite sont particulièrement dangereux pour les forces qui affrontent les FAI. Ils combattent avec des armes spécialisées pour tireurs d’élite, mais ils utilisent aussi des carabines militaires et des carabines de sport automatiques. Les tireurs d’élite planifient leurs déplacements avec soin et choisissent une position avantageuse et difficile à repérer, comme un grenier, l’étage supérieur d’une maison, la cheminée d’une usine, un pont ou une grue. L’emplacement dissimulé doit cacher le tireur d’élite, l’arme et les munitions, ce qui permet au tireur d’élite de mettre en place habilement les conditions propices pour toucher le plus grand nombre possible de militaires par mission. Après avoir blessé un soldat (mortellement selon la règle), le tireur d’élite tire ensuite sur les autres soldats ou les techniciens médicaux qui viennent en aide au premier soldat blessé. Ensuite, le tireur d’élite tue tous les blessés. Le premier soldat blessé, s’il n’a pas été tué par la première balle, est souvent tué en dernier.Note de bas de page 22 

Une FAI se sert avec brio des groupes de tireurs d’élite, composé d’équipes de tireurs d’élite orgnanisées en binôme (observateur et tireur) et qui sont protégés par une équipe qui utilise des fusils d’assaut et des lance-grenades (deux ou trois militaires). Après avoir pris une position de commandement dans un haut immeuble ou un étage inférieur près des soldats russes, le groupe commence à tirer, souvent sans but précis, sur une zone ciblée. Le tireur d’élite tire profit du chaos et du bruit de la bataille pour attirer, cerner et éliminer des cibles clés.Note de bas de page 23 

La méthode de combat la plus efficace et courante utilisée par une FAI est l’embuscade. Un examen complet et minutieux précède le choix d’un site d’embuscade. Les sites les plus efficaces sont les ponts, les gorges, les virages cachés, les crêtes et les hauteurs en pente, les montagnes boisées, les cols et les canyons. Le site doit permettre la disposition cachée de la force, une attaque simultanée et l’établissement de champs de tir efficaces pour la destruction et un retrait rapide. Une FAI peut exécuter des embuscades à but spécial pour le confinement, la destruction et la capture. Le choix d’embuscade se fait en fonction de la situation de combat, de la corrélation globale et locale des forces et des moyens, du terrain et d’autres facteurs. Par exemple, lorsque la FAI exécute une embuscade de destruction, ses tâches principales sont de déterminer la plus petite force qui peut mener avec succès une embuscade de destruction, déplacer rapidement la force et assumer les formations de combat. En outre, pendant une embuscade de confinement, la FAI déploie des forces qui peuvent atteindre la taille d’une compagnie pendant plusieurs heures. Selon la mission d’embuscade, il peut y avoir de 10 à 20 militaires, jusqu’à un maximum de 100, qui participent à cette mission. Dans des embuscades plus grandes, deux lignes de tir sont généralement utilisées.Note de bas de page 24 

La composition d’une embuscade est déterminée par la taille du détachement, la cible et la force de celle-ci. Elle peut être composée d’un groupe d’assaut et d’appui-feu, d’un groupe de distraction, d’un groupe pour nuire à la manœuvre et d’un groupe de soutien au repli. De plus, il peut y avoir un groupe d’observation, un groupe des communications, un groupe d’information, ainsi qu’un groupe de transport d’équipement lourd. Le groupe d’assaut et d’appui-feu est principalement responsable de tuer les militaires et de détruire l’équipement. Positionné près des zones où les embuscades sont prévues, ce groupe comprend un tireur, un sous-groupe chargé de capturer des prisonniers et des sapeurs.Note de bas de page 25 

Le groupe de distraction se rassemble proche de la zone d’action avec la mission d’attirer sur lui-même les tirs des sous-unités de sécurité (ou même du gros des troupes). Pour commencer, il se déplace au site de l’embuscade, et, s’il reçoit l’ordre du commandant, enfouit des mines et creuse des fougasses. De plus, le groupe de distraction forme une seule ligne de tir en même temps que le groupe d’assaut et d’appui-feu pour soutenir les efforts de ce groupe. La ligne ouvre le feu sur l’ennemi éloigné en marche pour attirer les tirs; il se déplace ensuite vers une nouvelle position pour effectuer des tirs de flanquement sur l’ennemi qui avance.Note de bas de page 26 

Le groupe qui nuit à la manœuvre et le groupe de soutien au repli se positionnent le long des voies d’approche anticipées pour exécuter leurs missions. Ils offrent des tirs de protection, mais placent rarement des mines ou d’autres obstacles. Au besoin, la réserve peut venir en aide au groupe d’assaut et d’appui-feu ou au groupe de soutien au repli et soutenir la force principale lors du désengagement et du repli. Le groupe d’observation et le groupe de couverture sont situés sur le flanc et à l’arrière de la force principale.

Le groupe d’information, le groupe des communications et le groupe d’information et de reconnaissance ne participent pas aux combats. Ils doivent notamment assurer la reconnaissance pour déterminer le temps qu’il faut pour déplacer la force de son point de départ, ainsi que la composition et la direction du mouvement. Les combattants au sein de ces groupes communiquent activement avec des stations radio non chiffrées afin de soutenir les colonnes de la force et partager de l’information sur les mouvements opérationnels au sein du détachement. Des militaires armés et non armés diffusent de l’information à la queue de la colonne et ensuite la dépassent à bord de véhicules. Le groupe de transport d’équipement lourd se stationne aux voies d’évitement sur la route et est prêt à évacuer les détachements, l’équipement saisi et les prisonniers.Note de bas de page 27 

En règle générale, une embuscade permet aux éléments de sécurité et de reconnaissance avancés de passer. Une fougasse explose et frappe les véhicules en tête dans la colonne principale. Ensuite, les tirs se concentrent sur les véhicules de commandement et d’état-major, ainsi que sur le centre de la colonne. Les cibles principales sont les chars, les BMP, les BTR (bronetransportyor, soit des transports de troupes blindés militaires soviétiques et russes) et d’autres véhicules de combat qui sont en mesure de riposter. L’expérience des conflits contemporains a montré, surtout aux Russes, que les FAI sont bien organisées, utilisent des tactiques de détachement de manière efficace, disposent d’un bon système de commandement et de contrôle et mènent des combats à l’aide de la manœuvre contemporaine de réserves, ce qui leur permet de prendre le dessus sur les forces gouvernementales [russes].Note de bas de page 28 

Les FAI utilisent des tactiques particulières bien conçues, dont :

  • la mise en place des forces de manœuvre le long de la route cible dans des positions bien préparées et dissimulées (parfois souterraines) qui sont liées à l’itinéraire d’approche;
  • la mise en place de défenses fragmentées dans les zones peuplées;
  • l’utilisation de véhicules blindés (char et BMP) dans les centres de résistance urbains et sur les routes clés;
  • l’utilisation en deux phases d’une puissance de feu mobile montée sur des véhicules légers très mobiles;
  • la défense de zones peuplées dans des régions montagneuses et vallonnées avec un nombre minimum de forces dans la zone urbaine et la majorité de la force en altitude;
  • l’offre de centres de résistance temporaires et de protection aux détachements d’assaut des FAI en se servant de bouteurs pour créer des obstacles débris (pouvant atteindre cinq mètres de hauteur) composés de monticules de terre et de débris;
  • le repli rapide des positions avancées après avoir infligé une attaque rapide sur une seule cible;
  • la provocation d’anxiété à l’aide de mortiers et de tirs de roquettes, d’attaques de tireurs d’élite et d’attaques nocturnes soudaines sur les positions des forces armées légitimes;
  • l’offre de radios d’une puissance de moins de cinq watts aux unités d’assaut (tenir compte des distances minimales et maximales entre les abonnés du réseau) afin de prévenir la reconnaissance par radio et le brouillage des ondes;
  • l’utilisation de livres de code, de stations de retransmission et de télécommunications par satellite.Note de bas de page 29 

Conclusion

Malgré le fait que l’instruction militaire russe (dans la classe et sur le terrain) met l’accent sur les combats à grande échelle, la majorité de l’expérience réelle de combat russe au cours des 40 dernières années a été à un niveau tactique de guerre moins élevé, principalement contre des guérillas soutenues par des professionnels. L’article de Kondrashov et Tanenya semble faire la synthèse des leçons retenues dans un modèle détaillé et dans une liste de vérification liée aux combats urbains, ainsi qu’à l’engagement contre les forces territoriales et irrégulières de manière plus générale. Les caractéristiques des combats, la létalité de ceux-ci et les défis posés par les forces irrégulières évoqués dans le Bulletin de l’armée russe concordent avec les expériences et les perceptions des forces russes de leurs adversaires ukrainiens actuels, en particulier en ce qui concerne les unités volontaires comme les Forces de défense territoriale et les Patrouilles de police spéciales. Dans l’ensemble, l’article de Kondrashov et Tanenya trouverait un gros écho auprès des officiers russes. Compte tenu du moment où l’article a été publié, il transmet un sentiment d’urgence et sert de substitut aux mises à jour plus délibérées, officiellement approuvées et publiées sur les techniques et les tactiques de combat. En bref, la guerre en cours sert à titre d’étude de cas pour l’adaptation militaire et l’évolution des tactiques de diverses organisations militaires, y compris celle de la Russie, face aux défis particuliers présentés par la guerre en zone urbaine.

Au sujet des auteurs

Lester W. Grau est analyste principal pour le Foreign Military Studies Office de Fort Leavenworth (Kansas). Il a servi au sein de la United States Army pendant 57 ans. Il a pris sa retraite à titre de lieutenant-colonel d’infanterie, mais a poursuivi son service grâce à la recherche et à l’enseignement dans le domaine de l’éducation de l’Armée de terre. Son service sur le terrain comprend des affectations militaires en Europe, au Vietnam du Sud, en Corée et en Union soviétique, ainsi que des recherches civiles en Afghanistan, en Iraq et en Russie. Sa langue de recherche principale est le russe. Il est l’auteur de 18 livres et de plus de 250 articles sur des sujets tactiques, opérationnels et géopolitiques.

Charles K. Bartles est analyste et linguiste russe pour le Foreign Military Studies Office de Fort Leavenworth (Kansas). Ses domaines de recherche particuliers comprennent la structure des forces militaires russes et d’Asie centrale, la modernisation, les tactiques, le perfectionnement des officiers et des professionnels enrôlés, et les programmes d’aide à la sécurité. Chuck est aussi officier des opérations spatiales (FA40) et lieutenant-colonel au sein de la Réserve de la United States Army qui commande le 6e détachement du 2100 Military Intelligence Group à Lincoln (Nebraska). Il a été envoyé en mission en Afghanistan et en Iraq, et a servi comme officier d’assistance à la sécurité dans les ambassades du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan.

Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’novembre 2025 du Journal de l’Armée Canadienne (21-2).

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2025-11-25