III. Interprétation législation des lois applicables

Nous devons aborder deux points d’interprétation en lien avec nos fonctions énoncées dans la loi. Le premier concerne la signification du terme « adequacy » en ce qui a trait à la rémunération. Le terme anglais « adequacy » (le substantif dérivé de l’adjectif « adequate ») a, dans certaines définitions, le sens de strict minimum, mais dans d’autres, ce n’est pas le cas, ce qui confère une

certaine ambiguïté aux intentions du législateur lorsqu’il utilise ce terme. Le Concise Oxford Dictionary, 8e éd. (Oxford, Clarendon Press, 1990) définit le terme « adequate » comme suit : « sufficient, satisfactory » ( en français, « suffisant, satisfaisant »), mais souvent dans le sens de « convenable ».  Le Black’s Law Dictionary, 6e éd. (St. Paul, West Publishing, 1990) définit le terme « adequate » à la p. 39 comme suit : « sufficient, commensurate, equally efficient; equal to what is required; suitable to a case or occasion; satisfactory » (en français, « suffisant, adapté, également efficient, égal à ce qui est requis; convenable à un cas ou à une occasion; satisfaisant »). Nous estimons que le terme « satisfaisant » utilisé dans la version française de la LDN et de la Loi sur les juges a une signification plus précise et plus large que le terme anglais, car il renvoie à la notion de « satisfaction ». Voir les jugements Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice); Assoc. des juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion); Bodner c. Alberta; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général); Minc c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 44, par. 65 à 67.

Dans l’ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto, Butterworth, 2002), aux pages 80 et 81, R. Sullivan note ce qui suit :

[TRADUCTION] La règle de base qui régit l’interprétation d’une loi bilingue est connue sous le nom de règle de la signification commune. Lorsque les deux versions d’une loi bilingue divergent, la signification qui est commune aux deux versions doit être adoptée, sauf si la signification n’est pas acceptable pour une raison précise […] La loi est la règle ou disposition abstraite que le pouvoir législatif « a l’intention » d’édicter. Les mots avec lesquels la loi est exprimée peuvent ou non être bien choisis : ils peuvent être bien choisis dans une langue, mais pas dans l’autre. Le travail d’un tribunal consiste à interpréter ou réinterpréter la règle en s’appuyant sur la signification des termes contenus dans les deux versions […]

Dans le présent cas, nous estimons que la signification du terme français est plus précise que celle du terme anglais. Toutefois, la signification du terme anglais englobe celle du terme français. De ce fait, les deux termes ont une signification commune voulant dire « satisfaisant » dans le contexte de la rémunération des juges militaires, comme indiqué dans la LDN, ce qui n’est tout à fait la même chose que simplement le strict minimum.

Une comparaison législative entre les dispositions de la LDN établissant le comité et les dispositions de la Loi sur les juges établissant la Commission est également utile, car nous observons que les versions anglaise et française du texte de la Loi sur les juges rédigé par le Parlement [voir l’art. 26(1)] ont le même problème que celui relevé à l’art. 165.34 de la LDN.

Ainsi, ce que la CERJ a jugé satisfaisant pour les quelque 1 200 autres juges de nomination fédérale est très pertinent pour la détermination par ce comité de ce qui sera satisfaisant pour quatre militaires de nomination fédérale. Il est utile d’appliquer la règle d’or de l’interprétation législative moderne, qui a été approuvée à de nombreuses reprises par la Cour suprême du Canada, comme dans R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, par. 28 à 19 :

Dans de nombreux arrêts, notre Cour a retenu le principe d’interprétation des lois contenu dans l’extrait suivant de Driedger, à la p. 87 de son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) :

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Cet extrait célèbre de Driedger « résume le mieux » la méthode que privilégie notre Cour en matière d’interprétation des lois : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21 et 23. Notre Cour a cité avec approbation ce passage de Driedger à de nombreuses occasions et dans différents contextes d’interprétation qu’il n’y a pas lieu de mentionner en l’espèce.

Dans le présent cas, le comité estime que l’intention du législateur en établissant à la fois la CERJ et le CREJM était de mettre sur pied des organes consultatifs indépendants conformément aux obligations constitutionnelles du Parlement sur la rémunération qui devrait être versée à la magistrature fédérale. L’objectif de la LDN et de la Loi sur les juges en ce qui a trait à l’établissement d’une magistrature était en partie de garantir l’« indépendance judiciaire », comme le confirme l’alinéa 165.34(2)b) de la LDN, où les « meilleurs » juges présideraient les tribunaux, ayant une « sécurité financière » grâce à une rémunération « satisfaisante ». Par conséquent, nous estimons que les constatations de la CERJ (et les réponses du gouvernement à celles-ci), bien que non contraignantes, sont pertinentes pour nos travaux visant à évaluer le caractère satisfaisant de la rémunération des juges militaires, compte tenu du fait que l’intention du législateur en établissant le régime des deux lois était la même.

Le second point d’interprétation concerne le troisième facteur énoncé à l’alinéa 165.34(2)c) de la LDN, à savoir le besoin de recruter les « meilleurs officiers ». Le langage législatif utilisé dans les deux langues officielles peut être harmonisé en leur conférant une signification commune équivalant à « the best » en anglais. Nous développons les conséquences de ces constatations relatives à l’interprétation législative ci-dessous en analysant l’application des éléments de preuve au troisième facteur.

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